Georges Méliès : Créer des mondes toutes pièces (Costumes, Décors, Couleurs)
Article 100% SFX du Samedi 16 Octobre 2010

Très vite Méliès, l’homme de scène, a décidé de ne plus se contenter de simples vues de gens qui marchent ou bougent devant la caméra, avec une dramatisation pauvre. Il crée rapidement de petites fictions avec ou sans effets spéciaux. Mais l’imagination débordante de Méliès ne pouvait se contenter de représenter des personnages et des lieux de son temps. C’est ainsi qu’il se lance dans une production à grande échelle de décors et de costumes.

Par Antoine DUCLAUD-LACOSTE

Les costumes

Issus de l'univers de la prestidigitation et de la scène, Méliès le fantaisiste a toujours accordé une grande importance aux costumes. Comme les décors, le nombre de costumes que Méliès utilise s'accroît de façon exponentielle, ses magasins de costumes sont sans cesse agrandis. Méliès dit lui même qu'avec plus de 10 000 costumes il doit encore parfois faire appel aux costumiers pour compléter les cortèges et les grand ensembles. Dans ses magasins a costumes, Méliès dispose de costumes de toutes les époques et de toutes les nationalités. Mais aussi tous les accessoires allant avec les costumes, perruques, bijoux, armes, chaussures, chapeaux... Comme les décors, les costumes et les accessoires sont coloriés en teintes de gris : "Les accessoires sont fabriqués en bois, toile, carton, pâtisserie, carton moulé, en terre modelée; ou empruntés aux objets usuels; mais, si l'on veut obtenir un bon résultat photographique, le mieux est de n'employer, même pour les chaises, cheminées, tables, tapis, meubles, candélabres, pendules, etc; que des objets fabriqués spécialement, et peint également dans diverses tonalités de gris, gradués avec soin suivant la nature de l'objet. Les films ou pellicules cinématographique importantes étaient souvent coloriés à la main avant de les projeter, il serait impossible de colorier des objets réels photographiés, lesquels si ils sont en bronze, en acajou, en étoffe rouge, jaune ou verte, deviendraient d'un noir intense, sans transparence par conséquent, et sur lequel il serait impossible de donner le ton réel translucide nécessaire a la projection." Malgré ces explications on sait, grâce a certains costumes qui ont survécus jusqu'à nos jours que tous les costumes des films de Méliès n'étaient pas en noir et blanc, ainsi la robe du savant qu'il incarne dans le voyage dans la lune est extrêmement colorée. Il utilisait déjà cette robe au théâtre Robert-Houdin.

On sait également que Méliès commandait la fabrication de certains costumes. Les costumes des sélénites (les extraterrestres agressifs peuplant la lune) furent commandés à Paris et réalisés en carton moulés (une technique proche du papier mâché qui utilisait des formes en bois pour mouler une pièce de costume). Méliès emploie bien sûr des costumières, couturières et autres ouvrières pour effectuer la fabrication, la maintenance et la réparation de son stock de costumes. Il est à noter que Méliès réutilise souvent certains accessoires et costumes ce qui a permis plusieurs fois à des chercheurs d'attribuer la paternité d'un film perdu a Méliès. Ainsi un film retrouvé ne portant aucun signe distinctif (absence du logo star film) a pu être attribué à Méliès, son titre : la douche d'eau bouillante ; Madeleine Malthète-Méliès (la petite fille du cinéaste) a pu prouver que le film était de Méliès grâce à une armoire spécifique qu'on retrouve dans d'autres films.

Les Décors

Méliès a très peu travaillé en décors naturels. Il a commencé par cette voie au début comme tous les autres, tournant des scènes de la vie de tous les jours (place de l'opéra, port du Havre...), puis a rapidement commencé a tourner des fictions, auxquelles il a ajouté des décors peints à la main, en extérieur d’abord, retenus par des câbles, puis rapidement dans son premier studio de montreuil. Les décors sont d'abord conçus à l'état de croquis par Méliès, puis une maquette est produite dans le cas de décors plus complexes (comme le géant dans A la conquête du pôle ). Ils sont ensuite construits en menuiserie et en toile dans l'atelier se trouvant à coté du studio. Les décors sont peints exclusivement en noir et blanc, en passant par toute la gamme des gris; en effet la couleur passait très mal à l'image, le bleu devient blanc, les rouges, jaunes et verts deviennent noirs. La peinture est extrêmement soignée, bien plus que celle d'un théâtre, le trompe l'œil doit être parfait du point de vue de la caméra afin d'abuser le spectateur. On apprécie la finesse du décor dans certains films de Méliès comme dans l'affaire Dreyfus ou Sur les toits (1897).



