Dossier AVATAR - Exclusif : Dans la peau du Colonel Quaritch - Entretien avec Stephen Lang
Article Cinéma du Lundi 11 Janvier 2010

« Mesdames et messieurs, vous n’êtes plus au Kansas ! » C’est par cette allusion sarcastique à la réplique de Dorothy s’éveillant dans le pays du Magicien d’Oz que le Colonel Quaritch accueille les jeunes marines fraîchement débarqués sur Pandora dans les premières scènes d’Avatar. Dans ce rôle de militaire endurci, le visage barré d’une triple balafre, Stephen Lang réalise une performance mémorable, qu’il a évoqué au cours d’un long entretien exclusif dont nous vous présentons aujourd’hui la première partie. ESI entame par cet article un grand dossier consacré au chef d’œuvre de James Cameron, dont vous découvrirez les différentes parties tout au long de ces prochaines semaines…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Né à New York d’une mère d’origine irlandaise et d’un père d’origine hongroise, Stephen Lang s’est passionné très tôt pour le cinéma, grâce aux comédies de Laurel et Hardy et aux films d’aventures d’Errol Flynn qu’il voyait à la télévision. Il a fait ses débuts de comédiens sur les planches du théâtre Folger de Washington, interprétant différents rôles du répertoire de Shakespeare. C’est en 1984 que sa prestation dans le rôle de Hap dans La Mort d’un commis-voyageur, pièce d’Arthur Miller mise en scène par Dustin Hoffman, lui permet de percer. Ce travail sera filmé pour la télévision en 1985 par Volker Schlöndorff , avec la même distribution (Dustin Hoffman, Stephen Lang et John Malkovitch). Il apparaît dans l’excellente série policière produite par Michael Mann Crime Story (1986-1988). En 2007, Lang est acclamé par la critique pour son extraordinaire performance dans la pièce Beyond Glory, qu’il a écrite lui-même à partir du livre éponyme de Larry Smith, et où il incarne huit hommes qui sont devenus des héros au combat, en utilisant des intonations et des gestuelles à chaque fois différentes. Au cinéma, on a pu voir Stephen Lang notamment dans Le sixième sens - Manhunter (Michael Mann – 1986), L’avocat du diable (Sidney Lumet – 1993), Tombstone (1993 - George Pan Cosmatos) et Public Ennemies (Michael Mann – 2009).

Vous avez incarné plusieurs personnages mémorables de militaires au théâtre, d’abord le Colonel Nathan Jessup dans Des hommes d’honneur, puis huit héros de guerre différents dans une pièce que vous avez écrite vous-même, Au delà de la gloire, qui a été saluée par des critiques enthousiastes. Est-ce que ce travail sur ces personnages de militaires vous a permis de vous préparer, d’une manière ou d’une autre, à devenir le Colonel Quaritch d’Avatar ?

Je crois que chaque rôle de ma carrière en a généré un autre. Peut-être que je n’aurais pas obtenu le rôle du Colonel Quaritch dans Avatar  si je n’avais pas joué dans Au delà de la gloire. Les retombées médiatiques et la notoriété dont j’ai bénéficié après avoir joué cette pièce, ainsi que les photos où l’on me voyait en pantalons de camouflage et en maillot de corps kaki m’ont certainement aidés à postuler pour ce casting. De plus, j’avais une attitude assez macho sur l’affiche de la pièce. Jim Cameron a probablement vu cette image, et cela a dû provoquer un déclic chez lui. Il a dû se dire « C’est probablement à cela que Quaritch ressemble ! ». C’est souvent grâce à ce genre de circonstances fortuites que l’on est choisi.

Aviez-vous déjà rencontré James Cameron avant ce casting ?

Oui, car 20 ans plus tôt, j’avais déjà passé le casting d’Aliens, également pour un rôle de Marine ! (rires) Il s’en souvenait d’ailleurs très bien quand nous nous sommes revus.

