Quand le relief investit les jeux vidéo
Article Jeux Vidéo du Vendredi 25 Mars 2011

Non, le cinéma n'est pas le seul domaine culturel à rejoindre la troisième dimension ! Les jeux vidéo s'apprêtent, eux aussi, à s'engouffrer dans la brèche ouverte par l'Avatar de James Cameron. Cette initiative paraît pour le moins logique ; en effet, depuis le milieu des années 1990, la majorité des œuvres vidéoludiques bénéficient de graphismes en « 3D »... Et pourtant, à l'instar du Septième Art, les jeux vidéo n'ont pas attendu le nouveau millénaire pour flirter avec la stéréoscopie...

Par Pierre-Eric Salard

Offrir une illusion de profondeur aux images est un fantasme partagé par les cinéastes et les créateurs de jeux vidéo. Existe-t-il un meilleur moyen pour prolonger l'immersion de leurs publics respectifs ? Il faut attendre 1981 pour qu'une première tentative voit le jour... dans les bureaux de « Recherche et Développement » de la grande firme de l'époque, Atari. Présenté lors du New York Toy Fair, le prototype du jeu électronique Atari Cosmos devait permettre de jouer en 3D sans paire de lunettes ! Il s'agissait d'un écran à LED, sur lequel était superposée une image holographique à deux couches. De petites ampoules éclairaient l'une ou l'autre (ou les deux) de ces couches, afin de créer une impression de relief. Mais nous parlons d'un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître : les graphismes étaient rudimentaires et pourtant, la technologie était trop en avance – et onéreuse – pour son temps... La console ne vit bien entendu jamais le jour ! En 1982, le moniteur monochrome de la console Vectrex affichait des graphismes vectoriels (composés d'objets géométriques individuels) – des filtres en plastique coloré permettant d'ajouter sommairement des couleurs. En 1984, un périphérique, le Vectrex 3D Imager, permit de flirter avec un simili-relief. Cette paire de lunettes permettait d'admirer les graphismes vectoriels en 3D, à l'aide d'un disque dont la vitesse de rotation était synchronisée avec les images diffusées sur le moniteur. Chaque œil pouvait, alternativement, voir une version légèrement différente d'un même objet vectoriel - simulant la distance qui sépare nos yeux et créant ainsi un effet 3D saisissant. Mais le krach de l'industrie du jeu vidéo, en 1983, eut raison de cette merveille technologique... En 1987, Nintendo propose le Family Computer 3D System pour sa console Famicom (nom japonais de la NES). Ce casque contenait une paire d'écrans LCD qui étaient, eux-aussi, synchronisés avec l'image diffusée sur un écran de télévision (un procédé que les amateurs de relief au cinéma connaissent bien !). Inédit en Europe comme aux Etats-Unis, cet accessoire n'était compatible qu'avec une poignée de jeux... En 1988, la console concurrente, la Sega Master System, accueillit un gadget similaire : les lunettes 3D Segascope. En 1995, Gunpei Yokoi, l'un des hommes forts de Nintendo (il est à l'origine de la saga Metroid et du Game Boy !), créa le Virtual Boy, une console 32 bits portable intégrée dans un casque de réalité virtuelle (un concept en vogue au milieu des années 1990). Reposant sur un trépied, ce mastodonte affichait sur ses deux petits écrans indépendants (un pour chaque œil) des graphismes composés de diodes électroluminescentes (LED) rouges, et non de pixels. L'impression de relief reposait encore une fois sur le décalage entre les deux images (2D) perçues par chaque œil. Si le résultat était impressionnant, de nombreux joueurs furent victimes de migraines et de nausées, condamnant une console au coût déjà prohibitif !



