LA SAGA RAY HARRYHAUSEN : À des Millions de Kilomètres de la Terre
Article Cinéma du Lundi 16 Octobre 2023

Par Pascal Pinteau

À des Millions de Kilomètres de la Terre ( 20 Millions Miles From Earth) USA 1957 Réalisation: Nathan Juran. Scénario : Robert Creighton Williams et Christopher Knopf d’après une histoire de Ray Harryhausen. Production : Charles H. Schneer. Effets visuels : Ray Harryhausen. Musique : Misha Bakaleinikoff. Avec : William Hopper, Joan Taylor et Frank Puglia. Noir et Blanc. Distribution : Columbia. Durée : 1h22.

L’histoire : Une fusée américaine de retour de Venus s’écrase en Sicile. Des pêcheurs secourent deux survivants, dont le commandant de la mission, le Colonel Calder. Il est soigné à l’hôpital par Marisa, fille du Docteur Leonardo, un éminent zoologue. Pendant ce temps, un enfant dérobe aux pêcheurs un cylindre trouvé dans la fusée. Il contient une masse gélatineuse que le gamin apporte à Leonardo. C’est un œuf dont s’extrait une petite créature à l’allure de dragon sans ailes. Enfermée dans une cage, elle grandit vite et s’échappe. La bête vénusienne est capturée par l’armée, amenée à Rome pour y être examinée, mais elle s’évade encore et sème la panique…

Retour aux créatures imaginaires

Pendant l’animation des plans de machines volantes et d’effondrements de bâtiments réalisés pour LES SOUCOUPES VOLANTES ATTAQUENT, Ray s’est juré de dédier son projet suivant à une créature. Il se rappelle d’un projet d’histoire avec un Ymir, géant du folklore scandinave. Il en fait un cyclope, figure plus connue de la mythologie, et ajoute une touche de science-fiction en imaginant qu’il est ramené d’un autre monde par un équipage américain dont la fusée s’écrase dans le lac Michigan, près de Chicago. Le Cyclope est récupéré dans l’épave et placé en captivité dans le zoo de la ville. Il s’évade, se bat contre un éléphant, et l’armée utilise une bombe pour le tuer. Dans ses dessins préparatoires, le corps du cyclope devient celui d’un satyre, avec des pattes et sabots de bouc. Et comme Ray brûle de visiter l’Europe sans avoir les moyens de le faire, il situe l’action en Italie, d’abord en Sicile pour le crash de la fusée dans l’océan, puis à Rome, où le cyclope/satyre jouera les touristes autour des monuments les plus fameux. Il remet son synopsis à Charles Schneer, qui le fait développer par les scénaristes Bob Williams et Chris Knopt, sous l’égide de Morningside Productions, la société qu’il a fondée pour avoir plus de poids dans ses négociations avec la Columbia. Ray n’est pas crédité pour son histoire, mais n’y accorde guère d’importance, trop heureux de pouvoir voyager en Europe. (Il dira plus tard « La modestie est un gros mot à Hollywood », puisque le paraître y est aussi important que les vrais accomplissements.) Le film est intitulé 20 MILLIONS MILES TO EARTH, pour souligner que l’Ymir vient de Vénus. Avant que Ray ne parte effectuer les repérages en Italie, Schneer lui dit vouloir tourner le film en couleurs pour restituer la beauté des paysages méditerranéens. Ray l’en dissuade, car Kodak vient de produire une nouvelle pellicule noir et blanc d’une telle finesse de grain que l’on remarquera à peine la différence entre une prise de vue originale et les images rétroprojetées autour de la créature. Schneer se laisse convaincre, mais Ray sait qu’il devra affronter les problèmes techniques liés à un tournage en couleurs dès leur prochaine collaboration.

