Entretien avec Akiva Goldsman, producteur de Hancock
Article Cinéma du Jeudi 26 Juin 2008

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Avez-vous utilisé, d’une manière ou d’une autre , votre expérience de scénaristes des films Batman Forever et Batman et Robin pour produire cette autre version très décalée d’un film de superhéros qu’est Hancock ?

Je dirais plutôt que c’est la peur, le traumatisme de Batman et Robin qui m’a aidé à progresser dans ma vie ! (rires) J’ai toujours été un fan de superhéros. Depuis que Superman est apparu en 1938, on s’est souvent demandé que ce pourrait ressentir un tel personnage s’il existait vraiment dans le monde réel. Un auteur de SF qui s’appelle Larry Niven a écrit une merveilleuse nouvelle sur ce thème, qui s’intitule Homme d’acier, femme de kleenex. Je crois que tous les adolescents qui lisent des BD de superhéros fantasment sur ce qu’ils pourraient faire s’ils avaient des pouvoirs surhumains. La première version du script de Hancock a été écrite par Vincent Ngo il y a quelques millions d’années, environ 15 ans pour être plus précis. A l’époque, sa vision du mythe du superhéros était très en avance sur son temps. Ce n’est plus exactement pareil aujourd’hui, car nous avons vu beaucoup de surhommes en tous genres sur les écrans récemment. Cette première version du projet était complètement nihiliste et très très sombre. Il s’agissait de l’histoire d’un superhéros qui est tellement las de mener sa vie de justicier solitaire qu’il décide de tout arrêter et se choisit une femme. Le seul problème, c’est que cette femme n’est pas d’accord, parce qu’elle est mariée et a déjà un enfant. Mais il n’en a que faire ! Il met tout en œuvre pour saboter son mariage, et lui prouver qu’il pourrait être un meilleur mari et un meilleur père pour son enfant. Le ton du film était tellement sarcastique que le script, malgré ses qualités évidentes, passait de studio en studio et de producteur en producteur sans jamais être acheté. Je me suis intéressé à ce projet depuis longtemps et je voulais vraiment qu’il puisse aboutir un jour, tout en sachant que ce serait forcément sous une autre forme.

D’après la description que vous nous en faites, le scénario a énormément changé en cours de route…

Oui, c’est Vince Gilligan qui s’est chargé de la plus grosse partie de l’écriture du projet, tandis que le réalisateur Peter Berg et moi-même avons effectué quelques retouches ça et là. Je ne sais pas si vous connaissez le travail de Vince, mais pour résumer rapidement ce qu’il a fait, je dirai qu’il a écrit et réalisé les épisodes les plus surprenants et les plus mémorables de X-Files. Quand vous lisez un de ses scripts et que vous le rencontrez ensuite, vous n’arrivez pas à croire qu’il s’agit d’une seule et même personne ! C’est un grand garçon calme qui a un accent traînant du sud des Etats-Unis, et paraît paisible quand on le voit agir. Il produit actuellement la série Breaking Bad, dont le héros est un professeur atteint d’un cancer incurable, qui décide de produire de la drogue chez lui pour aider sa famille à s’en sortir financièrement. Vince est un garçon incroyablement doué.

Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans ce projet ?

Je n’ai jamais oublié ce script que j’avais adoré. Je me sentais obligé d’en parler à toutes les personnes que je rencontrais. Dès qu’une de mes connaissances était engagé par un studio, je l’appelais pour lui parler de ce script. J’expliquais qu’il s’agissait d’une version déjantée et sombre d’un film de superhéros, mais personne ne se décidait à l’acheter. Au bout de plusieurs années, un de mes amis s’est retrouvé chez Lionsgate pendant un court moment, et a fini par prendre une option sur le scénario. Ensuite, j’ai envoyé le script à Michael Mann, qui l’a aimé et qui a pensé le réaliser pendant un temps. Mais finalement, Michael a préféré réaliser l’adaptation cinématographique de sa série Miami Vice, puis mon ami s’est fait virer de Lionsgate ! J’ai envoyé le script à Will et nous l’avons vendu à Sony, puis nous avons trouvé un réalisateur, mais il a changé entretemps…

Pourquoi avez-vous changé si souvent de réalisateurs ?

