[De nos archives] Entretien avec Joe Letteri, superviseur des effets visuels de THE LOVELY BONES
Article Cinéma du Vendredi 05 Fevrier 2016

La carrière de Joe Letteri dans le domaine des effets visuels commence en 1989, avec Abyss de James Cameron. Il est alors infographiste. Letteri intervient ainsi sur Star trek 6, terre inconnue (1991), Jurassic Park (1993) et La famille Pierrafeu (1994), puis devient superviseur de la 3D sur Casper (1996) et superviseur des effets visuels sur Mission Impossible (1996), l’édition spéciale de Star Wars épisode 4 (1977-1997), Jack Frost (1998) et Magnolia (1999). Il rejoint ensuite Weta pour travailler sur Les deux tours et Le retour du roi, second et troisième volets du Seigneur des Anneaux, puis sur Van Helsing (2004), I Robot (2004), King Kong (2005), X-Men l’affrontement final (2006), The Water Horse (2007) et Avatar (2009). Depuis qu’il a achevé les effets de The Lovely Bones, Joe Letteri collabore avec Steven Spielberg et Peter Jackson sur Les aventures de Tintin : le secret de la licorne, que nous découvrirons en 2011.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau


Lovely Bones - Making-of VOST
envoyé par Paramount_Pictures_France. - Court métrage, documentaire et bande annonce.


Quels buts Peter Jackson, l’équipe de Wetal Digital et vous-même vous êtes-vous fixés quand vous avez commencé à préparer les séquences de l’au-delà de The Lovely Bones ?

Nous avons d’abord cherché à établir le ton et le style visuel de ces scènes  et de l’ensemble du film. Je dois dire que nous avons beaucoup tâtonné avant de réussir à définir l’aspect des scènes de l’au-delà. Quand on nous demande de reconstituer un vrai paysage en 3D hyperréaliste, nous partons sur des bases connues que nous imitons, ce qui est moins difficile. Là, il s’agissait de créer des paysages qui sont toujours susceptibles d’évoluer et de se métamorphoser au gré des pensées de Susie. C’était un processus créatif très complexe, car il fallait tenir compte de la manière dont ces environnements allaient changer à vue pour exprimer ce que ressentait notre héroïne. Une fois que Peter a choisi les visuels qu’il voulait utiliser, il a fallu tester la manière dont ces images fonctionnaient en étant liées les unes aux autres, et voir si l’impact émotionnel obtenu était bien celui que nous recherchions. The Lovely Bones fait partie de ces films dans lesquels les effets visuels sont utilisés comme des créations artistiques et non pas comme de simples réalisations techniques. Il fallait que ces images nous aident à comprendre ce qui se passe dans la tête de Susie, au niveau conscient et inconscient. C’est la raison pour laquelle vous pouvez apercevoir dans certaines scènes des éléments qui sont liés à des évènements dont elle n’a pas encore pris pleinement conscience, mais qu’elle va comprendre plus tard.

Quelles proportions d’images réelles de paysages et d’images de synthèse avez-vous utilisées dans ces séquences de l’au-delà ? Pouvez-vous notamment nous expliquer comment vous avez réalisé les magnifiques scènes des bateaux en bouteilles qui viennent s’écraser sur la côte ?

Dans cette scène en particulier, nous avons employé beaucoup d’images réelles. Nous avons loué un hélicoptère et l’avons utilisé pour survoler et filmer certaines des côtes de la Nouvelle-Zélande. Les vagues, les falaises  les rochers, et les plages que vous voyez dans ces scènes sont donc vraies. Les bateaux en bouteilles ont été réalisés en 3D, tout comme les vagues et les remous qui entourent les bouteilles géantes quand elles se déplacent dans l’eau et se brisent. Nous avons aussi remplacé le ciel bleu par des nuages 3D sombres, afin de créer une ambiance plus dramatique. Ce décor est l’environnement du film qui contient le plus d’éléments réels. A l’inverse, celui où l’on voit Salmon dévaler d’une colline sur une sorte de luge a été filmé à partir de quelques petits éléments placés sur un fond bleu puis créé presque entièrement en 3D.

La création des effets des bouteilles de verres qui se brisent a t’elle posé des problèmes particuliers ?

Non, pas vraiment, car nous savons simuler en 3D toutes sortes de matières qui se brisent, le verre y compris. Le principal problème de cette scène était de réussir à faire comprendre que les bateaux en bouteilles qui se brisent sur les rochers du bord de mer sont en fait ceux sur lesquels Susie et son père avaient travaillé. Nous ne voulions pas qu’ils aient l’allure de vrais navires, mais si nous nous étions contentés d’agrandir démesurément les toutes petites maquettes que l’on met dans des bouteilles, le résultat n’aurait pas été joli : les modèles seraient apparus trop grossiers. Nous avons donc triché un peu en ajoutant des détails sur les vaisseaux, de manière à améliorer leur aspect global tout en leur laissant les caractéristiques de maquettes réalisées artisanalement.

