Entretien exclusif avec D.J. Caruso, le réalisateur de Numéro Quatre - Seconde partie
Article Cinéma du Mercredi 06 Avril 2011
Suite des confidences du réalisateur de Paranoiak et L’œil du mal, sur son nouveau film, inspiré des productions Spielberg des années 80.
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Quelle a été votre toute première vision du film en termes de composition de l’image, d’atmosphère et de style de prises de vues ?
La première chose que je fais quand je commence à préparer un film consiste à composer toute la palette de couleurs des séquences. Je mobilise un mur entier de mon bureau, et je créé une sorte de longue mosaïque de couleur, de gauche à droite, dans le sens de la narration de l’histoire. Au début de Numéro Quatre, j’avais envie de dépeindre la Floride avec des bleus et des couleurs remplies d’espoir. Je voulais que l’on sente que notre héros commence à se sentir bien dans ce lieu et envisage d’y rester pour de bon. Quand tout cela lui échappe, je voulais que l’on utilise des tons gris et terreux, qui correspondent à son arrivée dans un autre endroit, sous la pluie, alors qu’il est triste d’avoir dû tout abandonner derrière lui, une fois de plus. Ensuite, quand il découvre peu à peu la petite ville dans laquelle il est arrivé, il retrouve le moral, et la palette de couleurs se réchauffe de plus en plus, jusqu’au moment où il sent vraiment « chez lui ». Ce n’est qu’au moment où ses pouvoirs se manifestent, et qu’il tombe amoureux, que toutes les couleurs surgissent. C’est une explosion de couleurs, parce qu’il accepte le fait d’être un guerrier. Et bien sûr, à la fin du film, les couleurs restent chaudes parce qu’elles reflètent les espoirs de nos héros. Quand j’ai engagé Guillermo Navarro (fidèle chef opérateur de Guillermo Del Toro, NDLR), et que je lui au montré le mur de couleur, il a été surpris et m’a demandé « Qu’est-ce que c’est ? » Quand je lui ai répondu « C’est notre film, toute la palette de couleurs de notre histoire ! », il m’a dit « Aahh, j’aime la façon dont vous travaillez…Je sais que nous allons être en phase émotionnellement ! »
Dans beaucoup de films récents destinés aux adolescents, la palette de couleurs a tendance à être désaturée…
Oui, je l’ai remarqué, et je trouve cela dommage, car c’est presque devenu un cliché, pour donner un côté « branché » au film. Je suis très fier qu’à la fin de Numéro Quatre, nous utilisions une palette de couleurs très riche et très saturée.
Pourriez-vous nous citer un ou deux conseils précis que vous ont donnés Steven Spielberg et Michael Bay pendant la production du film ?
Steven s’est beaucoup impliqué dans le développement du script. Quand une nouvelle version arrivait, nous la lisions chacun de notre côté, puis nous nous réunissions dans son bureau pour en parler. Nous disions ce que nous aimions, ce qu’il faudrait faire en plus pour mieux définir le caractère de tel personnage. Steven me disait souvent « Oh, voilà un bloc de dialogues d’ados qui ne me plaît pas. Toi, tu sauras le modifier pour que cela sonne plus juste ! » et il entourait les parties à corriger en rouge. Après le tournage, j’ai souvent fait appel à Steven pendant la phase du montage, parce qu’il a un don extraordinaire quand il regarde un film. Il est capable de le voir non pas seulement en tant que cinéphile et réalisateur chevronné, mais aussi comme s’il était un enfant de 12 ans venu s’amuser au cinéma. Et tout d’un coup, il peut vous dire « Tiens, le plan qui va d’ici à là semble bizarre, parce que… » et poursuivre en donnant une raison de pur bon sens, qui n’a strictement rien à voir avec une analyse cinématographique classique, mais qui est pourtant juste. Ces remarques-là semblent sorties de la bouche d’un petit gosse de l’Iowa, qui aurait vu un détail qui a échappé à toute l’équipe des professionnels d’Hollywood ! C’est étonnant. Et Michael Bay a été d’une aide précieuse pour régler les effets visuels, car il fait cela comme il respire. Je l’avais consulté notamment à propos d’une scène où le Piken, la créature des méchants du films, poursuit nos héros dans un sous-sol, et défonce un mur pour les rattraper. J’avais déjà tourné la poursuite et l’explosion du mur, mais il restait à placer la créature en 3D dans l’image, et je me demandais comment faire pour la rendre la plus impressionnante possible. Michael m’a dit : « Tu sais ce que tu devrais faire ? Regarde où tes zones de lumières principales sont placées : il y a de l’éclairage à la base du mur, mais peu au niveau du trou. Une fois que le Piken a défoncé le mur, dis aux animateurs d’ILM de lui faire baisser la tête pour qu’il entre progressivement dans ce spot de lumière en marchant vers les héros : il aura l’air plus menaçant et sera encore mieux intégré dans le décor. » C’était un conseil brillant, que Michael m’a donné après avoir réfléchi quelques secondes seulement.