Dans chaque situation spécifique, la raison était différente. Michael Mann, par exemple, n’envisageait pas de faire le film avec Will Smith.

Pourquoi ?

Parce qu’il ne pouvait pas imaginer le projet sans que ce soit Brad Pitt ou Russell Crowe qui joue le rôle principal. C’était sa vision des choses. Jonathan Mostow avait une conception très différente du film, et Gabriele Muccino venait juste de finir Pursuit of happiness avec Will quand Jonathan Mostow est parti. Nous lui avons littéralement sauté dessus en lui disant « Eh, Gabriele, tu ne voudrais pas réaliser le film ? ». Finalement, nous avons décidé d’inverser l’ordre des films dont nous devions lancer la production, et nous avons fait passer I am Legend avant Hancock, ce qui est sans doute un des trucs les plus fous que j’aie jamais fait au cours de ma carrière. Ça n’aurait pas dû marcher, mais nous nous en sommes tirés finalement. Comme vous avez pu vous en rendre compte, le ton de Hancock varie énormément d’une séquence à l’autre, et quand le film sera entièrement terminé, ces changements d’ambiances seront encore plus nombreux. J’imagine que vous devez être perplexes, car ce qu’on vous a projeté hier soir (NDLR : 50 minutes du film, encore inachevé) sera ou ne sera pas inclus dans la version finale du film.

Cette confidence que vous nous faites est assez étrange : dans la plupart des cas, les studios montrent soit 20 minutes du film pour en donner un avant-goût, soit rien du tout, soit le film en entier…

Oui, c’est le département marketing de Sony qui a décidé de projeter ces 50 minutes. Personnellement, j’étais opposé à cela, car je considère que nous n’avons pas encore un film à montrer. Ce n’est pour l’instant qu’un travail en cours de réalisation, et pas quelque chose d’abouti. Je ne veux pas porter de jugement sur cette décision du département publicitaire de Sony, car ils connaissent leur métier, mais bon, si cela n’avait tenu qu’à moi, vous n’auriez rien vu !

Pouvez-vous nous expliquer plus en détail votre sentiment sur l’état actuel du film ?

Comme vous l’avez vu, c’est une histoire qui oscille entre plusieurs genres sans se cantonner à un seul. C’est la raison pour laquelle il est extrêmement difficile de n’en montrer que la moitié sans vous en donner une image quelque peu faussée. Cette manière de sortir du cadre d’un genre est une notion que Will et moi avons décidé d’explorer depuis quelques temps déjà. I Robot commençait comme un polar futuriste et s’achevait comme un film d’action. Dans I am Legend, on laisse plus de place au silence et au développement du personnage qu’on ne le fait habituellement dans ce genre de blockbusters. C’était un peu comme si nous avions caché un petit film d’auteur à l’intérieur d’une superproduction. Dans le cas de Hancock, nous allons encore évoluer dans ce sens.

Qu’est-ce que vous pouvez nous dire de la partie du film que nous n’avons pas vue ?

Je ne peux rien vous en dire, pas plus que je ne peux commenter ce que vous avez vu, car tout cela va encore changer et évoluer dans les semaines qui viennent. Je peux vous assurer aujourd’hui qu’une partie de ce que vous avez vu ne sera jamais projetée en salles.

Pouvez-vous être plus spécifique ?

Je pense que certains discours un peu longs vont disparaître.

Allons-nous apprendre pourquoi Hancock est devenu un superhéros ?

Oui.

Le premier titre du film, « Tonight he comes » était un jeu de mots à connotation sexuelle (il viendra ce soir /il jouira ce soir) . Cette première version du script était-elle torride a ce point?

Il y avait une tension érotique dans le script. Le héros se comportait comme un admirateur obsessionnel, qui relance sans cesse une femme, sans tenir compte du fait qu’elle lui demande de la laisser tranquille. Son insistance en devenait inquiétante et créait une sorte de malaise. Le personnage de ce superhéros au comportement atypique était formidable, mais il était évident que nous allions avoir beaucoup de mal à faire aboutir le script sous cette forme. En fin de compte, nous avons décidé de ne garder que le personnage du superhéros déchu et son comportement caustique, mais toute la structure de l’histoire a changé. D’ailleurs, pour revenir au titre, je pense toujours que Tonight he comes fonctionne bien.

