THE PRODIGIES : Entretien avec le producteur Aton Soumache
Article Animation du Lundi 20 Juin 2011

Propos recueillis par Pascal Pinteau

Vous avez produit et vous produisez actuellement des films en prises de vues réelles comme LES ENFANTS DE TIMPELBACH, ainsi que UPSIDE DOWN et LE PRENOM, que l’on verra prochainement, des séries animées comme SKYLAND et LE PETIT PRINCE, et le long métrage d’animation RENAISSANCE. Qu’est-ce qui vous a convaincu d’emblée quand Marc Missonnier vous a parlé du projet d’adapter le roman LA NUIT DES ENFANTS ROIS en long métrage d’animation ?

Nous avons la particularité, chez Onyx films, de faire des films de genres très différents, et nous adaptons nos technologies aux projets que nous trouvons. Nous avons une très grande attirance pour l’animation, les nouvelles technologie et l’image de synthèse, et c’est ce qui nous avait amené à développer RENAISSANCE, un film pour ados & adultes, avec un parti-pris graphique fort, le noir et blanc très contrasté, sur lequel nous avions énormément travaillé. Quand Marc Missonnier est venu me voir avec le projet de LA NUIT DES ENFANTS ROIS, il avait déjà vu RENAISSANCE. Pour ma part, je connaissais déjà le roman de Bernard Lentéric, car je l’avais lu quand j’étais adolescent et il m’avait beaucoup marqué. Marc m’a expliqué qu’il avait acquis les droits d’adaptation cinématgraphique de ce livre depuis quelques années, et qu’il était quasiment impossible à adapter en prises de vues réelles. Il m’a parlé de son idée de l’adapter en Manga, dans un univers à la Ghost in the shell, et m’a demandé ce que j’en pensais. En parlant du projet avec mes équipes, nous avons convenu qu’il y avait là un potentiel très fort pour une adaptation en animation destinée aux ados et aux adultes, mais aussi avec les difficultés liées aux scènes de violence auxquelles Marc s’était déjà heurté. Comme dans RENAISSANCE, où nous imaginions le Paris de 2054, il fallait recréer en partie New York. Et préparer également des scènes de destruction ambitieuses, créer une multitude d’autres décors et trouver le moyen de créer des personnages au graphisme adapté au récit,  ce qui représentait un pari assez compliqué. Très vite, c’est l’image de synthèse qui s’est imposée comme le bon moyen de réaliser le film. Le terme d’animation, que j’aime beaucoup et que je revendique, a une connotation jeunesse et dessin animé à la main. Les américains ont souvent tendance à se référer à la Mocap en l’appelant « Digital makeup », et c’est une expression qui me plaît bien, car aujourd’hui, on peut vraiment capter la performance d’un acteur, puis la transformer pour créer un personnage que l’on intègre dans n’importe quel univers imaginaire. Après ces différentes discussions avec Marc, nous nous sommes mis d’accord sur cette approche, et nous nous sommes associés.

Qu’aviez-vous particulièrement aimé dans le roman de Bernard Lentéric ?

Je l’ai lu quand j’avais 14 ou 15 ans, et il m’avait beaucoup touché, parce qu’il abordait de manière très sensible les émotions de l’adolescence, les pulsions de violence que l’on peut ressentir, l’envie de se rebeller contre le monde entier, tout en inscrivant l’action dans un univers futuriste un peu décalé, à la BLADE RUNNER. Je me suis énormément identifié aux personnages, et je me suis projeté dans les sentiments de plusieurs d’entre eux. Je crois que comme tous les lecteurs ados du roman, j’avais envie de devenir l’un de ces personnages. Le livre était à la fois très juste, et assez subversif.

Quels sont les éléments de l’histoire que vous considériez particulièrement bien adaptés à l’animation 3D ?

