Dossier AVATAR - Exclusif : Entretien avec Paul Frommer, créateur de la langue des Na’vi - Seconde partie
Article Cinéma du Lundi 01 Fevrier 2010

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Paul Frommer est linguiste et enseigne à la Marshall School of Business, dans le cadre de l’université de Californie du sud (USC). Il a co-écrit Looking at languages : a workbook in elementary linguistics, qui analyse les structures des langues, ainsi que celles de langages artificiels comme le Klingon inventé pour les besoins de Star Trek. C’est lui qui a conçu la langue Na’vi, à la demande de James Cameron. Il a raconté à ESI cette aventure surprenante, qui se prolonge aujourd’hui par de nouveaux travaux…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Muni de toutes ces références et de tous ces renseignements, comment avez-vous organisé votre travail, étape par étape ? Avez-vous commencé par créer la structure grammaticale, puis le vocabulaire ?

A partir des sons, puis des combinaisons de sons, j’ai créé le vocabulaire, puis la syntaxe et la grammaire. Il a fallu déterminer comment les verbes allaient être placés dans les phrases, les noms, les adjectifs, etc…

Avez-vous emprunté directement certains mots à certaines langues ?

Non. Bien au contraire, j’ai supprimé des mots que j’avais inventés quand je me rendais compte qu’ils ressemblaient à des mots que je connaissais en indonésien ou en hébreu. Mon but était que la langue Na’vi ne ressemble à aucune langue humaine. Je me garde bien de penser que j’ai pleinement atteint ce but, car il existe plus de 4000 langues sur notre planète ! Je suis sûr que pendant la projection du film, quelqu’un, quelque part dans le monde, dira « Tiens, ce Na’vi vient d’employer un mot de ma langue ! ». C’est inévitable ! (rires)

Combien de mots de vocabulaire avez-vous dû créer ?

A peu près 1000. Ce qui n’est pas beaucoup. Je ne pourrais pas prétendre que je serai capable de parler le Na’vi dans n’importe quelle situation de la vie courante, mais c’était suffisant pour servir de base. Comme vous l’imaginez certainement, ce que j’ai crée correspondait uniquement aux dialogues Na’vi qui étaient écrits en anglais dans le script. Si dans l’une des phrases de Neytiri, je voyais le verbe protéger, il fallait que j’invente l’équivalent de protéger en Na’vi. Mais si à aucun moment le verbe « marcher » n’est employé, alors cela veut dire qu’il faudra que je pense à créer ce mot plus tard.

Est-ce le travail que vous réalisez actuellement ? Combler l’absence de certains mots importants ?

Oui, exactement. Si le langage Na’vi se développe dans d’autres supports après son utilisation dans le film, ou dans des suites, alors, il sera plus complet quand je me serai acquitté de cette tâche.

Jon Landau, le producteur du film, nous disait que vous aviez passé six mois à créer la langue Na’vi…

En fait, j’ai travaillé sur la grammaire et la syntaxe sans interruption depuis le début du projet, mais il est vrai que la base de la langue a été définie en à peu près six mois. Les choses se sont faites étape par étape. Mais il faut que je précise que j’ai également un travail à temps plein, et que je n’ai exercé ma fonction de consultant sur Avatar qu’en dehors de mes heures de travail régulières.

Pourriez-vous nous dire approximativement comment les différentes étapes de votre travail se sont succédées, jusqu’au langage achevé dans tous ses détails ?

Le processus complet a duré deux ans. Mais il m’arrivait aussi de me pencher sur de nouveaux dialogues, au fur et à mesure qu’ils étaient écrits. Et quand un problème de construction de phrase particulier surgissait, je me consacrais entièrement à cela, avant de revenir au travail global.

Votre but final est-il que la langue Na’vi soit aussi riche et complexe qu’une vraie langue, ou n’en sera t’elle toujours qu’une version très simplifiée ?

Ce serait un but formidable à très long terme, mais je ne pense pas que ce soit faisable dans le contexte d’une langue créée pour un film. Si l’on compte tous les termes techniques et médicaux, la langue anglaise est composée de plus de 500 000 mots…et je ne me vois pas inventer un demi million de mots Na’vi tout seul ! (rires) Un américain moyen connaît au minimum 40 000 mots. Je ne pourrais jamais arriver à ce résultat non plus…Mais j’aimerais bien arriver à un point où l’on pourrait utiliser le Na’vi pour une conversation simple de la vie de tous les jours.

Vous ne comptez donc pas traduire Hamlet en Na’vi, par exemple ?

Non ! (rires) Vous savez donc que des fans de Star Trek ont traduit Hamlet en Klingon…Il se trouve que j’en ai justement une copie sur mon bureau !  C’est un travail tout à fait remarquable. Je serais ravi que des gens s’emparent du Na’vi et se lancent dans cet exercice !

Avez-vous créé aussi des textes en Na’vi pour le jeu vidéo tiré du film ?

Oui. La division d’Ubi Soft qui est basée à Montréal m’a contacté, et au mois de mai dernier, j’ai travaillé intensivement sur les dialogues du jeu pendant trois semaines. Cela m’a permis de continuer à développer l’ensemble du langage, car les concepteurs du jeu avaient besoin de mots nouveaux, qui n’étaient pas employés dans le film, notamment des termes échangés par les guerriers Na’vi pendant des scènes de bataille.