Quand vous avez lu le script original, il y a quinze ans, pensiez-vous déjà que Will Smith pourrait tenir le rôle principal ?

Oh non ! J’ai commencé à associer dans mon esprit le nom de Will à un projet de film de superhéros quand Warner a relancé le projet Superman, bien longtemps avant la version de Bryan Singer. Je venais de participer au désastre qu’à été Batman et Robin et tout le monde était en train de se demander s’il fallait lancer la production du projet Superman reborn que Tim Burton avait mis au point. Je leur ai suggéré de choisir Will pour jouer le rôle de Superman, ce qui les a convaincu que j’étais complètement cinglé ! Mon raisonnement était le suivant : j’ai remarqué que depuis déjà quelques années, l’archétype du bon américain est un citoyen noir. Et je pensais qu’il était naturel d’aller dans cette direction et d’offrir le rôle à Will.

Selon vous, qu’est-ce qui donne à Will Smith ce formidable impact sur le public ? Depuis Wild Wild West, tous ses films ont été de gros succès au boxoffice…

C’est difficile de vous répondre sans dire des banalités, des choses évidentes. Je crois qu’on peut résumer cela en un mot : toute la sympathie qui émane de Will est naturelle. C’est vraiment un garçon adorable. Quelqu’un d’authentiquement gentil, qui travaille dur, qui souhaite toujours que les projets dans lesquels il s’implique soient les meilleurs, et qui respecte les gens. Pour un scénariste comme moi, c’est également un formidable partenaire, car il sait raconter des histoires. Il comprend que l’élaboration d’un script est un processus lent, qui implique de s’asseoir autour d’une table et de participer à de longues discussions sur tous les éléments du récit. Il écoute ce que vous avez à dire, il réfléchit, il apporte des suggestions toujours judicieuses, et c’est ainsi que le projet évolue peu à peu. Il n’hésite pas à prendre des paris audacieux, comme la fin de I am Legend, où il se sacrifie. Ce n’est pas un « Happy end » conventionnel pour un blockbuster avec Will Smith. Sa participation active à l’élaboration d’un projet contribue à le rendre meilleur.

Est-ce que Will Smith improvise beaucoup pendant le tournage ?

Non. Il n’a pas l’habitude de procéder ainsi. Charlize Theron le fait de temps en temps et Jason Bateman, dont j’adore la performance dans le film, se lance souvent dans des improvisations à la fin d’une scène. Cela permet au réalisateur d’avoir des choses en plus. Jason est très brillant, très vif. Il a tenté des tas de choses très amusantes tout au long du tournage, comme cette scène au cours de laquelle il explique à Hancock qu’il est très important de féliciter les policiers qu’il rencontre lors de ses interventions de superhéros. Peter Berg demande quelquefois aux acteurs d’essayer des choses. Il laisse la caméra tourner à la fin d’une prise et leur crie des instructions pour les faire réagir sur le vif, sans être préparés. Will réagit au quart de tour et se prête au jeu. Il suit aussi très facilement les improvisations de ses partenaires. Généralement, plutôt que de se lancer dans des improvisations, Will va essayer de jouer la scène d’une manière différente. Jason Bateman improvise plutôt des choses drôles, tandis que Will aura tendance à essayer différentes choses qui révèlent les pensées ou les émotions de son personnage.

Qui a eu l’idée de donner à un petit garçon français le rôle de la brute qui terrorise le fils de Jason Bateman ? C’est une idée très surprenante…

C’est Vince Gilligan. Il n’y a aucune raison particulière pour cela. Ça fait partie des idées cinglées qui sortent de sa tête ! D’ailleurs, je crois que ce petit garçon va jouer le role de Jason dans le prochain Vendredi 13 ! Il est soudain devenu l’incarnation du mal absolu ! (rires)

La tenue de Superhéros de Hancock a-t’elle été difficile à mettre au point ?

Non, pas vraiment. On ne la voit que dans deux scènes: celle de l’attaque de la banque que vous avez vue hier, et une autre scène à la fin du film. Nous ne voulions pas que ce soit une tenue trop élaborée, car Hancock n’a pas vraiment envie de porter un costume. Il le fait pour faire plaisir à Ray, son nouvel ami, qui le conseille sur son image. La tenue est donc relativement discrète. Elle ressemble un peu à une tenue de motard en cuir, avec un aigle sur le dos.

