Star Trek : Les effets spéciaux des volets 3 à 6
Article Cinéma du Lundi 07 Septembre 2015

Une Entreprise réussie

Depuis 1966 et la diffusion du pilote de la série originale, l'USS Enterprise explore la galaxie afin de découvrir de nouveaux mondes et de nouvelles civilisations. Suite aux coups de projecteurs que nous avons offerts aux trucages de la première série et des deux premiers films, lors de précédents numéros, nous nous arrêtons sur les quatre derniers films de l'équipage original. De Star Trek III : A la Recherche de Spock à Star Trek VI : Terre inconnue, la saga cinématographique s'est décidément aventurée « là où aucun homme n'est jamais allé »...


Par Pierre-Eric Salard

Dans l'univers de Star Trek, l'USS Enterprise est un imposant vaisseau d'exploration de 190 000 tonnes et 289 mètres de long, qui a été assemblé dans l'espace. Ces principaux composants (la « soucoupe », la nacelle et les moteurs) ont été construits au sein des usines de Starfleet, l'organisme chargé de la défense de la Fédération des Planètes Unies, à San Francisco. Si la plus grande maquette utilisée dans Star Trek : Le Film a bel et bien été montée sur le territoire californien, ses dimensions sont bien plus réduites : 2, 5 mètres de long ! Les effets spéciaux de ce film étaient supervisés par deux des plus grands artistes de la profession, Douglas Trumbull (2001 l’odyssée de l’espace, Blade Runner) et John Dykstra (Star Wars, Spider-Man). Les trucages du second film, Star Trek II : la colère de Khan, avaient ensuite été confiés à Industrial Light & Magic (ILM), la légendaire société de George Lucas. Parmi les studios d'effets visuels ayant participé à la franchise, ILM se taille la part du lion : pas moins de six films bénéficièrent du savoir-faire de ses artistes, dont Star Trek II, Star Trek III : A la recherche de Spock (1984), Star Trek IV : Retour sur Terre (1986), Star Trek VI : Terre inconnue (1991), Star Trek Générations (1994) et Star Trek : Premier contact (1996) – sans compter le pilote de la série Star Trek : The Next Generation, Rencontre à Fairpoint. Une histoire commune qui se perpétue encore de nos jours, puisque le récent Star Trek, réalisé par J.J. Abrams, a célébré les retrouvailles entre la célèbre franchise et les artistes d' Industrial Light & Magic...

A la recherche de l'Enterprise

A l'occasion de la post-production du second film, la maquette originale de l'USS Enterprise est récupérée par ILM afin d'être restaurée. D'autres maquettes de vaisseaux spatiaux et de stations orbitales de Star Trek : Le film subissent le même sort, dont un vaisseau de guerre Klingon, la station spatiale Regula et la navette vulcaine. « Ces miniatures ont été transmises entre les différentes équipes de post-production à travers le temps », s'amuse le maquettiste John Goodson (The Rocketeer, Transformers). « La conservation et a transmission de cet héritage est en quelque sorte devenue une tacite tradition ! » L'équipe des maquettistes est chargée de leur offrir une seconde jeunesse – et de répondre aux besoins des films. « Bien souvent, vous récupérez une maquette sans son mode d'emploi, ni sa source d'énergie », précise Goodson. « Il faut donc vérifier l'intégrité de son alimentation électrique, et trouver comment elle fonctionne. Toutes les maquettes nécessitent de nombreux câbles, qui sont bien entendu hors-champs. Ils alimentent les lumières et autres néons, ainsi que les ventilateurs intégrés aux modèles ». Ces restaurations s'accompagnent d'améliorations de l'installation électrique, ainsi que d'ajouts de détails sur les maquettes. Lorsque ILM est contacté, en 1983, afin d'élaborer les trucages de Star Trek III : A la recherche de Spock, les artistes n'ont plus qu'à récupérer les miniatures, conservées dans leurs archives. Elles sont ensuite retouchées pour correspondre aux besoins spécifiques de certains plans...

