Exposition Lanterne magique et film peint : 400 ans de cinéma à la Cinémathèque Française
Article 100% SFX du Mercredi 20 Janvier 2010
La lanterne magique, ancêtre du projecteur de diapositive, symbolise une partie de la préhistoire des tout premiers effets spéciaux. Longtemps baptisée "lanterne de la peur", cet appareil de projection commença effectivement son périple en affichant des images morbides, ou se référant au diable. Son utilisation évolua largement au cours des siècles, grâce aux scientifiques, qui reconnurent sa précieuse fonction pédagogique. Oscillant entre art et science, la lanterne magique, permit de rendre accessible l'image à un maximum de personnes, les seuls motifs picturaux visibles à l’époque apparaissaient uniquement sur les vitraux des églises. Au-delà, elle permit l'instruction, en abordant les thèmes du voyage, des sciences, de la religion, des contes et même de la vie quotidienne. Voici un compte-rendu de l'histoire de ces projections merveilleuses, qui ont diverti de nombreux foyers, et donné vie au métier de "colporteur"...
Par Johanna Cristol
En 1646, dans son ouvrage Ars Magnas lucis et umbrae ou « Le grand Art de la lumière et de l'ombre», le jésuite et graphologue Athanase Kircher décrivit un procédé de projection proche de celui de la lanterne magique et inventa le théâtre catoptrique, ancêtre du morphing en technique cinématographique. D’après ses descriptions, les transformations avaient lieu dans une pièce vaste, où l’invité apercevait simplement un miroir incliné, ainsi qu’une partie de la lumière du soleil. Une grande roue octogonale était pourvue d’un miroir où étaient peintes huit images différentes d’un animal sur chacune des huit faces. La roue était cachée dans un coffre ouvert au-dessus. Lorsqu’on tournait la manivelle, le spectateur voyait d’abord son reflet dans le miroir, puis il se voyait progressivement devenir …un buffle !
En 1659, le physicien astronome Hollandais Christiaan Huygens, fabriqua une lanterne magique dans son cabinet d’optique : une boîte, dotée d’une source lumineuse et d’un jeu de lentilles.
Il se mit à dessiner des squelettes inspirés de La danse de la mort de Hans Holbein, ce qui fut la première représentation graphique connue d’une plaque de lanterne magique. Un squelette ôtait et remettait sa tête sur ses épaules ou bougeait son bras droit. Pour cela, Huygens avait superposé deux plaques, l’une étant mobile mettant le squelette en mouvement. Le physicien anticipa sur la chronophotographie et les premières images agrandies tout en démontrant une volonté de recréer le mouvement artificiel. Le succès commença pour la lanterne magique mais le physicien préféra garder son secret, de peur de n’être reconnu comme un vulgaire magicien. Cependant, le secret fut divulgué : les Jésuites le firent découvrir à l’Empereur de Chine, qui était fasciné par les objets optiques, qui lui permettaient d’espionner les passants tout en restant caché. Les villageois raffolaient de ces images animées, affichant toutes sortes de motifs : féeriques, scientifiques, érotiques ou de la vie quotidienne et qui devinrent de vétitables messages d’informations.
Vers la fin du XVIIème siècle, le savant allemand Johannes Zahn fit de la lanterne un outil pédagogique auquel il ajouta un microscope afin d’observer les insectes grouillant sous la lumière. Le monde de l’infiniment petit devint un grand spectacle vivant et animé. Le Hollandais Pieter van Musschenbroek poursuivit l’œuvre de Zahn en se servant des plaques animées. Grâce à un jeu de poulies, une petite manivelle faisait pivoter un verre devant un autre. On pouvait ainsi faire marcher les ailes d'un moulin ou animer d’autres plaques de manière verticale ou horizontale avec des systèmes de caches.
Ces images qui « roulent dans les ténèbres »
C’est au cours du siècle des Lumières qu’apparurent les fantasmagories de Paul Philidor, celui-ci innova en cachant la lanterne - rebaptisée fantascope - derrière l’écran de sorte que le public ne voyait plus d’où provenait l’image qui faisait alors «parler les fantômes en public». Le spectateur assistait à des projections de saynètes, accompagnées de son, de fumées hallucinogènes ou encore de figurants bondissants de derrière les fauteuils. Au cours de ces spectacles étaient utilisés des rails, sur lesquels le lanterniste plaçait son appareil, pour créer…un travelling ! La fantasmagorie bouleversa cadre, perspective, mouvement, temporalité et espace scénique de projection.
L’opticien Étienne Robertson mit en scène de véritables séances de nécromancie, que les fins connaisseurs en optiques exploitèrent jusqu’à ce que les spectateurs ne découvrent la supercherie. Le scientifique Charles Patin exprima son ressenti suite à une projection du lanterniste Johann Franz Grendel : « Il remue les ombres comme il le veut sans le secours des enfers» et qualifia, à juste titre, ces spectacles d’Art trompeur, « qui se joue de nos yeux et dérègle tous nos sens ».
