Entretien exclusif avec Marc Missonnier, producteur de THE PRODIGIES : Du roman au film, une aventure de neuf ans
Article Animation du Mercredi 08 Juin 2011

Retrouvez la première partie de ce dossier


Propos recueillis par Pascal Pinteau

Après avoir produit des films en prises de vues réelles aussi différents que Gouttes d’eau sur pierre brûlante, 8 Femmes, Podium, Maléfique ou Anthony Zimmer, qu’est-ce qui vous a incité à vous intéresser à un projet d’animation comme The Prodigies?

Je me suis intéressé à l’idée d’adapter le livre de Bernard Lentéric parce que je l’avais lu en 1982, quand j’avais douze ans, au moment de sa parution en livre de poche, comme beaucoup de gens de ma génération. Il m’avait énormément marqué. Au moment de sa parution, son style d’écriture tranchait avec ce que l’on lisait, et son thème était particulièrement frappant pour les ados, puisqu’ils y retrouvaient des personnages de leur âge, dotés d’une intelligence inimaginable, mal dans leur peau, et qui subissaient des persécutions. Des personnages qui voulaient tout changer, tout casser, mus par une volonté autodestructrice, en se rebellant contre l’ordre établi. En fait, le livre exprime tout ce qu’il y a de plus profond dans l’esprit d’un ado et l’amplifie par le biais d’une fiction teintée de fantastique. Le roman fait aussi une forte impression quand on le lit à l’âge adulte, car on se souvient alors de la force des sentiments de l’adolescence. D’ailleurs, on n’explique pas vraiment pourquoi ces enfants sont si doués, si intelligents. Une des grandes énigme du livre, non résolue, c’est la cause du phénomène qui pousse tous ces enfants à se manifester en même temps auprès de Jimbo, pendant ce moment que l’on appelle le « Where are you ? ». Il n’y a ni explication rationnelle, ni explication fantastique.

Il y a là un parallèle avec l’univers de la bande dessinée X-Men : on n’y explique pas pourquoi des dizaines de milliers de mutants apparaissent spontanément dans le monde entier…

Tout à fait. Je suppose d’ailleurs que si le livre avait été écrit aujourd’hui, il y aurait une explication.

Quand avez-vous pris une option sur les droits du livre ?

En 2002. A l’origine, nous voulions faire une transposition classique de l’histoire, en prises de vues réelles. Nous avons commencé à travailler avec des scénaristes, qui se sont attaqués au problème de cette adaptation, et très vite, de nombreuses difficultés sont apparues. Certaines étaient inhérentes à la structure de l’histoire, notamment au moment du fameux « Where are you ? ». Est-ce qu’il fallait donner au spectateur une explication de tout cela ? C’est une chose de lire le livre et d’être pris par le récit, mais au cinéma, il faut rendre les choses plausibles. On n’est pas obligé de donner toutes les réponses, mais il ne faut pas non plus que le spectateur se pose trop de questions. Nous étions coincés par cela et nous avons beaucoup tourné autour des ellipses narratives du roman qui se prêtaient difficilement à une adaptation en scénario. Le second problème était lié à la violence. Dans le roman, les enfants rois, qui ont entre 11 et 14 ans, sont sauvagement agressés au cours d’une nuit à Central Park. C’est une scène très violente, qui aurait été insoutenable si elle avait été représentée telle quelle à l’image. Mais en même temps, si l’on voulait expliquer le parcours de ces enfants et justifier leur désir de se venger, il fallait que l’on explique l’intensité de ce traumatisme. Plus tard, quant ils se déchaînent, ils tuent aussi bien des adultes que des enfants. Et ce, en agissant de manière froide et calculatrice. C’était extrêmement compliqué à transposer à l’image.

Vous parlez là des difficultés, mais quel est le potentiel cinématographique qui vous a séduit dans cette histoire ?

