Entretien exclusif avec Adrien Brody, à l’occasion de la sortie DVD & Blu-Ray de PREDATORS
Article Cinéma du Mercredi 17 Novembre 2010
Habillé d’une chemise blanche et d’un jean, chaussé de baskets, Adrien Brody, 38 ans, ne ressemble pas à l’image habituelle d’une star hollywoodienne, avec sa fine silhouette et son nez particulier, et c’est précisément ce qui le rend si attachant. Souriant et détendu alors qu’il répond à nos questions, il évoque volontiers sa jeunesse. Fils d’un prof d’histoire et d’une photographe, Brody a d’abord été un passionné de magie à 5 ans – il faisait des tours sous le nom de « L’incroyable Adrien », puis un ado fan de skateboard et de Science Fiction avant de s’intéresser à l’art dramatique. Brody décroche son premier rôle à la télé à 13 ans, et entame une belle carrière. En 2002, tout bascule quant il incarne Wladyslaw Szpilman, pianiste polonais tentant d’échapper à la déportation dans les camps de concentration, puis de survivre pendant les massacres dans le ghetto de Varsovie dans LE PIANISTE, de Roman Polanski. Cette interprétation saisissante lui vaut de recevoir un Oscar. Les propositions affluent, et l’acteur en profite pour faire au cinéma les voyages extraordinaires auxquels il rêvait quand il était ado. Au cours de l’entretien qu’il a accordé à ESI, Adrian Brody évoque à la fois à sa carrière et ses souvenirs du tournage de PREDATORS.
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
A quel âge avez-vous réalisé que vous souhaitiez devenir un acteur ?
J’ai commencé à jouer de manière professionnelle à l’âge de 13 ans, tout en suivant des cours de théâtre. Ma mère, qui est photographe, était allée faire des portraits de membres de l’Académie américaine des arts dramatiques pour le magazine Village voice, et je l’avais accompagné là-bas. J’y suis retourné, et je m’y suis inscrit. C’était un endroit merveilleux pour moi. A l’époque, ce n’était pas un choix de carrière, mais juste une opportunité de m’exprimer de manière créative. Je crois que ma vocation a débuté juste un peu avant l’adolescence, ce qui était plutôt une bonne chose. Quand on est adolescent, on se sent gauche, maladroit, et on craint toujours le regard des autres. Je me suis lancé dans l’apprentissage de la comédie à un âge où je n’étais pas encore inhibé, et où je pouvais m’exprimer avec une plus grande spontanéité. Si j’avais attendu quelques années de plus, je pense que j’aurais eu plus de mal à me débarrasser de mes complexes, et à me sentir à l’aise sur une scène ou devant une caméra. Cela a été une grande chance pour moi. Le fait que ma mère m’ait très souvent photographié m’a aidé aussi. Cela m’a permis d’apprivoiser l’objectif.
Quels étaient vos hobbies, à cette époque ?
Je faisais beaucoup de skateboard, et j’adorais les feux d’artifices. Je n’étais pas un collectionneur avide de BDs, mais je me souviens que j’avais acheté un lot de plusieurs centaines de comics lors d’un vide-grenier. Il y en avait des cartons entiers : des récits de superhéros, des BDs comiques, de tout. Mais en générale, je préférais m’amuser dehors plutôt que de rester bouquiner à la maison.
The Jacket, King Kong et SPLICE sont trois excellents films fantastiques dans lesquels vous êtes apparu récemment. Comme vous semblez aimer la SF et le fantastique, comptez-vous apparaître dans plus de films comme Predators dans le futur ?
Oui, car j’ai toujours aimé la Science-Fiction, tout particulièrement depuis l’adolescence. Il me semble qu’à cet âge-là, l’idée de quitter ce monde dans lequel tout semble aller de travers pour se rendre sur d’autres planètes sur lesquelles se passent des choses encore plus folles, est particulièrement séduisante !
Qu’est-ce qui vous séduit particulièrement dans la Science-Fiction ?