La Royal Polytechnic de Londres
L'art des projections atteignit son apogée entre 1840 et 1880. La Royal Polytechnic de Londres, qui ouvrit ses portes en 1838, était l’institution des projections de lanternes magiques et de productions de plaques sur verre par excellence. Le peintre le plus renommé était William Robert Hill, dont la plaque la plus célèbre est Gabriel Grub, adaptée des contes de Noël de Charles Dickens.
De grandes projections étaient tenues, accompagnées d’orchestre et de bruiteurs. Les lanternistes utilisaient les dissolving views (ou fondus enchaînés) en usant des doubles ou triples lanternes.
Une des plus célèbre est la plaque The Soldier's Dream, d'après Thomas Campbell, faisant apparaître progressivement le songe du dormeur.
La Royal Polytechnic, qui participa largement à la vulgarisation scientifique de l’époque, soutenait que : «L'éducation de l'œil est, incontestablement, le plus important moyen pour l'instruction élémentaire».
Le spectateur pouvait voyager, s’informer et se cultiver via des plaques aux peintures extrêmement précises et considérées comme des œuvres d’art à part entière.
Chaque peintre de la Royal Polytechnic avait sa propre technique. Ce travail était très minutieux : il fallait d’abord tracer le dessin sur une feuille, puis poser la plaque de verre sur ce papier et retracer sur verre le motif. Le dessin une fois tracé, on appliquait les couleurs sur l’autre côté, pour effacer ensuite les traits des contours. Ce report s’effectuait avec une plume en acier ou un pinceau.
Les Life models
Avec l'avènement de la photographie, a partir des années 1870 apparut en Angleterre un nouveau genre de plaques pour lanterne magique : les " Life Models ", véritables plaques photographiques sur verre transparent, rehaussées de couleurs à la main. Les prises de vues étaient réalisées dans des studios aménagés, avec des acteurs et des figurants. Chaque série de plaques racontait une histoire, mimée par les acteurs sur fond de toile peinte. Les vues étaient accompagnées de commentaires et parfois de chansons. Les découpages narratifs, les flash-back, surimpressions, titres, intertitres, cadrages divers contribuèrent aussi à l’avènement du cinéma.
«Tout le cinéma dans son intégralité vient des premiers magiciens et des spectacles de la lanterne magique» Francis Ford Coppola.
En 1831, Joseph Plateau mit au point le phénakistiscope, jouet optique en forme de disque, donnant l'illusion du mouvement en jouant sur la persistance rétinienne.
phénakistiscope *01 from nikodio on Vimeo.
Les bases de la cinématographie étaient alors lancées.
En 1888, le théâtre optique d’Emile Reynaud préfigura le dessin animé avec ses Pantomimes lumineuses.
Quant aux travaux chronophotographiques d’Etienne Jules Marey, ils aboutirent en 1882 à la réalisation des premiers films de l’histoire.
Mais afin de garder des couleurs éclatantes, il fallut rehausser les pellicules de couleurs, comme dans Les danseuses serpentines de Loie Füller.
En 1896, durant le spectacle du Châtelet : La biche au bois des frères Théodore et Hypolite Cogniard, le chronophotographe Demeny-Gaumont fut utilisé comme trucage optique combiné à de vrais acteurs et une projection de lanterne magique. Cet assemblage donna le jour à un nouveau genre : la féerie cinématographique dont le succès popularisa rapidement le film colorié.
Héritiers des peintres-lanternistes, des artistes d’avant-garde reprirent le principe de la peinture sur film : le Néo-Zélandais Len Lye, connu pour avoir réalisé le premier film dessiné à la main directement sur celluloïd en 1921 et l’Écossais Norman Mac Laren qui peignait, grattait et gravait sur pellicule.
En 1968, l’artiste basque José Antonio Sistiaga réalisa son remarquable film peint : ere erara baleibu izik subua aruaren, composé de 108 000 photogrammes multicolores et hypnotiques.
Avec ses solid light films ou « films de lumière solide », l’Anglais Antony McCall, permit au spectateur de voir le faisceau lumineux, qui transperçait le brouillard de fumée afin d’apprécier la matérialité de la projection en tant que phénomène physique, esthétique et technique. Ce nouveau procédé illustra parfaitement la citation de Charles Patin «le transport des images d’un point à un autre». Ce retour aux sources remit au premier plan, les composants élémentaires du médium cinématographique : le temps et la lumière.
Curieux destin, pour cette boîte pourvue d’un jeu de lentilles et d’une lampe à pétrole. Son rôle consistait depuis le XVIIème siècle à projeter dans une salle obscure des images peintes sur des plaques de verre… Elle le fit admirablement, à dos de colporteurs, arpentant les plus petits villages comme les plus grandes cours, pendant 300 ans pour donner naissance aux bases du cinéma et de ses futurs effets spéciaux. Georges Méliès, ancien lanterniste et magicien s’en inspira largement, et les hommages de nos réalisateurs contemporains tels que Francis Ford Coppola perdurent encore aujourd’hui.
La Cinémathèque Française de Paris expose sa collection, constituée de magnifiques peintures sur verre et de lanternes magiques, jusqu’au 28 mars 2010. Cette superbe rétrospective se poursuivra au Muzeo Nazionale de Turin du 20 juillet au 7 novembre 2010.
Site de la Cinémathèque Française & Site du Muzeo Nazionale de Turin