Quelles ont été les scènes d’action les plus difficiles à tourner ? Les avez-vous préparées en dessinant des storyboards, puis en faisant réaliser des animatiques ?
La plus complexe de toutes, comme je le disais auparavant, a sans nul doute été celle qui se passe de nuit dans le lycée puis dans le stade. Pour la préparer, et en dépit du fait que je ne dessine pas bien, je gribouille tant bien que mal un storyboard que je donne à un bon dessinateur en lui expliquant ce que j’ai tenté de représenter ! Ensuite, il dessine un beau storyboard que tout le monde va pouvoir comprendre, et sur cette base, mon coordinateur des cascades Brad Allen analyse tout ce qui doit être fait, puis tourne une simulation de ces actions en vidéo, de manière très simple. C’est sa manière de nous faire des suggestions de gestes de combats, de chutes, d’acrobaties, dont nous pouvons ensuite faire un montage en nous disant, « ça, on le garde, ça non, etc. » Après, nous avons fait réaliser quelques prévisualisations 3D de plans, ce qui a permis à Brad de tourner des tests de cascades en tenant compte de la future position des créatures en 3D. Une fois que tout cela est validé et bien mis en place, les acteurs doivent répéter leurs cascades avec les câbles, car cette partie-là découle des deux premières. Comme vous le voyez, nous avons utilisé toutes les méthodes de préparation, du bon vieux storyboard papier au tournage vidéo puis à la prévisualisation 3D.
Au sein du final, est-ce que ce sont les scènes de lutte dans le stade qui ont été les plus compliquées à tourner ?
Oh oui, sans aucune doute ! Quant nos héros arrivent en courant dans le stade, les Magodoriens leur tirent dessus à coup de laser, il y a des explosions partout, Numéro Six se téléporte, John est projeté en l’air, et le Piken attaque. Arriver à coordonner tout cela pour que ce soit excitant à regarder, lisible et toujours compréhensible était très complexe. De plus nous tournions de nuit en pleine été, c’est à dire quand les nuits sont les plus courtes. Après huit heures et demie d’obscurité, le soleil revient, et il faut s’arrêter ! Pendant l’hiver, un tournage de nuit vous permet de travailler une douzaine d’heures, soit l’équivalent d’une journée normale. Et il fallait tourner relativement vite le reste du temps aussi, car le budget du film n’était que de 52 millions de dollars…
Il a l’air d’en avoir coûté beaucoup plus !
Merci ! Si je citais le budget, c’est pour vous expliquer que toute la scène des combats dans le stade a dû être tournée en quatre jours. Après avoir vu le film, les gens me disent « Wow, vous devez être content d’avoir enfin pu disposer d’un gros budget ! » Mais en fait, pour L’oeil du mal, j’avais eu un budget de 80 millions de dollars. Bien sur, je suis ravi que les gens pensent qu’il s’agit d’un plus gros budget, cela veut dire que toute l’équipe a bien travaillé.
