Mary Poppins – Les effets spéciaux magiques d'un film culte
Article Animation du Mercredi 28 Decembre 2022

A l'occasion des fêtes de fin d'année, nous vous proposons de redécouvrir notre dossier consacré au film culte des studios Disney...

Si vous êtes nés après la dernière Guerre Mondiale, il y a de fortes chances que vous ayez découvert durant vos jeunes années le célèbre film familial des studios Walt Disney Pictures. Réalisé par Robert Stevenson (L'Apprentie Sorcière) en 1964 – il y a 53 ans déjà ! -, Mary Poppins a bercé l'enfance de nombreuses générations. Magnifié par les chansons des frères Robert et Richard Sherman (Les Aristochats, l'entêtant thème musical de l'attraction It's a Small World des parcs Disneyland) et par les numéros musicaux chorégraphiés par Dee Dee Wood et Marc Breaux (La Mélodie du Bonheur), ce chef d'œuvre bénéfice également d'effets spéciaux particulièrement réussis pour l'époque....


Par Pierre-Eric Salard



A l'origine, Mary Poppins est un série de romans pour enfants écrits par Pamela Lyndon Travers à partir de 1934. Quatre ans plus tard, la fille de cinq ans de Walt Disney, Diane, s'était passionnée pour ces livres. Elle déclare alors à son cinéaste de père, qui vient de rencontrer le succès grâce à la sortie au cinéma de Blanche-Neige et les Sept Nains : « Tu pourrais peut-être en faire quelque chose ? ». Écoutant le conseil de sa fille, le cinéaste se penche sur l'oeuvre de P.L. Travers et s'avère rapidement séduit par le concept : une jeune gouvernante, qui possède d'étonnants pouvoirs magiques, embellit la vie d'enfants plus ou moins turbulents. Chaque chapitre raconte une nouvelle aventure aux ressorts pour le moins imaginatifs, tels cette vache rouge qui ne peut s'arrêter de danser, ce zoo où ce sont les êtres humains qui sont en cage, ou encore ce gouter pris au plafond ! Ces histoires titillent l'imagination du grand Walt. « Il disait qu'il y avait toujours un enfant en lui », se souvient l'acteur Dick Van Dyke, qui interprète Bert, le jovial ramoneur et homme-orchestre du film. « Il ne souciait pas des envies des parents ! La seul chose qui comptait à ses yeux, c'était de faire plaisir aux enfants ». Déterminé à produire une adaptation cinématographique des romans, Walt Disney s'implique corps et âmes dans le projet. Vingt années durant, il se battra pour obtenir les droits des livres. En effet, P.L. Travers se montrait méfiante ; elle n'aimait pas les adaptations de romans produits par les studios Hollywoodiens ! Walt lui proposa donc d'acheter les droits en 1938, puis en 1944. Son succès dans l'industrie du cinéma n'y changea rien : elle refusait catégoriquement chacune de ses propositions. Mais le cinéaste n'était pas un homme qui abandonnait facilement. Il réitéra de nombreuses fois sa demande. En 1959, il vint voir l'auteure chez elle, à Londres, pour une ultime tentative. Et la magie opéra ! « Walt Disney était comme un oncle charmant », expliquait P.L. Travers. « J'avais l'impression qu'il voulait m'hypnotiser ! » Ce rendez-vous impromptu fut fructueux : elle accepta enfin de lui offrir une chance. Toutefois, elle ne voulut pas prendre de risques ; seule une option sur les droits des livres fut accordée ! Walt Disney ne perd pas de temps et confie le développement du film à Don DaGradi, un animateur chevronné des studios (Les Trois Caballeros, Cendrillon, Alice au Pays des Merveilles) qui s'était alors reconverti en scénariste (La Belle et le Clochard, L'Apprentie Sorcière). Alors que ce dernier se lance dans l'écriture du scénario de Mary Poppins avec Bill Walsh (La Coccinelle), le fondateur du studio contacte les frères Sherman et leur propose d'écrire et composer la bande originale du film, ainsi que les numéros musicaux. Lors de cette rencontre, il leur confie un exemplaire de Mary Poppins afin qu'ils puissent choisir les chapitres sur lesquels ils aimeraient travailler... Or Walt Disney a sélectionné les mêmes ! Les aventures littéraires de Mary Poppins étant décousues – il n'existe pas de véritable récit sur le long terme -, le petit groupe décide de créer une histoire autour d'enfants laissés pour compte par leurs parents, occupés par des « affaires sérieuses », et d'assembler les traits de plusieurs personnages des romans (Bret en fait parti). Don DaGradi se met parallèlement à visualiser le film en dessinant des esquisses au fusain et en élaborant un storyboard très détaillé. Pendant deux ans et demi, le développement du film suit un schéma aussi confidentiel que précis : les frères Sherman composent, DaGradi illustre les chansons et, toutes les 2 semaines, Walt vient voir les avancées du projet. En 1961, P.L. Travers vient elle-même prendre des nouvelles de l'adaptation... et n'aime pas du tout ce qu'elle découvre ! Sèche, pointilleuse et pétrie de contradiction, elle refuse catégoriquement qu'on modifie son histoire ! Mais face à l'insistance de Walt Disney, elle finit par céder sous certaines conditions, donne son feu vert à l'adaptation et devient consultante. Même si elle possède un droit de regard sur le film, le cinéaste tourne la page d'une quête vieille d'une vingtaine d'années...