Les décors de Méliès étaient généralement fixes, servant de toile de fond aux acteurs, mais il arrivait souvent que ses décors soient animés on peut définir 3 types de mouvement dans ses décors :

-déroulants horizontaux et verticaux

Le décor était peint sur de très longues toiles de la largeur de la scène à tourner et enroulé sur un dérouleur, puis pendant la scène la toile était déroulée par le machiniste pour donner l'illusion du mouvement. On pouvait utiliser cet effet pour donner l'impression d'un déplacement horizontal, comme dans la Fée Carabosse où la méchante fée à la poursuite du prince chevauche son balais dans la nuit, passant devant étoiles, lune et éclairs déchaînés. Les déroulants verticaux quant à eux servaient à des mouvements ascendants ou descendants, comme des chutes de personnages ou des vols (de montgolfières, de personnages...). Il existe un croquis de Méliès nous montrant une idée de déroulant infini, mais on ne sait pas si ce principe a été utilisé par lui dans un de ses films.

-faux travelling avant

Le faux travelling avant est un mouvement de décors qui remplace un mouvement de caméra. Ce procédé très théâtral consiste à écarter vers l'extérieur du cadre les décors placés en avant plan pour découvrir l'arrière plan dissimulé, donnant ainsi l'impression de rentrer dans le décor, on retrouve cette technique dans plusieurs films comme le voyage dans la lune ou la sirène.Ce principe de faire bouger les décors pour donner une impression de mouvement se retrouve sous d'autres formes, dans le voyage dans la lune , les scientifiques assistent à leur premier levé de terre, dans le fond de l'espace la terre se lève puis l'horizon lunaire se baisse afin de donner l'impression que la terre se lève encore plus haut.

-mouvements de machinerie

Beaucoup des décors de Méliès étaient mouvants. Qu'il s'agisse de moyens de transports (trains, voitures, carrosses, ballons...) ou de monstres comme le géant de la conquête du pôle, tous étaient mis en mouvements par les machinistes, de façon très ingénieuse. Dans les 400 farces du diable le carrosse tiré par un cheval squelette est animé par 6 machinistes ! 5 d'entre eux au dessus de la scène animent le cheval par l'intermédiaire de câbles fins et peints en noir, le premier animé les deux jambes avant, le deuxième se charge de la tête du cheval, le troisième du dos (un point d'ancrage au garrot et un sur la croupe) le quatrième la queue du cheval, le cinquième quant à lui a la charge des deux jambes arrière du coursier fantôme, le dernier machiniste en coulisse gère l'inclinaison du carrosse par l'intermédiaire d'un treuil de poulies et de système de leviers cachés sous le plancher de la scène. Là encore un grand déroulant horizontal représentant des nuages est utilisé pour représenter la folle chevauchée du carrosse diabolique. Le géant du pôle est lui aussi manipulé adroitement par une armée de machinistes grâce à des leviers, poulies, treuils, contrepoids et autres systèmes cachés, le croquis de préparation nous montre un géant bien plus grand et plus complexe à manipuler que celui qui sera finalement fabriqué, il reste néanmoins impressionnant. Il est à noter qu'à la création du studio les treuils étaient fixés hors du studio (car ce dernier était trop petit) ils furent ensuite intégrés à l'édifice lors de ses divers agrandissements.