Déjà, l’aspect futuriste des environnements qui sont décrits. C’était l’occasion de créer un univers décalé, de concevoir un graphisme particulier, en utilisant tout le potentiel de la 3D. De même, nous allions pouvoir montrer non pas le vrai New York, mais un New York fantasmé, mythique, car il ne faut pas oublier que c’est un auteur français, Bernard Lentéric, qui le décrit dans le roman. Bernard s’est adressé à toute une génération de lecteurs français, et non pas à des lecteurs américains. C’est un aspect important de l’impact du livre. En ce qui me concerne, quand je l’ai découvert à 14/15 ans, je n’étais encore jamais allé à New York, mais je baignais déjà dans la culture américaine au travers des BDs. Il y a donc deux visages de la ville dans le film, d’une part un New York naturaliste, réinterprété graphiquement, et d’autre part un New York fantasmé, encore plus gigantesque, impressionnant et oppressant pour les enfants rois qui ne connaissent pas cette mégalopole. Viktor Antonov et Antoine Charreyron ont utilisé la 3D de manière très originale pour représenter New York, en changeant de perception et de représentation, en fonction des émotions ressenties par les personnages. La 3D nous a permis d’avoir cette maîtrise totale de l’esthétique des images. C’est une démarche atypique dans l’animation, car on se borne souvent à créer des mondes fantastiques et magiques qui sont « figés ». Dans THE PRODIGIES, les décors évoluent constamment, passant d’ambiances réalistes à des atmosphères de fantasmes, d’émotions extrêmes.

C’est justement ce qui est frappant dans les images du film : la force de ces atmosphères graphiques…

Oui. Il y a un champ des possibles incroyable dans le domaine de l’animation, et je crois que Viktor et Antoine ont vraiment inventé là un nouveau style, un traitement inspiré à la fois par le travail de grands photographes et par le style des peintures d’Edward Hopper (1882-1967, NDLR). Le résultat obtenu est très graphique. Ils ont utilisé aussi les lumières artificielles des environnements urbains pour renforcer cette démarche artistique. Il aurait fallu disposer d’un budget colossal pour obtenir le même résultat en prises de vues réelles, et encore, je pense que l’on n’aurait pas créé le même impact en termes d’émotions et de sensations. L’aboutissement de toutes ces recherches, c’est que le style du film ne ressemble à rien d’autre. Ce n’est pas du sous-Disney, ni du sous-Pixar , ni une évocation de l’univers Manga. Tout le monde ne va pas forcément adhérer à cette démarche, mais au moins, on ne pourra pas nier qu’il s’agit d’une approche hors-normes.

Il y a aussi une volonté de créer une animation réaliste des personnages, grâce à la direction du jeu des comédiens pendant les séances de Mocap. Contrairement à certains films américains récents, dans lesquels les personnages surjouent et grimacent en permanence, comme si c’était un concours de cabotinage des plus mauvais acteurs du monde, les héros de THE PRODIGIES jouent au plus proche de leurs émotions, sans en rajouter…

C’est l’un des grands débats dans le monde de l’animation. Au sein d’Onyx, nous faisons à la fois de l’animation 3D en key frame, et de l’animation en Mocap. On entend quelquefois les gens dire « La Mocap, on l’utilise par frustration de ne pas pouvoir traiter le sujet en prises de vues réelles. » Mais ce n’est pas vrai, il s’agit simplement de deux outils complètement différents, que l’on choisit d’utiliser pour obtenir des rendus différents. On peut comparer cela au choix de tourner avec de vrais acteurs sur fond vert ou dans de vrais décors, ou avec un acteur au visage couvert de points de repères dont on va changer numériquement la tête par une tête 3D, au lieu d’utiliser du maquillage. C’est un choix d’outils et d’expression artistique. Si nous avons utilisé la Mocap, c’est pour aller dans le sens que vous décriviez, c’est à dire pour capter au plus près le jeu très intériorisé de vrais comédiens. Il fallait coller à leurs émotions. L’expérience de RENAISSANCE nous a permis d’apprendre que les comédiens ont tendance à jouer de manière théâtrale sur un plateau de Mocap, et à forcer le trait, ce qui les éloigne d’un jeu naturel. Avec Antoine, nous avons travaillé pour obtenir un jeu très naturaliste, en tournant souvent à trois vitesses différentes.

Pour quelle raison ?