Juste un morceau de sucre qui aide la médecine à couler

La création des trucages de Mary Poppins, en 1964, a été l'un des plus grands défis relevés par les studios Disney. Ce travail représente le point culminant de nombreuses années d'innovations. Remettons le film dans son contexte historique : 2001 l'Odyssée de l'Espace ne sortira que cinq ans plus tard, Star Wars rencontrera la succès dans treize années et Qui veut la Peau de Roger Rabbit ravira les enfants dans plus de deux décennies ! Et il faudra une trentaine d'années pour que les images de synthèse prennent pied à Hollywood... En 1964, les ordinateurs sont pour le moins rudimentaires ! Mais l'une des principales qualités de Mary Poppins est de mettre l'excellence des effets spéciaux et du travail d'animation au service de l'histoire et des personnages. Point d'esbroufe : les enfants n'y verront que de la magie ! Il faut avouer que seules les équipes de Walt Disney avaient les reins assez solides pour mener à bien ce projet : elles étaient les reines incontestées de l'industrie du film d'animation et avaient déjà une grande expérience en matière d'effets spéciaux. Pour adapter l'univers de Mary Poppins, ces artistes ont utilisé toute une panoplie de tours de passe-passe et créé de merveilleuses séquences défiant toute logique et faisant fusionner la réalité avec le rêve. La supervision des effets spéciaux du film a été confiée à Peter Ellenshaw. Véritable légende de l'industrie, cet anglais, père d'un autre maître des trucages, Harrison Ellenshaw (Star Wars, Tron), a travaillé pour Alexander Korda dans les années 1930 avant d'intervenir sur la série Zorro des studios Disney, 20 000 Lieues sous les Mers, L'Ile au trésor, Pollyanna, Spartacus et L'Apprentie Sorcière. Son talent était si respecté qu'en 1979, les dirigeants de Disney l'incitèrent à mettre temporairement un terme à sa retraite pour travailler sur Le Trou Noir ! Mais c'est son travail sur Mary Poppins qui lui a valu tous les honneurs. Les trucages qu'il a supervisé ont nourri la magie du film... et lui ont fait remporter un Oscar des Meilleurs effets spéciaux ! Peter Ellenshaw dessina notamment d'innombrables recherches graphiques, qui influencèrent la direction artistique du film. Mais sa plus grande contribution à Mary Poppins reste son travail sur les emblématiques peintures sur verre (mattepaintings), au style impressionniste, qui serviront de décors et de paysages dans de nombreux plans. En tout, il en a réalisé plus d'une centaine ! On se souvient particulièrement des vues des toits de Londres des années 1910... « J'ai ainsi peint des vues de Londres en fin d'après-midi », expliquait Peter Ellenshaw. « Et derrière chaque plaque de verre, je faisais des trous dans la peinture pour l'éclairer par derrière... afin que les lumières puissent s'allumer progressivement dans la ville. C'était passionnant de travailler sur ce film. C'était incroyable et merveilleux de travailler pour Walt. On ne dira jamais assez combien il était talentueux ! » Très impliqué dans la production de ce film, Walt Disney vient régulièrement rendre visite à ses équipes. Et il ne manque jamais une occasion de faire plaisir à ses collaborateurs ! Lorsqu'il rencontre la comédienne Julie Andrews (La Mélodie du Bonheur) pour lui confier le rôle principal, il se tourne vers le mari de celle-ci, Tony Walton, pour lui demander quelle est la nature de son travail. « Lorsqu'il a appris que Tony était un jeune décorateur, il l'a engagé en tant que consultant artistique ! », rapporte Julie Andrews. « Non sans avoir jeté un oeil sur son portfolio (rires) ! Il voulait que tout se passe bien pour moi... »

