Entretien exclusif avec Mike Newell, cinquième partie - Derrière la caméra de Prince of Persia
Article Cinéma du Mercredi 27 Octobre 2010

Retrouvez la précédente partie de cet entretien


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment vous a t’on proposé ce projet ?

C’est Jerry Bruckheimer qui m’a contacté et fait lire le script, qui avait été développé pendant trois à quatre ans. Je pense qu’il l’a fait lire à plusieurs réalisateurs en attendant de trouver celui qui serait enthousiaste et qui dirait « Oui, je crois que je vois bien comment je réaliserais ce film ! » et ce quelqu’un a été moi. Par la suite, j’ai proposé mes idées, et elles ont été incorporées dans le script au cours d’une douzaine de révisions successives. C’est ainsi que j’ai pu faire passer ma vision du projet sur la page blanche, et cela a eu des conséquences aussi dans le domaine de la conception des effets visuels. Tout ce processus, c’est comme une sorte de chaudron géant de créativité, dans lequel vous jetez tour à tour tous les ingrédients, tout en touillant pour que la mixture finale soit bonne.

En dehors de la contribution de Jordan Mechner au scénario, avez-vous avez testé votre adaptation de Prince of Persia auprès de gens qui ont l’habitude de jouer aux jeux vidéo, afin de connaître leurs réactions ?

Je suis père de deux adolescents, et ils sont venus sur le tournage du film au Maroc, puis dans les studios de Pinewood. Ils ont vu des scènes entières et je peux vous assurer que j’écoutais très attentivement leurs réactions. Nous avons fait aussi des projections-tests du film inachevé il y a trois mois, pour les distributeurs de Disney en Europe, et là encore, j’ai écouté leurs réactions. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les opinions des gens qui font partie de la production, comme Jerry Bruckheimer ou les cadres de Disney, ne peuvent pas vous aider, parce qu’ils connaissent beaucoup trop les éléments du film. Ils n’ont pas un regard neuf, comme celui des futurs spectateurs. C’est la raison pour laquelle je préfère écouter ce que disent les gens qui découvrent le film.

Et qu’avez-vous appris ?

Des petites choses très intéressantes : des éléments de l’histoire qui n’avaient pas été bien compris, des détails qui les avaient déçus, et d’autres remarques judicieuses. Nous en avons tenu compte et les changements appropriés ont été effectués pour corriger tout cela.

Y a t’il une séquence qui a complètement changé à la suite de ces projections-tests ?

Oui : celle du réservoir de sable que vous avez vue ce matin. Au départ, elle était complètement différente, aussi bien dans le script que dans la manière dont nous l’avions tournée initialement. Si vous la voyiez, vous ne la reconnaîtriez pas. Lors de la projection-test, j’ai senti que les gens n’étaient pas vraiment emballés. Je l’ai vu sur leurs visages, qui restaient impassibles et assez indifférents. Ils ne me l’ont pas dit directement, mais j’ai bien senti que cette scène ne fonctionnait pas comme prévu.

Pourriez-vous nous décrire la scène, pour nos lecteurs ?

Volontiers. Il s’agit d’une séquence pendant laquelle le héros et l’héroïne doivent aller d’un point à un autre dans une salle dans laquelle sont entreposées de grandes réserves de sable magique. Disons qu’ils se trouvent au point A et doivent aller au point D, mais qu’il y a des passages dangereux aux points B et C. Dans la version originale de la scène, les personnages avançaient sur d’étroites structures de pierre maintenues par des colonnes. Mais certaines colonnes se mettaient à bouger, à s’enfoncer dans le sol, et à remonter, comme des pistons géants. Il fallait que les héros fassent des acrobaties pour avancer sans se faire écraser contre le plafond, ni tomber dans le vide abyssal. Il y avait aussi une bagarre immédiatement après le passage avec les colonnes. Je trouvais ça assez cool, pour être franc, mais beaucoup de spectateurs ont eu le sentiment qu’ils avaient déjà vu ça auparavant. Comme vous avez pu le constater ce matin, cette séquence a été transformée : le chemin de pierre s’effondre sous les pieds de Dastan , qui est aspiré dans une sorte de siphon de sable et se retrouve entraîné au loin, au long d’une pente vertigineuse qui va le précipiter dans le vide. Mais il s’en rend compte juste à temps et fait un bond qui lui permet d’atteindre l’autre côté du précipice et de se retrouver dans une autre partie de ce dédale. C’est beaucoup plus rapide et original ainsi, je crois. Il y a aussi dans cette scène une allusion au fameux gag de Buster Keaton, dans Le mécano de la générale, où une façade de maison tombe sur lui sans le blesser, car il se tient debout exactement à l’endroit ou s’abat une fenêtre ouverte !

