Dans les coulisses de Kaydara : Les français prennent magistralement d'assaut la Matrice
Article 100% SFX du Jeudi 07 Juillet 2011

Par Pierre-Eric Salard

Depuis le 21 mai dernier, vous pouvez découvrir sur Internet un stupéfiant moyen métrage d'une cinquantaine de minutes se déroulant dans l'univers de la trilogie Matrix des frères Wachowski. Depuis une dizaine d'années, les « fan films » sont devenus un genre « amateur » à part entière. L'essor d'internet et des technologies numériques permet aux passionnés de réaliser, à peu de frais, et de partager leurs créations avec le monde entier. Mais le résultat est rarement à la hauteur des espérances. Kaydara représente cependant l'exception qui confirme la règle. Il faut dire que deux jeunes français des Hautes-Alpes lui ont consacré plus de six années de leur vie ! Le héros éponyme, Kaydara, est un chasseur de primes vivant en marge de la résistance humaine, à l'extérieur du monde virtuel créé par les machines. Il ne croit pas en l'existence de la prophétie de l'Élu : Néo ne serait d'ailleurs qu'une menace à l'éveil de la propre conscience des Hommes ! Considérant l'Élu comme son ennemi, au même titre que les intelligences artificielles qui ravagèrent le monde réel, Kaydara n'hésitera pas à l'affronter s'il croise son chemin... Entre les vaisseaux ennemis qui le traquent parmi les ruines de notre civilisation, les mystérieux Agents du monde de la Matrice et un frère vouant un véritable culte pour Néo, le justicier solitaire risque de rencontrer des surprises de taille ! Sans oublier de participer à d'impressionnantes batailles, qu'elles soient aériennes ou virtuelles... A l'origine de cette entreprise démesurée, Savitri Joly-Gonfard et Raphaël Hernandez ont réalisé un véritable exercice de style : respecter les codes d'un univers prédéfini tout en y insufflant leur propre personnalité. Ils n'hésitent donc pas à affirmer que Kaydara est un film de fans... non réalisé par des fans ! Ces deux talentueux trentenaires ont quasiment tout appris de manière autodidacte... jusqu'à recréer l'intégralité de leur film en post-production ! Les cinéastes en herbe peuvent en prendre de la graine : avec du talent, de la persévérance et de la passion, l'imagination reste la seule limite...


KAYDARA official film par Kaydara-film


Entretien avec Savitri Joly-Gonfard et Raphaël Hernandez, réalisateurs et responsables des effets visuels de Kaydara

Propos recueillis par Pierre-Eric Salard

Pouvez-vous nous présenter vos parcours respectifs ?

Raphaël Hernandez : Après avoir obtenu mon bac, j’ai eu la chance d’intégrer directement, suite à un stage, une petite société de production spécialisée dans les images de sports extrêmes. Même si ce que l’on filmait ne me passionnait pas vraiment, cela s'est avéré être une expérience très enrichissante ; j'ai appris à travailler vite et efficacement dans les situations les plus inattendues ! Cela a sûrement eu une influence sur le tournage de Kaydara. Même si, au final, faire de la fiction n’a rien à voir avec filmer un skieur, champion du monde de freeride, en train de descendre une barre rocheuse… Puis une de mes cousines, une amie de Savitri qui savait que nous étions animés par la même passion cinématographique, a insisté pour qu’on se rencontre. Depuis, nous ne nous sommes plus jamais quittés (rires) !

Savitri Joly-Gonfard : Je suis diplômé de l’école lyonnaise de dessin « Emile Cohl ». On y apprend un certain nombre de choses tournées vers la technique, mais finalement l’apprentissage y est assez abstrait. En général, quand tu rentres dans ce genre d’école, tu dessines déjà un peu. Mais cela te pousse forcément à dessiner plus régulièrement, et donc à t'améliorer ! Dans mon cas, j’ai notamment été amené à réaliser, parallèlement à l’école, une bande dessinée pour un éditeur. Cette masse de travail assez considérable m'a en réalité fait progresser encore plus vite qu’en allant à l’école (rires) ! Or j’ai toujours été davantage attiré par le cinéma. Mais les écoles de cinéma ne m'attiraient pas : j’ai donc préféré m’orienter vers ce cursus un peu plus concret à mes yeux. Aussi lorsqu’il fallait produire une petite séquence d’animation, je passais plus de temps sur la mise en scène proprement dite que sur l’aspect technique de l’exercice. J’en rajoutais des tonnes, créais un petit scénario, rajoutais de la musique, etc… Au final, j’avais créé un véritable petit court métrage (rires) ! Mais je récoltais de mauvaises notes à cause de l’animation; que j’avais complètement négligée... et qui était le point central de l’exercice. Ce fut cependant une sorte d’étude inconsciente des futurs effets spéciaux de Kaydara. J'ai notamment réalisé Kouini l’aventurier et la carte de Tendres, un film en animation image par image avec des décors recréés à l'aide de montages photographiques. Il y avait également des prises de vues réelles d'une actrice et d'un chat. Normalement, tous les élèves devaient réaliser un dessin animé. Mais comme les professeurs connaissaient un peu mes ambitions plus « cinématographiques »; ils m’ont permis de réaliser un film avec des prises de vues réelles… La production du film Kaydara a commencé alors que j'y faisais ma dernière année. J’essayais donc de terminer le plus rapidement possible mes travaux de fin d'études afin de pouvoir travailler pleinement sur les effets spéciaux de notre film. Ensuite, Raphaël et moi avons intégré une petite maison familiale perdue dans la montagne dans laquelle, comme deux ermites, nous nous sommes occupés de la post-production du film... pendant de très longues années !