Pour les plans larges de véhicules Méliès utilise beaucoup de maquettes, souvent des maquettes en deux dimensions, mais parfois aussi des maquettes en trois dimensions (comme l'aéronef utilisés par les scientifiques dans à la conquête du pôle ). Dans le tunnel sous la manche, ou le cauchemar franco-anglais le train qui passe dans le tunnel est un train en deux dimensions, du bois peint, agrémenté de pièces mobiles (le système d'entraînement des roues de la locomotive seulement), derrière la maquette on trouve un petit chariot monté sur rails qui permettait au train d'avancer. Plus tard dans le film on aperçoit une vue de mer, les vagues bougent et des bateaux croisent au large. Les vagues sont en fait des bandes de cartons peintes et découpées puis fixées sur de long tubes horizontaux, chaque tube possède 4 à 6 bandes de vagues, ils sont ensuite mis en rotation par les machinistes pour donner l'impression de roulement de la mer, derrière les tubes les voiliers dessinés sur carton découpés et fixés sur un rail sont mis en mouvement par dessous par les machinistes. Un des stratagèmes utilisés par Méliès pour donner l'illusion de filmer sous l'eau est de filmer à travers un aquarium. Dans la sirène (1904) Méliès place sa caméra à 1m50 d'un aquarium haut et large mais peu profond, rempli de poissons ainsi que de quelques plantes aquatiques. Il place derrière l'aquarium son personnage (la sirène) puis 2 rangées de tulles légères qui en ondulant déforment légèrement la toile de fond du décor représentant un fond marin.

La couleur des films Méliès

Depuis l'invention de la photographie et du cinématographe les réalisateurs ont cherché à obtenir de la couleur pour renforcer le réalisme. Ils ont donc «simplement» fait peindre les films à la main. Soit directement au pinceau soit par l'utilisation de pochoir. La colorisation à la main était réalisée dans des ateliers indépendants (Méliès passait par les ateliers de Madame Tuilier) par plus de deux cents jeunes filles (certaines, comme Madame Bergé qui a bien plus tard reçu la médaille Méliès, ont commencé à l'age de 11 ans). Ce furent d'abord des miniaturistes et des correctrices de photographies; ayant une bonne vue et des doigts agiles. Chaque ouvrière travaillait sur un poste équipé d'une loupe, ou la pellicule défilait sur des galets, éclairée par en-dessous. Chaque ouvrière s'occupait d'une couleur a la fois, il pouvait y avoir jusqu'à sept couleurs sur un même film. Pour coloriser le film on utilisait de l'aniline diluée dans l'eau et l'alcool.

La deuxième méthode nécessitait un investissement initial bien plus lourd mais accélérait fortement le travail par la suite. Cette méthode est la colorisation au pochoir. Sur une copie de film l'élément à coloriser était minutieusement découpé, on recommençait l'opération autant de fois qu'on voulait de couleurs différentes. Une épreuve était donc sacrifiée par couleur, ensuite a l'aide d'un tampon on pouvait coloriser la pellicule grâce au pochoir, photogramme par photogramme. Par la suite Pathé développa une machine à coloriser, puis les films ne furent plus peints à la main et il n'y eu plus que des virages et des teintages. [Procédés qui consistent à plonger le positif dans un bain coloré : la couleur se dépose alors sur l’image en fonction de l’intensité de blanc ou de noir : l’image obtenue est donc une image en Noir et Blanc recouverte d’1 dégradé d’une ou deux couleurs(rouge, jaune ou bleue), la couleur recouvrant les parties blanches ou noires de l’image d’origine]

La plupart des films du catalogue de la star film, la société de production de Georges Méliès étaient disponibles en version normale (noir et blanc) à 1,40 Franc (5 €) le mètre, soit 28 Francs (101 €) les 20 mètres (qui durent une minute), la pellicule vierge (négative ou positive) valait 50 centimes (1,80 €) le mètre soit 10 francs (36 €) les 20 mètres, le salaire d'un ouvrier à l'époque étant de 1 à 2 francs par jour (3,60 € à 7,21 €); l'achat d'une minute de film revenait donc à presque un mois de salaire. Le coloriage des films était facturé en supplément, entre 1 Franc et 1,75 Franc le mètre (entre 3,60 € et 6,31 €) .Les conversions en euros sont obtenues à partir des chiffres de l’INSEE/

Attention, le son du commentaire est décalé (en avance) par rapport à l’image.



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