Ce qui nous a frappé dans cette scène, c’est que l’on y retrouve l’immensité des décors qui caractérise les environnements des jeux vidéo. C’était un des défauts des précédentes adaptations : on avait quelquefois l’impression que les films avaient été tournés sur des plateaux minuscules. Et même dans les deux Tomb Raider, qui auraient dû présenter des décors aussi gigantesques que ceux que l’on mettait des heures à explorer dans les jeux, il n’y avait guère qu’une ou deux séquences de ce niveau…

Vous savez, Jerry Bruckheimer est un excellent producteur. Ce qu’il veut faire, c’est entraîner le public, qu’il connaît très bien, exactement là où il a envie d’aller. C’est l’une de ses grandes qualités, en tant que producteur : il sait parfaitement à qui chacun de ses films ou chacune de ses séries télé s’adressent. Dans le cas de Prince of Persia, je me souviens qu’il parlait constamment de l’ampleur du film, et de la taille des décors. Et de temps en temps, il nous disait « Pourriez-vous faire ça en plus grand ? », et nous réfléchissions à la manière de procéder, tandis que d’autres fois, il nous disait « Dans cette scène-là, ce n’est pas utile d’aller aussi dans la démesure. » Souvent, quand nous essayions de lui demander pourquoi, il répondait simplement « Je ne saurais pas dire pourquoi, mais je le sens, c’est tout. » Et ce n’est qu’après y avoir réfléchi de notre côté, plus tard, que nous nous découvrions pourquoi il avait parfaitement raison. Son instinct est quasi-infaillible. Mais tout au long de la préparation et du tournage, il a insisté pour que nous donnions au film tout le faste et l’ampleur nécessaires.

Selon vous, pourquoi le public du 21ème siècle est-il toujours sensible aux contes des 1001 nuits ?

Parce que nous avons tous été « construits » par des histoires, des mythes, des récits religieux, des contes. Ce besoin humain traverse les siècles. Il est universel. En occident, nous connaissons tous le mythe du déluge et l’histoire de l’arche de Noé. Et nous savons comment cette histoire est née et d’où elle vient. Si vous habitez dans un pays situé quelque part entre le Tigre et l’Euphrate, votre plus grande peur doit être de périr noyé pendant les inondations que les crues de ces deux grands fleuves provoquent souvent. De même, si vous vivez dans une contrée désertique comme celle de l’ancienne Perse, en Afghanistan, par exemple, vous craignez les tempêtes de sable, parce qu’elles aveuglent, vous font perdre vos repères et vous mettent en danger de vous égarer au milieu de nulle part, et de mourir de soif. En travaillant sur Prince of Persia, j’ai trouvé qu’il était passionnant de jeter des ponts entre le fantastique et le réel. Je pense que cela doit être mon côté anglais, qui me pousse à vouloir croire en la légende du roi Arthur. J’avais également envie de décrire cette société qui croit au pouvoir de la dague magique, et de montrer comment elle s’est organisée. Quand Dastan s’introduit dans le temple sacré où se trouve la dague, il est victime d’une malédiction, et cela va lui compliquer énormément la vie, même s’il est d’un naturel sceptique et ne croit pas à tout cela. C’est un des autres aspects des contes que nous aimons bien, je crois : quand notre approche rationnelle du monde est défiée par le fantastique. J’y pensais l’autre jour en lisant un article qui disait en substance que plusieurs scinetifiques pensent que le big bang n’a pas pu avoir lieu spontanément, sans qu’il y ait une volonté derrière tout ça. Autrement dit, ces savants sont en train de nous dire qu’ils ont prouvé par A + B l’existence de Dieu ! (rires)

Pourriez-vous nous décrire l’implication que Jordan Mechner a eue dans le film ? Avez-vous eu avec lui les mêmes rapports que ceux que vous avez eus avec J.K. Rowling pendant le tournage de Harry Potter et la coupe de feu ?

En fait, malheureusement, je n’ai pas eu du tout l’occasion de collaborer avec J.K. Rowling, non pas parce que je ne le souhaitais pas, ni parce que c’était une personne difficile, mais parce que son mari était malade pendant cette époque-là. Je l’ai simplement rencontrée une fois pour lui poser quelques questions sur le roman original, puis je suis allé faire le film et je ne l’ai pas revue. Comme vous vous en doutez, j’ai dû couper énormément de passages du roman pour faire un film d’une durée normale, et ce faisant, je m’attendais à ce que J.K. Rowing et son producteur hurlent de rage en voyant toutes ces coupures. Mais en fait, personne n’a protesté et je crois que J.K. a apprécié le film, d’après les échos que j’en ai eu. La situation était complètement différente pour Prince of Persia, car j’ai eu une relation de travail très approfondie et très fructueuse avec Jordan, et j’espère d’ailleurs que nous aurons l’occasion de collaborer à nouveau dans le futur. Quitte à me répéter, je dois dire que j’aime énormément l’imagination de Jordan, et sa passion pour l’histoire et la géographie. Pendant le tournage, si nous lui demandions pourquoi telle ville s’appelait Alamat, il nous disait « Elle existe vraiment, mais pas là où je la situe dans le script. En réalité, elle se trouve à 400 kilomètres de Téhéran. » J’adorais ça !