La magie des trucages

Walt Disney investit dans cette production ce qui était alors le plus gros budget de l'histoire du studio. Le film est intégralement tourné en intérieur, à Burbank, en Californie. Tous les plateaux du studio sont ainsi monopolisés par le tournage de Mary Poppins ! Walt Disney insiste pour que le style des décors soit proche du théâtre, pour appuyer sur l'aspect irréel de l'histoire. Les belles demeures de Cherry Tree Lane - la rue où est installée la famille Banks - sont construites en trompe-l'œil : plus elles étaient éloignées de la caméra, plus elles étaient petites. Importés de France et du Portugal, les arbres de cette rue sont fabriqués en plastique. Toutes les fleurs et feuilles sont installées une à une, à la main. Le décor est complété par des peintures murales et, le cas échéant, par des peintures sur verre ajoutées en post-production. Lorsqu'au début du film Mary Poppins débarque par les airs avec le vent d'est, Julie Andrews est soutenue par un système de câbles. Afin de réduire les risques de réfraction des lumières des projecteurs du studio, ces câbles sont assombris à l'aide de cire à chaussures. Le tournage de cette scène se déroule sans accroc, mais Julie Andrews n'évitera pas une petite frayeur. En effet, lors de la préparation d'un plan – une procédure qui s'éternisait -, l'actrice était restée suspendue dans les airs bien trop longtemps à son goût et insista pour être descendue. Sauf que les machinistes firent abaisser son harnais bien trop rapidement... et elle se retrouva propulsée contre le sol ! Indemne, certes, mais plutôt mécontente ! « C'est bon, elle est descendue ? », demanda un technicien, du fond du plateau. « Oh que oui, je confirme qu'elle ne pourra pas tomber plus bas ! », s'entendit-il répondre par une Julie Andrews très énervée. Un peu plus loin dans le film, Mary Poppins s'installe dans une chambre de la demeure des Banks et sort de sa valise magique un nombre incalculable d'objets volumineux ! Ce trucage a été conçu grâce à la superposition de deux plans. Dans le premier, les deux enfants sont filmés, seuls, dans le véritable décor de la chambre. Dans le second, Julie Andrews se trouve devant une table trouée sur le dessus (sur lequel est posé le sac) et un fond orange - en réalité un écran à la vapeur sodium. Face caméra, tout un côté de la table, entre les pieds, est recouvert par un tissu orange. La caméra enregistrant tout sauf l'orange, les objets apparaissent comme par magie du sac ! Il ne restait plus qu'à insérer l'arrière-plan souhaité. Il s'agit tout simplement de l'équivalent du célèbre fond vert/bleu ! Ce qui compte, c'est que les réactions des enfants détournent l'attention : les spectateurs en oublient de chercher la nature de l'astuce... Un peu plus tard, dans cette même séquence, Mary Poppins chante en compagnie d'un oiseau, posé sur son index. Il s'agit d'un automate audio-animatronique, un robot comme il en existe dans les parc à thèmes Disneyland sous forme de personnages et animaux. L'automate réagit au signal audio qui le met électroniquement en mouvement. « C'est de l'animation en trois dimensions », disait Walt Disney. Julie Andrews doit garder sa main dans une position précise, car l'oiseau était animé grâce à de nombreux câbles – pour que des techniciens puissent manipuler à distance sa tête, son bec et ses ailes. Un certain nombre de fils se trouvaient donc derrière le bras et dans la manche de l'actrice. « Il fallait de la patience », précise-t-elle. « Mais je me suis vite rendu compte que tout le monde faisait un travail important. Sinon je n'aurais pas fait l'effort d'attendre si longtemps quand il fallait régler telle ou telle chose ! » Julie Andrews doublera ultérieurement les sifflements de l'oiseau... La production a fait appel au célèbre imaginieur (ingénieur/artiste pour les parcs Disneyland) Xavier Atencio, qui a participé à la création de l'attraction des Pirates des Caraïbes, pour superviser la séquence durant laquelle Mary Poppins utilise ses pouvoirs magiques pour que la chambre des enfants se range toute seule. « A l'origine, c’est l'animateur Bill Justice (Peter Pan) qui m’a demandé de travailler avec lui, dans les studios Disney », se souvient Atencio. « Nous nous connaissions déjà depuis un certain temps et il m’a dit qu’il avait besoin de moi, ce que j’ai accepté avec plaisir. Nous avons notamment travaillé sur le stop motion, comme par exemple pour la scène du rangement de la chambre des enfants dans Mary Poppins ». Les animations de plusieurs objets, tels ces figurines en bois qui escaladent un coffre, sont ainsi faites image par image. Et pour montrer un lit se border tout seul, il suffit de projeter le film à l'envers ! Les astuces les plus simples sont souvent les meilleures...