Un voyage fascinant

Pendant deux semaines, Ray explore l’Italie avec ravissement. Cette passion des voyages ne le quittera plus. Comme il s’y attendait, Rome offre d’autant plus de possibilités que peu de films américains y ont été tournés. Le Colisée, le Forum romain, le Temple de Saturne et les rives du Tibre vont être des décors parfaits pour l’escapade de la créature, et l’extérieur de la galerie Borghese sera le site du combat avec l’éléphant. Revenu à Los Angeles, Ray change le design de l’Ymir qui devient une sorte de dinosaure doté de bras et de traits humanoïdes, pour susciter plus d’empathie. Une seule marionnette complètement articulée de l’Ymir est construite, toujours avec l’aide paternelle pour la fabrication de l’armature, puis en formant les masses musculaires avec de la mousse. La peau en latex est issue de moule de la sculpture réalisée par Ray. Il façonne aussi l’éléphant après en avoir observé un au zoo, puis remet le moule de son modelage et l’armature à George Lofgren afin qu’il gère l’assemblage des volumes internes et le collage de la peau. Ray a besoin d’une version plus petite de l’Ymir pour l’insérer dans les plans larges du Colisée. Il la fabrique avec des articulations simplifiées, et prépare aussi un tirage en caoutchouc de la marionnette principale, que l’acteur jouant Leonardo saisira pour donner l’impression de déposer le bébé Ymir dans une cage. Un long gant en latex représentant la patte et l’avant-bras de l’animal ayant grandi servira à tourner le moment où il happe le bras de Marisa au travers des barreaux. Le 21 septembre 1956, Ray et Schneer se rendent en Italie avec William Hopper, l’acteur principal du film, et Larry Buttler, chef du département des effets visuels de la Columbia. Ils emportent avec eux deux caméras, et engagent une équipe locale pour tourner les descriptions des panoramas et les fonds d’images destinés aux trucages. C’est le bourg de Sperlonga situé sur la côte italienne qui va représenter le village des pêcheurs siciliens. A Rome, des doublures des acteurs sont filmées de loin et l’équipe réalise des prises de vues des mêmes lieux pour les utiliser en transparence à Los Angeles, dans les plans moyens et serrés des comédiens sensés se dérouler en Italie.

Un réalisateur plein de ressources

Revenu en Californie, Schneer confie la réalisation du film à Nathan Juran, directeur artistique récompensé par un Oscar pour son travail sur les décors du classique de John Ford QU’ELLE ETAIT VERTE MA VALLEE. Grâce à sa formation, Juran comprend ce dont Ray a besoin pour animer ses effets. Sa maîtrise de la conception visuelle lui permet de diriger efficacement les équipes et les comédiens, car il sait ce qu’il veut et comment l’obtenir en respectant les contraintes budgétaires. Des qualités qui lui vaudront de collaborer trois fois avec Morningside productions. Pendant que Juran dirige les scènes dramatiques avec les acteurs, Ray prépare l’animation de la naissance de l’Ymir. Il fabrique un petit modèle de la créature, le place dans un moule et y coule un mélange d’eau chaude et de gélatine blanche. Il obtient un bloc translucide et le coupe peu à peu pour animer le bébé Ymir qui s’en extirpe. Dans les scènes suivantes, il montre la bête injustement attaquée en raison de son aspect. Un fermier la blesse à coup de fourche sous les yeux du Colonel Calder et des policiers arrivés sur place. Ray anime une marionnette du fermier quand l’Ymir se défend, tandis que Calder (en rétroprojection) frappe le dos de la bête avec une pelle. Des interactions convaincantes, tout comme celle de la capture de l’animal au filet par les militaires.

Un final à la KING KONG

Ray se surpasse en animant le combat entre l’Ymir et l’éléphant. Il a donné une taille colossale au pachyderme, si on la compare à celle des passants terrifiés qui courent en tous sens. Après avoir vaincu son adversaire, l’Ymir se réfugie au sommet du Colisée, comme un certain gorille attiré par les plus hauts gratte-ciels de New York, et y subit lui aussi un mitraillage en règle qui provoque sa chute et son trépas. Quand le film sort en salles en juin 1957, le service publicitaire de la Columbia retient le terme Dynamation suggéré par Ray pour décrire ses trucages, et le transforme en « Electrolitic Dynamation » pour frapper les esprits ! Le film est un succès. Les critiques saluent les scènes avec l’Ymir, sans noter qu’il est persécuté, ce que Ray regrette. Il décide que son projet suivant se déroulera dans un lointain passé imprégné de romantisme et de magie.

La suite de la Saga Ray Harryhausen arrivera bientôt sur ESI ! Bookmark and Share


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