Sa force. Le fait que les protagonistes sont des adolescents. Quand nous avons acquis les droits du roman, nous voulions faire un film pour les ados. Pour qu’ils ressentent à la vision du film ce que nous avions ressenti en lisant le livre. Il fallait que ce soit un film coup de poing. Mais à cause de la violence, nous risquions d’être interdits aux moins de douze ans, voire aux moins de seize ans, ce qui aurait été un énorme problème pour atteindre notre public. Et la dernière difficulté, c’était que l’action se déroulait aux Etats-Unis, ce qui voulait dire que le film devait être tourné en anglais, et avec de nombreuses scènes d’action, ce qui allait coûter très cher. Compte tenu de tout cela, nous nous retrouvions dans une impasse. Mais, il fallait d’abord réussir à résoudre les problèmes narratifs.

Aviez-vous rencontré Bernard Lentéric avant sa disparition, pour parler du projet avec lui ?

Nous l’avions non seulement rencontré, mais il était depuis le départ un supporter enthousiaste du projet ! Nous avons eu d’emblée un très bon contact. D’ailleurs, Bernard avait été lui-même producteur dans les années 80, et il avait écrit la série Les maîtres du pain, qui avait remporté un grand succès en 1993. Il était bien conscient des différences qui existent entre l’écriture romanesque et l’écriture pour l’image.

A-t’il eu à un moment la tentation d’adapter lui-même son roman pour le cinéma ?

Non. Il avait compris qu’il n’était pas la bonne personne pour faire ce travail d’adaptation et de transposition. Bernard avait déjà un certain âge quand nous avons acquis les droits du livre, et il était conscient d’être un peu déconnecté de ce qui touche les adolescents actuels. En revanche, il était ravi de voir que des jeunes producteurs, fans de longue date de son livre, avaient envie d’en faire un film. D’ailleurs, nous allions le voir régulièrement chez lui, dans son appartement des quais de seine, et nous lui racontions où nous en étions. Je lui ai fait lire les différentes versions du scénario, mais il s’est toujours tenu en retrait. Il considérait que chacun devait faire son métier.

Comment le script a t’il évolué pendant la période où vous envisagiez de tourner le film en prises de vues réelles ?

Nous avons travaillé avec plusieurs scénaristes, en tentant plusieurs adaptations, et en allant à chaque fois dans des directions très différentes. Il y a eu deux étapes importantes qui nous ont permis de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions. La première, c’est la suggestion que nous ont fait deux scénaristes , qui consistait à aller plus loin dans la description des pouvoirs des enfants, et d’en faire des sortes de « X-Men ». Dans les adaptations précédentes, nous en étions restés aux capacités décrites dans le livre : les enfants rois étaient exceptionnellement intelligents, mais c’était tout. Ces deux auteurs nous ont suggéré de leur donner aussi des pouvoirs, pour aller plus loin dans le fantastique. Cela a été un tournant décisif, car nous avons pu décaler la violence de certaines scènes en la faisant basculer dans l’irréel. Et c’était aussi un atout de plus pour séduire un public adolescent abreuvé de comics américains et de mangas. Cela poussait le film vers plus d’action, plus de spectaculaire, mais cela amplifiait aussi notre problème de budget. En dépit de cet apport du fantastique, le problème de la violence restait au cœur du sujet. Le second déclic a eu lieu quand nous étions prêts à jeter l’éponge, découragés de ne pas arriver à sortir de l’impasse. Nous avons réalisé que la solution allait être de transformer le projet en film d’animation. Sans résoudre le problème de la violence, nous allions au moins disposer de moyens graphiques pour la sublimer ou la rendre plus elliptique. L’animation allait permettre de gérer la distance avec laquelle nous allions représenter ces moments-là de l’histoire. Ce déclic a eu lieu en 2007, au bout de cinq ans de recherches d’écritures, et après avoir employé cinq scénaristes à tour de rôle. L’équipe de scénaristes qui travaillait à ce moment-là a donc produit un script destiné à l’animation, mais cela n’a pas marché non plus, car nous nous sommes rendu compte que l’écriture pour l’animation était une discipline particulière, très différente de l’écriture pour la prise de vue réelle. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de m’associer avec quelqu’un qui maîtrise bien l’animation. J’ai contacté Aton Soumache, que je connaissais déjà depuis quelques années. Aton était d’autant plus enthousiaste qu’il avait lu lui aussi le roman quand il était adolescent, et qu’il était à la recherche d’un projet audacieux. Nous nous sommes alors lancés ensemble dans cette aventure, en établissant une co-production déléguée à 50/50, Aton se chargeant aussi de la production exécutive, en raison de son expérience dans le domaine de l’animation. J’avais vu et adoré Renaissance, qu’il avait produit, et qui était une approche révolutionnaire de l’animation en France.

