Blanche-Neige et les Sept Nains : Entretien avec l'actrice Marge Champion, modèle de référence pour les studios Disney
Article Animation du Mercredi 11 Mai 2016

De son vrai nom Marjorie Celeste Belcher, Marge Champion est née le 2 septembre 1919 à Los Angeles. Elle a commencé à danser enfant sous la direction de son père, Ernest Belcher, un célèbre professeur de danse d'Hollywood qui a formé Shirley Temple, Cyd Charisse et Gwen Verdon. A 12 ans, elle devenait elle même professeur de ballet dans l'école de son père. Peu de temps après, elle recevait la plus inattendue des propositions: auditionner pour un dessin animé! Des chasseurs de tête sont venus à l'école de son père en 1933 pour choisir trois danseuses dont elle. C'est ainsi qu'elle est devenue le modèle de référence pour Blanche-Neige, jouant et dansant devant les animateurs de Walt Disney et filmée par eux afin de constituer une référence qui serait ensuite caricaturée pour les besoins du dessin animé afin de faire de la première princesse Disney un être humain parfaitement convainquant. Elle a également servi de référence pour la Fée Bleue de Pinocchio et Hyacinth Hippo dans "La Danse des Heures" de Fantasia, qu'elle a également chorégraphiée. Elle est ensuite devenue une légende du cinéma, de la télévision et de la scène (à Broadway). Mais plus que la légende ou la star, ce que je garderai de cet entretien, c'est l'extraordinaire gentillesse et élégance d'une grande dame qui a très aimablement accepté de partager ses souvenirs uniques.

Par Jérémie Noyer

Comment êtes-vous devenue Blanche-Neige ?

Je crois que Disney déjà auditionné plus de 200 filles avant de me choisir. Cela n’avait jamais été fait auparavant pour un dessin animé. Parfois ils choisissaient quelqu’un pendant une journée, avant de se décider à filmer. C’était aussi la première fois qu’il était question d’un dessin animé long-métrage. Je n’en avais jamais entendu parler avant mes 14 ans, en septembre, puis j’en ai entendu parler tout d’un coup. La première rencontre a eu lieu quand nous sommes partis tous les trois de l’école de mon père pour nous rendre chez Disney. Mon père, Ernest Belcher, avait une très grande école de danse à Los Angeles et il a également été l’un des tout premiers directeurs de danse sur un film, avant même qu’il y ait des directeurs du son. Il a travaillé pour Charlie Chaplin. Mon père connaissait M. Disney par son travail, mais ils n’étaient pas des amis proches. Il m’a autorisée à y aller parce que j’ai appris à danser à l’âge de six ou sept ans, et il a pensé que cela pourrait être une bonne occasion pour moi d’avoir une expérience sans passer réellement à l’écran. Il n’aurait jamais accepté que je tourne dans un film avant de terminer le lycée. Cela dit, j’avais une expérience dans les ballets de son école au Hollywood Bowl entre autres, et il savait que M. Disney était quelqu’un de bonne réputation et que je ne risquais rien ! Les pères, à cette époque, recherchaient des endroits sûrs pour leurs filles, surtout s’ils connaissaient le milieu! Je suis donc arrivée, et ils m’ont montré les story-boards. Les animateurs et auteurs m’ont montré les costumes, et je me suis mise au travail peu de temps après, en septembre 1934. Je n’ai pas vraiment réalisé ce qu’il se passait, parce que personne ne réalisait encore à ce moment. C’était la "folie" de Walt Disney. Nous faisions un dessin animé long-métrage ! J’ai grandit devant les Silly Symphonies, les Trois Petits Cochons et les Mickey Mouse, mais personne ne se doutait de l’expérience bouleversante que cela allait être jusqu’en 1937, quand le film a été présenté au Carthay Circle Theater, en décembre. C’était une très bonne expérience qui me permettait de sauter l’école un, deux ou trois jours par mois, mais je ne me doutais pas à quel point cela allait faire sensation, et à quel point cela allait même sauver les studios Disney de la faillite.

Que deviez-vous faire?

