TOUT SUR LE RELIEF : L’image stéréoscopique fixe, première partie
Article 3-D Relief du Mercredi 05 Janvier 2011

ESI vous propose de redécouvrir l’épopée fascinante du relief au cinéma. Une histoire qui commence bien avant la naissance du cinéma, quand l’homme se rendit compte qu’il ne possédait pas deux yeux par un simple hasard. Il inventa alors un terme pour désigner la représentation d’un objet en en trois dimensions : stéréoscopie (du grec stereos signifiant solide en trois dimensions et skopein signifiant regarder). Notre grand dossier reviendra sur les recherches menées dans le monde entier depuis l’aube du relief,  par les scientifiques comme par les artistes...

Dossier réalisé par Sylvain Grain / Formatage du texte : Nicolas Jonquères

Prémisses de la stéréoscopie

Les premières réflexions sur la notion de vision stéréoscopique remontent à l’Antiquité.
En 300 av. J.-C., Euclide remarque que la vision est en relief : «Si je tiens un objet proche, à égale distance des deux yeux, chaque œil verra un flanc de l’objet qui n’est pas vu de l’autre. Avec les deux yeux, nous voyons les deux flancs simultanément. »
Au IIe siècle, Claude Galien, médecin de l'empereur Marc Aurèle, considéré comme l’un des pères de la médecine et de la pharmacie modernes, laisse à son tour la trace d’études relatives au phénomène de la vision en relief.
Au XVe siècle, le célèbre peintre et inventeur Léonard De Vinci, s’intéressant entre autre à l’anatomie, se livre à de nombreuses expériences sur l’œil et les mécanismes de la vision. Il est le premier à expliquer que la distance qui sépare les deux yeux permet la formation d'images différentes en terme de perspective. Il note que cette disposition fait apparaître les objets sous trois dimensions : «les choses vues par deux yeux paraîtront plus en relief que celles vues par un œil».
Au XVIe siècle, Giambattista Della Porta et Jacopo di Chimenti (alias Jacopo da Empoli) réalisent des dessins successifs d’un même sujet vu sous des angles légèrement différents. Rien ne permet d'affirmer que ces dessins furent réalisés dans l'intention de faire du relief, mais leur visionnage en permettait la restitution.
En 1613, le mathématicien, physicien et maître en optique François d’Aiguillon publie Opticorum libri sex philosophis iuxta ac mathematicis utiles, traité d’optique dans lequel il utilise pour la première fois le terme de «projection stéréoscopique ».


L’invention du stéréoscope

«Je […] propose de l’appeler Stéréoscope afin d'indiquer sa propriété à représenter les figures solides». (Sir Charles Wheatstone, 1838)

En 1838, Sir Charles Wheatstone, physicien et inventeur anglais, dépose le brevet du premier dispositif permettant d’observer des images en relief : le stéréoscope. Issu des recherches qu’il mène sur la stéréoscopie depuis 1832, cet appareil est présenté à la Royal Society de Londres pour appuyer la thèse qu’il développe dans ses Mémoires sur la physiologie de la vision et qui tend à démontrer que l’on peut produire une sensation de relief si l’on donne à voir à chaque œil deux images planes représentant des points de vue différents d’un même sujet. Le stéréoscope de Wheatstone est un stéréoscope à réflexion : les deux images se forment, inversées, sur deux miroirs plans formant un angle de 90° contre lequel l’observateur vient s’appuyer.
Les images utilisées par Wheatstone pour illustrer son propos ne sont encore que des figures géométriques mais celui-ci précise que la couleur rehausserait le relief. Il va même jusqu'à prétendre qu'«un artiste, grâce à une attention soutenue, pourrait dessiner et peindre les deux tableaux».


La naissance de la photographie

«L'usage du stéréoscope eût été borné aux figures géométriques à surfaces planes sans l'intervention du daguerréotype». (Marc Antoine Gaudin, 1851)

En 1839, l’artiste et inventeur français Louis Jacques Mandé Daguerre améliore un procédé mis au point par son ancien collaborateur Joseph Nicéphore Niépce, mort en 1833 et à qui l’on attribue la première photographie (1825-1826), et invente le premier appareil photographique : le daguerréotype, qui est alors officiellement présenté par le député et savant François Arago à l’Académie des Sciences.
A Londres, le scientifique William Henry Fox Talbot, travaillant sur des procédés similaires et ayant eu vent de cette annonce, tentera en vain de faire reconnaître l’antériorité de ses travaux. En 1840, Wheatstone, convaincu du potentiel qu’offre la photographie à son invention, demande à Talbot de réaliser deux photographies destinées à être visionnées dans son stéréoscope : signant ainsi la première photographie stéréoscopique. Ayant pris le temps d’améliorer son propre procédé photographique, Talbot dépose en 1841 le brevet de son invention sous le nom de calotype. Le procédé négatif-positif qu’il met notamment au point deviendra la base de la photographie argentique moderne.

