Exclusif : Entretien avec Daniel Simon - Le designer de CAPTAIN AMERICA et TRON L’HERITAGE nous parle de son livre COSMIC MOTORS
Article Produits Dérivés du Vendredi 30 Septembre 2011

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau



A quand remonte votre fascination pour les voitures ? Avez-vous des souvenirs d’enfance ou d’adolescence liés à cela ?

Mon père est ingénieur, cela a peut-être joué…Mes parents ont conservé des dessins que j’avais faits à l’âge de trois ans, et il y avait déjà des voitures dedans. Je me débrouillais plutôt bien ! Mais je ne dessinais pas que des voitures : je faisais aussi des croquis de bateaux et d’avions. Quand j’avais une dizaine d’années, je rêvais de devenir pompier, marin ou camionneur : encore des métiers liés à des véhicules ! Ce n’est que vers 16 ans que j’ai entendu parler d’une profession dans laquelle on était payé pour dessiner des voitures toute la journée. Avant d’entendre parler de cela dans un magazine, je ne savais pas vraiment dans quelle voie professionnelle je voulais me diriger. Depuis ce jour-là, je n’ai plus voulu faire que ce que je fais aujourd’hui. Il n’y a pas beaucoup de gens qui font un métier comme celui-là, mais j’ai toujours cru depuis mon adolescence que j’y arriverai en travaillant plus dur et mieux que les autres.

Pouvez-vous évoquer votre formation, et comment le fait d’étudier le design automobile, puis de travailler pour cette industrie vous a aidé à concevoir l’histoire et les véhicules fantastiques de votre livre COSMIC MOTORS ?

Avoir une bonne éducation, cela aide toujours. J’ai appris beaucoup de choses au sein de la société Wolkswagen, où j’ai travaillé pendant cinq ans en tant que designer : le soin apporté aux détails, la patience dans le travail, ce que l’on peut réaliser avec des couleurs, comment les proportions influent sur l’apparence, et aussi comment présenter et vendre mes créations. C’est ce que je fais quand je crée des voitures comme la Galaxion ou la Detonator, mais j’ajoute simplement des paramètres délirants. Mes autres sources d’inspiration proviennent de la lectures de livres consacrés à des pilotes de course et des aventuriers, ou de films comme STAR WARS et la série des JAMES BOND. Le genre de choses qui plaisent à tous les garçons. Je crois que d’une certaine manière, je n’ai jamais grandi. Et j’en suis très heureux.

Pour quelles raisons avez-vous abandonné votre carrière dans l’industrie automobile, afin de créer des véhicules imaginaires ?

Parce que mon esprit avait envie d’être totalement libre. J’avais trop d’idées qui me venaient en tête, et qui ne pourraient jamais s’adapter au prochain modèle Renault ou Volkswagen de grande voiture familiale. J’étais conscient du potentiel ludique de mes idées, et j’ai pensé que je pourrais parvenir à être payé par quelqu’un pour concevoir des véhicules qui n’existent pas. Je n’aurais pas quitté l’industrie automobile si je n’avais pas été convaincu de cela. Et comme mon premier travail dans ce domaine a consisté à créer le design des motos et des voitures du film TRON L’HERITAGE, pour les studios Disney, cela n’a fait qu’amplifier ma motivation. A présent, je vis et travaille à Hollywood, une ville vraiment délirante dans laquelle on rencontre beaucoup de gens fous, et c’est très amusant. Nous créons de nouvelles choses presque chaque jour. L’un de mes derniers projets que l’on peut voir au cinéma est CAPTAIN AMERICA, pour lequel j’ai été chargé de concevoir tous les véhicules, et notamment la voiture blindée de Crâne rouge.

Quel a été le point de départ de COSMIC MOTORS ? Pendant combien d’années avez-vous travaillé sur ce livre ?

Tout a commencé quand un éditeur a découvert mon site web. Je suis allé aux Etats-Unis pour le rencontrer, nous nous sommes très bien entendus, et j’ai passé deux ans à concevoir et réaliser le livre. Personne ne m’a payé pendant ces deux années, mais ma nouvelle carrière est issue de cet investissement de travail.

Quelles sont les méthodes et les outils numériques que vous utilisez pour concevoir un véhicule de A à Z, étape par étape ? Commencez-vous par une histoire, un contexte imaginaire ? Comment obtenez-vous ce rendu hyperréaliste de vos images ?