Pouvez-vous nous parler de vos influences ?

Raphaël : Nous nous méfions des influences... ce qui peut paraitre paradoxal quand on vient de faire un film sur un univers qui ne nous appartient pas (rires) ! C’est pourtant vrai ; je pense qu’aujourd’hui beaucoup de films sont réalisés davantage par des cinéphiles que par de véritables cinéastes… Le cinéma de genre a pris son essor avec des gens comme Steven Spielberg et Georges Lucas. Ces gens, il me semble, avaient alors quelque chose à dire... Bien entendu, le cinéma nous influence, mais nous ne sommes définitivement pas des cinéphiles.

Savitri : Ce que l’on aime avant tout, c’est raconter des histoires ! Aussi peut-être que nos influences sont plus abstraites que ce que l'on pourrait croire. Une musique, un livre qui parle de sciences ou d’histoire sont autant, pour nous, de sources dans lesquelles nous pouvons puiser notre inspiration…

Raphaël : Comme beaucoup de cinéastes amateurs qui font ce genre de projet, notre ambition est de devenir professionnel. Avec Kaydara, nous avons l’impression d’avoir atteint une certaine limite. En effet, tout n’était plus que contraintes et difficultés, ce qui a forcément des répercussions sur le travail créatif. Pour nous, devenir pro c’est avant tout gagner une certaine souplesse pour essayer d’aller encore plus loin au niveau artistique…

Savitri : Selon nous, un cinéaste doit être capable de fédérer un large public sans pour autant renier le fond de son récit.  La liste des films et cinéastes que nous apprécions témoigne quelque peu de cette philosophie ; Sergio Leone pour la trilogie des dollars et « il était une fois dans l’Ouest ». Stanley Kubrick pour « 2001 », Ridley Scott pour « Blade Runner », Andrew Dominik pour « l’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford », la série Twin peaks de David Linch, Marcel Pagnol, Darren Aronofsky, John Ford, Alejandro Amenábar, Alex Proyas , Steven Spielberg , Alfred Hitchcock, etc…

Pouvez-vous nous parler de vos travaux professionnels ?

Raphaël : Parallèlement à la production de Kaydara, nous avons reçu quelques sollicitations.  Nous avons notamment accepté des contrats au niveau de l’infographie pour Samsung, quelques pub TV pour les Sims 3, Marmara, etc… Nous ne désirons cependant pas rentrer dans cet engrenage ; nous voulons absolument garder du temps pour développer nos propres projets.

Savitri : Faire des effets spéciaux ne nous intéresse pas. Il s'agit juste d'un outil nous permettant de raconter nos propres histoires.

Combien de temps a duré la production de ce projet ?

L'idée nous est venue il y a huit ans, mais nous avons en réalité travaillé durant six ans sur le film. On a écrit le scénario et tourné le film en 2003. Tout cela a pris, en gros, quinze jours. Puis un an plus tard, on a réellement commencé à travailler à plein temps sur la post-production. En 2003 et 2004, nous nous sommes concentrés sur la construction de certaines maquettes ou la conception de quelques effets spéciaux. Mais tout cela est resté épisodique… D’autre part, nous avons terminé le film durant l’été 2010, mais il nous restait encore un million de choses à faire : les bandes annonces, les making of, les affiches, le site internet, les interfaces dvd et blu-ray, etc… Oui, nous avons même édité un blu-ray (rires) ! Le temps nous a littéralement filé entre les doigts… Nous avons toutefois calculé que nous avons réellement travaillé durant six ans sur le film lui-même…

Pourquoi avoir choisi de réaliser des fan films, plutôt que des projets originaux ?