La Science-Fiction est le véhicule idéal de l’imagination. Elle efface les limites. Pendant l’adolescence, votre imaginaire n’est pas encore été entravé par toutes les réalités du monde adulte : les défaites, les rêves brisés, les renoncements… C’est une très belle chose de garder intact cet enthousiasme-là quand on vieillit, tout en s’appuyant sur les beaux aspects de la réalité. Grâce à un film de SF, on peut être transporté sur d’autres mondes. En tant qu’acteur, j’ai eu l’immense privilège de faire ces voyages extraordinaires. Dans King Kong, j’ai pu être confronté à un gorille géant et à des créatures préhistoriques. Dans The Jacket, je vivais dans deux réalités parallèles. Dans Predators, j’affronte des chasseurs extraterrestres sur une lointaine planète et je dois me débrouiller pour survivre. Dans SPLICE , je parviens à créer une forme de vie mi-animale, mi-humaine…Ce récit-là est davantage ancré dans les techniques de manipulations génétiques actuelles, mais il n’en est pas moins fascinant pour moi, car il me permet d’explorer d’autres facettes de mon travail d’acteur.
Avez-vous aussi envie de vous adresser à un public plus large, et aux spectateurs de tous âges ?
Oui, absolument. Je me souviens que quand je tournais King Kong avec Jack Black, à chaque fois que des enfants nous voyaient, ils étaient fous de joie de venir parler avec lui, parce qu’il les avait fait rire dans de nombreuses comédies. Et je dois dire que j’enviais Jack d’avoir un tel impact sur ces gamins ! Après King Kong, je me souviens qu’un jour que j’attendais dans une banque, un petit garçon est venu timidement me demander si j’avais joué dans le film, et quand je lui ai dit oui, son visage s’est éclairé, et il m’a dit « Vous étiez super ! ». Ça m’a fait un plaisir fou ! Ce n’est pas le genre de réaction que suscite Le pianiste, par exemple ! Je crois que les enfants et les ados ont beaucoup aimé Predators. En tous cas, moi, je l’aime beaucoup !
Est ce que cela a été difficile de convaincre le studio , le producteur et le réalisateur que vous pourriez incarner un mercenaire endurci ? Avez-vous eu à vous battre pour obtenir le rôle principal de Predators ?
Oui, il a fallu que je leur prouve que je pouvais être le personnage. La raison pour laquelle je me suis battu pour ce rôle, c’est tout simplement que je suis fan du film original. Je l’ai vu au moment de sa sortie en salles, avec une bande de copains. Nous avions tous pensé que Schwarzenegger était fantastique dans ce rôle, et nous avions adoré le côté « film d’action qui y va à fond » de Predator. Le ton du film était assez sombre, et plus le récit progressait, plus le suspense était intense. Mais quand je me souviens de ce qui m’avait fasciné, quand j’étais un ado tout maigrichon de 14 ans, il y a 20 ans de cela. Et je n’aurais jamais imaginé avoir l’opportunité de me voir proposer un rôle « Schwarzeneggerien » un jour ! Quand on m’a parlé de Predators et de l’idée de revenir aux sources de l’original, j’ai pris ce projet très au sérieux, car j’y ai vu l’opportunité de participer à la renaissance de quelque chose qui avait été formidable. C’était l’occasion de permettre à la saga de repartir sur de nouvelles bases.
Avez-vous revu Predator avant de commencer à travailler sur ce film ? Est-ce que cela vous a permis de remarquer des choses que vous aviez oubliées, et qui ont pu vous être utiles pendant le tournage ?
Je l’ai regardé à nouveau. Et j’ai tenu à placer des petits hommages à l’original dans notre film, tout simplement parce que j’en suis fan ! Predators est un film différent, mais nous avons vraiment tenté de retrouver l’esprit du premier volet, et de tout ce qui le rendait si original quand il est sorti à la fin des années 80. Il y a un moment du film pendant lequel je tire avec une mitrailleuse en criant « Fuyeeeez !! » aux autres membres du groupe, exactement comme Arnold dans l’original. C’est un petit truc que j’ai tenu à ajouter. Les autres acteurs se moquaient de moi et me disaient « Tu tiens à ton petit moment à la Schwarzenegger, hein ? » (rires) Et ils avaient raison ! J’étais absolument ravi d’avoir pu faire ça ! (rires)
Quels étaient les clichés dont vous vouliez vous tenir à bonne distance en jouant un mercenaire comme Royce ? Quels petits morceaux de « réalité » vouliez-vous injecter en lui ?