Avait-il imaginé les scènes d’action du film, dès la première version du script ?

Oui, tout à fait. Il y a eu des modifications entretemps, bien sûr ,mais l’histoire qu’il avait imaginée est restée la même, et beaucoup de scènes qu’il a écrites sont identiques dans le film.

Est-ce que les personnages ont changé au fil des versions du script ?

Au départ, j’avais envie que le personnage de Tamina, que joue Gemma, soit encore une adolescente. Je la voyais comme une jeune fille espiègle de 15/16 ans. Mais compte tenu de l’intrigue amoureuse entre les deux héros, puis de l’attirance sexuelle qui suit, il fallait qu’elle ait 19 ou 20 ans. En fait, Gemma avait 21 ans quand elle a tourné le film. Je crois que c’était son premier travail professionnel important au cinéma, en dehors du James Bond où on la voyait brièvement. Elle venait à peine de sortir de l’école d’arts dramatique. Outre sa fougue naturelle et son énergie, sa personnalité m’a beaucoup plu, comme je vous le disais plus tôt. Mais je dois dire aussi que pendant un moment, j’ai songé à faire un casting à Bombay pour rencontrer les jeunes actrices de Bollywood. Mais j’ai abandonné cette idée pour plusieurs raisons, et notamment parce que la production souhaitait que nous engagions des acteurs anglais, comme je vous le disais précédemment.

Qu’est-ce qui vous a poussé à tourner au Maroc ?

Quand j’ai observé une carte de l’empire Perse tel qu’il existait au 6ème siècle, je me suis rendu compte que l’Afghanistan était la province de l’empire située le plus à l’Est. J’ai trouvé que c’était intéressant, parce que je me suis imaginé la réaction des afghans de l’époque, quant ils allaient jusqu’au sommet des montagnes dans lesquelles Oussama Ben Laden se cache actuellement, et découvraient à l’horizon les plaines fertiles de la vallée de l’Indus, et tout cet environnement verdoyant. Cela devait être une vision incroyable pour tous ces gens qui vivaient dans le désert. Voir toutes ces plantes, ces champs cultivés, et toute cette eau ! Dans une partie du film que vous n’avez pas encore vue, les héros émergent d’une tempête de sable qui les aveugle, et soudain, ils se retrouvent sur une falaise dominant une vallée. Ils découvrent alors, en contrebas, une cité majestueuse, verdoyante, dominée par une énorme tour qui ressemble à la tour de Babel. Dans mon esprit, j’ai toujours pensé que cela devait être le Pakistan. Mais pour des raisons évidentes, pour trouver des paysages de ce type dans des endroits sûrs, le Maroc était le meilleur choix et nous avons travaillé dans de très bonnes conditions là-bas, même si la chaleur était souvent accablante.

Le tournage au Maroc par 45 degrés à l’ombre semble avoir été parfois aussi dur que les épreuves d’un jeu vidéo…Est-il exact que vous étiez obligés d’employer plusieurs personnes pour traquer et capturer les scorpions et les serpents sur tout le périmètre du tournage en extérieurs ?

Oui ! Mais, le cinéma, c’est toujours comme ça. On est obligé de faire des choses folles pour arriver à tourner les images qui sont prévues. On peut être amener à reconstituer l’antarctique sur l’île d’Hawaï pour des raisons parfaitement logiques ! De la même manière, ce sont les disponibilités des acteurs, et des raisons budgétaires qui nous ont contraints à tourner le film au Maroc, pendant les mois de juillet et d’août. Si vous consultez les guides touristiques consacrés au Maroc, vous verrez qu’ils vous donnent tous le même conseil : « N’allez surtout pas au Maroc en juillet/août, car c’est la période la plus chaude de l’été, et la chaleur est étouffante » !

Les images du film, qui sont très belles, évoquent les compositions picturales, les clairs-obscurs, et les teintes employées par les peintres orientalistes…

Oui, c’est exactement ce que nous avons voulu faire. D’ailleurs, l’un des moyens que Jerry Bruckheimer a employés pour me convaincre de réaliser ce film a été de m’envoyer un ouvrage consacré aux œuvres de ces artistes en même temps que le script ! Et je dois avouer que je n’avais jamais vu ces peintures auparavant. Sans doute parce que cette forme d’art du 19ème siècle, très classique, n’est pas célébrée aussi souvent que les travaux révolutionnaires des très grands peintres de la même période. On peut dire que les peintres orientalistes sont académiques : ils représentent le réel, mais ils le réinventent aussi à leur manière.Ils font ressortir la beauté des paysages, des architectures et des personnages pour inciter à la rêverie. Je me souviens que j’ai dit à Jerry après avoir découvert ces œuvres magnifiques « Je ne sais pas encore si je ferai le film, mais une chose est sûre : je ne renverrai pas le livre ! Je le garde ! » (rires)

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