LA PLANETE DES SINGES : LES ORIGINES - Entretien avec Dylan Clark, producteur, Rupert Wyatt, réalisateur et Rick Jaffa, scénariste – Seconde partie
Article Cinéma du Mercredi 30 Novembre 2011

[Retrouvez la précédente partie de ce dossier]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Rick, parmi les points marquants de la saga originale, il y avait bien sûr les maquillages des singes et les humains réduits au rang d’esclaves muets portant des maillots en fourrure. Mais le film évoquait aussi de manière critique les structures de la société humaine, en représentant les différentes castes de singes, dont chacune possédait un pouvoir particulier. Des universitaires ont écrit des thèses sur ce sujet…Quelle est la signification des personnages de singes dans ce film ?

Rick Jaffa : Étant donné que le film original est sorti à la fin des années soixante, il était naturel qu’il reflète aussi son époque, les combats pour les droits sociaux, les relations entre les races, et les pulsions autodestructrices des hommes. Vous vous souvenez de la réplique de Charlton Heston, pendant la scène finale sur la plage, lorsqu’il se rend compte qu’il se trouve bien sur terre, en découvrant les vestiges de la statue de la liberté…Il dit « Ah les fous, ils ont fini par le faire ! » Eh bien nous faisons de même en abordant cette espèce de folie des hommes, qui les mène toujours au bord du gouffre.

Dylan Clark : Nous pensions encore à cela l’autre jour, en regardant les images du désastre engendré par les fuites de pétrole de la station de forage de BP, aux USA. Quand on songe à toute la dévastation qu’elle a provoqué, tout simplement parce que des gens ont pensé un jour qu’aller chercher du pétrole sous la mer serait une très bonne idée, sans penser à mettre au point des méthodes infaillibles et des processus de sécurité pour qu’il n’y ait jamais de fuites… C’est un autre exemple de l’aveuglement humain, de l’incapacité d’imaginer les conséquences à long terme d’une avancée technique.

Rick Jaffa : Nous traitons aussi d’autres thèmes, mais notre film conçu comme un socle, une base à partir de laquelle nous pourrons construire d’autres histoires. Nous avons déjà mis en place différents éléments que nous pourrons développer plus tard, comme le rôle de chaque race de singe. Cette histoire repose vraiment sur les trajectoires de nos personnages, qui sont bien sûr les humains, mais aussi les singes. Les principaux singes de notre film ont tous un passé, une personnalité, des motivation et des projets bien précis. Si tout cela fonctionne bien, nous aurons construit les fondations à partir desquelles on pourra développer toute une nouvelle saga. N’oublions pas que le film original a généré non seulement cinq films, mais aussi une série animée et une série en prises de vues réelles, ainsi que d’innombrables produits dérivés. L’un des thèmes qui nous tenait à cœur est celui de la nature qui se révolte contre les outrances technologiques des hommes. C’est un sujet auquel l’actualité nous force à réfléchir de plus en plus souvent, notamment avec les conséquences de la pollution, le réchauffement climatique. On remarque des phénomènes météo d’une violence inhabituelle partout dans le monde, qui engendrent des dévastations et des drames terribles.

Avez-vous choisi de représenter un personnage atteint de la maladie d’Alzheimer, le père de Will, pour ancrer le film dans la réalité ?

Rick Jaffa : C’est une idée qui ne figurait pas dans la première version du script, et qui nous est venue progressivement, pour les raisons que vous évoquez.

Dylan Clark : Un des autres thèmes important que cette idée nous permettait de mettre en place est celui de la rédemption.

Est-ce ce côté dramatique du projet qui a attiré Rupert Wyatt ?

Oui. Il a aimé le script, les thèmes abordés. Et comme c’est un réalisateur doué et sympathique, je savais qu’il ferait du bon travail, en dépit du fait qu’il n’avait pas une grande expérience des films à effets spéciaux. Avant de travailler pour la Fox, j’ai passé dix ans au sein d’Universal. Nous avons donné à Peter Berg la possibilité de réaliser des épisodes de la série FRIDAY NIGHT LIGHTS, alors que personne ne pensait qu’il en serait capable. Quand nous avons confié à Curtis Hanson la réalisation de 8 MILES, avec Eminem, beaucoup de gens ont pensé que nous allions droit dans le mur en le laissant diriger un film sur l’histoire d’un rappeur blanc. Quand on est producteur et que l’on doit assembler la bonne équipe pour créer un film, on parle beaucoup avec les gens….

