Georges Méliès : De la magie de scène à la magie sur grand écran – Première partie
Article 100% SFX du Jeudi 25 Octobre 2012

En 1896, quand Méliès met au point ses trucages, il ne dispose que d’une caméra. Il s’écoulera plus d’un siècle avant que les environnements totalement numériques d’Avatar déferlent sur les écrans du monde entier en 2009. Aussi, à une époque où l’ordinateur n’est même pas un rêve, comment représenter des illusions sur un écran de cinéma ? Méliès, comme on va le voir, puise dans son expérience de magicien, et dans des livres traitant des trucages photographiques. Mais la spécificité du cinéma, en cette fin XIXème siècle, appelle des effets spéciaux de plus en plus élaborés.

Par Antoine DUCLAUD-LACOSTE

La Prestidigitation

En 1894 le jeune Georges Méliès est envoyé à Londres pour y apprendre l'anglais et travailler dans un magasin de chaussures, le soir il fréquentera les théâtres londoniens et assistera aux spectacles de magiciens mythiques tels Maskelyne ou Cooke. Pris de passion pour l'art magique il prendra des cours et apprendra la prestidigitation. De retour à Paris, il achètera le théâtre Robert-Houdin pour la coquette somme de 35 000 francs. On peut d'ailleurs parfois apercevoir un buste de Robert-Houdin dans certains films de Méliès, comme dans hydrothérapie fantastique(1909). Méliès utilise très peu souvent la prestidigitation, car il peut remplacer bon nombre de trucages et de manipulations "physiques" par des trucages cinématographiques. De la sorte il préférera toujours, pour faire disparaître une femme par exemple, un arrêt de caméra a un trucage plus complexe de magicien de scène.
De sa pratique de la prestidigitation il gardera les thèmes :
-sorciers avec chapeau et barbe comme dans le voyage dans la lune
-vieux magicien chinois le thaumaturge chinois(1904)
-Le diable; Méphistophélès le diable au couvent, le chaudron infernal, le cake-walk infernal, les 400 farces du diable...
Il gardera également les principaux effets magiques :
-Disparitions
-Apparitions
-Transpositions
-Transformations
-Lévitations
Un de ses premiers films à truc sera l'escamotage d'une dame chez Robert-Houdin, reprenant grâce aux trucages cinématographiques un de ses tour de scène, le rendant plus rapide et plus percutant au yeux du public de l'époque. De sa pratique au théâtre Robert-Houdin il gardera ses connaissances en mécanique sur la machinerie théâtrale, les trappes, filins et autres treuils. Mais aussi et surtout le plus important et le moins visible, la rigueur, la classe, le timing, la précision et la répétition inlassable du travail, car Méliès ne filmait qu'un jour sur deux, répétant les scènes de ses films avec tous ses comédiens et figurants l'autre jour.

Un des rares films ou Méliès utilise des techniques de prestidigitation est le fakir de Singapour ou il présente une manipulation de boules. Dans les cartes vivantes il présente le tour des cartes grandissantes, les mouvements et la routine sont exactement les mêmes qu'en conditions réelles mais cette fois il utilise le truc par substitution pour augmenter la taille des cartes.


Georges Méliès - Le Fakir de Singapour -
envoyé par Fred-El-Nino. - Regardez des web séries et des films.


Pyrotechnie et Fumigènes

A l'écran comme sur scène Méliès utilise des effets pyrotechniques. L'effet pyrotechnique sert à appuyer un autre effet (disparition ou apparition par exemple), à le rendre plus fort ou plus crédible; il est très rare qu'un effet pyrotechnique soit employé seul. On sait que Méliès se fournissait en matériel pyrotechnique chez l'artificier Ruggieri, une très grande famille d'artificier opérant déjà sous le règne de louis XIV et continuant encore de nos jours a organiser de sublimes feux d'artifices (comme l'inauguration de plus de 300 km de voie de TGV avec un feu d'artifice tout le long de la voie en 3 minutes 30 ). Méliès utilisait surtout de petites explosions libérant une grande quantité de fumée; ainsi que des effets de flammes.

Il existe des centaines de recettes pour confectionner un fumigène mais en général on utilise un oxydant (Le chlorate de potassium KClO3 par exemple) un combustible (souvent le sucre) et éventuellement un modérant (bicarbonate de soude) pour éviter que le produit ne devienne trop chaud. On peux ainsi mélanger 60% de KNO3 (nitrate de potassium) a 40% de sucre, en les cuisant ensemble pour obtenir une pâte couleur caramel ou en laissant les deux composants en poudre, le tout s'allume grâce à une mèche et dégage un bon volume de fumée. Il est à noter que la version utilisant les deux composants en poudre dégage plus de fumée mais est plus instable et peut exploser.