Savitri : Kaydara était pour nous un exercice  de style. Nous avons toujours eu l’ambition d’essayer de réaliser un film personnel malgré le fait que nous reprenions un univers qui ne nous appartenait pas. L'ennuie, c’est que nous n’avions jamais imaginé que la production d'un tel film nous demanderait autant de temps (rires) ! Sinon, nous nous serions peut-être orientés vers autre chose... Malgré tout, il nous semble que Kaydara  possède quelques nuances intéressantes au niveau du film de fan proprement dit. Dans un sens, nous nous attaquons à plus fort que nous en tentant de faire un film professionnel, tout comme le fait notre héros en s’attaquant au personnage le plus emblématique des films Matrix. A l’image de notre générique, nous nous injectons, tel un virus, dans le monde des frères Wachowski… De ce fait, nous avons réussi, je pense, à y insérer notre identité. En définitive, Kaydara peut être vu, en quelque sorte, comme un film un peu hybride. Nous le présentons nous-mêmes comme un film de fans non réalisé par des fans !

Raphaël : Nous pensons que reprendre un univers comme celui de Matrix avait un certain intérêt au niveau de l’expérience qu’il pouvait nous apporter. En effet, Matrix est un résumé de tout un courant mondial du cinéma de genre. Sans parler des influences tirées des mangas et plus généralement de la culture asiatique ! En abordant ce sujet, nous avons pu nous confronter à tout un tas d’exercices de mises en scène propre à ce cinéma là…

Savitri : Matrix est un film culte qui a marqué un certain tournant dans l’industrie cinématographique. Aujourd’hui encore, il reste une référence et continue à influencer les réalisateurs. Sans avoir la prétention d’avoir réussi notre coup, le fait de se confronter techniquement à un telle référence nous permet de démontrer nos compétences auprès des professionnels. 

Raphaël : En fait, nous ne connaissions même pas l’existence des fans films ! C’est lorsque nous avons entamé la post production de Kaydara que nous en avons appris l’existence. Par ailleurs, nous nous méfions du terme « fan ». Bien sûr, on peut respecter et aimer une œuvre, comme nous aimons et respectons Matrix... mais de là à être fan, je pense qu’il y a un véritable fossé ! Un autre élément nous dérange. Certains films, de nos jours, sont clairement calibrés pour justement faire plaisir aux fans. On appelle ça du « fan service ». Or nous pensons que c’est une contradiction avec la nature même d’un travail artistique qui doit être, à notre sens, uniquement influencé par la personnalité de son auteur. De manière symbolique, si nous, auteurs, nous nous projetons dans le personne de Kaydara, on ne peut pas dire que nous ayons à l’égard de Matrix, et du personnage de Néo plus particulièrement, une démarche de fans. Au contraire, nous nous mettons en opposition avec ce dernier ! Pourtant, et sans trop vouloir en dévoiler, nous pouvons voir qu’au fur et à mesure du film une certaine forme de respect va s’installer entre Kaydara/nous et Néo/Matrix…Tout cela peut justifier la raison pour laquelle nous avons accepté de consacrer autant de temps sur un projet à connotation impersonnelle… Toutefois, comme nous l’avons déjà dit, nous ne pensions pas, au départ, que nous mettrions autant de temps pour aller au bout de cet entreprise… Il est vrai que parfois, étant donné la masse de travail à accomplir, c’était psychologiquement difficile de se convaincre que tout cela avait un sens… Maintenant, cela fait partie de notre histoire et nous l’assumons !

Pourquoi avoir choisi d'utiliser des techniques complémentaires, et de ne pas utiliser uniquement des images de synthèse ?

Nous pensons que le tout numérique, excepté à très haut niveau, n’est pas encore la solution miracle permettant de s’approcher le plus possible de la réalité. Toutefois, en regardant les making of des films à gros budgets, on se rend souvent compte que le réel est encore très présent dans le processus de création. Par exemple, dans les derniers Stars Wars, beaucoup de maquettes étaient préalablement construites pour pouvoir ensuite avoir à disposition des références très précises, et ainsi créer les environnements 3D de manière plus réaliste… D’autre part, nous aimons le réel. Notre approche est plutôt de partir d’une base réelle et de réfléchir ensuite aux moyens de la sublimer, de lui rajouter de l’ampleur. Cela permet d’avoir, au départ, un élément matériel qui nous apportera forcément une certaine dose d’inspiration et qui, lors d’un tournage, aura aussi une certaine importance au niveau de l’immersion des comédiens.

Qu'est-ce qui a été le plus difficile à faire dans votre projet ?

De conceptualiser le design général ! On voulait quelque chose d’un peu original dans sa finalité esthétique… Ne pas tomber dans le film full 3D, très à la mode aujourd’hui. Aussi, en mélangeant les techniques, nous nous attelions à quelque chose d’un peu expérimental. La difficulté a donc été d'aboutir à un résultat visuellement cohérent.

