Quand les comics partaient en guerre
Article Animation du Mercredi 11 Novembre 2015

Pendant la seconde guerre mondiale, le combat contre les nazis se menait sur tous les fronts, y compris celui des BDs et des cartoons. Comme CAPTAIN AMERICA - premier du nom - nous le rappelle, de nombreux héros de BD se sont battus contre Hitler, chacun à leur manière !

Par Pascal Pinteau



Captain America : « Prends ça, Adolf !! »

Et pan dans la moustache ! Dès sa première apparition en mars 1941 , Captain America fait fort et entre directement dans l’histoire de la BD : il s’attaque au führer avant même que les Etats-Unis ne s’engagent dans la seconde guerre mondiale ! A l’époque, beaucoup d’américains estiment que ce conflit qui fait rage dans la lointaine Europe ne les concerne pas. Mais les créateurs du personnage, Joe Simon et Jack Kirby, tous deux d’origine juive, savent par leurs proches et leur famille ce que la menace fasciste signifie : la disparition de la liberté d’expression, l’oppression des minorités ethniques, religieuses et sexuelles… Ils utilisent donc Captain America pour alerter l’opinion publique et la sensibiliser au danger nazi : leur héros combat des espions qui ont juré la perte de USA,  et d’horribles traîtres qui espèrent obtenir des postes importants quand le troisième reich aura terrassé l’Oncle Sam ! Ce premier numéro de CAPTAIN AMERICA remporte un tel succès qu’il se vend à un million d’exemplaires. Mais il ne plaît pas à tout le monde : apprenant qu’il est le co-créateur du justicier anti-nazi, des gens hostiles à l’engagement de l’armée US en Europe crachent sur Joe Simon lorsqu’il se ballade dans la rue ! Tout change après l’attaque de la flotte américaine par les forces japonaises, à Pearl Harbor, le 7 décembre 1941 : quand le président Roosevelt déclare l’entrée en guerre des USA, plus personne n’ose critiquer les aventures  patriotiques de Captain America ! Ses auteurs avaient eu raison.

Le super-soldat à la conquête du Blu-Ray !

Alors qu’il fête ses 70 ans, et après avoir connu un grand succès en salles le héros de Simon et Kirby déboule en vidéo dans le Blu-Ray de CAPTAIN AMERICA THE FIRST AVENGER , réalisé par Joe Johnston (Jumanji, Jurassic Park 3). On y voit comment le chétif Steve Rogers est métamorphosé en super soldat drapé dans la bannière étoilée…Pas facile d’adapter un tel personnage en 2011 sans que cela passe pour de la propagande américaine, mais Joe Johnston, que nous avons rencontré, a été vigilant : « Steve Rogers est un patriote, mais Captain America n’est pas un film de propagande dans lequel on agite constamment le drapeau américain. Nous avons voulu rendre hommage à l’esprit des gens qui combattaient pendant la seconde guerre mondiale, car c’est eux que Steve Rogers incarne et symbolise. Les héros du film se battent pour défendre la liberté, pas pour brandir une bannière en particulier. On voit d’ailleurs des combattants de toutes les nationalités dans le film. J’ajoute que nous montrons une réalité stylisée, avec des engins futuristes, car c’est la « version Marvel » de la seconde guerre mondiale que nous présentons là ! » Dans le film, les touches de SF sont bien présentes. Quand Steve Rogers, tout maigrichon, tente de s’engager dans l’armée pour défendre son pays, et se fait recaler aussi sec, le Docteur Erskine, savant allemand exilé aux USA, remarque son courage. Il lui injecte un sérum spécial, et le transforme illico en athlète grand et musclé ! Devenu Captain America, Steve lutte contre l’organisation Hydra fondée par le nazi Johann Schmidt, alias Crâne rouge, qui cache sa face d’écorché sous un visage de plastique et construit des armes terrifiantes… A l’écran, Captain America devient le héros d’un film d’action spectaculaire, porté par un scénario malin et de bons acteurs. Bravo aux designers du film, qui ont imaginé des machines de guerre délirantes, comme le double lance flammes des sbires de l’Hydra, un tank gigantesque qui écrase tout sur son passage, un méga bombardier en forme d’aile volante, et le « coupé de Schmidt », l’incroyable voiture blindée de neuf mètres du méchant !

Quand Superman s’en mêle…

En voyant Superman tenir par le col Hitler et l’empereur du Japon HiroHito sur ce magazine de 1942, on a envie de lui dire « Vas-y Superman ! Arrête la guerre ! » Mais voilà, les choses n’étaient pas si simples. La guerre était même un sacré casse-tête pour les créateurs de l’homme d’acier. Pourquoi ? Parce que contrairement à Captain America le super-soldat, athlète exceptionnel mais pas invulnérable, le surhomme inventé par Jerry Siegel et Joe Shuster  est tout puissant et invincible : les balles le chatouillent et les obus ne le décoiffent même pas ! S’il le voulait, il détruirait les armées allemandes et japonaises en un éclair et la guerre serait finie ! Bien sûr, il était impossible d’aller jusque là alors que les troupes se battaient encore au péril de leurs vies. Superman ne pouvait donc ni faire le travail à leur place, ce qui aurait été aussi vexant que décourageant, ni avoir du sang sur les mains puisque qu’il ne tue jamais !  L’homme d’acier s’est donc contenté d’aider les armées américaines et alliées en détruisant les canons, porte-avions et sous-marins ennemis, ou en débusquant des nids d’espions. Ah, si seulement Superman avait existé pour de vrai….

