Entretien exclusif avec Kenneth Branagh sur la réalisation de THOR, nouvelle réussite des Studios Marvel
Article Cinéma du Lundi 02 Mai 2011

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Né en décembre 1960 dans une famille modeste, à Belfast, en Irlande, Kenneth Branagh arrive en Angleterre avec les siens à l’âge de 9 ans. Il mène ses études et entre à la Royal Academy of Dramatic Art, dont il ressort diplômé en 1982. Branagh fait ses débuts professionnels au théâtre dans Another Country, monté dans le West End, qui lui permet de remporter le Prix du Meilleur Espoir Masculin. Il entre ensuite dans la prestigieuse troupe de la Royal Shakespeare Company et se produit dans Henry V, Peines d'amour perdues et Hamlet. En 1985, il crée la troupe Renaissance Theatre Company, au sein de laquelle il interprète et met en scène La Nuit des rois, La vie de Napoléon, Comme il vous plaira, Hamlet, La Paix du dimanche, Oncle Vanya, Le Roi Lear, Le songe d'une nuit d'été et Coriolan. La critique réserve un triomphe à sa version de Beaucoup de bruit pour rien et ne tarde pas à surnommer Kenneth Branagh « Le nouveau Laurence Olivier ». C’est en 1989 qu’il entame sa carrière de réalisateur de cinéma, tout naturellement avec une adaptation de Shakespeare, Henry V , qui remporte un grand succès public et critique et obtient plusieurs nominations à l'Oscar. Il réalise et interprète ensuite le thriller policier Dead Again (1991), qui est bien accueilli, avant de signer la comédie douce-amère Peter’s Friends (1992) récompensée par le Peter Sellers Award, décerné par le journal Evening Standard. Sa deuxième adaptation cinématographique de Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien (1993), rencontre elle aussi un beau succès. Il connaît peu après un douloureux échec commercial et critique avec Frankenstein (1994), dans lequel il dirige Robert De Niro dans le rôle de la créature, tandis qu’il incarne le docteur. Suivent Au beau milieu de l’hiver (1995), sélectionné aux festivals de Sundance et de Venise, et une saisissante adaptation de Hamlet (1996). Tournée en 70mm, elle obtient 4 nominations à l'Oscar et est unanimement considérée comme la meilleure transposition cinématographique de cette pièce. Branagh revisite encore une œuvre du « barde immortel » dans Peines d’amour perdues (2000), cette fois-ci sous la forme d’une comédie musicale se déroulant dans les années 30. Plus récemment, il a signé As you like it, puis La flûte enchantée, adaptation de l’opéra de Mozart en 2006, et le remake de 2007 du Limier, d’après la pièce et le scénario de Harold Pinter, avec Jude Law et Michael Caine, qui reprenait là le rôle tenu jadis par Laurence Olivier, dans le chef d’oeuvre original réalisé par Joseph Mankiewicz en 1972. Jouant dans les deux versions, Michael Caine laissait à Jude Law le soin de suivre ses traces dans le rôle de l’autre protagoniste de ce huis clos. Après Frankenstein, Thor est le second film fantastique auquel se consacre Kenneth Branagh. Il a su lui conférer une ampleur et une intensité dramatique inspirées par sa connaissance exceptionnelle des œuvres du répertoire classique…et par son authentique passion pour le Fantastique, tout en faisant de cette adaptation de la BD de Stan Lee & Jack Kirby un divertissement dynamique et très amusant. Very nice work indeed, Mr Branagh !



Votre décision d’assumer la réalisation de Thor prouve que vous appréciez la Science Fiction et le Fantastique. Quels étaient les films, les séries télévisées et les bandes dessinées de ces deux genres que vous aimiez quand vous étiez un enfant qui grandissait à Belfast ?