Avant ces projets, vous n'aviez aucune expérience quant aux effets visuels ?

Savitri : Nous sommes avant tout des autodidactes. Nous pensons d’abord à ce que nous voulons raconter ou montrer puis, ensuite, nous inventons ou recherchons les bonnes techniques pour arriver à nos fins. Par ailleurs, sans vouloir être prétentieux, nous pensons que pour faire de bons effets spéciaux, il faut avoir un certain sens artistique. Recréer la réalité est bien sûr très compliqué ; il faut véritablement ressentir les choses pour être en mesure de rajouter au plan le paramètre ou l’élément qui va faire que cela fonctionne…

Raphaël : Savitri possédait déjà une expérience grâce à des petits films qu’il avait réalisés lui-même en amateur. En fait, nous nous sommes dits que si nous poussions les techniques utilisées dans ses films, nous pourrions peut-être arriver à créer quelque chose d’intéressant...


making-of KAYDARA prologue 1/9 par Kaydara-film


RATRIX

Kaydara s'ouvre sur Ratrix Hero,un véritable court métrage en animation image par image qui s'inspire lui-aussi de l'univers de la trilogie Matrix...

Raphaël : Le court métrage d’animation Ratrix qui marque les sept premières minutes de Kaydara a été finalisé des années avant que ce dernier soit terminé à son tour. Aussi, comme il avait un caractère indépendant, on a décidé dans un premier temps de le dissocier de notre film. Cela nous a offert un lien avec la « réalité » grâce au très bon accueil qu’il a pu avoir auprès des professionnels et du public.  Difficile de comptabiliser combien de gens l’ont vu, mais il a été diffusé à la télévision en France et à l’étranger. On a également reçu des prix dans des festivals alors que nous étions parfois en face de véritables productions de qualité. On a même eu droit à une diffusion au très prisé festival du court métrage de Clermont Ferrand !

D'où est venue l'idée pour ce court-métrage ?

Raphael : Nous avons développé Ratrix alors qu’on travaillait déjà sur Kaydara. Au départ, nous n’avions pas aussi clairement défini Ratrix. C’est d’ailleurs le seul élément que nous avons fait évoluer au fil de la production. Pour la simple raison que sa création ne dépendait pas de paramètres humains et techniques extérieurs (rires) ! Le personnage de Iad, le frère de Kaydara, regardait bien, dans le scénario original, un film pour enfant mais qui n’avait pas forcément de lien avec Matrix. Nous avons finalement pensé qu’il serait intéressant de recentrer l’univers de Matrix au sein de notre propre film dès les premières minutes. Par ailleurs, même si je n’aime pas trop commenter le sens que nous avons voulu donner aux choses, disons que le film est construit d’une façon où petit à petit, en parlant ou montrant de manière indirecte le personnage de l'Élu, nous introduisons le sentiment que Néo est, au sein de notre histoire, un personnage mythique, impalpable. De manière inconsciente, cela me fait penser au personnage du colonel Kurtz dans le film « Apocalypse Now ». On en entend parler pendant tout le film pour ne le découvrir qu’à la fin. L’impact émotionnel, quand on le découvre, est ainsi très intense ! Le réalisateur le présente comme un personnage presque mystique. Enfin, au niveau de l’exercice de style et du film amateur proprement dit, le spectateur s’interroge dès lors sur la présence, ou non, de Néo dans notre propre film.

Savitri : Sur un plan davantage terre-à-terre, Ratrix a également vu le jour parce que Raphaël a eu l’idée de transposer mon film de diplôme de fin d’étude, Kouini l’aventurier et la carte de Tendres, dans l’univers de Kaydara et de Matrix plus particulièrement. En effet, dans mon film, le personnage était une souris animée image par image qui évoluait dans un décor construit à base de compositions photographiques. On a confectionné un petit costume de Néo, on a intégré nos personnages dans des décors cette fois entièrement recréés en image de synthèse, on a changé la souris en rat et Ratrix était né (rires) !

Pouvez-vous nous expliquer en détail le processus de création de Ratrix Hero ?

Raphael : Seuls Savitri et moi avons travaillé sur cette séquence. On a, dans un premier temps, créé un storyboard. Une animatique a ensuite été réalisée afin de pré-visualiser chaque plan que composait le film. A l’aide de la machine qu’il avait lui-même construit pour permettre d’animer les figurines de Kouini l’aventurier et la carte de Tendres, Savitri animait image par image les personnages de Ratrix devant un fond bleu. Le décors en 3D ont été construits de manière classique : modélisation des décors, plaquage des textures, éclairage, etc… La subtilité est que les plans étaient divisés en plusieurs couches, car nos ordinateurs n’avaient pas la puissance de calculer chaque plan en une seule fois. Par exemple, sur un plan de ville, on calculait séparément les différents immeubles, routes, véhicules, qui le composaient. Enfin, le travail de composition permettait de regrouper tous les éléments, à l'instar d'un immense puzzle… Il fallait donc, en amont, tout préparer dans les moindres détails car on ne découvrait parfois un plan que plusieurs semaines après sa mise en chantier !

