[Archives] La magie des Muppets : L'évolution de la technique des marionnettes du génial Jim Henson
Article 100% SFX du Jeudi 02 Aout 2018
[Texte originellement publié en 2010]
Par Pascal Pinteau
Le merveilleux Jim Henson (1936-1990) a révolutionné l'art de la marionnette tout au long de sa carrière, hélas interrompue prématurément. Il n'a que 18 ans lorsqu'il fabrique ses premières marionnettes à main en tissu, des personnages en forme de chaussettes retournées qu'il déforme de manière amusante en les faisant parler. Il est engagé en 1954 par la chaîne de télévision locale de Washington WOTP et développe des personnages caricaturaux qui se prêtent à toutes ses improvisations comiques. Engagé par WRC-TV, Henson crée en 1955 l'émission Sam & Friends, qui sera un véritable laboratoire d'idées. Il bénéficie de l’aide d’une amie rencontrée à l’université, Jane, qui deviendra son épouse quelques années plus tard. Les marionnettes à main se déplacent dans des décors surélevés à la hauteur des bras tendus des marionnettistes. Elles interprètent des sketches et des numéros chantés qui préfigurent déjà le Muppets show.
La naissance de Kermit
Jim Henson fabrique le tout premier Kermit cette année-là, en 1955 donc, à partir d'un ovale de carton plié en deux qui forme une bouche, d'un morceau de tissu découpé dans un manteau de sa mère et des deux moitiés d'une balle de ping-pong. C'est paradoxalement la marionnette la plus simple que l'on puisse imaginer…qui deviendra la plus célèbre au monde ! Au fur et à mesure que son équipe grandit, Henson teste aussi de nouveaux matériaux comme la mousse de latex. Il anime des marionnettes avec des câbles et des mécanismes, et met en scène des numéros de plus en plus complexes dans des publicités où les Muppets font merveille. Don Sahlin invente alors le fameux procédé qui camoufle les coutures des marionnettes recouvertes de feutrine : le "Muppets seam" : la couture est tellement discrète que l’on a du mal à la voir en observant à l’œil nu une marionnette. Elle est donc totalement invisible lorsqu’elle est filmée, même en gros plan, par une caméra de télévision. Don Sahlin imagine aussi le concept génial du personnage en "pièces détachées", qui sera l’un des ingrédients majeurs du succès des Muppets. Pour créer un personnage de figurant qui n’apparaîtra que furtivement dans un sketch, on prend une marionnette de base simplement munie d'une bouche, sur laquelle on accroche des yeux, puis un nez et une petite perruque avec du velcro, et l’on crée ainsi un nouveau faciès en quelques secondes !
Un ton incisif
Le chien Rowlf, virtuose du piano, devient la première Muppet manipulée par deux personnes : Jim Henson place sa main gauche dans la tête de Rowlf, sa main droite dans la patte droite du chien, tandis qu'un assistant anime la main gauche. Le naturel confondant du toutou pianiste lui permettra d'apparaître dans le Ed Sullivan Show. Ce qui séduit immédiatement les téléspectateurs, c’est l’attitude spontanée et irrévérencieuse de la marionnette, qui dialogue avec les invités de l’émission ou avec Ed Sullivan lui-même. Les répliques – souvent improvisées – fusent, et le public, hilare, est ravi de découvrir ce spectacle d’un genre tout nouveau. On n’a jamais vu des marionnettes comme celle-là, qui plaisent autant aux adultes qu’aux enfants. Dans les années 70, Le personnage de Big Bird, développé pour Sesame Street, marque une autre étape dans l'évolution des Muppets. L'oiseau jaune de 2,49 m est manipulé par Caroll Spinney, qui est dissimulé à l'intérieur du costume. Le bras gauche de Spinney anime la tête de Big Bird et sa main droite l'aile droite. Spinney ne peut voir qu'au travers d'une petite fenêtre de tulle jaune, en partie dissimulée par des plumes. On lui fixe un petit moniteur télé sur le ventre pour lui permettre de mieux suivre ses déplacements.