Bienvenue dans le monde du rêve

Mais le clou du film se déroule un peu plus tard. La réalité se mêle réellement à la fantaisie du monde de l'animation quand Bert invite Mary Poppins et les enfants Banks à visiter ses paysages dessinés à la craie ! Dick Van Dyke y danse avec des serveurs pingouins alors que les chevaux en bois d'un manège prennent leur indépendance pour participer à une course que, bien entendu, Mary Poppins gagnera haut le parapluie ! « C'est Walt qui a dit 'toute la séquence sera en animation, sauf les acteurs' », se souvient Richard Sherman. « On peut le faire grâce à un procédé créé par Ub Iwerks ». En 1964, l'art de mêler de manière réaliste des personnages animés et des acteurs en chair et en os n'est guère nouveau. Dès 1919, Koko le clown de Max Fleischer (Betty Boop) participait à un combat de boxe avec un véritable chat ! Sans oublier que Walt Disney s'était déjà frotté à cette technique dans les années 1920 avec les court-métrages Alice in Cartoonland, où une véritable petite fille interagissait avec des personnages de dessin-animé. La technique du travelling matte, mise au point dans la décennie suivante, permit d'intégrer plus facilement un acteur dans un décor - après l'avoir filmé devant un fond bleu ! Dans les années 1940, un certain nombre de films mêlant animation et véritables acteurs voient le jour, dont Le Dragon Récalcitrant (1941), Les Trois Caballeros (1943), Mélodie du Sud (1946) et Danny le Petit Mouton Noir (1949). Chef d'oeuvre du genre, Mary Poppins représente l'aboutissement de ces décennies de progrès. Afin de synchroniser la chorégraphie des acteurs et des personnages de dessin-animé, un storyboard très détaillé est mis au point. Le moindre déplacement des comédiens est prévu ; cela facilitera le travail des animateurs en post-production. Les acteurs jouent d'abord devant un écran à la vapeur de sodium. Puis les animateurs s'inspirent des photos de ces plans pour placer leurs personnages animés. Une fois que tous les personnages sont à l'unisson, la partie « animation » est colorisée. Le procédé de travelling matte au sodium permet d'affiner l'incrustation de comédiens au sein des décors de dessin animés. La technique est améliorée par le créateur de Mickey Mouse, Ub Iwerks, alors reconverti dans les effets spéciaux. Ses recherches permettent aux toons d'aller du premier au second plan ! Lui et son équipe obtiendront un prix scientifique pour cet exploit. Mais l'exercice n'est pas simple pour les comédiens, qui doivent apprendre à jouer face au vide, dans un décor minimaliste. « On devait réagir aux chevaux, à l'oie, au petit renard », se souvient Karen Dotrice, qui interprétait la jeune Jane Banks. « Mais on ne voyait qu'une figurine en carton, que quelqu'un déplaçait pour nous