A part l'expérience de Savitri en la matière, existait-il d'autres raisons qui vous ont poussés à réaliser Ratrix Hero en animation image par image ?

Le premier plan du film, qui est un long plan-séquence, comporte une certaine ambiguïté : le spectateur peut se demander si ce qu'il voit est bel et bien une image de film réel, ou celle d’un film d’animation. L'objectif était de le surprendre ; il découvre alors Néo en gros plan... sous la forme d’un rat ! De ce fait, il y a un traitement de l’ensemble graphique qui se veut, dans une certaine mesure, réaliste. Aussi, pour harmoniser au mieux décors et personnages, nous avons fait le choix d’utiliser de vraies figurines. Pour la simple raison que faire des personnages en 3D réalistes reste, même pour une vraie production, un défi difficilement surmontable. Par ailleurs, si nous avions eu réellement les moyens, nous aurions certainement créé nos décors à l'aide de maquettes. Mais à notre niveau, cela nous aurait demandé de longs mois de travail supplémentaires... Encore une fois, nous voulions réaliser Ratrix le plus rapidement possible car c’était tout de même un gros boulot... qui n’était pas réellement prévu au départ (rires) ! Enfin, même si nous adorons des films comme « Toy Story », nous restons infiniment plus sensibles au charme visuel d’un « L’étrange Noël de Mr Jack »...

Pouvez-vous décrire la manière dont les personnages ont été créés ?

Savitri : Les personnages sont donc des figurines munies d’un squelette mécanique pour permettre l’animation image par image. L’armature est recouverte de plastiline, qui sert à créer la forme finale du personnage. C’est la technique qu'a utilisé le studio Aardman pour les films Chicken Run ou Wallace et Gromit. Malheureusement, nos squelettes mécaniques ne sont bien sûr pas aussi sophistiqués que ceux qu’ils utilisent, ce qui rend l’animation plus délicate. D’autre part, la plastiline est une matière très coûteuse... pour des amateurs ! Du coup, on a dû se contraindre à recouvrir les parties les moins précises avec de la pâte à modeler plus classique. Ensuite, nous avons fait des animatiques en 3D de nos plans, puis nous avons fait l'animation en fonction de ce travail de pré-production. Devant un fond bleu, nous avons capturé chaque étape de l’animation avec un appareil photo, qui à l’époque possédait une résolution de 3 millions de pixels.

Raphaël : Nos décors sont donc réalisés en 3D. Il nous fallait un stock de textures pour pouvoir les habiller. Par ailleurs, le film se situe dans un cadre très urbain. Ce qui pour nous, en terme de références visuelles, était un peu problématique dans le sens où nous habitions dans les montagnes (rires) ! Par ailleurs lorsque tu recherches dans des livres ou Internet (que nous n’avions pas à l’époque) des images de villes américaines, tu tombes surtout sur des images d'immeubles photographiés de loin… Nous avons donc eu l’idée de reprendre des photos dans des bouquins du vieux Paris ! Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une similitude entre les bas-fonds  de certaines villes américaines et les images de rues du vieux Paris. Il est amusant de savoir que nous avons finalement recréé un environnement urbain américain à l'aide d'images d'architectures bien de chez nous !

Combien de temps a duré la production de ce court-métrage ?

Savitri : Six mois exactement. En fait, nous avons tout fait pour que Ratrix soit réalisé le plus rapidement possible. Il ne fallait surtout pas alourdir la masse de travail qu’il nous restait encore à abattre sur le reste du film ! Toutes les décisions prises devaient êtres les bonnes ; nous ne pouvions pas nous permettre de nous retrouver avec un plan qui aurait demandé plusieurs semaines de boulot et qui, au final, ne s’intègrerait pas dans le montage...

Quelles ont été vos influences en matière de bande dessinées, animation et films de prise de vue réelles ?