Votre question évoque beaucoup, beaucoup de souvenirs marquants de ma jeunesse. J’avais été frappé, tout jeune, par Le jour où la terre s’arrêta. J’avais été fasciné par l’atterrissage de la soucoupe volante, et par l’apparition de Klaatu et du robot Gort. J’avais aimé aussi Planète interdite, ses merveilleux décors, le robot Robby, la découverte de la civilisation secrète des krells et le monstre de l’Id, sans savoir à l’époque que le scénario était basé sur une pièce de Shakespeare, La tempête ! L’invasion des profanateurs de sépultures m’avait effrayé, et je sentais bien qu’il y avait là un message important, et que ce film parlait aussi de la manière dont on peut contrôler les gens, influer sur leurs pensées. 2001, l’odyssée de l’espace m’avait laissé une très forte impression. Et du côté de la télévision, étant un enfant dans les années soixante, je ne pouvais pas échapper à la série parodique Batman, avec Adam West dans le rôle du justicier de la nuit ! C’était le superhéros le plus populaire à l’époque. Je regardais aussi les aventures de la série Space Family Robinsons ( Dont le titre est en réalité Lost in Space, série produite par Irwin Allen, NDLR)… La Science Fiction, sans doute plus que le Fantastique, a eu un impact très fort sur moi pendant mon enfance et mon adolescence. Dans le domaine des bandes dessinées, je lisais les aventures de personnages anglais, peu connus ailleurs dans le monde, qui étaient plus ou moins dans la lignée de Bulldog Drummons, le héros des romans policiers écrits par Herman Cyril McNeile dans les années 30. Bulldog Drummons est un capitaine de la première guerre mondiale qui devient détective privé une fois revenu à la vie civile. Dans les comics anglais, il y avait des tas de héros comme lui, des aventuriers durs à cuire, à la mâchoire carrée, qui exportaient partout dans les monde les valeurs britanniques ! Il y avait aussi des héros américains dans des récits principalement inspirés par la seconde guerre mondiale. Je lisais également des BD humoristiques comme Dennis la Malice ou Desperate Dad, ainsi que les aventures de personnages européens comme Tintin. J’avais peu accès aux héros américains, parce que les magazines dans lesquels paraissaient leurs aventures étaient plus chers, et aussi parce qu’ils me semblaient plus éloignés de mon univers, vivant dans un monde très différent du mien. Je crois que ce qui m’a plu dans Thor, c’est le fait que je puisse trouver des points de repères familiers dans les paysages nordiques. Je trouvais que Batman et Superman étaient des personnages formidables, mais ils faisaient partie d’un environnement américain dans lequel je ne pouvais pas me projeter. Dans Thor, on retrouve des environnements nordiques de montagnes, de vallées, de champs, de campagne avec des haies, autant de décors qui me semblaient familiers.

Connaissiez-vous déjà les bandes dessinées de Thor avant d’être approché par Marvel pour réaliser ce film ?

Oui, un peu. J’avais lu certaines aventures du personnage pendant mon enfance, mais je ne le connaissais pas en détail. Je savais qu’il avait cette personnalité sauvage, primitive, atavique, instinctive, tout en étant un dieu doté d’une force et de pouvoirs extraordinaires. Je me souvenais des images très excitantes des comics. J’aimais ce personnage qui était une sorte de mélange d’homme des caverne, de guerrier, et de membre d’une famille royale ! (rires) Les aventures de Thor évoquaient un peu celles des grands guerriers de l’empire romain, même s’il s’agissait en fait de récits nordiques inspirés par les vikings. Ce côté brutal et sans pitié était très intéressant. Ce qui était fascinant aussi, c’était le côté cosmique de ces aventures. Thor pouvait se déplacer dans l’espace, affronter des monstres, recourir à la magie, à des enchantements…J’étais donc assez familier avec cet univers pour savoir ce qui le rendait attirant, sans en être non plus un spécialiste incollable. Au delà de Thor, j’ai toujours été intéressé par le monde des vikings et par les légendes scandinaves.

Comment Kevin Feige, le président des Studios Marvel, vous a-t’il convaincu d’accepter cette proposition ?

Il m’a expliqué sans détour que Marvel recherchait quelqu’un ait une vision très claire de la manière d’aborder l’adaptation de cette bande dessinée, parmi la myriade de possibilités que l’on pouvait imaginer. Il ne fallait pas se perdre dans le dédale de cet univers immense, ni dans la mythologie nordique. Tout cela est si vaste que Kevin souhaitait confier le projet à quelqu’un qui aurait un point de vue très précis, et qui déciderait quelles étaient les parties de cette saga qu’il fallait raconter, et celles qu’il était préférable de laisser de côté. Il fallait aussi choisir un petit groupe de personnages parmi les centaines de protagonistes de ces aventures. Kevin m’a incité à venir lui proposer un point de vue radical, très net, lors de nos premières rencontres à propos du film. Il voulait trouver un réalisateur qui sache exactement quelles parties de la légende et du mythe de Thor il avait envie de raconter sur le grand écran. Et c’est ce que j’ai essayé de faire.

Quelles sont les opportunités et les défis à relever qui vous ont attirés, en tant que réalisateur ?

