[Flashback] Jurassic Park : Retour sur les coulisses de la Saga
Article DVD Blu-Ray du Vendredi 01 Juin 2018

S’il est un film qui a récemment marqué l’histoire des effets visuels, c’est bien JURASSIC PARK, qui présenta en 1993 les premières créatures 3D hyperréalistes jamais vues sur le grand écran. A l’occasion de la sortie du tant attendu cinquième opus, Jurassic World : Fallen kingdom, nous avons voulu revenir sur les origines du projet et sur la véritable prouesse que fut l’aboutissement de cette saga…



Par Pascal Pinteau

De l’idée au roman

Recordman des best-sellers dont il réalise aussi certaines adaptations cinématographiques, Michael Crichton a dépeint tour à tour la révolte des androïdes d’un parc d’attraction (MONDWEST -1973), un trafic d’organes dans le milieu hospitalier (COMA - 1978), et le détournement d’images 3D de politiciens pour tromper les citoyens (LOOKER – 1981). En 1983, il écrit l’aventure d’un étudiant qui trouve du sang de ptérodactyle à l’ADN intact en disséquant un moustique préservé dans l’ambre depuis 65 millions d’années. Cet ADN est implanté dans les ovules d’un lézard, qui pond un œuf. A l’éclosion, c’est un ptérodactyle qui en émerge ! Ce scénario est jugé puéril par les proches de Crichton. Il révise sa copie, adopte un mode de narration adulte, et imagine un milliardaire, John Hammond, investissant sa fortune dans la création d’une réserve de dinosaures clonés sur une île que le public pourra visiter. Hammond engage les paléontologues Alan Grant et Ellie Sattler pour recueillir leurs conseils,  mais un sabotage transforme son « parc Jurassique » en cauchemar…



Un partenaire nommé Spielberg

En octobre 1989, Crichton présente le projet URGENCES - qui sera adapté en série en 1994 – à Spielberg et lui parle aussi du roman qu’il achève, JURASSIC PARK. Spielberg est captivé, mais Crichton exige un million et demi de dollar plus un pourcentage sur les recettes pour céder les droits cinématographiques. Universal et Spielberg entament des tractations, ainsi que Warner, qui voudrait confier le film à Tim Burton, Sony/Columbia, qui le destine à Richard Donner, tandis que la Fox songe à Joe Dante. Crichton auditionne lui-même les candidats et choisit Universal et Spielberg en mai 1990. Il reçoit 500 000 dollars de plus pour écrire le scénario. Pragmatique, il supprime 80% des péripéties du livre pour aboutir à 120 pages de script, qui sont peaufinées par David Koepp.

Plus vrais que nature.

Spielberg cherche des trucages inédits pour créer « des animaux préhistoriques crédibles ». Conseiller artistique des parcs Universal, il assiste à l’inauguration des Studios de Floride en juin 1990. Il est époustouflé par les deux robots géants de King Kong que Bob Gurr a créés pour l’attraction KONGFRONTATION. Il lui demande de collaborer avec le maquilleur Stan Winston pour créer un T-Rex grandeur nature, animé avec des vérins hydrauliques, qui pourra être filmé en plans moyens et serrés. Gurr l’avertit qu’un tel robot ne pourra pas se déplacer sur ses pattes. Il faudra employer d’autres trucages pour montrer le T-Rex en train de marcher ou de courir. Spielberg se souvient du superbe court-métrage PREHISTORIC BEAST réalisé par Phil Tippett en 1985, où l’on voyait un paisible monoceratops traqué par un T-Rex. L’action était captée avec des mouvements de caméra qui semblaient « pris sur le vif ». Spielberg engage Tippett, afin qu’il crée les plans larges des dinosaures en « Go-motion ». Ce procédé consiste à animer les articulations d’une marionnette avec des tiges fixées sur des supports motorisés, asservis par ordinateur. La marionnette bouge légèrement pendant que l’obturateur de la caméra est ouvert, créant ainsi un flou réaliste, image après image, qui supprime l’aspect habituellement saccadé de l’animation. Les tiges, elles, seront effacées numériquement. Avant ce tournage complexe, Tippett créé des décors et des marionnettes simplifiées de dinos et d’humains qu’il anime image par image pour définir les mouvements de chaque plan. Spielberg utilise ces tests pour faire un pré-montage des scènes d’action. Pendant que les équipes de Tippett et Winston ont fort à faire, Spielberg propose le rôle d’Alan Grant à William Hurt, qui le refuse après avoir lu le livre, puis à Harrison Ford, qui n’a pas envie d’être éclipsé par des dinosaures ! Sean Connery, lui, décline la proposition de jouer Hammond. Ce sont finalement Sam Neill et Laura Dern qui jouent le couple de savants, aux côtés de Jeff Goldblum et Richard Attenborough dans les rôles de Ian Malcolm et de Hammond.