Encore une fois, les influences ne sont pas un moteur créatif pour nous. Toutefois, en reprenant un film comme Matrix, il était clair qu’il fallait respecter toute une série de codes mis en place par les auteurs originaux. Dans Ratrix par exemple, la mise en scène est très marquée par les mangas japonais. Plus précisément, si on regarde avec attention, nous avons finalement dans ce court métrage une animation assez sommaire avec des personnages qui bougent peu. En effet, à la manière d’un dessin animé japonais c’est toute la mise en scène autour des personnages qui crée le mouvement. Le montage et le déplacement de la caméra sont autant d’éléments qui permettent ce dynamisme. Prenons l’exemple d’un dessin animé culte comme Dragon Ball : on remarquera que, pendant des épisodes entiers, les personnages ne bougent quasiment pas. Le tour de force, c’est que cela ne lasse pas le spectateur ! C'est tout simplement dû au charisme que véhiculent les héros, dans leurs regards, la posture qu’ils ont, le cadre de la caméra, etc…  Ratrix a été pensé ainsi. On a donc essayé de rendre notre rat le plus charismatique possible (rires) ! Nous nous sommes simplement laissés naturellement influencer par Matrix lui-même. Nous apprécions notamment la qualité de sa mise en scène en ce qui concerne les prises de vues liées à l’action, et plus particulièrement les scènes de combats. Certes, il empruntent beaucoup aux mangas ! Mais on avait jamais réellement vu ça avec des acteurs réels.  La mise en scène met véritablement en valeur le mouvement des comédiens ; cela reste aujourd’hui encore très plaisant à regarder. Aujourd’hui, des montages rapides ou autres artifices de mises en scène donnent trop souvent l’impression que le spectateur a vu quelque chose d’extraordinaire... alors qu’en réalité les acteurs ne font presque rien ! Nous regrettons cela, et c'est pourquoi Matrix reste une influence pour nous. La caméra y est bien pensée, elle est intelligente et sert le propos de leur histoire… Mais nous ne nous inspirons d’aucune mise en scène en particulier. Matrix étant lui-même un carrefour d’influences du cinéma de genre, on pourrait faire une liste interminable de nos influences indirectes en citant : Alien, Terminator, Akira, Ghost in the shell, La cité des enfants perdus, Superman,  Stars wars, etc…


making-of KAYDARA the actors 2/9 par Kaydara-film


KAYDARA

Comment est né le projet Kaydara ?

Raphaël : A la base, j'étais le responsable du projet. On a d'abord décidé de ce que l’on voulait dire, puis on a remonté le film à l’envers en imaginant les scènes qui nous permettraient d’atteindre cette finalité. Ce qui fait froid dans le dos aujourd’hui, c’est de penser qu’entre l’instant où j’ai eu l’idée de l’histoire et le moment où nous avons finalisé le scénario, il ne s’est passé que deux jours… Ce qui signifie que l’on a travaillé pendant six ans de notre vie sur un projet qui a été établi en seulement 48 heures ! Nous pensons que tout œuvre artistique est forcement liée à la personnalité de ses auteurs. La relation entre Iad et Kaydara comporte quelque part certaines similarités avec le rapport que nous entretenons, Savitri et moi…

Quel était le budget de départ ?

Raphaël : Il n’y a jamais eu véritablement de budget de départ (rires). A défaut d’un investissement financier, nous avons tout misé sur l’investissement humain.  Ce film devait être le produit de gens passionnés qui se donneraient à fond et de manière bénévole… Au final, nous avons eu réellement deux postes de dépenses. Il y avait d'abord une caméra semi pro (Sony 150p) à 150 euros la journée pour officiellement deux jours de tournages. Les prises de vues principales de Kaydara se sont étalées sur deux weekend. Nous avons alors utilisé une technique bien connue des amateurs qui consiste à louer une caméra pour un jour précis de la semaine, en l’occurrence le samedi ou le dimanche. Cela permet de récupérer une caméra pendant plus de deux jours... et de n’en payer qu’un seul dans la mesure où les sociétés de location sont la plupart du temps fermées du vendredi soir au lundi matin ! L'autre poste de dépense a consisté à payer la prestation de deux acteurs professionnels qui ont doublés les voix de nos deux personnages principaux. Encore une fois par manque de moyen, nous avons fait cela de manière assez modeste, sans synchronisation directe avec le film et avec seulement une heure par acteur. Il a donc fallu préparer en amont la séance de doublage de manière très méticuleuse afin de pouvoir diriger le plus rapidement et précisément possible la prestation des acteurs. Un détail : nous n’avons pas fait les voix en France car c’était trop onéreux. Nous avons trouvé un petit studio en Angleterre. Au final, le prix du billet d’avion, la location du studio et les deux heures avec les acteurs ne nous ont pas coutés plus de 1000 euros tout compris. Soit le devis que nous présentaient certains studios français pour enregistrer la voix d’un seul acteur !