Comme il n’y a pas de décors ni d’objets pendant un tournage en Mocap, le seul repère visuel dont vous disposez , c’est le jeu des acteurs. Vous vous demandez alors si le rythme de la scène va être le bon au moment du cadrage et du montage qui se passe après le tournage, dans un second temps. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé aux comédiens de jouer les mêmes scènes avec des vitesses de jeu différentes, pour être sûrs d’être justes au bout du compte, et d’avoir tout ce dont nous avions besoin en stock.

En fin de compte, quelle sont les versions de ces prises que vous avez conservées ? Les plus rapides ou les plus lentes ?

Les plus douces de toutes, celles qui se rapprochaient le plus d’une attitude réaliste. La difficulté de cet exercice, c’est que beaucoup de comédiens font passer beaucoup de choses par leur regard et leur visage et ne sont pas forcément très gracieux dans l’espace. En Mocap, ça ne fonctionne pas. Il a donc fallu puiser dans un vivier de très bons comédiens, en les choisissant après un casting aux USA, et en faisant aussi appel à des acteurs avec lesquels nous travaillons depuis dix ans, et qui connaissent parfaitement la Mocap. Antoine venant à la fois de la 3D et de la prise de vues réelles, il a su combiner les avantages des deux manières de diriger les acteurs, et l’apport de Marc Missonnier a été très important aussi. Les conseils que Marc nous a donné, comme écouter les acteurs au casque pendant la Mocap, pour percevoir toutes les subtilités de leur jeu, ont été très précieux. C’est aussi avec lui que nous avons mis au point le principe des différentes vitesses de jeu. Au final, je suis très heureux du résultat, car j’ai l’impression de voir vivre de vrais personnages, bien intégrés à un univers entièrement graphique.

Dans RENAISSANCE déjà, vous aviez réussi à créer des personnages dont les regards étaient très naturels, ce qui était encore très rare, en 2006 dans le monde de la 3D…

C’est un point essentiel de notre démarche. Des petites souris cartoon qui ont un drôle de regard ne me dérange pas. En revanche, quand il s’agit d’un personnage humain réaliste, vous ne pouvez pas vous permettre de montrer un regard « mort », inerte. Notre démarche a été la même que celle de Peter Jackson quand il a animé Gollum puis King Kong : il s’est basé sur le jeu et sur le regard d’un vrai acteur, Andy Serkis, et l’a reporté sur ces deux personnages. Ce qui fait l’âme d’une personne, c’est le regard. C’est ce qui vous donne des indications sur sa timidité ou son assurance, sa joie ou sa tristesse. Toutes ces informations sont données par des centaines de micro mouvements, de dilatation d’iris, de battements de paupières. Nous absorbons tout cela de manière intuitive et spontanée, chaque fois que nous nous retrouvons en face de quelqu’un. De même, dès qu’il y a un détail qui cloche dans le regard d’un personnage 3D, on s’en rend compte immédiatement. Il faut comprendre qu’un animateur qui travaille en key frame sur des yeux va utiliser des méthodes issues de l’animation classique : il va fermer les paupières du personnage toutes le deux secondes, va dilater de temps en temps ses iris, va faire des petits mouvements qui illustrent ce que pense le personnage. Mais le problème, c’est que ce type d’animation calquée sur des personnages réalistes produit un résultat catastrophique, le fameux « regard de zombie », comme on a pu en voir dans certains films 3D sortis il y a quelques années. Dans la vraie vie, si vous filmez les yeux de quinze acteurs pendant qu’ils jouent un texte, aucun n’aura le même regard.

Comment êtes-vous parvenus à ce réalisme du regard ?

En développant notre propre technologie. Les acteurs portaient des lunettes qui captaient tous leurs mouvements d’yeux, d’iris et de paupières en temps réel. Nous avons gardé précieusement toutes ces données, ainsi que les bandes vidéo tournées en guise de référence sur le plateau de Mocap, afin de les consulter pour coller au plus près au jeu des acteurs. Heureusement, toute cette technologie fait partie des coulisses, et en fin de compte, on ne la voit pas dans le film, ce qui est exactement le résultat auquel nous voulions arriver !

La suite de cet entretien sera disponible prochainement

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