faire réagir... » Lorsque Mary Poppins et Bert traversent une mare à dos de tortues animés, les acteurs sont, en réalité, en équilibre sur deux petits chariots et filmés devant un écran à la vapeur de sodium. Mais on se souvient plus particulièrement de l'incroyable numéro de danse effectué par Bert et des pingouins qui évoluent devant Mary. « Walt avait déclaré que les serveurs lui avaient toujours fait penser à des pingouins », raconte Dick Van Dyke. « Personne d'autre que lui n'aurait pu avoir cette idée (rires) ! Il était merveilleusement fantasque... » L'animateur Frank Thomas (Peter Pan, Les Aristochats) est chargé de cette séquence culte. « Pour un réalisateur, il est difficile d'imaginer ce à quoi l'animateur va être confronté », expliquait-il. « Il peut en parler avec l'animateur, mais la manière de cadrer et d'insérer l'animation est une chose que seul ce dernier maitrise ». Pour les besoins de la scène, les deux acteurs sont filmés devant un fond orange, dans un décor uniquement constitué par un sol, une table et des chaises. « On avait dit à Robert stevenson, qui s'occupait des prises de vue réelles : 'ne te soucie pas de l'animation et fais de ton mieux' », racontait Frank Thomas. « Les animations des pingouins étaient conçues selon les déplacements des acteurs. Mais moi je me disais ' mais où vais-je bien pouvoir les mettre ?' (rires). J'ai regardé les images de Dick van Dyke en train de danser. J'étais déprimé : ses pieds gigotaient et il marchait sur mes personnages (rires) ! Comment savoir à l'avance où allait être Dick ? J'ai torturé mes pingouins ; je les ai fait se baisser, sauter et se pousser entre eux pour pouvoir les placer à tout moment près du comédien (rires). Il fallait être ingénieux ! ». Dick Van Dyke, quant à lui, n'en garde pas un mauvais souvenir. « Les scènes d'animation étaient certes compliquées à faire, mais ce défi me plaisait beaucoup », explique-t-il. « J'adorais travailler avec les animateurs. Cela me rappelait le travail d'un mime, un art que j'aime énormément. J'en faisais à mes débuts. Et là, je travaillais avec des personnages invisibles. Le rêve du mime (rires) ! » Le paysage pastel du monde de dessin animé est ensuite incrusté à la place du fond orange... La magie opère : la réussite technique disparaît au profit de l'excellence de la scène ! « Les techniques utilisées dans Mary Poppins sont bien connues des cinéastes d'aujourd'hui », commente le producteur Don Hahn. « Mais à l'époque, c'était un exploit ! » P.L. Travers n'apprécia pourtant pas cette séquence, et demanda à ce qu'on la retire du film ! Heureusement pour les enfants du monde entier – et pour l'Histoire du cinéma ! -, Walt Disney refusa catégoriquement d'accéder à sa demande...

Supercallifragilisticexpialidocious !