Comment travaillez-vous avec Peter Jackson ? Quelles sont les suggestions qu’il vous fait en amont, et comment se déroulent les étapes suivantes de votre collaboration?

C’est formidable de travailler avec Peter, car il s’implique beaucoup dans la création des effets visuels. Il nous explique très bien sa vision, et ce qu’il veut essayer de faire ressentir aux spectateurs. Dans le cas de The Lovely Bones, il nous a laissé carte blanche sur certaines séquences, car il n’avait pas encore trouvé l’approche qui le satisfaisait pleinement. Peter a besoin de tester ses idées visuellement avant de les valider, comme s’il prenait une motte de terre glaise pour façonner quelque chose afin de vérifier si son idée fonctionne ou pas. Mike Pangrazio et les autres artistes qui ont participé à la création des séquences de l’au-delà ont eu la possibilité de lui présenter beaucoup d’idées, ce qui était particulièrement motivant pour eux.

Quel a été l’aspect le plus difficile de ce projet ?

La mise au point des paysages de l’au-delà, car avant d’assembler tous les éléments et de les combiner, nous n’avions pas le moyen de savoir si le résultat final serait probant ou pas. Notre objectif étant d’obtenir un aspect onirique, il suffisait d’une petite nuance de contraste ou de couleur malvenue pour que soyons trop proche du réel, ce qui nous obligeait à revoir notre mélange. Cela nous a poussé à réaliser beaucoup d’expériences pour arriver à trouver la bonne approche, la bonne lumière, les bonnes couleurs.

Comment arrivez-vous à choisir le bon effet pour illustrer un thème très précis ?

Je crois que c’est en grande partie une question d’intuition. Quand nous nous réunissons, nous discutons ensemble de la scène truquée en cours de réalisation et nous disons chacun ce que nous aimons et ce que nous n’aimons pas. Nous évoquons la signification de tous les éléments de l’image, de leur signification par rapport au récit, plan par plan, et quand nous sommes allés au bout de ce processus, c’est évidemment à Peter qu’il incombe de trancher et de prendre la décision finale.

Pourquoi avez-vous décidé de donner un aspect aussi plaisant à l’au-delà, en dépit du fait que Susie dit assez tôt dans l’histoire que c’est un endroit dans lequel elle n’a pas l’intention de rester ?

Nous avons essayé de rester fidèles à ce que décrit le roman. Susie explique que l’au-delà est à la fois un endroit qui lui apporte un peu de réconfort, et en même temps un lieu qu’elle voudrait quitter, parce que sa vie a été brutalement interrompue. C’est aussi un monde qui peut s’avérer effrayant, quand elle y voit les échos d’évènements dramatiques qui se sont déroulés auparavant.

Pourriez-vous nous parler des effets « invisibles » que vous avez dû créer pour les scènes qui se déroulent dans le monde réel ?

Le puits au fond duquel on jette des objets encombrants est une création numérique. Pendant le tournage, il n’y avait qu’un petit cratère dans ce décor extérieur. Nous avons aussi incrusté les paysages de rues dans les fenêtres des décors intérieurs des maisons et effacé certains éléments des rues qui ne pouvaient pas se trouver là en 1976, comme les antennes paraboliques.

Quelles sont les références artistiques qui vous ont inspirées quand vous avez défini l’aspect des paysages de l’au-delà ?

Tout ce travail a été réalisé au sein de Weta Digital, par notre directeur artistique, Michael Pangrazio. C’est lui qui a créé les illustrations préparatoires qui ont permis de mettre au point ces environnements. Parmi les références artistiques que nous avons évoquées, il y avait le travail des peintres surréalistes et plus particulièrement celui de René Magritte. Mais nous n’avons pas emprunté directement des éléments de ces œuvres, car le surréalisme est souvent emprunt d’ironie et d’humour absurde, tandis que ce que ressent Susie dans l’au-delà est beaucoup plus grave et plus émouvant. Il fallait que ces paysages reflètent l’état d’esprit de cette jeune fille qui n’a pas eu l’occasion de voir beaucoup de choses dans sa vie, à l’exception de sa ville et de son voisinage. Nous avons donc essayé de nous focaliser sur sa vision, celle d’une adolescente de 14 ans.

Avez-vous consciemment essayé de vous éloigner des séquences de Au-delà de nos rêves, ce film dans lequel Robin Willams se retrouve dans l’au-delà tel que l’a imaginé son épouse disparue ?

La différence majeure, c’est que la plupart des effets visuels de ce film illustrent le fait que l’épouse de Robin Williams est une artiste peintre. La plupart des paysages ont donc volontairement l’aspect de peintures. Cette approche était assez différente de la nôtre pour que la comparaison des deux films ne nous inquiète pas, et ne pose donc pas de problème.

Retrouvez à présent la seconde partie de cet entretien


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