Quelle a été votre première vision du projet, sous sa forme animée ?

Eh bien nous avions d’abord envisagé de le faire sous la forme d’un manga, en animation traditionnelle dessinée à la main, et de le faire réaliser au Japon. En rencontrant Aton, et en discutant avec lui, je me suis rendu compte que ce n’était pas la bonne option. Il ne fallait pas cantonner le film dans le créneau spécifique et un peu étroit du manga, car s’il allait parler très fortement à une certaine cible de spectateurs, il n’allait pas pouvoir s’adresser à un public aussi large que nous le souhaitions. Par ailleurs, travailler au Japon est très compliqué – je m’en étais déjà rendu compte en allant tourner là-bas – surtout quant on ne parle pas la langue. Il y a relativement peu de gens qui parlent anglais, et il y a des habitudes de culture et de méthodes de travail qui sont très différentes. Nous courrions le risque que le projet nous échappe. J’ai donc renoncé à cette option, et nous avons décidé de maîtriser la fabrication en réunissant des talents en France, afin de préserver l’identité du projet. Car même si l’action se déroule aux Etats-Unis, c’est un livre qui a une identité très forte pour le public français. C’est à ce moment, que nous avons fait appel à Alexandre de la Patellière et Mathieu Delaporte, qui avaient écrit le scénario de Renaissance pour Aton. Connaissant bien les contraintes de l’animation, ils nous ont permis d’avancer beaucoup plus vite, et de résoudre tout un tas de problèmes. Nous avons rencontré aussi plusieurs réalisateurs d’animation au cours de cette période. Nous cherchions un profil particulier, car le grand défi dans cette affaire, c’était de faire un film destiné aux ados et aux jeunes adultes.

Avez-vous eu des hésitations à ce moment-là sur le degré de réalisme que vous vouliez donner aux graphismes du film ? Vous pouviez « placer le curseur » à différents niveaux, entre la stylisation et l’imitation du réel…

Ce choix est intervenu après que nous ayons trouvé Antoine Charreyron, qui a fait ses premières armes dans les séquences cinématiques de jeux vidéo. Antoine maîtrisait aussi la motion capture. C’est à ce moment-là que nous avons choisi de réaliser l’animation avec la Mocap. Ce procédé nous permettait de garder l’impact et la dynamique des acteurs humains, sans nous obliger à aller vers l’hyperréalisme. A l’époque – bien avant la sortie d’Avatar – je n’avais encore rien vu de convaincant dans ce domaine. De plus, nous n’avions pas les moyens colossaux nécessaires pour produire ce rendu d’images. Nous voulions développer un style qui se situe entre les comics US et le manga japonais. Quelque chose qui ne soit ni l’un ni l’autre, qui ait une identité graphique européenne forte, et qui puisse se démarquer de tout le reste de la production d’animation. Nous ne voulions pas nous lancer dans une débauche d’effets 3D, car comme Antoine le dit très bien, il fallait donner un aspect viscéral au film, afin qu’il parle aux ados aussi fortement que le roman. Antoine connaissait déjà le livre et l’adorait, et sa formation aux images cinématiques de jeux vidéo lui permettait d’injecter une énergie visuelle qui selon nous, correspondait parfaitement au projet. Sa vision était complémentaire de celle d’Alexandre de la Patellière et Mathieu Delaporte, qui, en tant que scénaristes, ont une approche mentale, intellectuelle du récit et des personnages. Antoine ajoutait une dimension d’action et d’énergie à cette équipe de créateurs. Ces options étant choisies, l’idée de produire le film en 3-D Relief est arrivée à ce moment-là. A l’époque, en 2007, nous n’avons pas pris cette décision en pensant faire quelque chose de révolutionnaire, nous l’avons considéré comme un atout supplémentaire, qui allait dans le sens de l’impact viscéral que nous voulions donner au film.

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