[Flashback] Dans les coulisses de MISSION : NOËL : Entretien exclusif avec Josh Beveridge, animateur superviseur au sein de Sony Imageworks
Article Animation du Lundi 24 Decembre 2018

Première collaboration issue du nouveau partenariat entre Sony et les studios Aardman, MISSION : NOËL  nous dévoile l’histoire de la famille du père Noël, ou plutôt DES pères Noël qui apportent les cadeaux aux enfants, de génération en génération.



Entretien avec Josh Beveridge, animateur superviseur au sein de Sony Imageworks

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quel a été votre parcours d’animateur ?

Les projets les plus récents auxquels j’ai participé sont LES CHRONIQUES DE NARNIA et ALICE AU PAYS DES MERVEILLES de Tim Burton dans le domaine des films en prises de vues réelles, et SURF’S UP et TEMPETE DE BOULETTES GEANTES dans celui de l’animation 3D.

Comment est réparti le travail de conception du film, entre Sony Imageworks qui est basé à Los Angeles, et les Studios Aardman de Bristol ?

Les deux studios ont mêlé leur savoir-faire pendant les étapes du développement de l’histoire, du design, du storyboard et du layout. L’animation 3D proprement dite est réalisée essentiellement à Los Angeles, avec les équipements de Sony Imageworks et une équipe de 50 animateurs.

Pouvez-vous nous présenter l’intrigue et les personnages du film ?

Volontiers. Le « pitch » du film est très simple : tous les enfants se demandent comment le père Noël réussit à acheminer les cadeaux dans le monde entier pendant la nuit de Noël, et à entrer dans toutes les maisons, quelles qu’elles soient, pour déposer les jouets au pied du sapin. La réponse, que nous dévoilons pour la première fois dans le film, c’est qu’il emploie des millions et des millions d’elfes, qui se déplacent dans de gigantesques vaisseaux invisibles, de la taille d’une ville. Grâce à eux, ils peuvent aller d’un endroit à un autre en une fraction de seconde. Chaque elfe a subi un entraînement spécial pour être capable d’entrer dans une maison et de déposer les cadeaux en 17 secondes chrono. Les elfes travaillent par groupe de trois, et agissent comme des commandos d’élite de l’armée, en employant toutes sortes de gadgets pour mener leur mission à bien pendant cette fameuse nuit, pour laquelle ils se préparent toute l’année.

Comment les elfes se comportent-ils ?

En dehors de cette fameuse nuit, ils agissent à la fois comme des ninjas, des poulets décérébrés et des ados. (rires) Ils ne sont pas infaillibles, loin de là, même s’ils sont plutôt bons.

De quels vaisseaux vous êtes-vous inspirés pour concevoir le leur ?

Le S1 est un mélange du star destroyer de STAR WARS et de l’Enterprise de STAR TREK, mais nous lui avons donné aussi des courbes qui évoquent la luge du père Noël. Quand le vaisseau survole une ville, il se camoufle grâce à un système qui prend des photos du ciel au-dessous, et reproduit ce panorama sur sa partie inférieure, tapissée d’écrans. Ainsi, quand les gens lèvent le nez, ils ont l’impression de voir des étoiles ou des nuages dans le ciel nocturne, alors qu’il s’agit d’une image électronique. Dès qu’une mission commence, tout est chronométré à la seconde. Les commandos d’elfes descendent le long de cordes, repèrent les accès des maisons, trouvent le moyen d’y entrer, déposent les cadeaux, et évacuent les lieux. Dès qu’ils sont de retour dans le vaisseau, ils entament une nouvelle livraison et ainsi de suite, de quartiers en quartiers et de villes en villes.

Qui est en charge des opérations ? Et qui sont les personnages principaux ?

