Le Cinéma dans le Sang : Entretien avec Guillaume Albert et Michael Guerraz, les réalisateurs de cette passionnante série documentaire qui vous glacera d'effroi
Article Cinéma du Lundi 31 Mai 2010

A partir du 2 juin 2010, la chaîne Orange CinéChoc diffusera chaque mercredi deux des dix épisodes de treize minutes du Cinéma dans le Sang. Proposée par Guillaume Albert et Michael Guerraz, cette excellente série documentaire dresse le portrait d'une générations de trentenaires, biberonnée à la VHS, Evil Dead ou encore l'oeuvre de John Carpenter. Les dix jeunes réalisateurs francophones qui ont accepté de répondre aux questions du tandem promeuvent un cinéma de genre, de fantastique ou d'horreur, au sein d'une production nationale particulièrement frileuse en matière de frissons !

Par Pierre-Eric Salard

Guillaume Albert et Michael Guerraz avaient auparavant collaboré sur le surprenant documentaire J'ai rêvé d'être un Jedi, qui étudiait le phénomène Star Wars vu à travers les Fan Films - des films réalisés par les fans eux-mêmes - qui prolongent ou parodient l'univers imaginé par George Lucas...



Les dix portraits du Cinéma dans le Sang se penchent sur autant de spécialistes du cinéma d’horreur ou de science-fiction, qui partagent avec passion leurs souvenirs. De leurs inspirations aux aléas du tournage, en passant par les difficultés budgétaires et les effets spéciaux, ces réalisateurs émérites nous offrent une réjouissante invitation dans les coulisses d'un certain cinéma. Ces portraits font office de véritables mini-documentaires, puisque les cinéastes y invitent souvent leurs collaborateurs : maquilleurs, producteurs, compositeurs... et d'autres métiers en "-eurs". Cerise (rouge sang) sur le gâteau : l'habillage de ces portraits est particulièrement distrayant, tout comme la réalisation et le montage sont dynamiques, et l'iconographie illustre parfaitement les propos des cinéastes. Ce sont, en somme, de véritables making of qui, contrairement à la majorité des documents inclus sur les DVD, n'ont rien de promotionnel. Avis aux cinéphiles et aux passionnés ! Saluons donc l'existence de cette fenêtre ouverte sur un cinéma français qui n'est malheureusement pas reconnu à sa juste valeur...

Voici les dates de diffusion de ces dix portraits de réalisateurs d'un nouveau genre :

2 juin : Julien Leclercq (Chrysalis) et David Morley (Mutants)

9 juin : Julien Maury & Alexandre Bustillo (A l'intérieur), Cédric Hachard (Le jour de la comète, un film sur lequel nous reviendrons très prochainement !)

16 juin : Xavier Gens (Frontières, Hitman) et Abel Ferry (Vertige)

23 juin : Fabrice Du Welz (Calvaire, Vinyan) et Franck Vestiel (Eden Log)

30 juin : Hélène Cattet & Bruno Forzani (Amer), Yann Gozlan (Captifs)

Chaque mercredi, retrouvez donc deux portraits sur Orange Ciné Choc et sur le portail Internet d'Orange Cinema Series :

Le cinéma dans le sang (bande annonce) from Michael Guerraz on Vimeo.




Entretien avec les réalisateurs du Cinéma dans le Sang, Michael Guerraz et Guillaume Albert

Propos recueillis par Pierre-Eric Salard

Quelle est l'origine de la série documentaire Le Cinéma dans le Sang ?

Michael Guerraz : Fin 2007, Guillaume a eu l’idée de faire un documentaire, prévu pour être un 52 minutes, sur le retour en force du cinéma de genre en France. Plusieurs films venaient d’être produits : « A l’intérieur », « Chrysalis », « Frontière(s) », « Eden Log », etc… Son idée était de brosser un état des lieux et de comprendre s’il s’agissait d’un phénomène générationnel. De mon côté, ayant remarqué des points communs dans les différentes interviews de ces réalisateurs, j’avais justement commencé à rassembler quelques notes pour un éventuel documentaire sur le sujet. Lorsque Guillaume m’a parlé de son projet, nous avons rapidement décidé de travailler ensemble, et nous avons élaboré un dossier qui s’appelait alors « Générations VHS ». On ne se doutait pas à l’époque que nous allions devoir patienter 18 mois avant de démarrer concrètement ce projet !

