[Flashback] LA PLANETE DES SINGES : LES ORIGINES - Entretien avec Claude Paré, chef décorateur
Article Cinéma du Lundi 27 Aout 2018

[Retrouvez la précédente partie de ce dossier]


Avant LA PLANETE DES SINGES : LES ORIGINES, Claude Paré a créé les décors de films fantastiques comme LA NUIT AU MUSEE et LE JOUR D’APRES, ainsi que ceux de la biographie de Howard Hughes réalisée par Martin Scorcese THE AVIATOR.

Par Pascal Pinteau

Quels sont les principaux décors que vous avez conçus pour cette préquelle de LA PLANETE DES SINGES ?

Il y a trois univers différents, tous situés à San Francisco. D’abord celui très chaleureux de la famille de James Franco. Elle a recueilli le chimpanzé Caesar, qui dispose de capacités intellectuelles égales à celles d’un homme, et l’a élevé comme un enfant humain. Il y a ensuite l’univers froid de béton, de métal et de verre du laboratoire GenSys dans lequel James Franco mène ses expériences en vue de trouver un remède à la maladie d’Alzheimer, et enfin, il y a l’environnement délabré et carcéral de la ménagerie dans laquelle Caesar se retrouve quand James Franco ne peut plus s’occuper de lui.

En observant vos illustrations des principaux décors, on peut remarquer des allusions directes aux films de la saga originale…

Oui. Les auteurs du script, le réalisateur et moi-même avons voulu montrer aux fans que nous avions le plus grand respect pour l’univers de LA PLANETE DES SINGES, et que nous aimons beaucoup ces films. La première référence, c’est le nom de la femelle chimpanzé qui est la mère de Caesar. Elle s’appelle « Bright eyes » (« Beaux yeux » dans la V.F.), ce qui est le surnom que donnait la scientifique chimpanzé Zira au personnage de Taylor incarné par Charlton Heston dans le premier volet de LA PLANETE DES SINGES. Quand le père de James Franco, que joue John Lithgow, réalise ses premières expériences sur des chimpanzés pour augmenter leur capacités intellectuelles, les choses ne se passent pas comme prévu : certains singes deviennent fous après avoir respiré les vapeurs du produit inventé par le professeur, le composé 1112, et envahissent la salle de réunion de Gensis. Après ces évènements, le comité de direction contraint le professeur Rodman à euthanasier tous les animaux auxquels il a appliqué son traitement. Mais ce que ses supérieurs hiérarchiques ignorent, c’est que la femelle « Bright Eyes » attend un petit. Si le professeur ne peut rien faire pour la sauver, il se débrouille cependant pour cacher la naissance de son petit, le recueille, et l’élève chez lui comme s’il s’agissait de son propre enfant. Il ne tarde pas à se rendre compte que le traitement qu’a subi Bright Eyes pendant sa grossesse a eu des effets considérables sur son fils Caesar, qui est nettement plus intelligent qu’un chimpanzé normal.

Ce dessin préparatoire montre le départ d’un vaisseau spatial qui s’appelle l’Icarus, comme l’astronef qui amène Charlton Heston/Taylor sur la planète des singes…

Oui, nous avions pensé le montrer en le modernisant un peu, mais nous nous sommes rendus compte que ce changement était presque un sacrilège. Du coup, nous avons préféré renoncer complètement à cette référence, que l’on devait voir brièvement pendant un journal télévisé, parmi d’autres images d’actualités. Nous nous contentons de montrer un article d’un quotidien qui annonce le départ de la navette, mais sans photo jointe.Il y a une autre allusion au film original dans le décor du hall du laboratoire GenSys : on y voit un café avec un comptoir, des tables et des chaises, et son nom est « Nova Java Café », en hommage au personnage de la compagne de Taylor, Nova.

Sur cette illustration, on peut voir les singes menés par Caesar déferler sur le célèbre Golden Gate Bridge de San Francisco…

Nous allons tourner cette scène sur une reconstitution d’une section du pont. Il s’agit d’une réutilisation d’un décor préexistant, construit à Vancouver pour une autre production de la Fox, LES QUATRE FANTASTIQUES, et qui a servi aussi dans une séquence de X-MEN 3 L’AFFRONTEMENT FINAL. Nous avons placé des fonds verts pour pouvoir tourner dans trois axes différents. Comme ce décor n’a été détaillé que d’un côté, en longueur, l’une des astuces que nous employons consiste à inverser le sens de circulation des voitures pour faire croire que l’on voit aussi l’autre côté. Cette séquence-là est très importante dans le film. Elle se situe au moment où les singes menés par Caesar se rebellent et occupent le pont, paralysant l’accès au centre de la ville.