Une autre version du grand méchant loup

Jadis, au cinéma, on voyait d’abord un dessin animé et les dernières images des actualités avant le grand film. En 1942, les spectateurs américains découvrent ainsi une toute nouvelle version des TROIS PETITS COCHONS dans laquelle le grand méchant loup porte une mèche longue, une petite moustache et un uniforme orné d’une croix gammée faite de deux saucisses croisées !  Le fauve stupide et vaniteux s’attaque à trois petits combattants plus coriaces que prévu : à côté des bicoques de paille et de bois de ses copains insouciants, le troisième cochon s’est construit une maison de brique équipée d’un abri souterrain, de tranchées et de dizaines de canons ! Après une bataille démente, le loup tombe dans le trou formé par l’explosion d’un obus géant et atterrit tout droit en enfer ! Bien fait pour lui ! Le réalisateur & animateur Tex Avery, roi du cartoon délirant et des gags en rafales des studios MGM, a sorti l’artillerie lourde en s’attaquant ainsi à Hitler dans BLITZ WOLF. Grâce à sa puissance comique, Avery ridiculisait l’ennemi et profitait du générique de fin pour inciter les spectateurs à acheter les « bonds de guerre » qui aidaient le gouvernement US à assumer le coût énorme du conflit. On passait ainsi du rire…aux armes !



Donald en pleine dictature nazie…

Walt Disney, à l'opposé, a choisi de dépeindre une ambiance de cauchemar: il fait du brave Donald, qui représente l’américain moyen, un citoyen lambda de l’Allemagne nazie dans le cartoon LE VISAGE DU FÜHRER. Les spectateurs s’identifient donc à cette affreuse situation : autour de la maisonnette du canard, dont la forme évoque le visage d’Adolf, tout est en forme de croix gammées ! Tiré du lit par un réveil-main et une horloge-coucou qui font le salut nazi, Donald est forcé de lire l’autobiographie de Hitler  "Mein Kampf" (Mon combat) qui décrit ses idées politiques et ses thèses racistes. Le canard absorbe ce texte nauséabond tout en prenant un petit déjeuner composé d’une bouffée de vaporisateur d’arôme d’œuf et de bacon, puis d’une tranche de pain en bois - allusions aux rationnements alimentaires mis en place en Allemagne pendant la guerre – et part travailler dans une usine d’obus où les haut-parleurs crachent de la propagande du matin jusqu’au soir ! Après ce traitement de choc, le pauvre est réduit à l’état de zombie, incapable de penser par lui-même…Mais heureusement, ce n’était qu’un mauvais rêve! En se réveillant, Donald couvre de baisers la petite statue de la liberté posée sur le rebord de sa fenêtre, en se réjouissant de vivre aux Etats-Unis ! La chanson qui accompagne ce cartoon hilarant est devenue elle aussi un grand succès à l’époque.  DER FUEHRER’S FACE  n’a fait qu’un mécontent : Adolf lui même, qui serait entré dans une colère noire, car il adorait  BLANCHE-NEIGE ET LES SEPT NAINS, produit par Walt Disney en 1938, et souhaitait que l’Allemagne produise elle aussi de grands dessins animés ! 



Les toons accompagnent les soldats au front

Rien de tel qu’une mascotte sympathique pour remonter le moral des troupes ! Ces portraits militaires des stars de Disney, collés sur des carlingues d’avions et des véhicules ou brodés en écussons sur des uniformes, ont accompagné au combat des centaines de milliers de soldats. Les artistes du studio dessinaient gracieusement ces jolis petits logos pour chaque corps des forces américaines qui en faisait la demande : médecins, troupes de l’infanterie, parachutistes, etc. Si l’irascible Donald était le plus fréquemment demandé en raison de son tempérament de feu, le timide Dumbo a tout de même eu l’honneur de devenir l’emblème d’une escadrille de bombardiers !

Eduqués pour tuer…

Les studios Disney ont également réalisé des cartoons au ton plus grave pendant cette période, notamment l’excellent EDUCATION FOR DEATH dans lequel on voit comment le troisième Reich formatait les esprits des jeunes allemands dès l’enfance, en les contraignant à faire partie des jeunesses hitlériennes, où chaque activité de jeu était prétexte à l’assimilation de la propagande nazie. Devenus ados, ces jeunes étaient déjà prêts à aller se battre pour la gloire du führer…



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