Plus loin dans le récit, Mary Poppins et les enfants Banks rendent visite à l'oncle Albert (Ed Wynn), dont les crises de fous rires le font flotter dans les airs, et prennent un thé avec lui … au plafond ! La réussite de cette scène résulte de la combinaison de plusieurs techniques distinctes. Peter Ellenshaw s'est inspiré des trucages d'une précédente production Disney, Monte là-dessus (The Absent-Minded Professor, dont a été tiré un remake, Flubber), où un scientifique mettait au point une substance permettant – notamment - de voler. Chacun des plans devait être traité de manière spécifique. Walt Disney a lui-même participé à la mise au point – sur le papier - des procédés techniques permettant de faire flotter les personnages dans tous les sens quand ces derniers se mettent à rire. Pour les plans larges, un système de câbles maintient les acteurs à un mètre du sol, devant un écran à la vapeur de sodium qui sera ultérieurement remplacé par le décor. Pour l'anecdote, lors de la première prise, les techniciens partirent déjeuner... en oubliant les acteurs, bloqués dans leurs harnais ! Le tournage de cette scène se heurta également à un léger problème. Le jeune Mathew Garber (Michael Banks) avait le vertige et n'appréciait guère de se retrouver suspendu dans les airs. L'équipe de tournage a rapidement trouvé une parade... pour le moins lucrative : à chaque fois qu'il se pliait à cet exercice de « haute-voltige », quelqu'un lui donnait dix cents ! Du haut de ses huit ans, l'acteur s'est ainsi amassé un joli magot ! Pour les gros plans, les comédiens sont assis sur une sorte de bascule et filmés devant le décor du plafond. Walt a également dessiné le salon de façon réaliste, puis avec le toit sur le coté, et enfin avec le plafond à la place du sol. La construction de ce décor, où tout est inversé, a permis de faciliter et renforcer l'illusion que les personnages ne subissent plus les effets de la gravité ! Notons que dans la dernière partie du film, Mr Dawes Senior, le Président de la banque pour laquelle travaille Mr Banks, est incarné par un Dick Van Dyke particulièrement bien maquillé. « C'est Walt Disney qui eut l'idée de me proposer le rôle après m'avoir vu fait le pitre en imitant un vieil homme », se souvient l'acteur. « Les enfants, en revanche, ne furent pas prévenus de la supercherie (rires) ! » Notons que Dick Van Dyke a très récemment joué ce rôle, à nouveau, pour une unique représentation de la comédie musicale Mary Poppins ! Sauf qu'il n'a pas eu besoin d'être autant grimé qu'à ses 39 ans : il vient de fêter ses 85 bougies ! Se déroulant sur les toits de Londres, le mythique numéro musical « Step in Time » a nécessité la confection de nombreuses peintures sur verre. Elles ont figuré les précipices entre les toits, qui bien sûr n'existaient pas sur les plateaux. Et quand Bert et ses amis ramoneurs avancent en équilibre sur une rambarde, les acteurs sont en réalité en train de marcher sur une large planche en bois. Un mattepainting la remplacera ultérieurement par une barre de fer aussi fine qu'inquiétante pour la sécurité des danseurs... Au final, Mary Poppins est un miracle qui ne doit son existence qu'à Walt Disney et ses équipes. « Je suis fier de nos artistes », déclarait le fondateur du studio. « Je les respecte. Je ne pense pas être imbu de ma personne. Sans eux, rien n'aurait été possible. J'aime découvrir le résultat de ces associations de talents. Et l'ambiance a toujours été merveilleuse ! » Walt Disney, qui est décédé peu après, a d'ailleurs rapidement considéré que Mary Poppins était l'un des sommets de sa carrière, l'une de ses plus grandes réussites. « Pour moi, c'est le film parfait », affirme Dick Van Dyke. C'est aussi une oeuvre qui mérite d'être étudiée par tous ceux qui désirent travailler dans les effets spéciaux. De nombreux spécialistes contemporains regardent encore Mary Poppins avec un respect certain pour le travail de leurs prédécesseurs. Plusieurs techniques, comme le tournage devant un fond vert, sont toujours utilisées de nos jour ; seule la capture de performance permet de s'affranchir de l'image des acteurs. Tout comme les peintures sur verre de Peter Ellenshaw sont des œuvres d'art, Mary Poppins est un chef-d'oeuvre qui restera gravé à tout jamais dans le cœur des enfants qui sommeillent en nous. Cette aventure magique continuera sans doute à émerveiller les jeunes générations du 21ème siècle, et c'est une nouvelle Supercallifragilisticexpialidociousement bonne !



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