Entretien exclusif avec D.J. Caruso, le réalisateur de Numéro Quatre
Article Cinéma du Lundi 04 Avril 2011

Après Paranoiak et L’œil du mal, D.J. Caruso s’inspire des productions Spielberg des années 80 pour signer un petit film de SF efficace et attachant.

D.J. Caruso est né à Norwalk, dans le Connecticut. Diplômé de la Pepperdine University, où il étudie le cinéma et la production, il entame sa carrière en tant qu’assistant de production avant que le réalisateur John Badham ne le prenne sous son aile. En 1998, D.J. Caruso fait équipe avec un scénariste vétéran de Hollywood, Frank Darabont, et réalise le téléfilm Black Cat Run pour la chaîne HBO. Dans ce récit, un pompiste amoureux de la fille du shérif d’une petite ville se dispute avec lui, et l’incident passionne la population. Quelques heures plus tard, le shérif est assassiné par des prisonniers en fuite qui enlèvent sa fille. Tous les habitants de la ville sont convaincus que le pompiste est coupable, et qu’il a tué le shérif pour pouvoir partir avec la jeune femme. Le malheureux doit donc s’enfuir et rechercher les kidnappeurs, alors qu’il est lui-même pourchassé par la police, qui le prend pour un tueur ! Ces thèmes des faux-semblants et des fugitifs – qui reviendront souvent dans les projets ultérieurs de DJ Caruso – lui portent déjà chance : Black Cat Run devient le téléfilm en première diffusion le plus suivi sur la chaîne HBO. Grâce à sa nouvelle notoriété, Caruso met en scène des clips musicaux pour des groupes comme This World Fair et Airborne Toxic Event, puis réalise ensuite des épisodes des séries The Shield ,  High Incident (co-créée par Steven Spielberg), et Dark Angel  (co-créée par James Cameron). D.J. Caruso s’impose au cinéma en 2002, dès son premier long métrage, Salton Sea, film noir dont la critique salue la maestria visuelle et la qualité de l’interprétation, notamment celle de Val Kilmer. En 2004, il signe Taking Lives, destins violés, avec Angelina Jolie et Ethan Hawke, un thriller à l’atmosphère envoûtante sur un agent du FBI pourchassant un tueur en série. L’année suivante, il dirige Al Pacino et Matthew McConaughey dans Two for the money, une intrigue au rythme effréné se déroulant dans l’univers des paris sportifs à haut risque. En 2007, Paranoiak, avec Shia Labeouf, lui permet de connaître l’un de ses plus grands succès – le film reste pendant trois semaines à la première place du boxoffice – pourtant surpassé par celui de l’excellent thriller d’action L’œil du mal (2008), toujours avec Shia Labeouf. Tourné avec un budget de 80 millions de dollars, le film en rapportera 180 dans le monde entier. On comprend bien pourquoi son producteur, Steven Spielberg, a décidé de miser une fois encore sur le talent de DJ Caruso en lui confiant le projet Numéro Quatre

Entretien avec D.J. Caruso

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Avec Paranoiak et L’œil du mal, vous avez prouvé que vous pouviez mettre en scène le mystère et les scènes d’action étonnantes. Quels sont les nouveaux défis à relever que vous avez trouvés dans Numéro Quatre ?

Je dirais que la principale difficulté, en tant que réalisateur, c’était de prendre les éléments de Science-Fiction de l’histoire et de les humaniser le plus possible. Ensuite, le plus dur a été de maîtriser, de chorégraphier et de filmer au mieux tous les éléments qui allaient être utilisés pendant les grands combats des scènes finales : les explosions, les effets de destruction, les tirs de laser, les acrobaties avec les acteurs suspendus à des câbles, etc. Dans L’œil du mal, les scènes d’action étaient très viscérales et très réelles, tandis que là, il fallait obtenir les mêmes réactions des spectateurs avec des tirs de laser et dans un chaos très SF, sans que cela ne semble irréel et donc, moins intéressant. Il fallait que les personnages extraterrestres restent vraiment très humains et très proches des spectateurs, afin qu’ils puissent s’identifier à eux tout au long du film, et particulièrement pendant les moments critiques. Je dirais qu’une de mes principales responsabilités a été de veiller à ce que les personnages principaux soient forts et attachants, pour que l’on frissonne dès qu’on les sent en danger. Si le public n’établit pas ce lien avec les héros d’une histoire, rien ne fonctionne.