La scène précédente, dans laquelle Ray montre plusieurs couvertures de BD de superhéros à Hancock pour l’inciter à choisir un type de costume, est vraiment très drôle. Avez-vous été obligés de créer ces fausses couvertures parce que vous n’avez pas obtenu l’autorisation d’utiliser des superhéros connus ?

Exactement. Au lieu de ces personnages imaginaires, nous citions les noms de Superman, Batman, Spider-Man dans le script, et c’était encore plus drôle d’entendre Will juger leurs tenues de manière lapidaire ! Malheureusement, malgré tous nos efforts, nous n’avons pas pu obtenir le droit d’utiliser de vrais héros de BD. Sony n’a pas voulu que l’on touche à Spider-Man, et Warner a refusé de nous laisser utiliser Superman…C’est vraiment dommage.

Comment votre collaboration avec Will Smith a-t’elle débuté ?

J’ai rencontré Will pour la première fois quand Brian Grazer, le producteur et partenaire de Ron Howard, m’a proposé de le rencontrer pour discuter d’un projet d’adaptation de l’Homme invisible. Ça s’est passé quelques années avant A beautiful mind. Brian et moi sommes allés rendre visite à Will qui tournait alors un film dont j’ai oublié le titre. Brian nous a présenté en disant « Je crois que Akiva voudrait te parler de notre projet de L’homme invisible », et là, contre toute attente, je me suis mis à dire à Will « Vous ne devriez pas vous sentir obligé de ne tourner que des comédies. Vous êtes un grand acteur, je vous ai adoré dans Six degres of separation, etc, etc… » On ne pouvait plus m’arrêter ! Franchement, quand je me suis calmé un peu, j’ai réalisé ce que j’avais fait, et je me suis dit que Brian Grazer allait me tuer ! D’ailleurs je crois que c’est depuis ce jour que ses cheveux sont restés dressés sur sa tête ! (rires) Brian est vraiment quelqu’un de gentil, car au lieu de m’incendier sur place, il m’a simplement expliqué après le rendez-vous que je venais de torpiller son projet ! C’était certainement la pire chose qu’un scénariste pouvait faire au cours d’un entretien avec un acteur ! Heureusement, Brian ne m’en a pas voulu. Et par la suite, will et moi sommes restés en contact jusqu’au jour où on m’a proposé d’écrire I Robot. Je me suis retrouvé à Vancouver, à travailler jour après jouer avec le réalisateur et avec Will, et nous nous sommes très bien entendus. Will est si agréable que ce travail s’est déroulé dans les meilleures conditions que l’on puisse imaginer. Nous avons la même vision de ce qu’un bon travail d’équipe doit être. Nous aimons qu’il y ait une ambiance sereine sur un plateau. Nous respectons les gens, nous parlons à tout le monde avec courtoisie, nous croyons qu’il faut réussir à imposer les bonnes idées, etc…

Etes-vous toujours convaincu que Will Smith ne devrait pas tourner de comédie ? Hancock appartient pourtant, au moins en partie, à ce registre…

Personnellement, je n’ai pas envie de le voir dans des comédies, même s’il y a beaucoup de moments drôles dans Hancock. Pour mieux vous expliquer mes réticences, il faut que je vous explique sur quoi elles sont fondées. Quand nous avons travaillé avec Warner sur I am Legend, le studio était persuadé que les scènes dans lesquelles on voit Will discuter avec son chien seraient drôles ! Ils pensaient qu’il allait raconter des bêtises au chien, improviser des plaisanteries, ce genre de choses…Etant donné que le contexte du film est dramatique, nous n’imaginions pas qu’un tel quiproquo puisse exister entre nous et les dirigeants du studio. Il a fallu qu’on leur explique que nous n’allions pas du tout faire ce genre de choses. Voilà comment l’étiquette de « comique » peut fausser la perception d’un acteur et du projet sur lequel on travaille avec lui. Will est un formidable acteur dramatique. Et il excelle aussi dans la comédie. D’ailleurs, on se demande bien ce qu’il ne serait pas capable de faire…

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