Rick Jaffa : Rupert a eu d’excellentes idées. Comme Dylan l’a dit, quand vous rencontrez certains réalisateurs, ils ont une idée toute faite de ce que le film pourra être, sur la base du script, mais ils ne vont pas forcément plus loin, tandis que Rupert a réagi autrement, en disant « Je crois que ce film nous donne l’opportunité de faire quelque chose de vraiment intéressant. »

Dylan Clark : Oui. Nous avions rencontré un autre réalisateur qui savait d’emblée comment formater le film pour en faire un blockbuster de l’été, notamment en exploitant les personnages des singes dans des séquences d’action spectaculaires et assez violentes. Mais voir les singes combattre n’était pas la seule chose que nous voulions montrer dans le film. Nous ne voulions pas les réduire à ce seul rôle. Rupert, lui, a tout de suite détecté le potentiel de l’histoire, mais voulait prendre le temps de réfléchir à la meilleure manière de faire vivre les personnages.

Après notre visite des décors et ce que nous avons vu du tournage, il semble de plus en plus évident que James Franco n’est pas forcément le vrai héros du film, mais que c’est Caesar qui en est le personnage principal…

Dylan Clark : (feignant l’embarras) Chuut ! Son agent est avec nous ! (rires) Plaisanterie à part, je ne suis pas sûr que l’on puisse dire cela…

Rick Jaffa : C’est cependant une question tout à fait légitime. D’autant plus qu’à la fin de l’histoire, c’est Caesar qui gagne ! De plus le film s’appelle CAESAR, RISE OF THE APES (Le titre a été modifié quelques mois après cet entretien, NDLR.) et non pas Will ! (rires)

Nous avons assez bien compris qui est Caesar, d’où il vient et quelles sont ses motivations. Mais qu’en est-il de Will Rodman ? Est-ce que son personnage va être le principal responsable de la création de ce que l’on appellera plus tard LA PLANETE DES SINGES ?

Rick Jaffa : Will est un chercheur passionné par son travail et par la science, et il se retrouve contraint d’élever un chimpanzé, ce qui va changer sa personnalité et sa perception du monde.

Est-il une sorte de Docteur Frankenstein ?

Rick Jaffa : Quand vous lisez FRANKENSTEIN, vous vous rendez compte que le docteur aime profondément la créature. Ce n’était pas le cas dans le film de 1931 avec Boris Karloff, mais c’est ainsi que Mary Shelley décrit leurs rapports dans son roman. Will aime beaucoup Caesar, mais je ne dirai pas qu’il est une sorte de Docteur Frankenstein, pas plus que je ne qualifierais Caesar de créature.

Suggérez-vous que Caesar est une sorte d’anti-héros ?

Rick Jaffa : Pas pour les singes, en tous cas…(rires) Mais c’est une question très intéressante, car nous l’avons effectivement traité comme une sorte d’anti-héros dans des versions précédentes du script. Mais ce n’est plus le cas à présent.

Pensez-vous que le public prendra le parti de Caesar, et souhaitera le voir réussir ?

Rick Jaffa : Je ne suis pas sûr que cela ira aussi loin, mais je pense que le public comprendra les motivations de ses actes, car nous avons traité avec beaucoup de soin la manière dont Caesar est intégré au monde que nous décrivons dans le film. La scène dont vous avez vu le tournage, où il apprend d’où il vient, et pourquoi il est différent, plus intelligent que les autres singes, est vraiment un des moments du film où tout bascule. A partir de là, il va chercher à comprendre beaucoup d’autres choses au cours de son évolution. Et en le regardant faire, je pense que les spectateurs s’identifieront sans problème à lui, en dépit du fait qu’il s’agisse d’un animal.