Quelles sont les nouvelles idées que vous avez apportées au script en prenant vos fonctions de réalisateur, et quels sont les changements que vous avez tenu à opérer ?

Je crois que le plus grand changement que j’ai apporté au script, qui était lui-même basé sur le livre de Pittacus Lore, a été de supprimer une chose qui me gênait énormément : Numéro Quatre savait d’emblée tout ce que lui réservait son destin, tout ce qu’il allait devoir faire. Je me rappelle qu’en lisant cela, je me suis dit « Je ne crois pas que ça constituera une expérience de cinéma bien excitante… » Nous spectateurs, nous avons besoin de voir notre héros découvrir des choses sur lui-même, découvrir qu’il se sent vraiment humain, et qu’il a envie de mener une existence normale dans la petite ville où il arrive. C’est justement à ce moment-là qu’il est débordé par ce flot d’émotions qui déclenchent en lui l’apparition de ses pouvoirs. Il est toujours plus fort de suivre des personnages qui découvrent des choses plutôt que des personnages qui les savent déjà. Le second changement conceptuel a porté sur les pouvoirs que Numéro 4 et Numéro 6 possèdent. Je dois dire que ceux qui étaient décrits dans le livre ne me paraissaient pas vraiment convaincants. Par exemple Numéro 6 pouvait prendre les mains de quelqu’un, puis disparaître avec lui. Je me suis dit que ce serait un pouvoir assez peu excitant à utiliser dans une scène d’action ! J’ai préféré lui donner un pouvoir de téléportation, qui est beaucoup plus dynamique. Quand elle se dématérialise au moment où un méchant s’apprête à la saisir, elle peut se matérialiser dans son dos une seconde plus tard et l’estourbir. C’est quand même nettement plus intéressant ! Je me suis senti plus libre de faire cela parce que le livre n’est pas sorti avant le film. Du coup, personne n’ira se plaindre des modifications après les premières projections, parce que personne ne l’aura lu ! (rires)

Pourquoi avoir choisi Alex Pettyfer pour tenir le rôle de Numéro Quatre ?

La première raison de mon choix tient à l’énergie débordante d’Alex et à sa forte personnalité. Il faut dire aussi – et c’est peut-être encore plus important pour moi – qu’on ne voit pas souvent de jeunes gens comme lui à l’écran, avec une telle vulnérabilité. La fragilité était importante pour moi parce que son personnage est un jeune homme qui n’a pas encore trouvé qui il est, et qui, quelque part, a peur de le découvrir. Il redoute ce qu’il pourrait devenir. Alex était une combinaison formidable de toutes ces émotions contradictoires. Nous avons tous besoin de découvrir qui nous sommes, c’est une étape nécessaire de la vie que nous traversons tous – exactement comme Numéro Quatre dans cette histoire. Et je pense qu’Alex en était, dans sa vie personnelle, exactement à ce moment-là. C’était quelque chose de très fort, un parallèle puissant avec la réalité, et pour moi cela a été un choix évident.

Quels sont pour vous les éléments dramatiques les plus excitants de Numéro Quatre ?

Le personnage central, Numéro Quatre, est en train de comprendre que ce qu’il est réellement et ce qu’il voudrait devenir sont deux choses complètement différentes. Une fois qu’il a accepté cela, il prend conscience que pour accomplir de grandes choses, il doit faire de grands sacrifices. C’est probablement l’élément dramatique le plus fort du film. Entre Henry son mentor, le personnage de Timothy Olyphant, et John, celui d’Alex, existe quelque chose qui s’approche de la relation père-fils sans en être réellement une ; on retrouve ce questionnement du jeune qui essaie de comprendre pourquoi cet aîné le pousse vers l’avant et lui demande de faire des choses qu’il ne veut pas vraiment faire – c’est une situation on ne peut plus courante dans la vie. Et ça, c’est probablement l’élément dramatique le plus fort à mes yeux. En faisant mes films, je me suis rendu compte que plus on se sent proche d’un personnage de façon tangible, réelle, plus on ressent intensément le suspense, la terreur quand il est placé dans des situations où il court un danger.

Quelle partie de la création de ce film avez-vous préférée ?