Ils me montraient les story-boards, et je devais m’imaginer courir dans une forêt, avec des draps et des cordes qui pendaient du plafond pour la matérialiser, et je courrais jusqu’à la petite maison des nains. C’était très simple, mais très amusant parce que je me sentais très à l’aise avec tous les animateurs qui étaient en charge des différentes scènes. Il y avait aussi un réalisateur formidable qui s’appelait Ham Luske, qui a supervisé le tout. C’était une expérience que nous avons tous partagé. La plupart des gens qui travaillaient sur le projet étaient assez jeunes, mais ils avaient au moins 10 ans de plus que moi.

Comment avez-vous travaillé avec Louis Hightower, qui incarnait le Prince?

C’était un vrai Prince! Il a été mon premier cavalier. Il s’était entrainé avec mon père. Son rôle était important, puisque je devais mourir, et il venait ensuite me réveiller ! Quelques année plus tard, nous avons fait un show à Broadway ensemble. Après il s’est engagé dans l’armée. C’était aux alentours de 1941, et malheureusement il a été tué. Lui, son frère et sa sœur ont tous les trois étudié avec mon père. Il y avait aussi la sorcière, qui s’appelait Paul Gutkin, qui est devenu un danseur très célèbre, avec Agnès Mills et Jerry Robinson, qui dansaient à New York à l’époque. J’ai également fait un show à Broadway avec eux.

Avez-vous eu l’occasion de rencontrer Adriana Caselotti, la voix originale de Blanche-Neige?

Elle avait terminé d’enregistrer toutes ses scènes, sauf s’ils écrivaient une nouvelle chanson et avaient besoin de la rappeler. Son père était professeur de chant et elle avait la voix parfaite pour le rôle de Blanche-Neige, mais elle n’était ni une danseuse ni une actrice. Ils ont donc eu besoin de quelqu’un pour la doubler. Je ne l’ai pas beaucoup connue, car elle avait quasiment fini d’enregistrer quand je suis venue travailler sur le film. Mais je me suis habituée à travailler avec sa voix, et j’ai même appris à synchroniser le mouvement de mes lèvres avec ses paroles. Parce que quand elle chantait Un jour mon Prince viendra ou autre chose, je devais vraiment me synchroniser avec sa voix, et j’ai du apprendre toutes les paroles. Quand il s’agissait juste de danser, alors je n’avais plus à m’inquiéter de garder ma bouche en phase avec la bonne syllabe.

En ce qui concerne la danse, vous souvenez-vous avoir improvisé quelque chose qui soit resté dans le film?

Tout état improvisation. Je ne savais même pas ce que ce mot signifiait, mais quand mon professeur au lycée de Hollywood High a su que j’allais faire cette audition, il a pensé qu’il valait mieux me faire faire un peu d’improvisation, plein de choses un peu folles qu’il pensait que je devrais faire, et j’ai du passer outre ma réticence à faire quoi que ce soit devant l’équipe de football ou les gens de ma classe. Cela m’a beaucoup aidée et j’ai appris ce qu’était l’improvisation. Les gens chez Disney me montraient ce qu’ils voulaient voir, et parfois ils voulaient le voir d’un angle différent, donc je devais recommencer encore et encore, pour qu’ils puissent bouger l’unique caméra autour de la scène. J’ai vraiment inventé la plupart des mouvements, tout est de moi, et tout ce que vous voyez Blanche-Neige faire, je l’ai certainement répété maintes et maintes fois.

Comment avez-vous vécu l’avant-première de Blanche-Neige au Carthay Circle Theater?