Mais il est peu probable que Méliès utilisait ce système pour les petits nuages de fumée. Il utilisait sûrement ce que les magiciens appellent un flash-pot, un petit pot métallique muni d'un système électrique de mise a feu (le glo-plug, semblable à une résistance chauffante très rapide). Facilement dissimulable sous ou sur la scène. Dans le flash-pot il utilisait sûrement une poudre flash, poudre qui s'enflamme instantanément avec une petite flamme et un nuage de fumée.

Quelques compositions de poudre flash :
70% Perchlorate de Potassium + 30% Poudre d'Aluminium Cette poudre étant une des plus simples et des moins dangereuses à produire et utiliser. Les suivantes sont des recettes plus anciennes, l'addition de souffre rend la mixture beaucoup plus instable et sensible a la chaleur, la friction ou l'électricité statique. De plus une combustion spontanée peut avoir lieu à cause de la décomposition du souffre en acide.
50% Nitrate de Potassium + 50% Poudre de Magnésium
68% Nitrate de Barium + 23% Poudre d'Aluminium + 9% Souffre
50% Nitrate de Strontium + 50% Poudre de Magnésium
50% Nitrate de Barium + 50% Poudre de Magnésium


Dans le voyage dans la lune chaque fois qu'un Sélénite se fait frapper par un des savants grâce à son parapluie il explose dans un petit nuage de fumée. Ici le nuage de fumée vient souligner et compléter la disparition du sélénite par arrêt de caméra (truc par substitution).

Le truc par substitution

Ce trucage, selon la légende, aurait été découvert par hasard par Méliès alors qu'il filmait une scène de la vie de tous les jours à Paris. Comme nous l'avons vu, dans un précédent article, la caméra de Méliès était un modèle mécanique simple mais fragile, les problèmes étaient fréquents. Un jour, alors que Méliès filmait Place de l'Opéra, cette dernière se serait bloquée en pleine prise de vue. Une fois la pellicule débloquée, il aurait continué à filmer. C'est à la projection, après le développement de la pellicule, qu'il aurait alors vu l'omnibus Madeleine-Bastille se transformer en corbillard et des femmes se transformer en hommes.

Le principe de ce trucage est extrêmement simple, il suffit d'interrompre la prise de vue puis sans changer de cadre de la reprendre après avoir modifié un ou plusieurs éléments du décor, on obtient alors un "saut" dans la vue faisant disparaître, apparaître ou transformant un élément. On peut également obtenir ce même effet par montage en coupant une portion du plan. C'est d'ailleurs par le montage que Méliès réalisait ses trucs par substitution, les coupes étant bien plus précises et le raccord plus fluide. Le raccord se fait toujours dans le mouvement, quand Méliès fait disparaître une chaise par exemple il effectuera la coupe dans la pellicule ,afin de produire la disparition, dans le mouvement de son bras effectuant le geste magique, ceci afin de rendre le trucage le plus invisible et fluide aux yeux du public. Comme tout trucage l'intérêt n'est pas le truc en lui même mais la façon de le présenter (la mise en scène le décor, l'intégration dans l'histoire) ainsi que la maîtrise technique qui sert à le réaliser.

Après cette découverte, l'œuvre de Méliès va subitement se transformer, passant des vues de plein air à la lumière à des vues à transformation, comme le passage d'une période réaliste à une autre plus théâtrale. On retrouve beaucoup ce truc dans les films de Méliès, en voici quelques exemples :
-Changement rapide de décor : dans La sirène (1904) Méliès, incarnant un pécheur, transforme un aquarium posé au centre de la scène en un décor aquatique par un mouvement de bras "magique".
-Apparition, disparition, transformation : Dans le film le plus connu de Méliès Le voyage dans la lune (1902) quand les explorateurs débarqués sur la lune se battent contre leurs habitants, les sélénites, un simple coup de parapluie les fait exploser (transformation de l'acteur costumé en une nuage de fumée). L'alunissage de l'obus dans l'œil de la lune utilise également ce truc en 3 étapes. La lune, petite et dessinée arrive vers la caméra, première coupure, la lune a une tête humaine, deuxième coupure, un obus apparaît dans son oeil, la lune grimace.
-Changement rapide des costumes : dans Les transmutations imperceptibles (1904) une jeune femme montée sur une table voit ses habits simples transformés en un magnifique costume de princesse renaissance au moment ou son pied touche le sol.


Le Cake-Walk Infernal - Georges Méliès & Instant Jazz 5tet
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