Savitri : En six années de développement, nous avons bien sûr dépensé de l’argent pour tout un tas de choses aussi diverses que de la peinture pour notre fond bleu, quelques outils pour la construction de nos maquettes et d'autres décors, de nouveaux disques durs, etc… Ce sont de petites dépenses faites au fil du temps, et plus ou moins impossibles à quantifier… Pour tout le reste, il s'agissait véritablement de débrouille : on a notamment démarché les mairies de notre région pour qu’elles nous prêtent du matériel en tout genre. Cela allait du projecteur de salle de spectacle au souffleur de feuilles pour générer du vent… On a réquisitionné tous les outils qu’on pouvait dans nos familles respectives ; les pompiers nous ont également prêtés des tuyaux pour nos scènes sous la pluie, etc... Nous avons aussi dévalisé les décharges et autres casses des alentours. Nos maquettes sont d'ailleurs créées à base de détritus en tous genres (rires) ! Enfin, en ce qui concerne la post-production informatique, nos machines sont de simples ordinateurs familiaux… En conclusion, nos deux véritables dépenses en rapport avec le film auront donc été la location de la caméra et le doublage des voix, soit environ 1300 euros de budget.

Combien y-a-t-il de plans truqués dans Kaydara ? Pouvez-vous expliquer le processus de création du film ?

Raphaël : Tous les plans du film sont truqués... et il y a, à peu près, 1000 plans ! Les choses se sont déroulées ainsi : nous avions défini des rôles précis pour chaque membre de  l’équipe et, dans un premier temps, j’étais seul aux commandes de la réalisation du film. Savitri était, quant à lui, le premier assistant réalisateur. En gros, c’était la seule personne en qui j’avais confiance  pour me seconder (rires) ! Mais très rapidement, les choses se sont tellement mal passées lors du tournage principal, en 2003, que Savitri n’assistait même plus aux prises de vues. Il était trop occupé à travailler sur 1000 tâches en même temps, comme la construction des décors qui demandait encore beaucoup de travail. Nous avons vite compris les limites d’un tel projet amateur... Replaçons le film dans son contexte : nous avons tourné l’ensemble de Kaydara dans une ville désaffectée. En fait, chez nous, il existe un immense barrage qui a demandé plusieurs années de construction dans les années 1960. EDF avait donc fait construire une véritable petite ville pour loger ses ouvriers, avec un cinéma, des lieux de vie, un terrain de foot, etc… Une fois la construction de l'ouvrage terminée, la ville fut fermée et laissée à l’abandon. Trente ans plus tard, nous revenons sur les lieux... où la nature a repris ses droits dans une ambiance un peu malsaine de ville morte… On a alors investi cet endroit pendant une quinzaine de jours, ce qui correspond à la préparation des décors et aux deux week end de tournage proprement dit. Les évènements ont commencé à s’envenimer lorsque l’on a commencé à tourner : le temps nous était compté, l’exigence était de mise et il fallait que tout fonctionne très rapidement. Des frictions sont apparues entre les membres de l'équipe. Les gens étaient généralement là pour rendre service, ce qui a fini par créer un décalage entre notre ambition professionnelle et celle des gens qui participaient pour s’amuser. Certaines personnes se sont donc clairement retournées contre nous. Ajoutons à cela la technique qui ne suit pas, faute de moyens, de main d’œuvre et de manque de temps. On s'est donc retrouvés dans une sorte de chaos où tout le monde avait envie de nous tuer… Mais l’expérience reste géniale : les gens se révèlent et certains deviennent de véritables alliés avec qui tu tissent des liens très sincères… Bref, on a réussi miraculeusement à tourner tous les plans du film !

Raphaël : Mais c'était sans compter ceux des maquettes, qui n’avaient  pas encore eu le temps d’être construites. A ce stade là, nous nous sommes retrouvés, Savitri et moi, les deux seuls responsables de toute la post-production du film ! Ce qu’il faut alors comprendre, c’est que nous avons sans cesse évolué au fur et à mesure des années. Au départ, notre vision était assez naïve. Nous pensions que deux mois suffiraient pour réaliser toute la post-production du film ! J’ai commencé le montage et Savitri a parallèlement entamé la construction de la première maquette de vaisseau - celui des héros.  Depuis son enfance, Savitri construit des maquettes ; il était donc responsable de cette tâche. Bien entendu, il s'était fixé des objectifs plus ambitieux que tout ce qu’il avait fait auparavant ! Ce travail lui a alors demandé deux mois. Soit les fameux deux mois que nous avions prévu pour toute la post prod… C’est à ce moment là qu’on a commencé à comprendre que faire ce film allait vraisemblablement être plus compliqué que prévu (rires) ! J’ai alors moi-même, pour gagner du temps et en étudiant la technique de Savitri, construit la seconde maquette de vaisseau, celle du personnage de Dante. Sans oublier tout un tas d’éléments indépendants, dont les canons qui nécessitaient des prises de vues rapprochées ! Parallèlement, nous avions quelqu’un qui était chargé de nous faire certains effets en images de synthèse que nous avions besoin pour le film. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme on l'espérait. Finalement, cette personne nous a été utile au niveau de la formation, car elle a appris les bases de la 3D à Savitri. Nous n’avions alors dans un sens, plus vraiment besoin d'aides pour arriver à nos fins. On a ainsi commencer à re-conceptualiser un certain nombre de choses. On a travaillé chaque scène les unes après les autres en se demandant comment les tirer esthétiquement vers le haut. Pendant toutes ces années, on a donc fait un travail de restauration de nos propres images. Comme si Georges Lucas avait tourné Star Wars et ne l’avait pas sorti en 1977, attendant des années plus tard sa sortie en édition spéciale !

