Entretien exclusif avec Joe Johnston, réalisateur de CAPTAIN AMERICA : THE FIRST AVENGER - Première partie
Article Cinéma du Mercredi 14 Decembre 2011
A l'occasion de la sortie de Captain America en Blu-ray et DVD, nous vous proposons de redécouvrir notre entretien avec le réalisateur Joe Johnston. L’année dernière, ESI avait eu le plaisir de nous rendre sur le tournage de CAPTAIN AMERICA, et de rencontrer l’équipe du film au grand complet, à l’exception du réalisateur Joe Johnston, complètement accaparé par son travail le jour de notre visite. Nous l’avons retrouvé à Los Angeles, pour parler de cette première aventure très attendue du superhéros de la seconde guerre mondiale…
Par Pascal Pinteau
Premières images
Los Angeles, en mars dernier. C’est par une soirée exceptionnellement pluvieuse que nous franchissons les célèbres grilles des studios de la Paramount. A deux pas du parking, non loin du splendide ciel bleu peint en trompe l’œil sur le flanc d’un plateau, se trouve la salle de cinéma principale des studios, ornée d’une jolie façade avec une marquise soulignée de néons multicolores. Joe Johnston attend là, devant la porte, alors que l’on s’apprête à projeter pour la première fois quelques séquences de son nouveau film, CAPTAIN AMERICA : THE FIRST AVENGER. C’est Kevin Feige, le dynamique président des studios Marvel qui prend le micro pour nous expliquer que nous allons être les premières personnes au monde à voir quelques scènes quasi-terminées du film. Il s’excuse par avance de ne pas pouvoir nous en montrer plus, car les effets visuels des autres séquences ne sont pas encore assez avancés. Le rideau de velours s’ouvre, les logos Marvel et Paramount apparaissent et la découverte du film commence… Le premier extrait, se déroule à notre époque, en plein Arctique. Une équipe de scientifiques localise l’épave d’un avion gigantesque pris sous la glace. Utilisant un laser tournant pour découper un disque dans un morceau de carlingue affleurant le sol, les savants créent une ouverture et utilisent une corde pour descendre à l’intérieur de l’énorme engin. Ils découvrent alors le bouclier de Captain America figé dans un bloc de glace… Dans l’extrait suivant, nous nous retrouvons dans les années 40. Un prêtre et un jeune homme se barricadent à l’intérieur d’une église norvégienne dont les murs tremblent à l’approche d’un engin que l’on devine colossal. Un énorme bélier fixé sur un tank défonce les portes et la façade de l’église, qui s’écroulent sur le jeune homme. Une silhouette émerge du nuage de poussière, marchant sur les gravats : il s’agit de Johann Schmidt (Hugo Weaving) vêtu de son uniforme de chef de l’Hydra. Il est venu chercher le légendaire cube cosmique, qu’il sait caché quelque part dans ce lieu saint, et commence à interroger le prêtre en lui disant qu’il épargnera peut-être les habitants du village s’il coopère. Le vieil homme désigne un tombeau de pierre. Tandis que les soldats de l’Hydra peinent à l’ouvrir, Schmidt en fait basculer le couvercle d’un seul geste, et retire le cube translucide des mains du guerrier momifié allongé là. Mais Schmidt comprend vite qu’il ne s’agit que d’un leurre. Il jette le cube factice sur le sol, observe les lieux, et ne tarde pas à découvrir la véritable cachette de l’objet magique qu’il convoite…Troisième extrait : la séquence de transformation de Steve Rogers (Chris Evans) dans le labo du professeur Erskine (Stanley Tucci). Scène d’autant plus efficace que les trucages numériques qui permettent de donner une apparence chétive et une petite taille à Chris Evans (il apparaît ainsi pendant toute la première partie du film) sont saisissants de réalisme. Par contraste, on pourrait croire que le Steve Rogers grand et musclé qui émerge du caisson a été bodybuildé en 3D, alors qu’il s’agit du vrai physique de Chris Evans !..Dans le dernier extrait, le beau Steve Rogers, vêtu d’un uniforme de l’armée américaine, est littéralement happé par une secrétaire dans les ateliers d’Howard Stark. Elle entreprend de l’embrasser malgré lui alors que surgit Peggy Carter (Hayley Atwell), furieuse de trouver Steve en charmante