Nouvelles expériences
En 1975, Henson développe les marionnettes d'une nouvelle séquence de Saturday Night Live , intitulée In the land of Gorch, en utilisant des yeux d'animaux en verre, employés par les taxidermistes. On y suit les mésaventures et les querelles domestiques du monstrueux roi d’un peuple de créatures. La séquence ne dure qu'un an, mais elle incite Henson à imaginer des personnages plus réalistes. Après le triomphe planétaire du Muppets Show (qui durera cinq saisons, de 1976 à 1981), Jim Henson relance un vieux projet : le film Dark Crystal (1982), qu’il co-réalisera avec son vieux complice Frank Oz. Les personnages principaux sont dotés de mécanismes faciaux radiocommandés, qui permettent aux manipulateurs de se concentrer sur les mouvements corporels. C'est à cette époque que naît la "Jim Henson's Creature shop", qui va développer des personnages animatroniques de plus en plus complexes. Le producteur Gary Kurtz contacte Jim Henson pour lui demander de l'aider à concevoir Yoda, dont le visage sera sculpté par le maquilleur Stuart Freeborn. L'expérience de Jim Henson et les dons de manipulateur de Frank Oz feront du maître Jedi l'un des personnages les plus populaires de L'empire contre-attaque (1980).
Monstres et merveilles
L'impressionnant savoir-faire de la "Creature shop" s'exprime ensuite dans la série The Storyteller (1987) (en VF: Monstres et merveilles). Diablotins, lions blancs, géants, gorgone et minotaures apparaissent tout au long de cette production que Jim Henson considérait à juste titre comme l'un de ses travaux les plus aboutis. C’est John Hurt qui incarne le narrateur de la série, tandis que Brian Henson, le fils de Jim, anime le fidèle toutou qui dialogue avec son maître, et l’écoute raconter de passionnantes légendes. Monstres et Merveilles , véritable chef d’œuvre télévisuel, revient aux sources folkloriques des contes et légendes que nous connaissons tous. On redécouvre ainsi les versions originales de ces récits, en tombant sous le charme de mises en scène inventives, soutenues par des effets de maquillage, d’animatronique et de marionnettes absolument splendides. On peut simplement regretter que les scènes tournées en 35mm aient été mêlées à des trucages réalisés en vidéo (en basse définition, donc) qui interdisent pour l’instant à la série de renaître en HD (à moins qu’une remastérisation très ambitieuse et une refonte technique de la série soit entreprise, à partir des éléments originaux…Cette série exceptionnelle le mériterait largement !)
L’héritage de Jim Henson
Depuis sa disparition, le 16 mai 1990 – Jim Henson a été foudroyé par une pneumonie bactérienne, à laquelle il aurait pu réchapper s’il avait été soigné seulement quelques heures plus tôt - ses collaborateurs restent fidèles à son exigence d'innovation. La Creature shop a inventé le "Henson Performance Control System", un système de la transmission de données préenregistrées sur ordinateur pour animer à distance des masques animatroniques. Les mouvements de “prononciation” (mâchoire, lèvres inférieures et supérieures, arondissement ou étirement de la bouche) sont synchronisés avec des textes enregistrés à l’avance. Cette technique récompensée par un Oscar a été employée dans les films comme Les Pierrafeu (1993) Lost in Space (1998), Chiens et Chats (2001) et dans les productions télé Dinosaures (1993), une sitcom très amusante, et Dinotopia (2002), belle adaptation des livres écrits et dessinés par James Gurney. Depuis le rachat des Muppets par Disney en 2004, différents projets ont été mis en œuvre : des téléfilms qui ont connu un joli succès, comme Le magicien d’Oz des Muppets (2005), très réussi, et un nouveau film de cinéma, actuellement en cours d’écriture, que nous découvrirons peut-être en 2012 ou 2013. La saga de Kermit, Miss Piggy, Fozzie et de leurs amis va donc se poursuivre, pour le plus grand bonheur de leurs nombreux fans. Parmi ces admirateurs se trouvent des cinéastes, notamment dans l’équipe de Pixar : il est difficile de ne pas voir l’influence directe des créations de Jim Henson dans un film comme Monstres et Cie ;) Autre idée des studios Disney : initier la production d’un « Biopic » consacré à la vie de Jim Henson. Ce projet, actuellement intitulé The Muppet Man, a été écrit par l’auteur australien Christopher Weekes, et serait confié au réalisateur de pub Michael Gracey. Certains moments de la vie personnelle de Henson y seraient réinterprétés par les Muppets, tandis que le reste du film serait réalisé de manière classique. Après en avoir longuement débattu, il semblerait que la Henson Company et les Studios Disney se soient enfin mis d’accord sur le ton à donner au film, car si Disney possède les droits des Muppets, tout ce qui concerne la vie et la représentation de Jim Henson appartient à ses ayant droits et à la Henson Company.