Existe t’il certaines similitudes entre les personnages du Colonel Jessup et du Colonel Quaritch ? Ils semblent avoir tous les deux avoir des objectifs qu’ils sont prêts à atteindre, quitte à s’affranchir des notions du bien et du mal…

Je crois que ces deux hommes ont en commun une si haute idée de leur  devoir, de leur mission, et que cela finit par les aveugler. Comme vous, je pense qu’ils ont laissé leur ego exercer une influence trop importante dans leurs prises de décisions. Je crois qu’ils sont tous les deux motivés par la volonté de ne jamais faillir, de ne jamais renoncer. Ils sont courageux, et sont prêts à tout pour accomplir la tâche qui leur a été confiée. C’est juste de dire qu’ils se ressemblent beaucoup.

Quelles sont les qualités rédemptrices de Quaritch, s’il en possède ? Celles que vous venez de mentionner ?

Oui. Je crois que c’est son sens du devoir et son acharnement à réussir qui lui donnent une certaine épaisseur. Quaritch n’est pas un personnage « né pour faire le mal ». C’est un individu qui a fini par se laisser corrompre par les mêmes caractéristiques qui font aussi de lui un formidable soldat et un leader naturel. Sa vision du monde est désormais déformée, étriquée, limitée au seul accomplissement de sa mission. Je ne crois pas que l’on puisse parler de qualités rédemptrices en ce qui le concerne, mais c’est toutefois un homme qui a de l’épaisseur et des convictions, et une certaine complexité. Ce sont ces caractéristiques qui m’attirent souvent vers des rôles de militaires, car ce sont des hommes qui sont constamment confrontés à des décisions lourdes de conséquences, à des choix moraux emprunts d’ambiguïté morale et éthique. Ce sont les points communs qui existent entre de nombreux rôles de leaders.

Quels sont ses buts et ses motivations dans le film ?

Au jour le jour, son but est de s’assurer que le périmètre de la base et des chantiers d’extraction du minerai sont en sécurité, et que les gens dont il a la responsabilité restent en vie. C’est pour assumer cette tâche qu’il a été engagé. Il ressent chaque intrusion des Na’vis et chaque perte de l’un de ses hommes comme un échec personnel, qui met en péril le bon accomplissement de sa mission.

H. Rider Haggard, l’auteur des Mines du roi Salomon et de Elle ou la source du feu a écrit un roman intitulé Colonel Quaritch. James Cameron vous a-t’il expliqué pourquoi il a décidé d’utiliser le nom de ce personnage ?

Non, nous n’avons jamais parlé de cela, et c’est d’ailleurs la première fois que j’entends parler de ce roman ! Vous m’apprenez qu’il existe. Je trouve cela très intéressant… L’esprit de Jim Cameron fonctionne comme un énorme registre de tout ce qu’il a lu et vu, dans les domaines de la littérature, des informations techniques et scientifiques, et de la fiction. Je crois qu’il arrive que certaines choses stockées dans sa mémoire ressurgissent, de manière consciente ou inconsciente, et se retrouvent dans son travail. Il est également possible qu’il ait voulu rendre hommage à H. Rider Haggard et à ses romans d’aventures. Je suis sûr que les spectateurs qui sont des cinéphiles comme vous trouveront d’autres références dans Avatar.

Comment James Cameron vous a t’il décrit le Colonel Quaritch quand vous l’avez rencontré pour la première fois ? Comment avez-vous travaillé votre personnage à partir de ses indications ?

Quand nous avons commencé à parler du personnage, au début de 2007, je me suis rendu compte que Jim avait beaucoup de respect pour les personnages de militaires, et pour les notions de discipline, de courage et de sens du devoir. Il n’a pas écrit ce rôle pour manquer de respect à ce  personnage. Jim et moi sommes parfaitement d’accord pour dire que ce « méchant » ne se perçoit pas lui-même en tant que tel. Il est convaincu de représenter le bien. Dans d’autres œuvres de fiction, il arrive que des personnages soient conscients de faire le mal, comme Richard III, par exemple. Nous avons donc convenu qu’il fallait que j’interprète Quaritch en faisant ressortir son intégrité et sa détermination à faire aboutir sa mission. Il agit en toute sincérité, en faisant preuve d’une intelligence glacée, et en s’exprimant avec un humour sardonique. Quand on observe Quaritch en train d’agir, on se rend compte qu’il est l’incarnation du cynisme. Au fond, il ne croit plus en rien. Tout ce qui lui reste, c’est la routine qu’il s’impose, et son assurance en sa propre force de frappe. C’est l’aspect tragique du personnage, car nous sommes partis du principe que Quaritch avait débuté sa carrière en étant idéaliste, en ayant de grandes ambitions qui correspondaient aux valeurs du corps des Marines, qui sont « devoir, honneur, fidélité ».