Le stéréoscope de Brewster

En 1849, le scientifique écossais Sir David Brewster, inventeur du kaléidoscope et auteur de nombreux ouvrages reconnus dont son Traité sur l’optique (1831), perfectionne le système de Wheatstone en construisant un stéréoscope à réfraction (ou stéréoscope à prismes). En remplaçant les deux miroirs par deux lentilles, prismatiques ou non selon les formats des images à observer, Brewster améliore la qualité de l’image (notamment en terme de contraste) et propose un appareil beaucoup moins encombrant et plus pratique d’utilisation. Pour démontrer son procédé, Brewster utilise alors, en plus d’un dessin géométrique représentant un cône tronqué, deux autoportraits réalisés par le Dr. Adamson de l'université de St Andrews à Édimbourg, ainsi que diverses lithographies dessinées par Fr. Schenck d'après des daguerréotypes stéréoscopiques.

Conscient lui aussi de l’intérêt de la photographie, il fait fabriquer le premier appareil photographique à deux objectifs, spécialement conçu pour la stéréoscopie. Malgré sa renommée, Brewster peine cependant à convaincre ses compatriotes et part en France ou il fait la rencontre des opticiens Soleil et Duboscq par l’intermédiaire de l’abbé Moigno. Les deux français, pressentant le potentiel de cette invention, vont se lancer dans l’aventure de la stéréoscopie en fabriquant des appareils de qualité, abordables pour le grand public, accompagnés de vues qu’ils font réaliser.

Lors de l’Exposition universelle de Londres de 1851, le stéréoscope est présenté officiellement à titre de nouveauté scientifique et retient l’attention inattendue de la Reine Victoria. Brewster apporte quelques jours plus tard à la souveraine d’Angleterre, conquise, un modèle spécialisé fabriqué à son intention à Paris par les deux opticiens français. Cette rencontre marque un tournant pour l’appareil dont Duboscq reçoit dès lors des milliers de commandes. Face à la fascination d’un public de plus en plus large, de nombreux professionnels français de l’optique et de la photographie vont exploiter ce nouveau domaine. Les opticiens anglais, jusque là sceptiques, vont également suivre le pas et fabriquer en nombre des stéréoscopes sur le modèle de celui de Brewster.

L’âge d’or de la stéréoscopie

Les années 1850 voient le stéréoscope passer du statut de curiosité scientifique à celui d’objet en vogue et l’engouement pour l es images en relief gagne rapidement toute l’Europe et les Etats-Unis. De nombreux brevets sont alors déposés un peu partout. En 1852, Jules Duboscq dépose le premier brevet concernant la stéréoscopie pour différents modèles de stéréoscopes et méthodes de prise de vue, et il publie le premier catalogue de vente de vues stéréoscopiques. En février 1853, Alexandre Marie Quinet dépose le brevet du premier appareil photographique pour daguerréotypes stéréoscopiques, le quinétoscope. La même année, l es premiers appareils photo stéréo sont commercialisés et plus de mille cinq cent stéréoscopes sont vendus dans la seule ville de Paris. Les salons s'ornent de dispositifs rivalisant d’efficacité et de beauté (les visionneuses prenant parfois la forme de meubles décorés en bois exotiques ou autres matériaux précieux) et les systèmes se diversifient. La stéréoscopie devient alors une véritable industrie et des millions d'images en relief sillonnent le monde.

A défaut de pouvoir découvrir le monde en photographies dans la presse (celle-ci étant encore limitée à la reproduction de gravures à cette époque), les foyers trouvent dans les cartes stéréoscopiques un formidable objet de loisir et d’éducation. Des stéréoscopes comme celui de l’inventeur américain O.W. Holmes fleurissent et témoignent de la démocratisation du procédé.

Dans un grand mouvement d’inventaire du monde, tout ou presque devient un sujet à photographie stéréoscopique : grands évènements et personnages célèbres côtoient natures mortes et scènes de genre, voyages et paysages exotiques, vie quotidienne ou images érotiques. Pour donner un peu plus de magies à ces clichés, certaines vues sont même proposées colorées (un papier fin peint à la main est placé derrière la photographie, le tout étant inséré entre deux cartons dans lesquelles sont découpées deux fenêtres).

ESI publiera d'autres articles consacrés à la saga du relief prochainement.

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