Guillaume Albert : Ce qui m’intéressait vraiment, c’était l’aspect générationnel. J’étais curieux de savoir de quel genre de films ma génération avait envie de réaliser. Nous avons tous été biberonné au cinéma américain des années 70 et 80, avec les films de Steven Spielberg, David Cronenberg, James Cameron, puis David Lynch, etc… Même si d’autres époques de cinéma ou d’autres cultures cinématographiques peuvent nous marquer, je reste persuadé que nous sommes tous imprégnés à vie des films qui ont bercé notre enfance. L’image a cette force. Le cinéma de genre fait partie de notre éducation. Surtout, notre génération tente de s’affranchir du pesant héritage d’une certaine tendance du cinéma français, pour reprendre la célèbre expression de François Truffaut (dont la génération a eu le même comportement ; mais autre époque, autre revendication). La génération des années 90, avec Kassovitz, Jan Kounen et Gaspard Noé, avait déjà beaucoup déblayé le terrain. La partie est encore très loin d’être gagnée. Je dirai même que ces films ne sont que des bouteilles à la mer. Mais il y a une tentative de faire différent, une tentative de proposer de la diversité dans le paysage cinématographique français. C’est générationnel, c’est social, c’est politique, c’est ce que vous voulez… mais ça fait du bien ! C’est pourquoi il nous paraissait important d’aller à la rencontre de ces réalisateurs. N’en rencontrer que dix est forcément aléatoire et subjectif, mais c’est un début de point de vue. Et pour élargir le propos, nous avons souhaité faire intervenir des collaborateurs, des techniciens - ceux qui travaillent dans l’ombre, mais font le cinéma d’aujourd’hui...

Les cinéastes se sont-ils facilement prêtés au jeu ?

Michael Guerraz : En France, on aime les étiquettes. On a eu donc quelques réalisateurs qui ont refusé de participer à cette série de portraits, souvent par peur, tout à fait légitime, d’être trop vite étiquetés « réalisateurs de films de genre ». C’est dommage car dans le lot, il y avait un cinéaste que nous mourrions d’envie d’interroger. Mais à partir du moment où les réalisateurs contactés nous ont donné leur accord, ils se sont prêtés au jeu sans problème, nous accordant parfois 4 ou 6 heures de leur temps pour tourner leurs interviews dans des lieux souvent insolites. On est de la même génération, nés dans les années 70, et nos discussions, filmées ou non, étaient passionnantes et passionnées. Ils ont en commun d’êtres très francs, modestes et très abordables. Ils ont parfaitement compris ce qu’on souhaitait faire : parler avant tout de cinéma, et surtout montrer le travail de ces réalisateurs français (ou belges) qui envisagent le métier d’une manière un peu différente et personnelle.

Que pensez-vous du cinéma de genre français ?

Michael Guerraz : Même s’il y a des antécédents (« La belle et la bête » de Cocteau, « Les yeux sans visages » de Franju, « Baby Blood » de Roback, les films de Jean Rollin ou de Raphaël Delpart…) et des projets de plus en plus nombreux à voir le jour, le cinéma de genre français en est, pour l’instant, à ses balbutiements. Il est très difficile de dresser un portrait type, même s’il y a certains traits communs. Ce cinéma peine un peu à exister, et a encore très peu de défenseurs. Mais il faut admettre que dans la décennie 2000, il y a eu une très nette augmentation de films français de ce type et, à mon sens, on note une réelle avancée qualitative globale par rapport à la plupart des tentatives passées. Les réalisateurs concernés ont parfaitement intégré leurs références, ne s’en remettent pas au second degré pour travailler dans le genre. Malgré des budgets limités et quelques maladresses, par ailleurs volontairement admises, ils réussissent à mettre sur pied des films personnels et intéressants. Guillaume et moi pensons vraiment que, parmi eux, se trouvent des réalisateurs qui vont bientôt réellement compter dans le paysage cinématographique.

Guillaume Albert : Il n’y a pas d’Histoire du cinéma fantastique en France, hormis quelques tentatives disparates. Même des auteurs aussi reconnus que Godard, Truffaut, Resnais ou Chris Marker ont des films de genre à leur actif. Des sortes d’ « OFNI » qui n’ont pas vu de suite. C’est dommage ! Au pays de Jules Verne, l’un des auteurs les plus adaptés… aux Etats-Unis ! Georges Méliès a très peu de descendants dans nos contrées. Il y a certainement un phénomène culturel là-dedans. Tous les réalisateurs que nous avons interrogés nous ont impressionnés. Ils ont une vraie envie de cinéma. Une envie qui regroupe tous les corps de métier d’un film : la lumière, le son, le maquillage, la décoration, etc... Ils ont cette volonté de créer du spectacle, tout en cherchant à donner du sens à leurs images. Ne pas prendre les spectateurs pour des imbéciles. Plusieurs d’entre eux disent faire un métier d’artisan, avec cette notion du travail bien fait. Nous aimons cette idée. Maintenant, il y a le manque de moyens qui les handicape beaucoup. Ce n’est pas un hasard s’ils sont un certain nombre à partir aux Etats-Unis, où malheureusement d’autres contraintes les attendent. Maintenant, je me pose toujours la question de l’uniformisation du cinéma. Comme disent Julien Maury & Alexandre Bustillo : « C’est à nous de créer nos propres mythes »… afin de ne pas faire comme les américains. C’est important, mais compliqué : Hollywood a créé un véritable modèle de cinéma. En même temps, quand je vois des auteurs aussi différents que Yann Gozlan, Franck Vestiel ou le couple Cattet & Forzani, je suis rassuré. Encore faut-il leur laisser les moyens de s’exprimer...

Rendez-vous la semaine prochaine pour un entretien complet avec Michael Guerraz !


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