Ce n'est qu'un au revoir

Star Trek III : A la recherche de Spock est réalisé par Leonard Nimoy, l'inoubliable interprète de Spock. Bien que ce personnage se soit sacrifié dans le précédent volet, de nombreux indices laissaient supposer qu'il « renaîtrait » dans cette suite. « Après avoir vu Star Trek II : la colère de Khan, j'ai eu envie de reprendre le rôle », se souvient Nimoy. « Quand on y réfléchit, si Spock n'avait pas ressuscité et si le Capitaine Kirk s'était tourné vers la caméra pour déclarer 'désolé, nous n'avons pas réussi à retrouver son corps !', les fans nous auraient lapidés (rires) ! Lorsque les dirigeants du studio Paramount Pictures m'ont proposé d'incarner à nouveau Spock, j'ai sauté sur l'occasion et j'ai déclaré que je voulais également réaliser le film ! J'avais déjà mis en scène des pièces de théâtre et donné des cours de comédie pendant cinq ans dans les années 60, ce qui m’a permis d’acquérir une expérience utile. En fait, Je me destinais plutôt à une carrière de réalisateur lorsque Star Trek est entré dans ma vie ! » Sachant que les fans s'attendaient à retrouver Spock, le scénariste Harve Bennett, l'un des auteurs du précédent volet, leur concocte une surprise... de taille : le légendaire USS Enterprise sera sacrifié à la fin du film... Cette bonne idée, sur le papier, fut gâchée par la campagne promotionnelle du film, qui dévoila le destin du vaisseau spatial avant même la sortie du film ! On imagine facilement la déception des amateurs de la saga, qui assistent à la désintégration de l'Enterprise avant même de retrouver le vénérable Monsieur Spock ! Cette inoubliable scène est élaborée par le superviseur des effets spéciaux Ken Ralston (Le Retour du Jedi). « J'ai toujours détesté le design de ce vaisseau », confie Ralston. « Sa forme alambiquée complique la fabrication de maquettes. Sans compter qu'il est difficile de filmer ce vaisseau de manière convaincante ! J'ai donc vraiment apprécié cette possibilité de le réduire en petits morceaux (rires) ». En réalité, seule la « soucoupe » de l'Enterprise est réellement détruite – il s'agit d'une maquette de plusieurs mètres de large, destinée à être pulvérisée. Des plans additionnels montrent la « lente » dislocation de cette partie du vaisseau ; le numéro d'identification de l'Enterprise, NCC-1701, disparaissant alors que le vaisseau brûle de l'intérieur. Enfin, le plongeon final de l'USS Enterprise dans l'atmosphère de la planète Genesis nécessite la fabrication d'une maquette aux dimensions plus modestes... Notons que le film de démonstration de l’effet Genesis, qui transforme une planète morte en monde vivant, est réutilisé dans ce film... et dans le volet suivant, Star Trek IV : Retour sur Terre (1986) ! Première séquence 3D photoréaliste de l'histoire du cinéma, l'effet Genesis avait été précédemment conçu par la jeune équipe de Lucasfilm Computer Graphics pour Star Trek II : la colère de Khan. Il y a un quart de siècle, le recyclage existait déjà !

Une maquette immortelle

A l'occasion de la pré-production de Star Trek IV : Retour sur Terre, le superviseur des effets spéciaux Ken Ralston espère pouvoir construire un USS Enterprise aux lignes plus modernes que sa précédente incarnation, détruite au cours du précédent film – et qu'il haïssait tant ! Le célèbre dessinateur Ralph McQuarrie (Star Wars) est même engagé en tant que consultant visuel ! Mais le budget du film est serré, et les producteurs proposent de dupliquer à l'identique l'ancien vaisseau – une solution moins coûteuse ! Au cours de l'histoire de Star Trek 4, un nouveau vaisseau Enterprise est ainsi mis en service pour remplacer le précédent. ILM utilise donc, à nouveau, la maquette originale de L'Enterprise, dont l'installation électrique est restaurée par Eric Christensen. Six semaines sont nécessaires pour rafraîchir la maquette et y appliquer des modifications mineures. Un « A » est par exemple ajouté au numéro d'identification de l'Enterprise : NCC 1701-A. Même si la même maquette est utilisée dans les films, il s'agit d'un tout nouveau vaisseau au sein de l'univers Star Trek ! Au cours de la même séquence, la maquette d'une navette du tout premier film est également réutilisée... Dans ce film, la Terre est harcelée par un mystérieux vaisseau extraterrestre cherchant à contacter les baleines, une espèce éteinte dans le futur. Les conditions météorologiques de la planète se retrouvent complètement déréglées, ce qui conduit le célèbre équipage, toujours mené par le Capitaine Kirk, à voyager plusieurs centaines d'années dans le passé, dans les années 1980, afin de ramener un couple de cétacés...