Je dois utiliser au maximum les ressources de mon ordinateur pour obtenir ce résultat, et c’est là que les choses se compliquent. Les ordinateurs se perfectionnent sans cesse, et il faut que je reste constamment à la pointe des techniques disponibles. J’ai donc fait le choix de ne pas acheter une voiture qui roule très vite, mais l’ordinateur le plus rapide ! Généralement, tout commence par un dessin sur papier avec un simple stylo, mais depuis peu, je fais aussi des esquisses sur palette graphique. Ensuite, je commence à construire le véhicule en 3D dans l’ordinateur, ce qui me permet de me déplacer virtuellement autour de lui, ou de m’asseoir dedans. Je travaille de la même manière quand je crée des designs pour un film comme TRON L’HERITAGE. En ce qui concerne le rendu hyperréaliste des images, il provient des nouveaux logiciels très performants, et qui sont très faciles à utiliser. Ce sont des formules mathématiques à l’œuvre, mais on ne s’en rend pas compte. A ce stade de la création, c’est presque comme si l’on se trouvait dans un véritable atelier, et avec la souris, vous cliquez sur une partie d’objet 3D pour dire « ceci est en verre » ou « ceci est de la peinture rouge métallisée » ou « ceci est du caoutchouc noir ». C’est extrêmement amusant à faire !

Quel niveau de crédibilité ou de « réalisme mécanique » avez-vous injecté dans les véhicules de COSMIC MOTORS ?

Beaucoup, j’espère. Evidemment, si un ingénieur passe un de mes véhicules au crible, en analysant tous ses détails, cela qui semblera fou, mais je crée des engins imaginaires pour qu’ils plaisent aux gens normaux. Je les dote de charnières, de valves, de jauges et de toutes sortes de pièces mécaniques. Si je veux me lancer dans un délire et imaginer un engin qui flotte, je crée une planète sur laquelle vous pouvez acheter un système anti-gravitationnel pour votre vaisseau, comme dans le cas du Camarudo, ce qui ne vous empêche pas, vous le pilote, de garder les pieds solidement posés sur la terre ferme ! C’est la liberté créative dont je dispose en travaillant pour divertir.

Quelles ont été vos principales sources d’inspiration quand vous avez créé le monde et les véhicules de COSMIC MOTORS ?

Je regarde un peu partout pour chercher des idées. J’assiste aussi à des salons automobiles et aéronautiques, surtout ceux qui sont consacrés à des véhicules anciens. Les designers des années 40 et 70 ont été incroyablement inventifs, et j’aime bien emprunter des idées aux créations de ces époques ! Si vous vous inspirez de cela en ajoutant des formes modernes et de nouveaux concepts, vous pouvez mettre au point un nouveau vaisseau sensationnel. Internet est également un nouvel outil extraordinaire pour trouver de nouvelles sources d’inspiration, mais rien ne remplace la vraie sensation d’entendre un vieil avion à hélice décoller à côté de vous ou de voir une voiture de formule 1 passer à pleine vitesse. Mon but principal est toujours de créer quelque chose que je n’ai jamais vu auparavant. Il n’y a rien de plus ennuyeux que de voler les idées des autres.

Un des thèmes récurrents parmi vos véhicules est le gigantisme. Pourquoi ?

J’essaie de concevoir des véhicules gigantesques comme le train des glaces pour jouer de l’effet de contraste avec les véhicules de taille normale. Dans le monde réel, il existe des navettes spatiales et des avions cargo qui vous paraissent colossaux quand vous les voyez « en vrai », et à l’autre bout de la gamme des échelles, il y a les voitures et les motos. Je me cale sur ce modèle pour inventer des mondes réalistes dans lesquels on trouve aussi une grande variété d’engins.

Certaines des voitures de course de COSMIC MOTORS sont apparemment conçues pour rouler sur des parois verticales, puisque l’habitacle du pilote se trouve sur le côté. Pouvez-vous expliquer le contexte de fiction dans lequel les voitures sont utilisées, et comment cette idée très originale vous est venue ?

Le modèle Gravion de COSMIC MOTORS est un exemple de véhicule dont j’ai changé juste une caractéristique pour obtenir quelque chose de très intéressant. L’idée m’est venue en songeant à ces casse-cous des fêtes foraines ou des spectacles de cirque, qui conduisaient des motos à l’intérieur d’un grand cylindre, et qui se servaient de la vitesse pour tourner sur les parois verticales. Ce sont des numéros de cascade qui ont débuté dans les années 30. J’ai repris cette idée en imaginant une voiture conçue pour participer à une course sur un circuit ovale aux pistes verticales, sur une autre planète.