Votre formidable monologue « Vous n’êtes plus au Kansas à présent » est devenu populaire au point de faire partie des répliques cultes d’Avatar. Avez-vous déjà eu l’occasion de vous rendre compte que les fans du film vont désormais vous demander de dire cette phrase, partout où vous irez dans le monde ?

 (rires) Eh bien, je dois dire que je n’en ai pas encore pris la mesure ! J’ai deux filles et deux fils, et mes deux garçons aiment bien m’envoyer des emails pour me tenir au courant de l’actualité du cinéma et des répercussions de mon travail. L’autre jour, à propos d’Avatar, l’un d’entre eux m’a écrit « A présent, tu fais partie de l’histoire du cinéma ! » (rires) Cela m’a amusé parce que je fais ce métier depuis bien longtemps, et parce que j’ai appris à ne pas m’emballer trop vite. Je me suis déjà retrouvé dans des situations où je pensais que certains projets allaient avoir un impact phénoménal, alors qu’ils ont connu une carrière assez misérable ! (rires) J’ai donc tendance à être non pas sceptique, mais disons prudent quant à mes espérances… Mais si comme vous le dites, ce monologue devient une réplique célèbre, eh bien tant mieux !

C’est la première fois que vous apparaissez dans un film de Science Fiction.

Au cinéma, oui, mais je suis apparu dans un téléfilm intitulé A Town Has Turned To Dust (Une ville est tombée en poussière), aux côtés de Ron Perlman. Il a été produit par la chaîne Sci-Fi il y a une dizaine d’années à partir d’un scénario inédit de Rod Serling, le créateur de la célèbre série La quatrième dimension. Tel qu’elle était écrite, l’histoire originale appartenait plutôt au registre du fantastique, mais notre réalisateur, Rod Nielsen, lui a donné une touche de Science Fiction qui fonctionnait très bien. Et le résultat était très intéressant. C’était une production à tout petit budget, tournée dans l’Utah. En dehors de cela, j’ai aussi participé à la nouvelle version de la série Au-delà du réel, mais Avatar est effectivement ma première participation à une grosse production de SF au cinéma.

Est-ce un genre qui vous attire, en tant qu’acteur ?

Oui, tout autant que les westerns et les films d’époques, car j’adore porter des costumes ! (rires) J’aime les armes, les véhicules et les chevaux. Imaginez donc comme j’étais heureux quand je tournais des scènes d’Avatar avec les exosquelettes géants, les ampsuits ! (rires)  

Quels sont vos trois films de Science Fiction favoris ?

J’aime Blade Runner pour beaucoup de raisons : les images du film sont superbes, l’atmosphère prenante, Rudger Hauer fait une composition impressionnante, et la musique de Vangelis est merveilleuse. Il faut toujours rendre hommage à 2001, l’odyssée de l’espace, bien sûr. Je ne suis pas sûr que Orange Mécanique soit un pur film de SF, mais c’est également un de mes films préférés. J’aime aussi beaucoup les deux premiers films de la saga Alien. En fait j’ai 5 films de SF préférés !

Qu’avez-vous trouvé attirant dans le personnage du Colonel Quaritch ?

J’aime sa férocité, et je dois dire que j’aimais bien l’attention qu’il suscitait quand je l’incarnais, sur le plateau. Ce qui le rend intéressant, c’est qu’il contrôle toujours la situation. C’est l’un de ces types qui pense que tout le monde le regarde tout le temps. Et que tout le monde va se tourner vers lui en cas de problème, quand on aura besoin d’un conseil ou d’une décision importante. Il se comporte donc d’une certaine manière.

Découvrez la suite de cet entretien !


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