Le scanner de rêves

La maquette du vaisseau extraterrestre, dont la forme rappelle un tube, a été peinte en noire après des essais peu concluants : à l'origine, sa couleur claire ne rendait pas justice au mystère entourant le voyageur interstellaire ! Le film se déroulant à San Francisco, certains plans nécessitent de montrer le célèbre Golden Gate Bridge entouré d'une brume compacte. Une miniature est construite par les artistes d'ILM, qui décident d'utiliser l'une des plus vieilles astuces du cinéma – et de la peinture : la perspective forcée. L'une des extrémités de la maquette fait soixante centimètres de hauteur, alors que l'autre fait près de cinq mètres. Lorsque la maquette est filmée par son extrémité la plus réduite, le pont semble bien plus long qu'il ne l'est réellement ! Et la miniature prend bien moins de place dans les locaux d'Industrial Light & Magic... Les baleines sont également conçues par les artistes du studio. Selon les plans, il s'agit soit d'éléments animatroniques à taille réelle (queue, nageoires...) filmés dans des bassins des studios Paramount, soit de miniatures. Enfin, une scène primordiale du film requiert l'utilisation des images de synthèse : le voyage à travers le temps, dont la forme rappelle fortement une spectaculaire hallucination. Rappelons qu'à cette époque, au milieu des années 1980, le numérique était encore loin de supplanter les techniques traditionnelles ! Cette séquence nécessite la toute première utilisation d'un scanner 3D pour la production d'un film. Les artistes d'ILM font appel aux services de Cyberware Laboratory, un fabriquant de scanner. Les techniciens de Cyberware les aident à digitaliser les visages et les têtes des acteurs. Ces données numériques servent à créer des sculptures en polystyrène. Les modèles 3D sont ensuite intégrés dans la séquence finale, dont le rendu nécessite plusieurs semaines de calcul ! Le trucage final est saisissant et particulièrement onirique...

Des hauts et des bas

En 1988, les dirigeants du studio Paramount, inquiets quant à la disparition de l'enthousiasme engendré par le film précédent, décident de produire Star Trek V : la dernière Frontière. Mais la grève des scénaristes réduit inévitablement la durée de la pré-production du film, qui souffre déjà d'un budget fortement réduit. La réalisation incombe à William Shatner (le Capitaine Kirk), qui désire apporter un style plus réaliste à la franchise. Il engage le directeur artistique Herman Zimmerman (Star Trek : the Next Generation) pour moderniser le design de la passerelle de l'Enterprise, sans pour autant trahir le style de cette époque de l'univers Star Trek. Malheureusement, Industrial Light and Magic ne peut pas se permettre de superviser la confection des effets visuels : ses équipes sont bien trop occupées par les trucages novateurs de Qui veut la peau de Roger Rabbit, des Retour vers le Futur et d'Abyss ! Les effets spéciaux, tout comme la réalisation, se révèlent bâclés. La grande scène du film – un monstre de pierre - est si peu crédible qu'elle est purement supprimée ! La Dernière Frontière, considéré comme l'un des plus mauvais films de la saga, est heureusement suivi par un opus d'excellente facture, Star Trek VI : Terre inconnue (1991). Le film est confié à Nicholas Meyer, heureux réalisateur de Star Trek II : la colère de Khan. A cause du faible montant du budget, de nombreux décors de la (alors) récente série Star Trek : the Next Generation sont détournés au profit du film. Les quartiers de l'androïde Data deviennent par exemple ceux de Kirk ! Mais le directeur artistique Herman Zimmerman ne dispose que d'une faible marge de manœuvre, les décors devant retrouver leur forme d'origine pour le tournage de la saison suivante de The Next Generation ! Véritable transposition des ultimes instants de la Guerre Froide dans l'univers Star Trek, l'histoire de Terre Inconnue requiert la présence de nombreux Klingons, les éternels ennemis de la Fédération des Planètes Unies fondée par les humains. Plusieurs scènes nécessitent la présence de douzaines d'acteurs maquillés en Klingons ! Placés à l'arrière-plan, les figurants portent des masques sommaires et produits en série. Mais les principaux personnages bénéficient de maquillages uniques. Afin que les expressions des comédiens soient bien visibles, plus de trois heures sont nécessaires pour appliquer les délicates prothèses faciales !

