[Flashback] Tron - Les pionniers des images de synthèse
Article Cinéma du Vendredi 14 Aout 2015

A sa sortie, il y a plusde trente ans, Tron est en avance sur son temps. Bien avant la démocratisation d'Internet et des jeux vidéo en 3D, ce film dévoile un univers virtuel visuellement stupéfiant et cohérent. Et il fait parti des oeuvres pionnières en matière d'utilisation de l'informatique au cinéma. Il fut pourtant boudé à sa sortie, en 1982 ; ses thèmes étant certainement trop modernes pour une époque où l'informatique n'était pas accessible au commun des mortels...

Par Pierre-Eric Salard



Bienvenue dans le monde virtuel

En 1976, un jeune animateur de dessin-animé, Steve Lisberger, découvre Pong, un jeu vidéo rudimentaire s'inspirant du tennis. Fasciné, il imagine les aventures de personnages vivants à l'intérieur d'un monde virtuel. Il réalise peu après un logo publicitaire en animation traditionnelle qui montre un être virtuel fait de lumière, surnommé Tron (elecTRONic). Il vient de trouver le protagoniste idéal pour son projet ! « Lorsque j'ai écrit le scénario de Tron, je voulais que le film soit tourné à l'aide des images de synthèse, une technique alors rudimentaire. C'était l'unique moyen de raconter cette histoire ! En juin 1980, nous sommes allés voir les studios Disney. Roi incontesté des films d'animation traditionnels, ce studio était logiquement l'un des derniers que nous avions prévu de rencontrer. Nous pensions qu'ils ne seraient pas intéressés par l'informatique. Contre toute attente, ils se sont montrés très enthousiastes ! ». Les studios Disney octroient au film un budget de 17 millions de dollars. En 1981, Steve Lisberger engage plusieurs illustrateurs de renom afin de donner corps à sa vision : Jean « Moebius » Giraud, Syd Mead et Peter Lloyd. Dessinateur des bande-dessinées Blueberry et habitué des pages du magazine Metal Hurlant et son pendant américain Heavy Metal, Moebius est chargé du design des costumes, ainsi que de l'élaboration du storyboard définitif. « Il fallait illustrer les séquences, pour leur donner davantage de profondeur. J'ai jeté un oeil sur tout ce qui avait été dessiné pendant un an et j'ai compris l'esprit du film. Alors j'ai tout redessiné, mais à ma sauce. L'ambiance était très bonne, j'ai même pu souffler l'idée du frisbee... et on m'a pris au sérieux (rires) ! » Le designer industriel Syd Mead (Blade Runner, 2010) se charge de dessiner les véhicules du monde virtuel, dont le vaisseau de Sark, les légendaires moto-lumières et le tank.  C'est un génie », annonce Jean Giraud. « Ce type incroyable a une espèce de faculté para-normale pour représenter le métal et les chromes ». Enfin, Peter Lloyd s'occupe des décors et environnements du monde virtuel...

Un processus laborieux

Contrairement à ce qu'annonçait sa campagne de promotion, Tron est loin d'être un véritable film réalisé sur ordinateur : la technique de l'époque ne le permettait tout simplement pas ! La majorité des scènes se déroulant dans le monde virtuel ne contiennent d'ailleurs aucune image de synthèse. « La charge de travail était gigantesque », se souvent le superviseur des effets spéciaux Harrison Ellenshaw. « Sur les 1200 plans que nous avons truqués, 15 minutes ont été réalisées en images de synthèse. Il a également fallu faire le compositing du monde virtuel, dont les séquences tournées en prises de vue réelles s'étalaient sur 40 minutes ! Nous devions essayer de créer de tous nouveaux trucages. Nous n'étions pas en train de réinventer la roue, nous en inventions une toute neuve (rires)! » Ce film a nécessité l'utilisation de nombreuses techniques complémentaires : animation et effets spéciaux traditionnels, matte-paintings, un soupçon d'images de synthèse et beaucoup d'ingéniosité ! Les séquences se déroulant à « Tronland » sont tournées en prises de vue réelles durant le printemps 1981 aux Walt Disney Studios, à Burbank. Grâce au procédé de « backlit animation », les comédiens, affublés de leurs costumes de « programmes virtuels », semblent véritablement évoluer dans l'univers numérique. « Cette technique consistait à filmer les acteurs devant un fond noir », explique le superviseur des effets visuels Richard Taylor. « Comme je disais à l'époque, il fallait ensuite peindre les plans avec de la lumière (rires). Il s'agissait d'exposer chaque image du film devant une source lumineuse ; des filtres colorés étaient alors placés devant l'objectif de la caméra. La durée d'exposition et l'intensité de la lumière offraient aux personnages et décors ce style si particulier. Dans la pratique, c'était très compliqué ! Les scènes du monde virtuel avaient été filmées à l'aide d'une pellicule 65mm en noir et blanc, avec des acteurs portant des costumes en noir et blanc devant un fond noir ! Chaque image du film nécessitait de nombreux caches, selon les éléments qui devaient être exposés de telle ou telle manière... Ce fut un travail terriblement laborieux ! Et certains plans nécessitaient l'ajout d'objets animés traditionnellement ou de paysages conçus en images de synthèse. Les responsables du compositing avaient ensuite un véritable casse-tête à régler ! » Ce processus, qui ne sera jamais reproduit par la suite, nécessite davantage de travail que la création d'un film d'animation traditionnel...

