[De nos archives] Le design du Pays des Merveilles version Tim Burton : Entretien avec l'illustratrice Dawn Brown
Article Cinéma du Vendredi 11 Aout 2017
Dawn Brown est designer pour le cinéma. Elle est née dans la banlieue de Kansas City puis a déménagé pour Hollywood pour faire son chemin dans le monde du cinéma. Elle est maintenant une artiste reconnue pour avoir participé à bon nombre de blockbusters comme A.I., Star Trek, Ocean’s Eleven, ou encore Transformers. Pour la version Tim Burton d’Alice au Pays des Merveilles, elle a conçu tout le mobilier du château la Reine Rouge…
Par Jérémie Noyer
Comment êtes-vous devenue designer pour le cinéma ?
Toute ma vie, j’ai toujours voulu dessiner. Après mon diplôme universitaire, je suis allée en Californie pour poursuivre ma carrière dans l’animation. Malgré un travail acharné, cela n’a pas fonctionné et après quelques années à enchaîner les petits boulots, j’ai fini assistante de production dans le département artistique de la série télé SeaQuest. Ce fut ma première expérience dans ce domaine. Décoration, illustration, réalisation de maquettes, storyboarding, j’avais trouvé ma place ! Grâce à cette expérience, j’ai pu devenir une décoratrice reconnue. Je me suis concentrée sur le dessin et j’ai appris des meilleurs artistes du métier. Ceci dit, au fil des années, l’ordinateur a pris le pas sur le dessin en décoration et cela ne m’intéressait pas. J’ai toujours préféré le dessin traditionnel. Après des années d’insistance, j’ai pu finalement devenir une illustratrice reconnue en 2007 et je suis ravie de cette nouvelle orientation.
Pouvez-vous nous parler de vos premières collaborations avec Tim Burton ?
J’ai travaillé avec lui pour la première fois sur Superman Lives en 1998. C’était une histoire librement adaptée de celle de du comic Death of Superman publiée quelques années auparavant. J’ai travaillé sur la tombe de Superman. Puis, j’ai participé à La Planète des Singes deux ans après. J’ai beaucoup aimé regarder les acteurs devenir des singes par l’art du maquillage… et essayer de manger à la cafétéria ! Ils devaient se nourrir en se regardant dans un miroir pour guider leur fourchette à travers les prothèses de silicone ! En 2002, nous sommes allés à Montgomery, Alabama pour tourner Big Fish. Travailler sur site est un peu comme travailler dans un cirque itinérant. Vous vous retrouvez dans des lieux différents chaque jour et chaque soir, on remballe pour une autre destination. Dans ces conditions, l’équipe du film devient comme une seconde famille. En 2008, Tim est retourné à Los Angeles pour Alice au Pays des Merveilles après plusieurs films tournés à Londres. C’était génial de retrouver les visages des équipes de Big Fish et de La Planète des Singes. Bien sûr, j’espère vraiment retravailler très prochainement sur un projet de Tim, quel qu’il soit !
Comment avez-vous rejoint l’équipe d’Alice au Pays des Merveilles ?
Le Directeur Artistique Superviseur, Stefan Dechant m’a invitée à rejoindre son équipe. J’avais déjà travaillé avec lui par le passé et nous sommes amis depuis pas mal d’années. J’ai travaillé sur Alice de juillet à décembre 2008. J’ai une solide expérience du design de mobilier pour des films et on a fait appel à moi spécifiquement pour travailler avec la décoratrice Karen O’Hara.
Comment avez-vous travaillé avec elle ?
C’est fantastique de travailler avec elle. Elle sait exactement ce qu’elle veut et m’a laissé suffisamment de liberté pour incorporer mes propres idées. Je dessinais mes concepts basés sur ses suggestions et ensuite elle les présentait à Tim et au Production Designer Rob Stromberg. Elle revenait alors vers moi pour faire des corrections. Une fois que les concepts étaient approuvés, ils allaient alors vers l’atelier pour être fabriqués.
Certains meubles du château de la Reine Rouge intègrent des figures animales...