L'ultime mission

Suite à la débâcle du précédent opus, les trucages du film sont de nouveau confiés à Industrial Light & Magic, sous la supervision de Scott Farrar. Après avoir reçu le scénario, les artistes d'ILM élaborent un storyboard détaillé de toutes les scènes à effets spéciaux. Le coût de la confection de ces plans s'avérant supérieur au budget prévisionnel, Nicholas Meyer accepte de faire des concessions. Des animatiques rudimentaires lui permettent d'éviter de mauvaises surprises et d'écarter les plans trop onéreux. Même si le nombre de plans est finalement divisé par deux, ILM doit faire appel à des équipes extérieures. Certaines scènes en apesanteurs sont conçues par Pacific Data Image, alors que Visuel Concept Engineering est chargé des rayons lasers et des trucages du téléporteur. Quelques plans des précédents volets sont également utilisés : il n'y a pas de petites économies ! La célèbre maquette de l'USS Enterprise subit les révisions d'usage ; son installation électrique est modernisée. D'autres modèles sont remaniés. Ainsi, la maquette du vaisseau de guerre Klingon de Star Trek : Le film (1979) est altérée et maquillée. La seule maquette construite expressément pour ce film, d'une vingtaine de centimètres, est une petite navette. Elle est d'ailleurs confectionnée en moins d'une semaine ! A cause des délais serrés, certains plans « lambdas » (rayons lasers, champs d'étoile...) sont inversés pour être utilisés une seconde fois. Le réalisateur insiste pour que les maquettes soient régulièrement filmées par dessous. « J'espérais instiller ainsi le sentiment que ces vaisseaux étaient des bateaux voguant dans l'océan de l'espace », précise Meyer. Mais ILM doit surtout confectionner plusieurs séquences en images de synthèse. Le film s'ouvre sur l'explosion de la lune Praxis, dont l'onde de choc manque de détruire le vaisseau USS Excelsior. « Ce phénomène devait paraître gigantesque », se souvient le superviseur des effets numériques Jay Riddle. « Alors que le numérique n'en était qu'à ses débuts, nous avons longuement réfléchi au meilleur moyen pour créer cette onde de choc. Une fois que nous avons terminé l'animation de la séquence, nous avons scanné les plans de l'USS Excelsior que nous avions filmés et les avons intégré. Mais au bout du compte, cela aurait été impossible à faire avec les seules techniques traditionnelles ! » Une page se tournait déjà... Quelques années après sa première utilisation, dans Willow, la technique du morphing permet à une extraterrestre de prendre les traits de James T. Kirk. Grâce à l'évolution technologique, les infographistes ont pu tenter des effets plus élaborés, tels des mouvements de caméra ou un morphing entre deux personnes qui parlent. Lorsque Kirk lutte contre son « double », William Shatner se retrouve face à un cascadeur. La majorité des plans ne montrent qu'un visage à la fois, ce qui permet de réduire le nombre de trucages. Lorsque Kirk parle son double au sein d'un même plan, Shatner est filmé deux fois par une caméra contrôlé par ordinateur, dans deux axes opposés. Les deux prises sont ensuite combinées, et la magie opère... Au final, la production de Star Trek VI : Terre inconnue a été complétée en moins d'un an. Quelques jours après la première du film, Gene Roddenberry, le créateur de la saga, disparut. Son univers était cependant loin d'être enterré ; cinq films et trois séries ont depuis perpétué sa mémoire. Et cet héritage s'est accompagné d'autres trucages détonants...

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