La révolution numérique

Il reste une scène impossible à réaliser en « Go-Motion : des dizaines de Gallimimus courant dans une plaine. Si I.L.M. sait déjà créer des objets hyperréalistes en 3D, les animaux virtuels semblent hors de portée. Dennis Muren et les animateurs Mark Dippe and Steve Williams tentent malgré tout d’animer des squelettes de Galimimus et de T-Rex. Quand Spielberg voit ces images, il comprend que la 3D permettra de réaliser tous les plans des dinosaures en train de se déplacer. Il annonce à Tippett qu’il vient de perdre son job, et l’animateur réplique « Ma profession est en voie d’extinction ! ». Des mots que Spielberg fera dire au Docteur Grant dans le film, quand le paléontologue découvre les dinos ressuscités. Tippett, très abattu par cette révolution technique, reste superviseur de l’animation des dinosaures, tandis qu’I.L.M. invente de nouvelles procédures pour créer un T-Rex 3D habillé d’une peau. Ce test fonctionne, mais l’animation d’I.L.M. est bien raide. Tippett et son équipe construisent alors le « Digital Imput Device », un squelette miniature de T-Rex dont chaque articulation est munie de codeurs optiques connectés à un ordinateur. En manipulant le D.I.D., Tippett et son équipe de virtuoses génèrent des données qui permettent d’animer parfaitement le T-Rex 3D. Pour eux, c’est une belle revanche et le début d’une reconversion.



Un vrai tueur sur le plateau

En amenant leur T-Rex de 9 tonnes sur le plateau de tournage, Stan Winston et ses collaborateurs informent les techniciens et les acteurs des mesures de sécurité à respecter. Le robot développe une puissance de 300 chevaux en bougeant sa tête, son cou, et son torse. Il pourrait tuer quelqu’un. Winston délimite le périmètre dangereux, actionne une sirène et allume des lumières rouges dès que le T-Rex est mis en marche. Personne n'a le droit de s'en approcher entre les prises. Il nous avait dit : « Ces animaux sont contrôlés par des ordinateurs, et quand ces machines se plantent, mieux vaut ne pas se trouver à côté d'un dinosaure qui décide de faire des gestes imprévus ! » Heureusement, les autres bêtes grandeur nature, comme le tricératops allongé sur le sol ou les vélociraptors, ne sont pas dangereux, car ces marionnettes mécaniques sont contrôlées par des câbles et des leviers. 10 animateurs agissent simultanément pour donner vie à un vélociraptor !

Le triomphe des dinosaures

Spielberg, déjà accaparé par le tournage de La liste de Schindler en Pologne, demande à son ami George Lucas – propriétaire d’I.L.M. - de superviser la post-production de JURASSIC PARK. Les dinosaures apparaissent 15 minutes à l’écran : 9 minutes sous la forme des animatroniques de Winston, et 6 minutes grâce aux images 3D d’ I.L.M.. Dès sa sortie aux USA, le 13 juin 1993,  le pari de 63 millions de dollars d’Universal est gagnant : JURASSIC PARK rapporte 50 millions de dollars en une semaine. Il cumulera 912 millions de dollars de recettes dans le monde, auxquels viendront s’ajouter les revenus des produits dérivés puis de la sortie du film en VHS et laserdisc. C’est un double jackpot.



