FlashForward – Les effets du temps et de la destruction
Article TV du Jeudi 10 Juin 2010

A l'occasion de la rentrée télévisuelle 2009, le réseau américain ABC a lancé, outre le remake de la série V, un second feuilleton fantastique. FlashForward est une série américaine dérivée d'un roman écrit par Robert J. Sawyer, Flash Forward (publié en France par Milady). Imaginez que le monde a sombré dans le chaos durant 2 minutes et 17 secondes. Tous les habitants - ou presque – de notre planète perdent subitement conscience... et ont un court aperçu de leur avenir. A chacun ensuite de décider s'il va accomplir cette destinée ou l'éviter... Créée par Brannon Braga (Star Trek : The Enterprise) et David Goyer (Blade, The Dark Knight), cette série, bientôt diffusée sur Canal +, débute sur une scène de désolation dont les effets visuels sont particulièrement réussis...

Par Pierre-Eric Salard



FlashForward suit plus particulièrement les aventures de Mark Benford (Joseph Fiennes, vu dans Shakespeare in Love), un agent du FBI qui tente de sauver son mariage après une longue lutte contre l'alcoolisme. Victime d'une horrible prémonition durant le black out, il tente de modifier un futur qui pourrait s'avérer désastreux pour ses proches et pour lui-même. Demetri Noh (John Cho, alias Sulu dans le Star Trek de J.J. Abrams) est son partenaire au sein du FBI. Après son absence de deux minutes et 17 secondes, il réalise qu'il n'a eu aucune vision du futur... Si la série est rapidement vendue comme le successeur de Lost, qui a tiré sa révérence le 23 mai dernier après six années de bons et loyaux (fan)services sur ABC, FlashForward est bien différente. A tel point qu'après le succès rencontré par la diffusion du pilote, les chiffres d'audience des épisodes suivants n'ont cessé de s'écrouler... « Je crois qu’à part le style cinématographique et le nombre de personnages, ces deux séries n'ont pas grand chose en commun », explique David Goyer. Ne nous trompons pas : si FlashForward n'est pas exempte de défauts, elle possède une ampleur toute cinématographique. « Nous produisons en quelque sorte, un film d'une durée de 24 heures », ajoute le co-créateur, qui a depuis quitté ses fonctions de superviseur pour se concentrer sur ses activités cinématographiques. « Dans le pilote, on assiste à la quasi-destruction de Los Angeles : des accidents de voitures à répétition, le crash d'un hélicoptère dans un gratte-ciel, des actes de vandalismes... Je le suis concentré sur ce que je sais faire le mieux : développer les personnages. Mais si vous regardez l'ensemble de la saison, vous remarquerez que les effets pyrotechniques n’apparaissent pas uniquement dans le pilote... » C'est pourtant la scène de désolation qui suit le fameux « flash-forward » du pilote de la série qui marquera durablement les esprits. Pour superviser les effets visuels, la production a fait appel à Kevin Blank. Après avoir débuté sa carrière sur Hercules et Xena, les séries produites par Sam Raimi, ce vétéran de l'industrie télévisuelle a travaillé sur Star Trek : Enterprise, Alias, Fringe et les trois premières saisons de Lost ! Sans oublier deux incursions au cinéma avec Mission : Impossible III et Cloverfield, des films respectivement réalisé et produit par son ami J.J. Abrams !

Halos lumineux

« J'avoue que c'est l'effet du « flash-forward », en lui-même, qui m'a convaincu de travailler sur cette série », raconte Kevin Blank. « David Goyer m'a envoyé le scénario et nous nous sommes rencontrés une première fois pour parler de la forme que pourrait prendre cet effet. Après tout, cet événement représente le moteur narratif de la série. Nous savions que l'effet devait ressembler à une sorte d'accordéon visuel, un repère qui permettrait de faire immédiatement comprendre aux téléspectateurs qu'ils sont transportés dans le futur. Nous n'avions pas le droit à l'erreur : cela devait devenir la signature visuelle de la série ! Lorsque je me suis finalement assis avec David Goyer pour en discuter, nous avons échangé de nombreuses idées. Puis nous avons testé beaucoup de choses. Nous avons commencé avec quelques idées assez élaborées. Mais nous avons vite compris que la simplicité serait la règle, parce que l'effet du « flash forward » était quelque chose que nous allions voir régulièrement au cours de la série. Il fallait que ce soit bref. Cela devait communiquer l'idée que la vie est accélérée jusqu'à ce que l'on découvre une vision du futur, un peu comme si nous faisions une avance rapide sur une cassette VHS. Notre principale source d'inspiration fut le logo des films des Marvel Studios, qui commence par de brefs extraits de comics. Je voulais véhiculer le sentiment que vous êtes en train de feuilleter la mémoire d'un personnage à vive allure. Nous nous sommes mis d'accord sur une séquence-type , que nous avons appelé « l'uber FlashForward ». Joseph Fiennes est au volant de sa voiture et, tout d'un coup, nous zoomons sur son oeil et nous découvrons ce qu'il voit : une série d'une douzaine de plans extrêmement brefs, qui sont des extraits de son avenir, suivie d'un aperçu de ce que vivra le personnage dans six mois. Puis nous zoomons à nouveau dans son oeil, et nous ajoutons des effets de particules et des halos lumineux de type « lens flares ». Ces effets deviendront une sorte de repère visuel, que nous avons bien sûr utilisé lors des « flash forwards » suivants ! Mais à chaque fois, il s'agit de variations. Chaque vision du futur est unique. Nous avons filmé puis enregistré de très nombreux « lens flares » dans nos banques de données. Je ne voulais pas qu'ils soient conçus par ordinateur. Et Selon la photographie des plans, nous utilisons ainsi des effets lumineux différents. Donc à chaque fois que l'on découvre un « flash forward », l'effet est toujours inédit ! » La création de ce trucage a été confiée au studio Seven Crows VFX. Le compositeur Steve Fong (La Guerre des Mondes, Lost) a tout fait sous le logiciel Nuke. « C'était passionnant de mettre en place un langage visuel qui joue un rôle instrumental dans la façon dont l'histoire est racontée », ajoute Kevin Blank. « La série aborde une notion simple : que feriez-vous si vous saviez ce que vous réserve l'avenir ? J'ai été immédiatement fasciné par cette idée ! D'un unique événement naissent de très nombreuses possibilités ! Nous avons ensuite imaginé le résultat immédiat du « flash-forward » en défigurant Los Angeles... »