Je voulais le rendre parfaitement crédible de par ses attitudes, mais aussi faire ressentir la manière dont il réfléchit en permanence pour survivre. Et que l’on sente aussi son vécu. En ayant travaillé le personnage de cette manière, j’espère lui avoir donné une certaine authenticité que les spectateurs ressentiront.
Vous aviez salué certains de vos amis proches qui étaient engagés dans l’armée pendant votre discours de remerciement, en recevant l’Oscar du meilleur premier rôle pour Le pianiste. Leur avez-vous demandé des conseils pour vous préparer à jouer un militaire dans Predators ?
Bien sûr. Je n’en ai pas demandé à mon ami Tommy, dont j’avais parlé aux Oscars, mais à d’autres copains qui sont d’anciens militaires. Un autre de mes amis a servi en Afghanistan. Quand vous suiviez un entraînement militaire technique, il y a des règles de base à mémoriser. Si vous les oubliez, ou si vous ne faites pas le bon geste au bon moment en manipulant une arme, les gens qui sont passés par l’armée se rendent tout de suite compte que vous ne savez pas ce que vous faites. Quand je jouais Royce qui avançait dans la jungle, je suivais les procédures de progression en territoire hostile. Un soldat ne pose pas un pied par terre sans avoir observé attentivement le terrain. S’il casse une branche morte, il fait un bruit qui signale aussitôt sa position à l’ennemi. Il peut aussi y avoir une mine camouflée dans le sol, ou un filin relié à une bombe. Un soldat avance donc prudemment, pas à pas, en observant attentivement tout ce qui se trouve devant, à côté, et au-dessus de lui. On ne peut pas avancer dans un décor en prenant l’attitude du type qui fait juste un peu attention, car ce n’est pas du tout crédible. Ce processus d’apprentissage est une des choses que je préfère dans le métier d’acteur. Il vous donne l’impression de vivre plusieurs vies. Je ne sais pas lire une partition musicale, et pourtant, j’ai appris à jouer de bonnes portions de plusieurs ballades de Chopin pour jouer dans Le pianiste. Je n’avais aucun mérite, car j’ai appris cela grâce à des professeurs merveilleux et très patients. Le processus a été le même quand j’ai appris à me servir d’un fusil AA12 et à tirer avec. Les armuriers du film, parmi lesquels il y avait d’anciens militaires, ont été de bons professeurs eux aussi. Après avoir travaillé avec eux, vous apprenez à traiter une arme avec respect. J’ai appris aussi à utiliser un couteau. Quel que soit l’objet dont vous devez vous servir, il faut parvenir à le manipuler sans aucun effort apparent, comme si vous aviez fait cela toute votre vie, qu’il s’agisse d’un briquet ou d’un couteau de combat. J’ai appris à cette occasion que certains corps de l’armée adoptent des postures différentes lors de combats à l’arme blanche, notamment les marines.
Quel type d’entraînement physique avez-vous dû suivre ?