Cela vient de l’histoire, tout était dans le script. Il y avait des animaux pour tous les meubles. Beaucoup, beaucoup plus que ce qu’il en reste dans le film. L’idée était que la Reine Rouge accumule toutes ces créatures exotiques et en fait ses esclaves. Pour illustrer son obsession du contrôle et du pouvoir. Et que ces créatures on vraiment peur d’elle et sont vraiment malheureuses. C’est le genre de détail infime qui se révèle essentiel dans une histoire comme celle-ci. On peut regarder le film encore et encore et toujours trouver de nouveaux détails de ce genre. Je voulais vraiment rendre cet aspect clair à travers le langage corporel des animaux. Imaginez deux crocodiles sauvages réduits à soutenir une table. Qu’est-ce que cela nous apprend sur cette reine ? C’est qu’elle est plus terrible qu’un crocodile ! Mettre ce monde peuplé d’animaux sauvage sous son contrôle illustre non seulement combien elle est méchante, mais également combien Alice est forte d’arriver à la vaincre ! Malheureusement, une grande partie de ce que j’ai créé a été supprimé du film et ils se sont focalisés sur le singe, ce qui ne fait pas vraiment le même effet ! Enfin, c’est le showbiz !
Vous avez également créé des versions « Pays des Merveilles » de véritables tableaux de maîtres anciens...
C’était très amusant ! Karen voulait qu’il y ait beaucoup d’œuvres d’art dans le château de la Reine Rouge. On m’a donné certaines images originales à adapter. Je ne sais pas sur quelle base ces tableaux ont été choisis, mais je les ai tous abordés avec l’idée que ces portraits représentaient des membres de la famille royale, certains avec une grosse tête, d’autres des cheveux en forme de cœur et d’autres détails bizarres qui seraient en quelque sorte la marque de la famille. Pour les paysages de fond, j’ai ajouté le château de la Reine Rouge. Toujours en restant en accord avec le style original des tableaux. J’ai ainsi réalisé plus de 25 tableaux.
Comment vous êtes-vous adaptée à la personnalité de la Reine Rouge ?
J’ai lu le script, et j’ai déjà travaillé avec Helena Bonham Carter dans d’autres films de Tim. Je voulais vraiment faire quelque chose de drôle et de bizarre en accord avec son interprétation de ce personnage.
Vous êtes-vous inspirée des illustrations originales des œuvres de Lewis Carol ?
Clairement, les merveilleuses illustrations de John Tenniel ont fait partie de nos références et nous y avons puisé notre inspiration.
Quels souvenirs gardez-vous de cette production ?
Je me souviens avoir travaillé très vite ! Six mois, c’est très court pour concevoir tout un monde comme cela ! Nous avons travaillé à toute vitesse pour que la post production puisse avoir assez de temps pour faire son travail. Personnellement, je ne pense pas que nous ayons eu assez de temps, mais il faut faire avec. Je me souviendrai également avoir travaillé avec certains des meilleurs artistes et designers du métier, et ils m’ont inspiré chaque jour.
Est-ce que le fait que Tim Burton était à la tête du projet a influencé votre approche du film ?
Alice au Pays des Merveilles était mon 4e projet avec Tim. Chaque projet a sa propre vibration, sa propre direction artistique. Parfois, il me semble que les gens s’imaginent que, parce qu’il s’agit d’un film de Tim Burton, on va y voir des spirales et des zébrures blanches et noires, que cela va être sombre et gothique. Je trouve que ce sont des attentes injustifiées. C’est le travail du Production Designer que de déterminer l’apparence du film, et c’est un challenge supplémentaire que d’y intégrer les marques de fabrique visuelles du réalisateur.
Vous êtes-vous inspirée du classique de Walt Disney ?
Pas du tout.
Vous avez également travaillé dans le domaine de la bande dessinée, et vous avez rencontré Bob Kane, le créateur de Batman. Pouvez-vous me parler de cette rencontre ?
Je travaillais en tant que décoratrice sur Batman & Robin pour Warner Bros. Le Prop Master, Brad Einhorn, m’a dit que Bob Kane allait venir sur le plateau et m’a proposé de me présenter. Brad savait que j’étais également dans la bande dessinée et que j’adorais Batman. Je gardais un exemplaire du Dark Knight Returns de Frank Miller sur mon bureau et j’ai demandé à Bob Kane de me le signer. Il a été très gentil. Il semblait réellement impressionné par l’ampleur de notre plateau. Quoi qu’on ait pu dire sur le film, ces décors étaient vraiment incroyables ! A ce jour, je n’ai jamais retravaillé sur un film qui ait autant de décors à cette échelle et de cette envergure. C’est pour moi une source d’inspiration de voir comment une seule personne peut créer quelque chose qui peut grandir et devenir quelque chose de tellement immense. Cela m’a motivée pour continuer dans cette voie et de développer une histoire qui me trottait dans la tête depuis un moment, à propos d’un chasseur de prime qui se marie avec le diable. De cette idée est née une série de bandes dessinées appelées Little Red Hot, publiée par Image Comics en 1999 et 2001.