Le PC prend du relief

Au cours des années suivantes, les constructeurs de consoles participèrent à une véritable course technologique. Les processeurs furent toujours plus puissantes, multipliant la puissance de calcul des machines. Puis Nintendo joua de nouvelles cartes en 2004, avec l'écran tactile de la console portable DS, puis en 2006 avec la Wii, qui permit aux joueurs de gigoter devant leurs télévisions. Ainsi, parallèlement à l'essor de la HD, l'industrie du jeu vidéo se mit ainsi à explorer de nouveaux concepts. Les ordinateurs, quant à eux, devinrent de plus en plus puissants. Et c'est en 2009 que le constructeur de cartes graphiques Nvidia éveilla l'intérêt avec sa solution 3D Vision. Le système, destiné au marché PC, se compose d'une paire de lunettes actives (sans fil) à obturateurs, d’un émetteur infra-rouge et d’un logiciel qui permet de transposer automatiquement les jeux récents en relief ! Les plus fortunés des possesseurs de PC peuvent ainsi s'essayer au relief – à condition de disposer d'une carte graphique GeForce compatible et d'un écran LCD 120 Hz « 3D-Vision ready » (car le système crée deux images à 60 Hz) ! « La 3D va commencer par le jeu, car c’est là qu’il y a du contenu », annoncent les représentants de Nvidia. L’écran et les lunettes 3D fonctionnent de concert avec la carte graphique. Les images destinées à, respectivement, l’œil droit et l’œil gauche s'alternent à l’écran mais étant donné que les écrans employés sont cadencés à 120 Hz, chacun des yeux voit un signal 60 Hz complet. Les utilisateurs sont libres de bouger leur tête de haut en bas ou de droite à gauche dans tout l’angle de vision de l’écran sans perdre l’effet 3D. Outre les centaines de titres compatibles avec 3D Vision, certains éditeurs commencent à développer des jeux spécifiquement optimisés pour ce système. Batman Arkham Asylum, Resident Evil 5, Mafia 2 ou Just Cause 2 disposent ainsi d'un mode 3D encore plus saisissant que les jeux convertis par la solution de Nvidia ! Étant conçus à l'aide de moteurs graphiques 3D, leur conversion en relief ne nécessite qu'un faible surcoût. Le moteur graphique de Capcom, le MT Framework (Lost Planet 2), est d'ailleurs d'ores et déjà compatible avec la 3D relief. Certes, la solution 3D Vision reste très onéreuse – voire dispensable – à l'heure actuelle, et les ventes s'en ressentent. Mais les jeux vidéo ont désormais une ambassade dans la troisième dimension !



L'Avatar du jeu vidéo

Le studio français Ubisoft s'est engouffré dans la brèche avec James Cameron's Avatar : The game. C'est entendu : quel autre titre aurait pu faire la promotion du relief ? « Les jeux en 3D vont devenir de plus en plus présents avec la généralisation des écrans de télévision offrant cette technologie », explique Yves Guillemot, le Président de la société, qui déclarait l'année dernière que 50% des jeux sortiront en 3D en 2012 ! Sur PC, l'effet de profondeur de la jungle de Pandora promet un bel avenir au relief. Mais qu'en est-il des consoles, qui ne disposent pas du potentiel d'évolution technologique des ordinateurs personnels ? Les versions Playstation 3 et Xbox 360 de James Cameron's Avatar : The game nécessitent une télévision 3D intégrant la technologie de décodage Sensio 3D. Avant toute chose, l'amateur doit donc consulter la liste des lunettes et écrans compatibles avec le jeu... En outre, les possesseurs de Xbox 360 doivent s'assurer que leur console est branchée en hdmi, le jeu ayant été conçu en haute définition. L'effort d'Ubisoft est louable, mais la stéréoscopie ne pourra pas séduire le grand public tant que le matériel adéquat n'est pas devenu courant... Ce qui pourrait expliquer les ventes décevantes de James Cameron's Avatar : The game – un paradoxe comparé au parcours du film !