La possibilité de travailler sur une superproduction, un film à grand spectacle, ce qui est une expérience toute nouvelle pour moi. Avoir la possibilité et les ressources qui permettent d’évoquer une histoire d’une grande ampleur visuelle. Le processus de création de tout cela était une perspective passionnante, tout comme l’idée de voyager avec le personnage dans différents mondes, sur différentes planètes. Je savais que j’aurais la possibilité de montrer cela en ayant recours à des effets visuels ambitieux, car le budget du film était conséquent, et allait nous permettre de répondre aux attentes du public. J’avais la certitude que nous disposerions des moyens de matérialiser nos idées, de laisser libre cours à notre imagination. L’ampleur visuelle, les moyens d’une superproduction, le sujet du film, l’ambition des Studios Marvel, tout cela m’a incité à me lancer dans cette aventure, en sachant que je pourrais filmer cette histoire comme elle méritait d’être contée. Ces opportunités étaient considérables.

En vous replongeant dans l’univers de Thor, avez-vous été surpris par les similitudes qui existent entre le monde des dieux d’Asgaard et les royaumes décrits dans les pièces de Shakespeare ?

Eh bien Shakespeare n’a certainement jamais renoncé à raconter des histoires dans lesquelles interviennent la magie et le surnaturel ! J’ai réalisé une adaptation de Hamlet et toute cette histoire repose sur l’apparition du fantôme du père du héros, qui vient révéler à son fils qu’il a été assassiné. On retrouve en effet beaucoup de thèmes abordés par Shakespeare dans le monde d’Asgaard : il y a la gestion de la vie privée et publique des souverains, les décisions individuelles et personnelles qui ont un impact sur la vie publique, les conséquences à grande échelle de ces décisions, la description de la vie intime des gens « riches et célèbres » qui dirigent ceux qui sont humbles et inconnus, toutes ces intrigues font partie de l’univers des dieux nordiques. Il y a aussi la manière dont les personnages utilisent la magie, la présence du surnaturel, des surhommes guerriers proches des superhéros tels que Macbeth ou le Roi Lear. Ces personnages sont de grands stratèges militaires et jouissent d’un pouvoir immense. Tout cela me permet de dire que grâce aux années que j’ai passées à travailler sur le répertoire de Shakespeare, c’était un univers et des thèmes qui m’étaient déjà très familiers.

Quelle a été votre vision initiale du projet ? Les premières images qui ont jailli dans votre esprit à la lecture du script ?

La toute première vision a été celle des tours d’or étincelantes d’Asgaard. Et des approches de la manière dont nous pourrions évoquer un « âge d’or » de cette cité des dieux, une apogée spirituelle comme celle qu’à connu Camelot dans l’épopée des chevaliers de la table ronde. Nous voulions représenter Asgaard de manière crédible, en montrant la patine des siècles, les petits détails sombres et réalistes, en nous basant sur la culture viking. Mais on devait se rendre compte immédiatement que c’est un monde qui bénéficie à la fois de technologies très avancées et de l’usage de la magie issue de temps très anciens. Il y avait là une opportunité très intéressante de montrer une société qui dispose de connaissances scientifiques extraordinaires tout en ne reniant pas la part primitive de sa civilisation. Je me souviens que les mots qui revenaient sans cesse dans ma description du projet, au cours des premières rencontres, étaient « Il faut que ce soit ancien et flambant neuf, sophistiqué et primitif, technologiquement très en avance et atavique… » Ce sont ces contradictions, ces pôles opposés qui cohabitent qui me semblaient définir le mieux ce monde. Les vêtements devaient aussi jouer un rôle important. Ils devaient être liés au passé des vikings, mais aussi être en mesure de s’adapter à des voyages cosmiques. Je voulais que ces images aient un impact très viscéral, que le public ait l’impression d’être transporté dans un autre monde, une autre dimension. Mon but est de parvenir à donner au spectateur le sentiment qu’il se retrouve au cœur d’Asgaard, en immersion totale, et non pas qu’il se contente de l’observer de loin. On vit ces scènes au plus près de ces personnages incroyables qui montent des chevaux, mais qui peuvent aussi voyager dans d’autres dimensions ! J’avais envie que les spectateurs aient le sentiment de chevaucher à leurs côtés, qu’il y ait un côté très concret , très viril, très ancré dans la terre, dans ces images. Il fallait qu’elles soient très spectaculaires et débordent d’énergie primale.

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