Pourriez-vous nous parler des personnages que jouent Frieda Pinto et Brian Cox ?

Frieda joue Caroline, qui est une spécialiste des primates et la vétérinaire de Caesar. Elle est la petite amie de Will. Brian Cox est le directeur de la ménagerie à laquelle Will confie Caesar. Au début, il lui fait confiance, mais leurs relations vont vite se dégrader.

On voit Caesar utiliser le langage des signes pour communiquer, comme le fait dans la réalité la célèbre femelle gorille Koko, vedette de l’extraordinaire documentaire de Barbet Schroder KOKO, LE GORILLE QUI PARLE…

Oui, Caesar communique ainsi avec Will en utilisant ce langage aussi bien qu’un homme. Mais il comprend ce que disent les hommes simplement en les écoutant.

Est-ce que cela veut dire que les singes ne parlent pas dans cette préquelle ?

Disons que vous n’entendrez pas des singes parler avant un bon moment dans le film !

Le décor de la chambre de Caesar, lorsqu’il est petit, est particulièrement chaleureux…

Oui. Nous voulions que les spectateurs voient toute l’affection que le professeur Rodman prodigue à Caesar. Il lui a aménagé cette belle chambre d’enfant, garnie de jouets, dans le grenier de sa maison. Quant il est seul, Caesar sort souvent par la fenêtre et va s’installer sur le toit pour observer les enfants du voisinage qui sont en train de jouer ensemble. C’est ainsi qu’il apprend comment les petits humains se comportent, en les imitant. La fenêtre de cette chambre a une forme particulière dont Caesar va se souvenir, plus tard, quant il se retrouvera dans une cage de la ménagerie. Il gravera un dessin qui représente cette fenêtre sur l’un des murs de sa cellule, en souvenir de cette ouverture sur le monde qui lui manque terriblement en captivité. Pour tapisser les murs de la chambre de Caesar chez les Rodman, nous avons employé un papier peint de chambre d’enfant des années 50, pour son design naïf et optimiste. Nous n’avons pu en trouver que quelques rouleaux, et nous avons été obligés de les dupliquer et d’en refabriquer nous-mêmes pour réussir à couvrir toute la surface des murs. Avec les scanners et les ordinateurs d’aujourd’hui, c’est relativement facile à faire.

Malheureusement, les choses se gâtent quelques années plus tard…

Effectivement. Le professeur Rodman atteint un stade avancé de sénilité, à cause de la maladie d’Alzheimer, quand Caesar a 7 ou 8 ans. Le mal dont il souffre l’entraîne à se comporter de façon agaçante pour ses voisins, qui deviennent agressifs. Caesar, qui l’adore, veut le protéger et menace les voisins pour le défendre, ce qui ne fait qu’empirer les choses. C’est à la suite de cela que Will décide de le confier à la ménagerie. Le côté tragique de la situation, c’est le déclin inéluctable du professeur, qui s’amplifie tandis que l’intelligence de Caesar ne fait que croitre… C’est cela qui va pousser Will à reprendre les expériences autour du composé 1112 inventé par son père, car il garde l’espoir d’en tirer un remède contre la maladie d’Alzheimer, et de réussir ainsi à le sauver.

Nous savons que Weta va créer les singes en 3D, mais est-ce que cela signifie qu’aucun vrai singe n’apparaît dans le film, même pendant un court instant ?

Non, aucun. Nous avons juste employé une effigie animatronique d’un bébé chimpanzé pour tourner la scène où l’on voit le professeur Rodman ramener Caesar chez lui. C’est un moment assez court, mais étant donné que John Lithgow le tient dans ses bras et le touche, il était plus judicieux d’utiliser un animatronique pour filmer ces plans-là. Pour les scènes où l’on voit des centaines de singes, nous sommes en train de réfléchir à la possibilité d’utiliser des acteurs en costumes de singes à l’arrière-plan. Pour l’instant, rien n’est décidé. Il est possible qu’en fin de compte, tous les singes soient réalisés en 3D, même ceux-là.

Diriez-vous que ce film est à la fois une préquelle et un « reboot », un nouveau départ de la saga ?

Je dirais plutôt une préquelle, puisque l’on y montre comment les singes ont acquis cette intelligence supérieure. Dans le film original de 1968, on découvrait un monde dominé par les singes sans savoir comment cette inversion des rôles avait eu lieu.