Quelles sont les plus grandes difficultés à résoudre quand on crée un véhicule imaginaire ? Les erreurs à éviter ?

Le plus grand défi, c’est de parvenir à obtenir un résultat crédible. C’est réellement très difficile. Si vous concevez une voiture futuriste trop crédible, par exemple avec un levier de vitesse, des ceintures de sécurité ou des essuie-glaces, on pourra dire qu’elle n’est pas assez imaginaire. Mais si vous allez trop loin dans les concepts futuristes, en inventant des phares invisibles dont la lumière traverse la peinture de la carrosserie, des sièges de sécurité magnétiques ou d’autres idées de ce genre, alors les gens n’arriveront pas à se projeter dans ce design, parce qu’il sera trop différent de ce qu’ils connaissent, de leurs points de repères. On marche sur la corde raide. En général, j’aime utiliser 95% de choses que nous connaissons actuellement, et j’ajoute seulement 5% d’idées folles, et cela suffit. J’aime donner une petite touche rétro à certains engins, comme une propulsion à la vapeur, des rivets, ou des cadrans de tableau de bord avec des aiguilles, parce que ce sont des éléments incroyablement romantiques, et faciles à identifier. Dans le lointain futur, un véhicule sera peut-être juste un cercle tracé sur de la moquette, qui vous téléportera ailleurs dès que vous poserez le pied dessus. Les voitures, les avions, les bateaux n’existeront peut-être plus. C’est un concept futuriste viable, mais il n’offre pas de grandes possibilités de design : je ne me vois pas faire un livre consacrés à des cercles dessinés sur de la moquette ! L’une des erreurs à éviter est d’aller trop loin dans l’imaginaire avec un seul véhicule. Si vous avez deux super idées, il vaut mieux les exploiter séparément et créer deux véhicules.

Avez-vous le projet d’adapter COSMIC MOTORS au cinéma ?

Mmm…J’ai beaucoup de projets, et certains d’entre eux sont très très très excitants…mais encore confidentiels ! (rires)

Pouvez-vous nous parler de votre relation amicale avec Syd Mead, le créateur des véhicules de BLADE RUNNER et de TRON, qui est une légende du design ?

Syd Mead est l’un des designers les plus célèbres de l’histoire du cinéma, et il travaille encore à 77 ans. C’était une de mes idoles, un peu comme un athlète ou un chanteur que l’on admire sans imaginer une seule seconde que l’on aura l’occasion de le fréquenter un jour. J’ai découvert ses livres il y a seulement dix ans, et ils m’ont énormément impressionnés. J’ai été souvent inspiré par le travail qu’il a fait pour ALIEN et BLADE RUNNER. Quand je suis venu pour la première fois à Los Angeles, un de mes amis m’a emmené chez Syd Mead pour un déjeuner avec lui. Nous nous sommes très bien entendus. J’ai été surpris que quelqu’un d’aussi célèbre que lui soit aussi décontracté et affable. Il nous a raconté des anecdotes liées à son travail toute la journée.

Syd Mead a-t’il commenté le “passage de relais” entre vous, des designs de TRON à ceux de TRON L’HERITAGE ?

Habituellement, nous parlons surtout de design de vraies voitures, et du futur de la planète, mais pas beaucoup de films. J’espère qu’il est fier de mon travail sur TRON L’HERITAGE, mais nous n’avons pas parlé beaucoup du film en lui-même.

Dans votre livre, vous présentez différentes versions de couleurs de la même moto. Est-ce une étape de travail par laquelle vous passez à chaque fois que vous concevez un nouveau véhicule ?

Quand je crée un design de véhicule imaginaire, je procède comme s’il était réel. Et tous les passionnés de voitures adorent débattre sur la couleur d’une nouvelle Ferrari, par exemple, et dire s’ils la préfèrent en rouge, en noir ou en argenté ! J’essaie d’appliquer tous ces éléments du monde réel, et les réactions qu’ils suscitent, à mes mondes imaginaires.

COSMIC MOTORS de Daniel Simon, édité par Design Studio Press ou Titan Book, peut être commandé via Amazon.fr, pour environ 30 Euros.

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