L’inévitable suite

A la demande de Spielberg, Michael Crichton déroge à la règle qu’il s’est fixée, et accepte pour la première fois d’écrire une suite. Elle paraît en 1995 sous le titre LE MONDE PERDU, hommage au livre de Conan Doyle dans lequel le professeur Challenger trouve des dinosaures vivants sur un haut plateau d’Amazonie. Dans le script qui est tiré, on ne tient pas compte de la mort de Hammond et Malcolm dans le premier roman, car ces personnages ont été épargnés dans le film ! Hammond a toutefois perdu le contrôle de la compagnie InGen au profit de son neveu. Le nouveau PDG a assemblé une équipe de chasseurs pour capturer les dinosaures et les présenter au public dans une arène de San Diego, espérant renflouer ainsi les caisses d’InGen après le désastre de Jurassic Park. Hammond convoque Malcolm et le supplie de se joindre à l’équipe qu’il va envoyer sur l’île pour stopper cette folie. Malcolm accepte en apprenant que sa fiancée Sarah est déjà sur place… Spielberg obtient un budget de 73 millions de dollars pour créer des scènes encore plus spectaculaires. Stan Winston nous avait expliqué l’évolution de ses techniques: « Dans LE MONDE PERDU, chaque vélociraptor est animé grâce à 15 moteurs hydrauliques extérieurs reliés aux vérins du personnage par des tuyaux,  et par 15 autres moteurs situés dans son squelette. Les ordres de manipulation, qui proviennent d'un système de télémétrie porté par un marionnettiste, sont transmis à un ordinateur, interprétés par lui, puis relayés jusqu'au personnage, pour gérer des mouvements fluides. » Julianne Moore, qui joue la fiancée de Malcolm – rôle que Juliette Binoche refusa pour aller tourner TROIS COULEURS : BLEU de Krzysztof Kieslowski - est stupéfaite par le naturel des dinosaures: « Je n’avais pas d’effort à faire pour paraître émerveillée : ces créatures semblaient vivantes. » De son côté, I.L.M. produit des plans plus serrés des dinosaures 3D, dont les textures de peau et les détails sont dix fois plus complexes. Cependant, quand le film sort aux USA, le 23 mai 1997, les réactions sont mitigées. Si les scènes de la capture des dinosaures par les chasseurs, de l’attaque du mobile home, et du T-Rex errant dans les rues de San Diego sont formidables, un sentiment de « déjà vu » plane sur le film. LE MONDE PERDU rapporte toutefois 618 millions de dollars au boxoffice mondial et Universal, ravi, exige une suite. Mais cette fois, Crichton n’y participera pas.

Jamais 2 sans 3

Spielberg reste producteur et choisit le réalisateur qui va lui succéder : Joe Johnston, qui avait storyboardé la poursuite du camion des AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE, et avait prouvé avec CHERIE, J’AI RETRECI LES GOSSES et JUMANJI qu’il maniait bien l’humour et les scènes d'action. Cette fois-ci, le script n’est basé sur aucun livre. Au début de l’histoire, un couple de millionnaires (William H. Macy & Tea Leoni) invite le Dr Grant à survoler l'île de Sorna, où vivent les dinosaures. Grant accepte en échange d’un don pour mener à bien ses recherches sur l'intelligence des vélociraptors. Mais ses hôtes l’ont dupé : ils atterrissent en fraude pour retrouver leur fils, disparu aux abords de l’île. Peu rancunier, Grant va les aider à survivre en utilisant ses connaissances…Parmi les morceaux de bravoure de cet excellent épisode figurent la découverte d’une « volière géante » de Ptérodactyles, noyée dans la brume, et les attaques éclair du colossal Spinosaure à tête de crocodile, le plus gros animatronique de l’histoire du cinéma ! « le Spinosaure pèse 12 tonnes et a une puissance de 1000 chevaux. » nous avait confié Stan Winston. « Il pourrait transpercer un fuselage d'avion avec son museau. Ses mécanismes étanches ont été conçus comme ceux d'un sous-marin, pour tourner la scène où il surgit d’un lac. » William H. Macy, lui, garde le souvenir d’un tournage harassant: « Il a fallu courir sous une pluie glacée, se suspendre à des branches pendant des heures, être enfermé dans une cage sous l'eau et côtoyer des dinosaures mécaniques aussi dangereux que des bulldozers. C’était génial ! ». Johnston veut épater le public : JURASSIC PARK 3  comporte autant de scènes de dinosaures que les deux premiers volets réunis. Son budget qui culmine à 93 millions est amorti dans les deux semaines qui suivent la sortie du 16 juillet 2001. Le troisième opus totalise bientôt 366 millions de dollars de recettes dans le monde, une « happy end » vite suivie par la rumeur d’un 4ème épisode. On chuchote que des dinosaures particulièrement intelligents, issus de manipulations génétiques, seraient utilisés comme des armes de guerre par les militaires… Quand Michael Crichton est emporté par un cancer en 2008, on croit la saga terminée. Mais les ayant-droits de Crichton n’ont pas envie de renoncer à cette manne. Ce qui a permis à Spielberg d’annoncer quelques années plus tard que l’histoire de JURASSIC PARK 4 - basée sur un nouveau script - était validée...



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