J’ai dû faire de la gymnastique et de la musculation pour avoir une autre carrure, mais ce n’est qu’un élément de l’ensemble. C’était logique que j’apparaisse plus musclé, mais ce n’était pas ce qui me semblait le plus important pour rendre mon personnage crédible. Je ne crois pas que cet aspect purement physique est la raison pour laquelle que j’ai été engagé pour tenir ce rôle. Je voulais arriver à exprimer la force du personnage par d’autres moyens, et parvenir à convaincre les spectateurs que Royce a beaucoup d’expérience en matière de combats militaires et de tactique. Il fallait que l’on sente qu’il est parfaitement entraîné, et possède la capacité de survivre dans des environnements très hostiles. J’ai lu des manuels militaires destinés à enseigner ces techniques de survie aux forces spéciales de l’armée, et aux troupes paramilitaires. J’ai lu aussi toutes sortes de brochures sur les techniques de combat. Je me suis entraîné à manier des armes et à tirer. J’avais déjà participé à des séjours d’entraînement militaire à l’occasion de la préparation d’autres films, donc j’avais déjà de bonnes notions de base en matière de survie, mais un peu moins dans le domaine des combats. Même si Predators est un film de Science Fiction, j’incarne un militaire professionnel qui évolue dans une zone de combat de haut risque. De nos jours, étant donné le contexte international, il y a malheureusement de plus en plus de gens qui doivent s’engager dans des missions dangereuses pour défendre nos pays. Pour eux, et pour les gens de leurs familles, je crois qu’il est essentiel qu’ils soient représentés de manière réaliste quand on les montre en train d’exercer leur profession dans un film. En dehors de la force physique et de l’endurance que je me devais de posséder pour jouer ce rôle, c’est surtout la force de caractère, la qualité de l’analyse du terrain, la capacité de diriger un groupe et de prendre des décisions judicieuses pendant les moments critiques que je devais faire passer dans ce rôle. D’ailleurs si vous regardez des soldats d’aujourd’hui, vous vous rendrez compte que leur physique n’est pas très éloigné du mien. Pour être un soldat de haut niveau, il faut être parfaitement préparé, avoir assimilé énormément de connaissances, et avoir l’esprit vif et la tête bien remplie. C’est tout cela qui rend le personnage de Royce complet, et qui lui permet de s’imposer dans le groupe des proies humaines. Ils se rendent compte assez vite qu’ils peuvent se fier à lui.
Pouvez-vous nous en dire plus sur Royce, notamment sur ce qu’il a vécu avant de se retrouver sur cette planète ?
Royce est plutôt perturbé. Il a vécu des choses très dures. Il est plus proche de Rambo que de James Bond, si vous voulez. Il est assez cynique, lassé de la folie du monde, et il a perdu trop de compagnons de combats pour en être sorti indemne. Quelqu’un comme lui, qui est un expert en survie, devient par la force des choses un solitaire. Il doit se préoccuper de lui d’abord et avant tout pour assurer sa propre survie et accomplir sa mission. Et cela passe avant ses relations personnelles avec les membres de son unité de combat. Sous la carapace qu’il s’est construite au fil des ans, il y a des blessures profondes. Mais il a une incroyable capacité de résilience et il peut devenir féroce quant il affronte un ennemi. C’est un personnage formidable, très intéressant à jouer et très complexe. Il est vraiment très fort.
Mais dans le contexte du film, Royce n’est plus « au sommet de la chaîne alimentaire », pour ainsi dire…Les predators sont encore plus forts que lui. Comment affronte t’il cette situation ?
Il utilise toutes ses connaissances en matière d’embuscades, de leurres, de pièges, et il se projette à l’intérieur de l’esprit de ses ennemis pour deviner quelle sera leur prochaine action. C’est la base de toute manœuvre militaire. Il faut être plus malin que l’ennemi, employer toutes les ruses possibles. La différence, c’est que dans ce cas, les ennemis sont des chasseurs/tueurs extrêmement efficaces, qui disposent d’armes très sophistiquées. De plus, la chasse constitue l’essentiel de leur culture : c’est leur activité principale. Pour toutes ces raisons, les humains n’ont pratiquement aucune chance de s’en sortir quand ils sont confrontés à eux. Heureusement pour Royce, ses compétences en matière de stratégie militaire et de combat lui permettent d’avoir des atouts pour se défendre.
Votre personnage arrive à s’imposer en tant que chef du groupe, malgré les personnalités chaotiques qui l’entourent…
Oui, mais en réalité, Royce se contrefiche d’être le chef de qui que ce soit. Il n’a pas envie de se trouver sur cette planète et dans cette situation, mais il relève le défi et veut s’en sortir. Les autres membres du groupe sont des tueurs extrêmement efficaces, des prédateurs eux aussi, mais cependant, aucun d’entre eux n’a les connaissances de Royce en matière de survie. Si vous observez une meute de loups, vous constaterez que ce n’est pas nécessairement le plus grand et le plus fort d’entre eux qui devient le chef, mais le plus intelligent et le plus doué. Les tueurs du groupe constatent vite qu’il vaut mieux écouter les conseils de Royce, et mettent leurs ego de côté.