compagnie. Steve s’extrait de l’étreinte de la secrétaire et suit Peggy jusqu’à l’atelier où il voit un bouclier métallique rond posé sous un établi et s’en empare. Howard Stark lui explique qu’il s’agit d’un bouclier fabriqué en « Vibranium », un métal extrêmement rare qui a la propriété d’absorber les chocs. Toujours fâchée, Peggy s’empare d’un pistolet et tire trois fois sur le bouclier que Steve tient devant lui. En voyant les balles s’écraser sur sa surface, elle se contente de dire « OK, ça marche… » et tourne les talons !.. A la fin de la projection, Joe Johnston nous rejoint pour parler de son film, dont il achève la post-production…
Entretien avec Joe Johnston
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Né en 1950 à Fort Worth (Texas), Joe Johnston est encore étudiant en arts graphiques quant il répond à une petite annonce qui change sa vie : il se retrouve employé en tant que dessinateur de storyboard par George Lucas ! Au bout de quelques mois, alors que le jeune Johnston projette d’utiliser son salaire pour faire un grand voyage, Lucas lui conseille plutôt d’aller étudier le cinéma à USC (Université de Californie du Sud), et lui propose de l’aider à y trouver une place grâce à ses contacts (il y a étudié) et même de financer ses études là-bas en lui permettant de travailler à mi-temps pour lui ! Johnston accepte cette offre généreuse et lie son destin professionnel à celui de Lucas. Il débute dans le cinéma par un coup d’éclat, puisqu’il fait partie des tout premiers techniciens d’effets spéciaux du studio I.L.M. fondé par Lucas & John Dykstra pour réaliser les trucages révolutionnaires de STAR WARS (1977). Ses nombreux talents artistiques lui valent de travailler non seulement sur les storyboards du film, mais aussi sur la conception graphique des vaisseaux et sur les maquettes. Il devient directeur artistique des effets visuels de L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE (1980) et du RETOUR DU JEDI (1983), signant notamment le design du chasseur de primes Boba Fett, et contribuant à celui de Yoda. Il entame ensuite une fructueuse collaboration avec Steven Spielberg sur la saga Indiana Jones, dessinant le storyboard de la formidable poursuite en camion des AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE (1981) et contribuant aux effets visuels du film, qui lui vaudront de recevoir un Oscar. Il est directeur artistique sur INDIANA JONES ET LE TEMPLE MAUDIT (1984), et devient le réalisateur de seconde équipe de MIRACLE SUR LA 8EME RUE (1987). Johnston produit ensuite WILLOW de Ron Howard (1988) pour Lucas, supervise les séquences aériennes de ALWAYS (1990) pour Steven Spielberg, et se lance définitivement dans la mise en scène pour les studios Disney avec CHERIE, J’AI RETRECI LES GOSSES (1989), comédie familiale qui remporte un tel succès qu’elle engendrera deux suites. Sa seconde collaboration avec Disney, THE ROCKETEER (1991), adaptation de la BD de Dave Stevens, se passe nettement moins bien, le studio rognant le budget et les grandioses scènes d’action initialement prévues par Johnston. THE ROCKETEER ne s’envole donc pas au sommet du boxoffice, pas plus que le dessin animé Richard au pays des livres magiques (1994), dont Johnston dirige les quelques séquences en prises de vues réelles. Il renoue avec le succès en tournant JUMANJI (1995), puis change de registre avec le drame CIEL D’OCTOBRE (1999). Cherchant un réalisateur capable de lui succéder aux commandes de sa saga préhistorique, Steven Spielberg choisit Joe Johnston pour mettre en scène JURASSIC PARK 3 (2001), un défi que ce dernier relève avec brio. En 2004, Johnston signe le western à grand spectacle HIDALGO, puis vient au secours de THE WOLFMAN (2010) après le départ du réalisateur Mark Romanek. Aujourd’hui, il aborde un nouveau genre, celui du film de superhéros, en signant les aventures de CAPTAIN AMERICA….
Nous vivons aujourd’hui dans un monde moralement complexe, dans lequel les opérations militaires suscitent de nombreux débats. Comment avez-vous abordé le personnage de Captain America pour le rendre attractif aux yeux du public actuel ?