C’est très agréable de voir un film dans lequel les effets sont utilisés intelligemment, peu à peu, en crescendo, et non pas comme un feu d’artifice dès le début…
Merci. Je crois que si le public peut faire preuve d’un peu de patience, en sentant qu’il y a du mystère, et que le rythme monte régulièrement d’un cran, il n’en prend que plus de plaisir quant on arrive au paroxysme du film. C’est un procédé de réalisation classique, mais je crois qu’il est vraiment efficace.
Qui est sensé avoir donné la créature capable de changer de forme à Numéro Quatre ? Ce n’est pas clairement expliqué dans le film…
En fait, Henri, le protecteur de Numéro Quatre, sait que cette créature est destinée à la protéger. C’est la raison pour laquelle, quand elle prend la forme d’un petit chien, il autorise John à le garder. Mais il ne voulait pas que John soit au courant de la véritable nature de cette bête.
Vous avez décidé de laisser cette ambiguïté dans le film ?
Oui, c’est une décision assumée !
Quelles ont été les scènes les plus difficiles à diriger, au niveau dramatique ?
Je dirais celle où John avoue à Sam qu’il est un extraterrestre, parce que cela a un fort impact sur son ami, dont le père était obsédé par les OVNIS. Je dois vous avouer que sur la page, cette scène n’était pas extraordinaire. Je me demandais comment nous allions pouvoir la rendre intéressante et émouvante. Nous l’avons beaucoup travaillée avec les acteurs, pour en trouver le « noyau émotionnel ». Une fois que nous y sommes parvenus, en ajoutant des répliques comme « Toute mon enfance a ressemblé à un épisode de X-Files… », et en coupant ce qui n’était pas essentiel, nous avons obtenu, je crois, un joli moment.
Nous avons vu beaucoup d’adolescents dotés de pouvoirs au cinéma récemment. Avez-vous eu du mal, de ce fait, à représenter de manière originale les pouvoirs des personnages de Numéro Quatre ?
J’ai toujours considéré que Numéro Quatre était avant tout l’histoire de l’évolution d’un garçon qui se transforme en guerrier. Je n’ai pas voulu le traiter visuellement comme s’il était un superhéros, car dans notre récit, ses pouvoirs viennent de se manifester, et il lui reste encore beaucoup de choses à apprendre avant de les maîtriser. Par rapport à lui , Numéro Six est beaucoup plus en avance. Son protecteur étant mort, elle se débrouille seule, et son attitude est « Je ne vais pas laisser les Magodoriens me chasser, c’est moi qui vais les traquer pour les éliminer ! » Je dirais donc que la représentation des pouvoirs des personnages n’a pas été un problème, car elle découle de leur attitude, de leur mental, et de ce fait, ne ressemble à rien d’autre. Il y a cependant un cliché des films de superhéros que je voulais éviter à tout prix : l’incontournable séquence de l’entraînement ! On en a tellement vu ces derniers temps que je ne voulais pas lasser les spectateurs en leur montrant ce « passage obligé ». J’ai supprimé la scène du script où Henry entraînait John, et j’ai fait en sorte que John soit contraint d’utiliser ses pouvoirs en pleine action, pendant qu’il est attaqué dans les bois. Il doit jauger le niveau de danger de la situation et bien réfléchir à l’intensité de ses ripostes.
Pourquoi avez-vous décidé d’utiliser principalement des effets spéciaux de plateau, filmés devant les caméras ?