Vous évoquiez tout à l’heure toutes les graines que vous avez semées dans ce script pour qu’elles puissent germer plus tard et permettre de développer d’autres histoires, mais qu’est-ce que vous envisagez plus précisément de faire si ce film marche remporte le succès espéré ? Iriez-vous dans la direction de l’épisode de 1968 par la suite ?

Dylan Clark : Vous savez, au stade où nous sommes actuellement, personne n’ose avoir ce genre de pensées, sans doute par superstition ! Bien sûr, comme Rick le disait, il y a énormément de choses que nous pourrions aborder dans la mythologie de LA PLANETE DES SINGES. Mais pour l’instant, nous nous concentrons sur ce film, qui a un début et une fin formidables, vous verrez.

Rick Jaffa : (à Dylan) Tu n’aimes pas le milieu ? (rires)

Dylan Clark : Il me semble que nous nous sommes un peu fourvoyés au milieu..(rires)

Une des caractéristiques récurrentes de la saga, ce sont les fins toujours inquiétantes des films. C’était aussi le cas de la fin du remake de Tim Burton, même si elle ne fonctionnait pas extrêmement bien…

Dylan Clark : Encore une fois, loin de nous l’idée de critiquer le talent de Tim Burton, pour lequel nous avons le plus grand respect, mais il est évident que si ce remake avait très bien fonctionné, la Fox ne nous aurait pas incité à faire ce film. Loin de nous l’idée de capitaliser sur ce qui n’a pas marché dans son film, mais s’il avait été une réussite incontestable, nous n’aurions même pas eu envie de nous lancer dans un nouvel épisode de LA PLANETE DES SINGES.

Rick Jaffa : Je ne peux évidemment pas parler au nom de la Fox, mais il se trouve que j’étais dans un salle, le vendredi après-midi, quand le film est sorti, et comme la plupart des fans de la saga, j’ai eu un peu l’impression que l’on m’avait laissé tomber. Je ne nie pas qu’il y avait un grand scepticisme parmi les fans…et j’espère vraiment que nous réussirons à les convaincre et à leur faire aimer cette nouvelle approche. Je ne sais pas si nous y parviendrons, mais nous avons vraiment voulu respecter l’esprit de la saga.

Dylan Clark : Et nous sommes bien conscients que les films précédents avaient des fins pessimistes.

Craignez-vous que le studio vous oblige à conclure de manière plus commerciale et donc plus optimiste ?

Dylan Clark : Nous ne nous attendons pas à ce qu’il y ait des tensions avec le studio au sujet de la fin que nous avons choisie. Et comme nous ne disposons que de relativement peu de temps pour produire et tourner un tel film, nous avons été obligés de répondre rapidement et efficacement à de nombreuses questions, dont celle-ci. Vous savez, pendant une projection-test, quand on demande au public s’il aurait préféré voir tel événement heureux à la fin d’un film, il réponde oui à 98%. Mais cela ne veut pas dire qu’il a nécessairement besoin de voir cette fin-là pour être pleinement satisfait du film. Dans le monde du cinéma, la seule certitude, c’est que personne ne sait comment faire un succès. Le meilleur moyen de plaire, c’est d’essayer de faire quelque chose de nouveau, de différent, de surprenant, et c’est le but que nous nous sommes tous fixés en travaillant sur ce film.

Comment allez-vous communiquer autour de ce film pour faire comprendre au public qu’il est très différent du remake de Tim Burton ?

Dylan Clark : Je crois que le choix de la motion capture a déjà permis de faire comprendre aux fans que notre manière de traiter le sujet allait être très différente de celle du remake. De même, quand le grand public verra que nous n’utilisons pas d’acteurs costumés pour jouer les singes, mais des animaux en 3D à l’aspect hyperréaliste, il comprendra aussi, et cela dès que nous pourrons diffuser les premières bandes-annonces. Avoir choisi James Franco pour incarner Will n’est pas anodin non plus. James ne s’engage pas dans n’importe quel type de film, en alignant les blockbusters. On sait qu’il choisit chacun de ses nouveaux projets avec soin. Frieda Pinto n’est pas non plus une actrice typique de films d’action. Je pense qu’en faisait ces choix et réunissant ce casting, nous faisions déjà passer plusieurs types de messages.

La suite de ce dossier bientôt sur ESI !

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