Notre but a toujours été d’inscrire l’action de CAPTAIN AMERICA dans le contexte des années 40, sans pour autant lui donner l’aspect d’un film qui aurait été tourné à cette époque-là. Nous avons tous en tête une image de ce qu’était l’ambiance des années 40, et nous savons que le monde était alors très différent de celui d’aujourd’hui. Le choix de situer notre histoire pendant la seconde guerre mondiale est dû à notre envie de raconter les origines de Captain America, même si par la suite, notamment dans THE AVENGERS, on le verra agir de nos jours. La première BD de Captain America a été publiée peu avant que les Etats Unis n’entrent en guerre, et le personnage en lui-même est issu du contexte de la seconde guerre mondiale. Nous tenions donc absolument à raconter cette histoire-là, tout en la rendant accessible au public contemporain, grâce à des scènes d’action et des effets spéciaux spectaculaires.
Vous avez déclaré que vous vouliez donner un aspect inédit à ce film de superhéros. Comment avez-vous tenté d’y parvenir ?
CAPTAIN AMERICA est le seul film de superhéros que j’aie jamais eu envie de réaliser. On m’a proposé différentes options, et ce personnage est celui qui m’attirait le plus parce qu’il représente chacun de nous. Quand nous le découvrons, c’est un garçon chétif qui doit peser une cinquantaine de kilos et quelques minutes après avoir participé à l’expérience scientifique du Dr Erskine, il est métamorphosé en surhomme au corps parfait. Cependant, même si Steve Rogers devient un homme capable de prouesses physiques largement supérieures à celles des meilleures athlètes, il ne peut pas voler, ni saisir un tank à pleines mains pour le jeter sur ses ennemis. Disons que Captain America a une puissance physique supérieure de 25% à celles des plus grands champions olympiques. Il est extrêmement fort, très rapide, mais ses exploits sont ancrés dans la réalité. La part de fantastique est moins grande chez lui que chez d’autres personnages de Marvel, mais c’est justement son côté humain qui m’intéresse le plus.
Les Studios Marvel construisent un univers où tout est lié au travers de chacun de leurs nouveaux films. Il y a déjà eu des ponts jetés entre IRON MAN, L’INCROYABLE HULK, IRON MAN 2 et THOR, en vue de la production de THE AVENGERS. Quels sont les liens entre votre film et l’univers des Avengers ?
Les films produits par les Studios Marvel respectent l’univers des bandes dessinées Marvel qui est extrêmement cohérent. CAPTAIN AMERICA est le seul film de cette série qui se situe dans le passé, pour l’instant. Il nous a donné l’opportunité d’évoquer une époque plus lointaine, et de ce fait plus distante des histoires des autres personnages Marvel, mais vous trouverez cependant quelques éléments qui lient Captain America aux autres membres des Avengers. Le personnage est lui-même le premier des Avengers, et il a établi les règles des agissements de ce groupe de justiciers.
Comment avez-vous adapté cette première aventure de Captain America ? Est-elle proche de la BD originale ?
En fait, il y a eu plusieurs versions du personnage au fil des ans, et nous avons choisi les éléments que nous préférions dans ces différents récits pour composer la base du script. Je ne peux donc pas vous dire que le film est plus proche de l’une ou de l’autre de ces variations, étant donné qu’il s’agit d’un amalgame des histoires que nous préférions. Mais au cœur du film, il y a toujours la trajectoire de Steve Rogers, ce jeune homme chétif qui essaie de s’engager dans l’armée pour défendre son pays, et qui est déclaré inapte trois fois de suite en raison de ses déficiences physiques. Il est trop petit, trop faible, et personne ne veut de lui. Mais son courage lui vaut d’être sélectionné pour participer au projet « Renaissance ». Il gagne le droit d’être métamorphosé, non pas sur la base de son physique, mais parce qu’il est foncièrement bon et honnête. Après sa transformation en athlète, Steve n’obtient pas tout ce qu’il désire. Il doit encore subir des épreuves tout au long de son chemin. C’est l’évolution de ce personnage, sa psychologie au-delà de sa transformation physique qui m’a donné envie de m’impliquer dans ce projet, dans la narration de cette histoire.