Une autoroute dévastée

.Les membres de la production passent un certain temps à réfléchir à l'ampleur de la dévastation. A quel point la ville sera-t-elle détruite ? Et le reste du monde ? Combien de temps (et donc d'épisodes) faudra-t-il pour que Los Angeles soit reconstruite ? Une véritable négociation s'engage avec les dirigeants de la chaîne ABC, car le budget pourrait rapidement explosé... Six studios d'effets visuels se partagent la création des 150 plans truqués du pilote. Puis une douzaine d'autres sociétés sont appelées à travailler sur le reste de la saison, dont Eden FX, Blackpool, Cosa Visual Effects, Seven Crows VFX, Fugitive Studios, Kaia Inc., Race Rocks Digital, Fuzzy Logic Prods., Himani Prods., MatherArt, The senate, BranitVFX, Atomic Age Dog Prods., Roto Queen et Red Earth VFX. Mais ce sont surtout les artistes du studio Zoic qui se partagent le plus gros du travail : ils s'occupent de 40% des plans à effets spéciaux du pilote, dont l'intégralité de la scène de destruction sur l'autoroute de Los Angeles. Cela comprend une série de matte paintings numériques, le crash d'un hélicoptère 3D, une voiture 3D chutant d'une autoroute et le compositing de nombreux feux, fumées et débris au sein des plans. Ce n'est pas la première fois que nous parlons des studios Zoic, la société ayant connue un développement exponentiel ces dernières années. Du remake de V à Fringe en passant True Blood, Firefly, Terminator : The Sarah Connor Chronicles et Human Target, la majorité des grandes séries fantastiques contemporaines passent désormais entre leurs mains expertes ! « Nous sommes reconnaissants d'être en mesure de participer à une telle liste de projets créatifs », se félicite Andrew Orloff, le directeur créatif du studio. « Nous sommes également très heureux d'avoir reçu une nomination aux Visual Effects Society Awards pour notre travail sur la scène de la dévastation de Los Angeles du pilote de FlashForward ! Sur la soixantaine de plans que nous avons fait, la majorité d'entre-eux concernaient la séquence de l'autoroute, que j'ai moi-même supervisé en collaboration avec Kevin Blank.. Elle a nécessité énormément de travail. Elle était très intense ! Des voitures se rentraient dedans, un hélicoptère s'écrasait contre un immeuble... » La scène a été tournée sur un viaduc de Downtown LA (le quartier d'affaires de Los Angeles), où ont été installées des épaves de voitures. « Nous ne pouvions pas faire fermer l'autoroute qui se trouvait au-dessous : elle était encombrée à toutes heures de la journée ! », précise le superviseur des effets visuels Steve Meyer. « Nous ne pouvions pas non plus installer un écran vert géant (rires) ». Les plans étaient tournés sur le viaduc, mais la circulation dense de la métropole était visible à l'arrière-plan ! « Nous avons donc dû retirer numériquement toutes les voitures en mouvement, et les remplacer par des épaves de véhicules intégralement conçues en images de synthèse », ajoute Andrew Orloff. « J'ai pris des centaines de photos de référence des véritables voitures, sur le viaduc, que nous avons utilisé pour créer les modèles numériques photoréalistes. Puis il a fallu intégré des flammes, de la fumée, des débris et bien sûr des voitures en feu... »