Cependant, dans la saga originale, plus précisément dans LES EVADES DE LA PLANETE DES SINGES, sorti en 1971, on voit Cornelius, Zira et un troisième chimpanzé nommé Milo arriver sur terre en s’étant servis du vaisseau spatial de Taylor. Milo est tué, et Cornélius et Zira poursuivis et également abattus, mais entretemps, le couple de chimpanzé a donné naissance à un petit baptisé Caesar, qui est recueilli par le directeur d’un cirque. Dans l’épisode suivant, LA CONQUETE DE LA PLANETE DES SINGES, qui se déroule dans le futur, Caesar mène la révolte contre les humains. Dans ce nouveau volet, vous nous présentez une autre explication de la raison pour laquelle les singes sont devenus intelligents, et un autre début de révolte. On peut donc considérer qu’il s’agit à la fois d’un reboot et d’une préquelle…

Votre point de vue se défend. Mais on peut aussi considérer qu’il s’agit seulement d’une préquelle du premier film de 1968 ! (rires)

Avez-vous construit tous les décors en studio, ou avez-vous également eu recours à des décors extérieurs ?

En fait, nous avons repéré un bâtiment de Vancouver appelé the Agridome dont nous avons fait la ménagerie des primates. Nous en avons modifié le toit pour rendre la séquence de l’évasion des singes plus intéressante, puisque c’est par là qu’ils réussissent à s’échapper. Ce toit conique était opaque à l’origine, et nous l’avons doté de panneaux de verre afin que cela raccorde avec le décor intérieur de l’atrium construit en studio, dont la partie centrale, c’est à dire l’arbre en béton entouré d’un décor de savane décrépit, est éclairée en « lumière du jour ». Caesar est content quand il découvre ce décor pour la première fois. Il pense que cela va être un endroit amusant, mais il ne tarde pas à se rendre compte que c’est l’équivalent d’une cour de prison dans laquelle les détenus tournent tristement en rond pendant une partie de la journée, avant de regagner leurs cages. Cet endroit est sensé avoir été construit dans les années 50, avec le désir un peu naif d’un faire un lieu relativement agréable pour les singes, mais plus rien n’a été entretenu ni repeint depuis cette époque. L’autre partie de la ménagerie, ce sont les couloirs tapissés de cages où l’on garde les singes. Ils sont plus de 200 à vivre là dans de mauvaises conditions. Nous avons travaillé pendant trois mois sur ces cages avec l’atelier de métallurgie, et toutes les serrures des cages peuvent se fermer en même temps, grâce à un seul mécanisme que Caesar va observer très attentivement, car il veut quitter cet endroit au plus tôt. Nous utilisons aussi un autre décor extérieur réel, les bâtiments de la British Columbia Institute of Technology and School of Aerospace. Leurs lignes futuristes et leur hall correspondaient parfaitement aux ambiances que nous souhaitions pour représenter les locaux des laboratoires Gensis. Nous n’avons pas modifié beaucoup l’extérieur des bâtiments : nous allons juste ajouter un grand logo tournant de Gensis en 3D, ainsi que des hélicoptères qui décollent au cours d’une scène d’action. En revanche, nous avons installé de nouvelles colonnes de béton asymétriques et un décor de cafétéria dans le hall. L’asymétrie des colonnes nous permet de créer une ambiance de jungle de béton un peu plus tard, quand les singes se révoltent et envahissent ces lieux.

Avez-vous créé de toutes pièces le décor de la maison de la famille Rodman ?

Nous nous sommes inspirés de l’extérieur d’une vraie maison de style Victorien de San Francisco, mais les parties intérieures sont des créations pures.

Il y a un autre décor que les spectateurs ne pourront pas soupçonner avoir été créé de toutes pièces : celui de la forêt de séquoïas dans laquelle Will Rodman a coutume de se promener avec Caesar…

Comme vous le savez certainement, les forêts de séquoïas sont typiques des environnements naturels de la Californie, particulièrement dans la région de San Francisco. Or, on ne trouve pas ces arbres-là près de Vancouver. Il a donc fallu que nous fabriquions une quinzaine de faux troncs de séquoïas de 4 à 5 mètres de haut, que nous avons installé dans le parc Barnaby de Vancouver. Ces faux troncs seront complétés numériquement en post-production. On les prolongera et on ajoutera des branchages virtuels.

Combien de personnes au total ont-elles été employées pour construire les décors du film ?

Entre 150 et 200. Et nous avons construit 25 décors en tout.

Précise-t’on dans le film en quelle année l’action se déroule ?

La dernière partie du film se déroule en 2016, mais nous la traitons presque comme si c’était aujourd’hui. On sait bien que vouloir intégrer trop d’éléments radicalement différents dans un film qui se déroule dans le futur proche est presque toujours une erreur !

Claude Paré nous quitte alors pour retourner à son travail, et c’est à présent avec le producteur, le réalisateur, et le scénariste que nous avons rendez-vous…

La suite de ce dossier avec les interviews du producteur, du scénariste et du réalisateur bientôt sur ESI !

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