Et si l'essor du relief vidéoludique reposait sur un titre fort, à l'instar de ce que représenta Avatar pour la 3D au cinéma ? Black Ops, le dernier volet en date de la série Call of Duty, disposait ainsi d'une option 3D... dès sa sortie ! « Les joueurs peuvent activer ou désactiver la 3D stéréoscopique à tout moment, grâce à une simple option du menu », confie Mark Lamia, le président de Treyach, le studio responsable du développement de ce jeu. « Nous savons que la grande majorité de notre public ne dispose pas d'écrans prêts pour la 3D. Lorsque le marché sera aussi important que celui de la HD, notre jeu, lui, sera prêt ! » Les fans de FPS (jeux de tir à la première personne) peuvent déjà imaginer l'intérêt de la stéréoscopie : les barres de vie et autres compteurs de munition deviendront de véritables hologrammes, participant à leur immersion dans des univers virtuels !

2011, l'odyssée de la 3D

Mais si l'industrie souhaite démocratiser, à terme, la troisième dimension, il faut avant tout mettre au point un standard technologique. Sony et Nintendo se lancent actuellement dans une course au relief - mais dans deux directions différentes ! En effet, une simple mise à jour logicielle suffit à rendre la Playstation 3 de Sony compatible avec la 3D. Cette console, qui intègre un lecteur Blu-ray, peut désormais lire les nouveaux disques Blu-ray 3D. Mieux : certains titres, dont le jeu de course futuriste WipeOut HD, sont désormais jouables en relief ! Gran Turismo 5, Virtua Tennis 4, Killzone 3, la compilation Prince of Persia et de nombreuses autres superproductions à venir seront compatibles, dès leur sortie. « La 3D accroît les sensations d’immersion », explique Mick Hocking, le responsable du développement des jeux en relief chez Sony Computer Entertainment Europe. « Mais les effets sont différents selon les jeux. Dans un jeu de courses, la sensation de vitesse est accrue. Dans un jeu d’action, vous évaluez mieux la distance qui vous sépare de l’opposant ! Nous observons actuellement une convergence entre des téléviseurs bénéficiant d'une excellente qualité d'affichage 3D, à des prix très abordables, et du contenu. Je pense que c'est la première fois que nous nous trouvons dans cette situation. L'excellente qualité de la 3D est incontestable ! ». Mais là encore, il faut posséder une télévision dernier cri, ainsi que les traditionnelles lunettes actives, pour pouvoir profiter de cette avancée... Ce n'est pas le cas avec la nouveau projet de Nintendo, qui contourne le problème en proposant du relief sur une console portable ! Disponible depuis le 25 mars 2011 chez nous, la 3DS est la digne héritière de la DS, qui s'est vendue à plus de 135 millions d'exemplaires depuis 2004. Si elle dispose toujours d'un écran tactile, la 3DS en possède un autre faisant appel à l'auto-stéréoscopie (dont l'ancêtre est le célèbre procédé des réseaux lenticulaires de certaines cartes postales). Cette technologie est capable de produire des effets de profondeur sans avoir besoin d'aucun verre spécial ! Adieu, imposantes lunettes !



« Les lunettes pour regarder des contenus en relief sur son écran TV de salon sont chères »; souligne Reggie Fils-Aime, président de Nintendo of America. « En plus, chaque joueur doit être muni d’une paire pour pouvoir en profiter. Nous avons voulu faire disparaître cet inconvénient. Ce n’était pas facile, mais nous l’avons fait ». Il est vrai que la stéréoscopie ne risque pas de séduire le grand public tant que le port de lunettes est obligatoire. Alors que les fabricants de téléviseurs travaillent sur un procédé rendant caduque cet encombrant accessoire (mais qui ne devrait pas voir le jour avant un certain nombre d'années !), les analystes parient que la prochaine génération de consoles de salon se pencheront sérieusement sur le relief. D'ici là, les écrans « 3D ready », dont les prix deviendront abordables, commenceront à envahir nos salons. Mais dans les foyers, la 3D n'est pas prête à devenir un standard technologique - autrement dit, peu onéreux et facile d'accès...

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