L'avenir des effets spéciaux

Quelques mois avant la sortie de Tron, Star Trek II : la colère de Khan devient le premier film à tirer parti des images de synthèse. Son « effet Genesis », intégralement conçu sur ordinateur, montre la vie renaître sur une planète à l'occasion d'un long plan-séquence ! Pour Tron, ce sont pas moins de quinze à vingt minutes d'images de synthèse qui doivent être réalisées, principalement pour les scènes montrant les véhicules du monde virtuel. Quatre studios se partagent le travail : Information International Inc (Triple I), MAGI, Digital Effects et Roger Abel and Associates. « Afin d'obtenir le résultat voulu, il a fallu longuement discuter avec les responsables de ces sociétés », confie le superviseur des effets numériques, Bill Kroyer. « Il fallait développer de nouveaux programmes et créer des nouvelles règles cinématographiques. Nous avions à disposition de tous nouveaux outils, et il fallait apprendre à les maîtriser ! Mais il fallait également nous adapter aux limites techniques de l'époque... » Il faut ensuite unifier le style visuel de tous les plans, quelque soit la technique utilisée. «  Les plans conçus par les quatre studios d'effets visuels devaient être cohérents entre eux. Or aucune de ces sociétés n'auraient pu faire Tron seule à cette époque. Chacune avait sa propre façon de procéder ; les images de synthèse n'étant qu'à leurs balbutiements. L'étape la plus importante a été de s'accorder sur le même vocabulaire, la même compréhension de l'espace en trois dimensions et des couleurs ». Robert Abel & Associates s'occupe du prologue du film, ainsi que de la transition entre le monde réel et « Tronland ». MAGI s'est vu attribuer les séquences des moto-lumières et des tanks. Leur logiciel, baptisé SynthaVision, permettait d'utiliser des formes géométriques basiques, que l'ordinateur reconnaissait comme des objets solides. En variant la taille et la quantité de ces formes, les techniciens de chez MAGI pouvaient rapidement assembler et animer des véhicules en 3D rudimentaires. La séquence des moto-lumières restera d'ailleurs longtemps gravée dans l'esprit des spectateurs ! Triple I se charge de la course-poursuite entre le voilier solaire et la vaisseau de Sark, ainsi que du MPC. La technique de ce studio consistait à recopier les plans des véhicules grâce à l'utilisation d'une tablette graphique. L'image était ensuite décomposée sous forme de multiples polygones, avant d'être recomposée en trois dimensions. Steven Lisberger doit parallèlement veiller à l'uniformité du film. « L'une des difficultés majeures que nous avons rencontré est la continuité du style », précise Kushner. « Comme dans le Magicien d'Oz, il y a deux mondes distincts dans le film : celui du réel et celui du virtuel. Il fallait que le résultat soit homogène. Il s'agissait d'une même monde, et nous ne voulions pas que les spectateurs puissent deviner quelles techniques étaient utilisées. Je pense que nous avons réussi... » Tron a effectivement été une fenêtre sur l'avenir des effets spéciaux. « Nous avions compris que nous pourrions bientôt placer la caméra là où nous le désirerions, et qu'il n'y aurait plus de limites physiques... », se souvient Richard Taylor. Plusieurs décennies après sa sortie, Tron est toujours considéré comme une date importante dans l'histoire du cinéma et de l'animation par ordinateur...

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