Ce que j’ai beaucoup apprécié, c’est de combiner les éléments dramatiques relatifs à la vie de tous les jours et les sentiments qu’éprouvent les personnages avec les pouvoirs surhumains qu’ils ont en eux. Ce mélange, cet équilibre entre la nécessité de conserver le plus grand réalisme possible, tout en y intégrant ces éléments surnaturels, est quelque chose de fantastique. C’est une alchimie subtile, difficile à préserver tout au long du film. Comme je vous le disais précédemment, j’ai vu cela comme un défi : raconter l’histoire de la façon la plus réaliste possible afin que l’on accepte émotionnellement le fantastique lorsqu’il fait son apparition.

Parlez-nous du personnage de Dianna Agron…

Sarah est une fille à part, parce que même si elle est très belle et si elle a été très populaire autrefois dans son lycée, elle a pris des décisions qui a poussé une bonne partie des élèves à la repousser. Elle est désormais mise à l’écart, comme John, qui est le nouveau venu. Et ils finissent par se rapprocher justement parce qu’ils ont des choses en commun – c’est un message intéressant pour les jeunes, de dire que ce n’est pas une mauvaise chose d’être « à part ». On n’a pas forcément besoin de s’intégrer à un groupe à tout prix.

Vous travaillez beaucoup avec Steven Spielberg. Qu’a-t-il apporté à ce film ?

Steven est un génie de la science-fiction, c’est vraiment le meilleur. Je crois que son apport à ce film a été de nous pousser à être les plus réalistes possibles dans l’histoire, de manière à ce que tout fonctionne à la perfection quand les éléments de science-fiction font leur apparition. Il sait aussi être très concis dans la narration, et éliminer ce qui est inutile dans un scénario. Il a été d’une aide précieuse en m’incitant à rester concentré sur mon objectif en permanence, à ne jamais perdre le fil. Et puis par la suite, il m’a aidé à utiliser au mieux les effets visuels, car c’est pour lui une seconde nature. Je pouvais lui montrer les trucages d’une scène et lui dire : « L’image est bizarre, pourquoi cela ne fonctionne pas ? » et lui répondait : « Ça ne marche pas parce que vous avez utilisé tel ou tel objectif, ou parce que le point de netteté dans l’image est ici au lieu d’être là ». Il a fait tant de films, il a connu tant de situations qu’il est comme une énorme bibliothèque d’informations. Il lui suffit de s’asseoir cinq minutes dans la salle de montage pour nous donner des indications qui nécessiteront sept heures de travail de correction derrière ! (rires) J’ai quelquefois envie de me pincer pour me dire que tout cela n’est pas un rêve, et que je suis vraiment en train de travailler avec lui. C’est ce que j’ai toujours espéré en tant que cinéaste. Pour moi, c’est vraiment un rêve éveillé !

Toujours à propos de Steven Spielberg, j’ai remarqué qu’il y avait une atmosphère très « production Amblin des années 80 » dans Numéro Quatre. Avez-vous puisé une partie de votre inspiration dans ces films-là ?

Quand j’étais adolescent et que j’ai vu Les Goonies et Retour vers le futur, j’ai adoré ces films parce que leurs personnages étaient formidables. Pendant que je les regardais en salle, j’avais un grand sourire qui allait d’une oreille à l’autre, pendant toute la projection ! Je m’amusais tellement que je n’arrivais pas à le croire. Je me souviens encore d’être ressorti gonflé à bloc, heureux ! Il y avait aussi une certaine innocence dans ces films, un message universel, qui leur permettait de divertir aussi bien un gamin de dix ans qu’un adulte de quarante ans. Depuis quelque temps déjà, je me disais que l’on ne voyait plus beaucoup de films en prises de vues réelles capable de divertir aussi bien enfant et adultes. Quand j’ai lu le projet Numéro Quatre, je me suis dit que cela pouvait être l’occasion de recréer ces atmosphères-là et de redonner au public d’aujourd’hui les sensations que j’ai éprouvées en voyant les films d’Amblin. Et bien sûr, Steven étant impliqué dans le projet, je me suis dit que je pourrais peut-être bénéficier d’un peu de sa magie.

Ce qui est très satisfaisant, c’est que vous ne tombez jamais dans les scènes mielleuses typiques des productions pour ados actuelles. Quand on commence à craindre que les choses dérapent, vous vous arrêtez juste à temps !

(rires) Merci !

La suite de cet entretien paraîtra prochainement sur ESI

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.