Quel a été l’aspect le plus complexe de votre travail ?

Sans doute le travail avec les acteurs, pour leur apprendre à parler cette langue imaginaire.

Leur avez-vous servi aussi de « coach » pour leur permettre de maîtriser la prononciation phonétique de la langue ?

Oui. C’était une expérience merveilleuse, qui m’a donné l’occasion de travailler avec des gens que je n’aurais jamais pensé rencontrer. Pour préparer ce travail, j’ai d’abord mis au point une série de mini-cours de prononciation que j’avais intitulés Apprenez à parler Na’vi ! (rires) J’avais fabriqué des petites brochures que j’ai distribuées aux acteurs, ainsi que des fichiers Mp3 qu’il pouvaient écouter sur des baladeurs, tout en faisant des exercices. Il fallait notamment qu’ils s’entraînent à prononcer le son « t » éjectif, ce qui n’est pas facile. Ensuite, je les ai rencontrés un par un pour travailler avec eux. Il y avait sept acteurs au total qui devaient parler Na’vi : Zoe Saldana qui incarne Neytiri, Laz Alonso qui joue le guerrier Tsu’Tey, CCH Pounder, qui est Moha, la matriarche, et Wes Studi, qui est Etukan, le patriarche. Ces quatre acteurs-là devaient parler le Na’vi comme si c’était leur langue maternelle. Et le personnage d’Etukan, en particulier, ne s’exprimait qu’en Na’vi. Les autres, en revanche, parlaient aussi en anglais. Il y avait aussi trois acteurs jouant des terriens qui ont appris le Na’vi en tant que seconde langue : Sam Worthington, qui joue Jake, Sigourney Weaver, qui joue Grace, et Joel Moore, qui joue Norm Spellman.

Avez-vous inventé aussi une écriture Na’vi, et si oui, comment avez-vous procédé pour créer les formes des lettres et leur graphisme ?

Non, je n’ai pas eu à le faire, car on apprend dans le film que les Na’vi n’ont jamais développé de langage écrit. Par contre, pour enseigner la langue aux acteurs, il a fallu que je crée un mode d’écriture avec des repères particuliers, pour leur indiquer la prononciation précise de chaque mot. J’ai utilisé un ë avec un tréma , et un î avec un accent grave comme en français.

Revenons à cet apprentissage de la prononciation de la langue, avec les acteurs : combien de temps a-t’il duré ?

Avant de vous répondre, il faut que je vous précise que pendant le casting, on demandait aux acteurs de prononcer quelques phrases en Na’vi, afin de voir s’ils y parvenaient ou pas. Et ils se sont tous parfaitement débrouillés. Pour les aider, j’enregistrais les dialogues de chaque acteur, afin qu’ils puissent apprendre la prononciation par cœur en écoutant les fichiers Mp3. Je prononçais d’abord les phrases lentement en détachant bien chaque syllabe, puis j’allais de plus en plus vite.  Bien sûr, les acteurs savaient aussi quelle était la signification de chaque mot – le mot anglais était écrit en dessous de chaque mot Na’vi - afin de pouvoir mettre l’accent sur le mot important de la phrase, dans le contexte de la scène. C’est ce qui allait rendre le langage réaliste. Les acteurs n’avaient pas un travail aisé : non seulement il fallait qu’ils jouent, qu’ils mémorisent leur gestuelle, mais en plus, il fallait qu’ils sachent par cœur ces mots très difficiles à prononcer. Ils ont fait un travail remarquable. Dans les cas où la scène était parfaite, mais où il y avait une petite erreur de prononciation, ce qui arrivait rarement, je m’adaptais et je modifiais le mot dans le langage pour incorporer l’erreur. J’ai travaillé en compagnie d’une coach de dialecte remarquable qui s’appelle Carla Mayer, qui surveillait la prononciation de l’anglais dans le film, mais qui m’a également aidé à vérifier que le langage Na’vi était bien prononcé.

Avez-vous inventé aussi des jurons, pour que les acteurs aient aussi la possibilité d’improviser un peu en Na’vi ?

Oui, on m’a demandé de le faire ! Parmi les insultes que l’on trouvait dans le script, il y avait« crétin » et « idiot » que j’a traduit par « Sik’aon ». Et ce mot est devenu très populaire sur le plateau ! Les acteurs s’en sont emparés pour se dire « Eh, fais attention, espèce de Sik’aon ! » (rires) A un autre moment, Sam Worthington a eu envie d’ajouter une réplique dans une scène où il raconte à des guerriers Na’vi qu’il s’est fait attaque par un animal volant qui a failli le happer et le tuer. Il m’a fait venir et m’a dit « Hey Paul ! Comment est-ce que je pourrais dire en Na’vi « Et ce monstre a failli planter ses crocs dans mon cul bleu. » ? » (rires). Je lui ai demandé de me laisser un petit moment pour y réfléchir, et je lui ai donné sa réplique ! Je ne crois pas qu’elle ait été conservée dans le montage final, mais au moins, nous l’avons filmée !

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