J’avais 17 ans. C’était le 21 décembre 1937 et j’étais tout en haut dans les balcons parce que oncle Walt (il me disait de l’appeler oncle Walt car j’étais trop jeune pour l’appeler Walt comme tous les autres) pensait que le public ne comprendrait pas le besoin d’avoir un modèle de référence pour toutes ses scènes, et penserait qu’ils m’avaient « recopiée ». En un sens, c’est bien ce qu’ils ont fait. Mais ils avaient la possibilité de ne pas utiliser toutes les images. Les animateurs et les réalisateurs étaient libres d’utiliser ou non les modèles. Tout n’était pas recopié, c’était juste un modèle de départ. Mais Walt pensait que le public ne le comprendrait pas. On m’a très vite dit que je ne pourrais pas tirer de publicité de cet évènement. C’est Shirley Temple, qui était une actrice très célèbre à cette époque, et aussi une élève de mon père, qui a été la star de la soirée. Elle n’y était pour rien, mais je la connaissais et nous sommes devenues de bonnes amies. J’allais chez elle pour lui faire des démonstrations quand mon père lui apprenait quelques pas de danse. A cette soirée, j’ai été très impressionnée car c’était la première fois que je voyais le film terminé dans son ensemble. J’avais vu des extraits, par accident. Mais quand j’ai vu le résultat final, entendu les applaudissements et vu les gens pleurer quand Blanche-Neige meurt, c’était impressionnant de réaliser que ce film allait faire un malheur.

Votre collaboration avec Disney ne s’est pas arrêtée ici...

Après ça j’ai travaillé sur deux autres films. J’ai travaillé sur Pinocchio (la fée bleue) et Fantasia (la danse des heures). Là, j’étais plus habituée à toutes ces choses que nous avions en quelques sorte inventées ensemble.

Pouvez-vous me parler de l’animateur légendaire Art Babbitt, qui est devenu votre mari pendant un moment?

Art travaillait sur le film comme responsable de la reine, et Bill Tytla était en charge de la sorcière. Il avait l’habitude de descendre sur le plateau avec son matériel et de me photographier en train de faire ceci ou cela, puisque, bien-sûr, il était animateur. Art a été un homme très important dans ma vie très temporairement (je crois que nous avons été mariés moins d’un an), mais grâce à lui et au fait d’avoir vécu avec lui, comme il avait toujours tout son matériel d’animation pour travailler un peu après le diner, j’ai pu vraiment comprendre les différentes techniques. Lui et Bill Tytla étaient vraiment les animateurs stars chez Disney à l’époque. J’ai donc appris beaucoup plus sur tout ça que si j’avais juste fait mon travail. J’ai assisté à tout ce qu’Art créait, et j’ai connu tous les personnages qu’il a animés.

Vous parlez de Bill Tytla. Je crois comprendre que vous étiez proches de lui et Adrienne Tytla. Quels sont vos souvenirs de ce couple ?

J’étais très jeune et il y avait plusieurs couples chez Disney, mais j’ai été particulièrement proche d’Adrienne, son épouse. Bien-sûr, ils sont retournés, juste après les évènements d’Hawaii pendant la seconde guerre mondiale, dans leur ferme du Connecticut, et Bill est parti travailler à New-York. On lui rendait visite le week-end. Je suis devenue très amie avec Adrienne, jusqu’à la fin de sa vie. Elle m’a appris beaucoup de choses en cuisine. Elle a écrit un livre extraordinaire sur cette époque. Quand je passais des castings pour des shows à New-York, j’allais passer le week-end chez eux. Pendant qu’elle cuisinait, répétais et cherchait des idées pour mes auditions. Elle avait une boutique formidable avec une superbe collection d’antiquités. A cette époque (fin des années 30, début des années 40), c’était encore la dépression et vous pouviez acheter des choses fabuleuses dans différentes boutiques à travers le pays. Elle avait beaucoup de goût. Elle a été modèle pour des cours d’art, et c’est là que Bill et elle s’étaient rencontrés. John Canemaker disait toujours que Bill Tytla était le plus grand artiste parmi eux. Ils avaient une dizaine d’années de plus que moi, mais ils m’ont en quelque sorte adoptée. Et encore une fois, j’ai vraiment beaucoup appris sur les techniques, plus que si je m’étais contentée de servir de modèle.

Qu’avez-vous appris au contact d’Art Babbitt et Bill Tytla?