Raphaël : Nous avons donc opéré à de nombreux niveaux. Nous avons intégré des centaines d’éléments 3D pour enrichir et donner plus de crédibilité à nos décors. Dans la même idée, nous avons fait des extensions dans les décors pour leur donner davantage d’ampleur et de profondeur. Nous sommes allés de plus en plus loin en nous résignant à détourer la totalité des plans du film. En gros, chaque élément d’un plan est dissocié pour pouvoir être géré séparément, et donc optimisé. Nous pouvions alors rajouter des profondeurs de champs afin de simuler l’utilisation de véritables objectifs de cinéma, rajouter des artifices comme de la fumée ou autres brumes, mieux gérer la lumière, etc… Mais nous n’avons pas uniquement intégré des éléments numériques à nos anciens plans ! Nous avons également tourné énormément de choses réelles. On a passé des journées à filmer des nuages, des détails comme des brindilles qui ondulent au vent, du verre qui tombe sur le sol, de l’eau qui rebondit dans une flaque, etc… Le but est de créer un  mélange entre éléments réels, maquettes et effets virtuels pour au final obtenir des plans plus riches et donc forcement plus réalistes. Chaque technique, prise séparément, possède ses propres limites. Mais quand on mélange tous ces procédés, on parvient plus facilement à désorienter le spectateur qui ne sait plus ce qui est réel ou ce qui ne l’est pas ! En conclusion, je dirais que Savitri s’est imposé petit à petit, au même titre que moi, réalisateur de ce film. Il s’y est complément consacré et a réinventé, de concert avec moi, tout le visuel de Kaydara...

Combien de personnes ont travaillé sur Kaydara ?

En gros, voici les membres essentiels de l’équipe technique de Kaydara. Sébastien Lambotin fut le responsable du côté technique sur les tournages. C’est quelqu’un de très doué ; il possède une sorte d’instinct naturel pour réparer, comprendre le fonctionnement de n’importe quel mécanisme… Dès qu’il y avait quelque chose qui ne marchait pas, nous l’appelions en étant sûr que, quoi qu’il arrive, il parviendrait à régler le problème (rires) ! Sébastien travaillait avec une équipe essentiellement composée de deux personnes, dont Vincent Ricavy, spécialisé dans le domaine de l’électricité. C’est grâce à lui que l’on a eu du courant dans la ville fantôme où nous avons tourné le film ! Il y avait aussi Jonathan Joly, le jeune frère de Savitri.  A eux trois, ils ont préparé tout un tas d’éléments pour les tournages. Notamment certains murs dans lesquels, à la manière de Matrix, les personnages se font encastrés violemment. Nous avons également reçu l'aide de Patrice Schön, un artificier amateur de notre région. Les deux chorégraphes qui ont réglé les scènes de combats sont Guillaume Bouvet, champion de France technique de Kung Fu, et Olivier Fine. Guillaume interprète également l'un des personnages emblématiques du film... Enfin, Raphaël Hautefort est le talentueux compositeur de la musique du film.

Pouvez-vous nous raconter les temps forts de la production ?

Lorsque nous coupions du bois pour ne pas mourir de froid dans la montagne où nous vivions, isolés (rires) ? Blague à part, c’est vrai que nous ressentions parfois l’ambiance « Shining », coupés du monde à faire notre film comme deux autistes… Mais au niveau de l’intensité, je pense que le tournage reste pour nous l’expérience la plus épique ! Il y avait tellement d’énergies entremêlées, autant négatives ou positives, que nous avons eu l’impression de redonner vie à un endroit qui était à la base froid et totalement mort… Après, c’est toujours excitant de voir les choses prendre forme. Je me souviens quand on a mis trois écrans de télévision et deux vieux moniteurs d’ordinateurs les uns à coté des autres afin d’imaginer ce que donnerait notre maquette de vaisseau final… Il faut parfois avoir un certain degré d’imagination (rires) !


making-of KAYDARA special effects 3/9 par Kaydara-film


La seconde partie de cet entretien sera mise en ligne le mois prochain !

En attendant, retrouvez l'univers de Kaydara sur le site officiel.

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