Une séquence époustouflante

Un plan particulièrement impressionnant montre le héros monter sur le toit d'une voiture accidentée et découvrir un paysage urbain totalement dévasté. « Nous avons engagé le matte painter Roger Kupelian (2012, Alice in Wonderland) pour qu'il nous fasse une sorte de « feuille de route » du plan », précise Steve Meyer. « Il a pris des photographies à partir du viaduc autoroutier et les a envoyé au superviseur des effets visuels Kevin Blank avec de nombreuses annotations. Il faut mettre de la fumée ici, l'hélicoptère doit s'écraser à cet endroit, un feu doit se propager près de tel camion, ces arbres-là doivent bruler, etc... Cela nous a permis d'avoir à notre disposition une sorte de modèle de référence. Roger Kupelian nous a envoyé tous les fichiers, et si besoin, nous utilisions parfois ces indications... Mais le pire était à venir, puisque nous avions tourné la séquence avec une steadycam (système stabilisateur permettant la prise de vue à la volée)... C'était parfait pour offrir un style « documentaire pris sur le vif » à la série. Mais l'image en mouvement tressaute, ce qui signifie toujours une tonne de rotoscoping ! Nous ne bénéficiions pas des avantages d'un fond vert, qui permet de détourer facilement les éléments. Nous avons dû découper image par image tout ce qui était au premier plan ! Une équipe de sept ou huit personnes s'est occupée de cette tâche durant de nombreuses semaines ; c'était un travail particulièrement fastidieux... Mais nécessaire pour le compositing, processus qui permet de combiner tous les éléments au sein d'une image. D'un plan à l'autre, il fallait faire correspondre la fumée, le feu, les débris, les gens et de nombreuses autres choses. En outre, nous avons travaillé à partir de différents formats d'enregistrement : pellicules, vidéos, enregistrements numériques... Il fallait mélanger tous ces formats et obtenir un environnement unique, sans que le téléspectateur soit en mesure de détecter les différences. Les mouvements de caméra de tous les plans ont été récupérés grâce au logiciel SynthEyes d'Andersson Technologies, qui permet d'exporter le résultat du tracking vers de multiples applications 3D et 2D. Nos équipes ont ainsi pu récréer un environnement 3D de la scène. Cette information 3D a ensuite été exportée dans le logiciel de compositing Adobe After Effects ». Le pipeline logiciel des studios Zoic est constitué de Lightwave (modélisation), Maya (animation) et Mental Ray (rendu). Les bâtiments partiellement détruits prennent vie grâce à un matte painting géant. « C'était l'unique moyen d'obtenir l'aspect photoréaliste dont nous avions besoin sur une telle échelle. L'arrière-plan contient de très nombreux détails. Vous pouvez scruter le plan une dizaine de fois d'affilée et continuer pourtant à découvrir de nouvelles choses ! Pour le crash de l'hélicoptère dans un gratte-ciel, nous avons embauché des animateurs de talent, qui sont des spécialistes de ce genre de scènes ! » Si cette séquence a nécessité la confection de trucages d'une ampleur inédite pour une production télévisée, elle a sans aucun doute suscité l'intérêt des téléspectateurs...

Voyages

Si le pilote de FlashForward est particulièrement spectaculaire, un certain nombre des épisodes suivants contiennent eux-aussi des scènes à grand spectacle. « L'un de mes plans préférés de cette première saison est celui qui ouvre le second épisode », avoue le superviseur des effets visuels Kevin Blank. « La Terre est d'abord vue de l'espace. On zoome jusqu'aux nuages, puis il y a une transition sur un groupe d'hélicoptères. Le zoom continue jusqu'à une prise de vue réelle de l'un de nos comédiens ! Du grand art (rires) ! Plus tard, pour le troisième épisode, nous avons intégré une prison virtuelle au sein de la ville de Munich, avant de recréer la Somalie grâce à quelques photographies et de véritables environnements virtuels. Au cours du quatrième épisode, il y a un accident de bus. Au début du plan, il s'agit d'un véritable véhicule, qui est ensuite remplacé par un modèle numérique. Nous avons ajouté des particules d'eau, ainsi que de la fumée et des débris ». Pour créer cette scène, les artistes de la société d'effets visuels Eden FX (Spider-Man 3) ont principalement utilisés les logiciels LightWave, pour la modélisation, l'animation et le rendu, et Fusion pour le compositing. « Le cinquième épisode nous a permis de modifier les paysages de Washington, D.C. Nous y avons envoyé un directeur de la photographie, qui nous a transmis des photos de référence ainsi que des images très spécifiques prises par une caméra numérique RED et un appareil Canon 5D Mark II. Honnêtement, je crois bien que ce que je préfère dans mon travail consiste à transformer Los Angeles en n'importe quel autre endroit du monde (rires) ! Pour de récents épisodes, nous avons même recréé Tokyo et Hong Kong ! Il suffit qu'on nous transmette de bonnes images de chaque endroit ; la magie du numérique – et le talent de mes équipes - fait le reste ! » FlashForward nous fait ainsi autant voyager sur Terre que dans le futur. Malgré ses défauts structurels, il est dommage que cette brève histoire du temps s'arrête au bout d'une unique saison...

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