Je ne suis pas une artiste moi-même. J’ai même beaucoup de difficultés à tracer une ligne comme je veux. Mais d’une façon ou d’une autre, ce monde m’a toujours attirée. Et j’ai vu les techniques qu’ils devaient employer, image après image, surtout quand il y avait plus d’un personnage, oiseau ou autre dans la scène. C’était très fastidieux, mais c’est ce qu’on appelle full animation, qui est toujours utilisée dans La Princesse et la Grenouille. C’est de la caricature, mais, selon eux, cela doit garder un certain degré de réalisme. Et pour atteindre cela, c’est un travail très long et fastidieux.

Vous avez commencé à travaillé sur Fantasia juste avant que Blanche-Neige ne sorte. Cette expérience était-elle différente ?

J’ai dirigé un peu la danse. J’ai principalement fait la ballerine hippopotame, mais aussi d’autres personnages de la danse des heures. Je n’étais pas de la même forme qu’un hippopotame. Ils avaient d’autres modèles pour la forme, mais qui ne dansaient pas. Je suis allée voir les Goldwyn Follies au cinéma et j’ai vu une danseuse fabuleuse, Vera Zorina qui était à l’époque mariée à George Balanchine. Elle sortait d’une piscine et dansait, j’ai pensé que c’était une idée géniale pour l’hippopotame. Je suis rentrée aux studios, et j’ai dit : « Vous devez voir ce film ». Ils l’ont effectivement vu et ont pensé que c’était une idée formidable pour l’entrée en scène de l’hippopotame. Il y avait aussi des éléphants. Et il y avait onze autres filles que j’ai pu amener aux studios pour les faire jeter leurs ballons en l’air pour qu’ils étudient la scène où les éléphants jettent des bulles en l’air. C’était une collaboration bien plus poussée que je ne l’ai réalisé à cette époque.

Louis Hightower a servi de modèle pour Ali Gator. Comment était-ce de travailler à nouveau avec lui ?

Parfois on devait porter des maillots de bains pour qu’ils puissent étudier les lignes de nos corps. Ils nous montraient des story-boards, mais dans tous les cas, nous pouvions improviser et leur donner matière à travailler.

On raconte que vous avez aussi servi de modèle pour la cigogne de Dumbo. Est-ce vrai ?

Je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit sur Dumbo, qui est un film que j’adore. Mais il faut remercier M. Disney d’avoir donner de l’importance à la danse dans ces films, car cela les a vraiment enrichis. Il y a des choses que les personnages font, pour lesquels je suis sûre qu’ils ont fait venir des modèles au moins un jour ou deux pour étudier les mouvements. Dans Blanche-Neige, il y avait un acteur, à l’époque, Billy Gilbert, qui faisait toutes sortes d’éternuements. Je le connaissais car il était marié à la sœur de ma meilleure amie. J’ai assisté à son travail sur Atchoum. Pour seulement un nain, ils faisaient venir quelqu’un pour un jour ou deux. J’ai parfois travaillé avec certains d’entre eux, mais je travaillais surtout avec les animateurs et les réalisateurs.

Comment décririez-vous Walt Disney à cette époque?

C’était un homme très passionné. Il ne venait pas très souvent sur le plateau. Quand il avait parlé aux animateurs et leur avait donné ses directives, il les laissait faire leur travail. C’est pourquoi il avait les meilleurs artistes de l’époque qui travaillaient pour lui, parce qu’il les laissait libres jusqu’à ce qu’il voit le résultat. J’imagine qu’il passait ses jours et ses nuits, dans son bureau ou chez lui, à regarder tout ce qui sortait des studios. Il s’impliquait personnellement dans tout ça, mais on ne le voyait pas souvent sur le plateau. Il travaillait avec les meilleurs, et il les inspirait.

Impressionnant pour un jeune homme d’une trentaine d’années seulement!

C’est vrai que c’est impressionnant, mais vous savez, le leadership se trouve dans des personnes qui ont un vrai don, et c’était son cas. Je pense que dans un certain sens, personne n’avait meilleur goût que lui. Il venait du centre des Etats-Unis, pas d’une classe d’élite, mais il était doté d’un génie certain.

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