Maintenant que nous disposons de tant d’outils efficaces pour créer des effets en 2D ou 3D, il me semble que certains cinéastes ont tendance à négliger ce qu’ils peuvent filmer pendant le tournage. Quand vous pouvez filmer une vraie explosion, ou un mur qui s’écroule vraiment, ou des éléments de décors truqués pour donner l’impression que quelque chose vient de les percuter, ce que vous captez sur la pellicule est extrêmement riche en termes de textures, de profondeur, de diversités de détails. Pendant la scène de l’attaque du Piken dans le sous-sol, quand John est projeté à terre pendant que l’animal défonce un mur, on peut voir tous les petits débris de briques tomber sur le sol, la poussière qui vole, les gravats projetés au loin. C’est plus réaliste à l’écran, et aussi pour l’acteur qui joue dans la scène. Dans cette situation-là, il n’a rien à imaginer, tout ce qui est sensé lui arriver lui arrive vraiment. C’est bien plus fort que de devoir simuler des choses devant un décor inerte ou un fond vert. C’était la même chose pendant la scène John où est poursuivi dans un couloir du lycée par la créature : il tente de la ralentir en faisant jaillir les placards métalliques des élèves des murs. Nous avons tourné tout cela en direct avec des effets de plateau, et les effets 2D n’ont servi qu’à compléter l’effet réel.
Comment avez-vous conçu l’aspect physique des Magodoriens ?
J’ai d’abord pensé à leur donner une silhouette massive, parce qu’il est encore plus effrayant de penser que les gens qui vous traquent pour vous tuer sont des colosses. J’ai pensé aussi aux chasseurs de prime de Butch Cassidy et le kid, dont on ne voit que les longs manteaux de cuir. A chaque fois qu’ils réapparaissent dans le film, on se dit « Oh non, ils se rapprochent, ils se rapprochent ! » (rires) C’est de là qu’est venue l’idée des manteaux de cuir, qui était justifiée aussi par le fait que les Magodoriens doivent dissimuler les armes qu’ils portent toujours sur eux. Par la suite, j’ai vu quelqu’un qui portait un tatouage sur son crâne rasé, et je me suis dit que ce serait intéressant que ces extraterrestres portent sur leurs têtes des tatouages qui ont des significations militaires précises, et qui indiquent leurs rangs, les batailles gagnées, etc. Après, nous avons pensé à les doter d’un moyen supplémentaire de respirer, et nous avons ajouté des sortes de branchies qui se trouvent à côté des narines. Ils ont aussi des dents assez fines qui font penser à celles de certains poissons. L’avantage de ces petites différences avec les humains, c’est qu’ils peuvent porter un maquillage avec des petites prothèses de camouflage légères et des fausses dents humaines, et avoir ainsi l’air d’être des grands types tatoués au look excentrique. On peut tout à fait les imaginer se balader dans une grande ville sans que les gens leurs prêtent plus d’attention qu’à un groupe de « gothiques » ou de punks ! Les acteurs portent aussi des bottes spéciales, munies de lames à ressort, qui les agrandissent de 30cm et modifient leurs démarches.
Aimeriez-vous réaliser la suite de Numéro 4 ?
Oui, avec plaisir, si le film marche bien. Le tournage a été passionnant, et j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec toute cette équipe.
Avez-vous déjà préparé un « arc » d’histoire pour composer ce qui pourraient être les épisodes 2 et 3 d’une trilogie ?
(Rires) Non, pas encore, car j’ai l’impression que si je le fais, cela risquera de nous porter malheur ! Cependant, j’ai déjà deux ou trois idées en tête à propos de ce que j’aimerais bien voir dans les chapitres suivants. Nous verrons bien…
Quels sont vos projets à venir ?
Je développe un projet intitulé Beat the reaper, un récit plus orienté vers le public adulte. C’est une manière de retourner à ce que je faisais dans mon premier long métrage, The Salton Sea. J’aimerais bien changer de genres, car j’ai enchaîné plusieurs films dans le même registre. C’est important pour moi de faire des choses différentes, qui me permettent de m’épanouir en tant que cinéaste.