C’est Steve, le fils aîné du père Noël actuel, qui dirige tout cela. Il a une attitude très virile, militaire. Il adore commander. C’est lui qui a mis en œuvre toute cette organisation pour adapter les livraisons de jouets aux technologies du 21ème siècle. Il est le « prétendant au trône », pour ainsi dire, et devrait logiquement succéder à son géniteur afin de devenir le prochain père Noël. Mais le vrai héros de l’histoire est son frère cadet, Arthur. C’est lui le personnage le plus attachant du film. Comme Steve le considère Arthur comme un bon à rien, il l’a relégué dans un petit bureau du département où l’on examine le courrier envoyé au père Noël, car il considère que là-bas, son frère cadet ne pourra pas faire de gaffes trop gênantes. Cependant, Arthur vaut mieux que cela. Même s’il est maladroit, il a du cœur et vénère la fête de Noël. C’est un « geek » de Noël ! Il a la même passion pour cette fête et pour les accomplissements de son père que j’en ai personnellement pour le personnage de Batman ! (rires) Arthur est très proche de grand-père Noël, le père Noël précédent. Papy Noël a plus de 130 ans, et en dépit de son sale caractère – avec l’âge, il est devenu particulièrement grincheux – Arthur l’adore et il y a une grande complicité entre eux. Papy Noël a horreur de la nouveauté, et ne fait pas confiance aux méthodes high-tech mises en place par Steve.

Comment l’histoire débute t’elle ?

Tout commence peu après la soirée célébrant la réussite d’un nouveau Noël, alors que toute la famille est réunie pour dîner. La scène est assez drôle, car on voit les petites rivalités au sein du clan, et on se rend compte que pour la famille Noël, ce dîner de fête est un vrai calvaire. Un peu plus tard, ils découvrent qu’un enfant a été oublié au cours de ce qui semblait être une opération parfaite : il n’a pas reçu de cadeau. Arthur, en tant que fan absolu de Noël, ne peut pas supporter qu’un petit soit privé de jouet à l’issue de cette nuit magique. Steve réagit de manière pragmatique et quelque peu indifférente en disant qu’il suffira de lui envoyer le jouet par Fedex, afin qu’il le reçoive le jour suivant. Pour Arthur, ce serait un sacrilège. Il essaie donc de trouver une solution pour agir immédiatement et en parle à Papy Noël. Comme ce dernier aime beaucoup son petit-fils, il lui révèle un secret : depuis qu’il a cédé sa place, il a gardé sa vénérable luge magique en bois et en métal, ainsi que son équipe de rennes volants, qui ne sont plus tout jeunes, mais encore vaillants. Arthur va pouvoir les utiliser…

Et c’est ainsi que son aventure commence…

Oui. Arthur entreprend de retrouver la petite fille qui n’a pas reçu son cadeau - une bicyclette rose - car il ne sait pas où elle habite… Il voyage tout autour du monde, explorant d’abord l’Amérique du Sud, puis le Canada, puis l’Afrique, qu’il confond avec l’Angleterre, car il ne  maîtrise pas bien les outils de navigation de la luge. Arthur tient à poser le jouet au pied du sapin pendant la nuit, avant que Gwen ne se réveille. C’est donc une course contre la montre et contre le soleil, menée à toute allure.

Quels sont les comédiens qui ont prêté leurs voix aux personnages, dans la version originale ?

C’est Bill Nighy (Davy Jones dans LES PIRATES DES CARAÏBES, le vampire Viktor dans UNDERWORLD) qui joue Papy Noël. Il a remarquablement transformé sa voix pour donner l’impression d’avoir plus de 130 ans. On sent toute l’excitation qui traverse les vieux os de ce personnage quant il aide son petit fils à accomplir son destin. James McAvoy (Xavier dans X-MEN LE COMMENCEMENT) incarne Arthur. Il a merveilleusement réussi à exprimer les doutes et l’énergie juvénile de notre héros. Ashley Jensen, qui était la partenaire de Ricky Gervais dans la série comique EXTRAS, prête sa voix à l’elfe Bryony, qui se joint à cette aventure. Elle dispose d’une paire de ciseaux équipés d’un système de visée laser, qui permet de découper du papier et d’emballer un cadeau à une vitesse fulgurante. Jim Broadbent (le recteur de l’université dans INDIANA JONES 4) joue le rôle du père Noël, et apporte beaucoup d’humour à ce personnage. Dans notre histoire, le père Noël en est à sa 77ème « Mission : Noël » et il se comporte comme un général bon enfant qui est sensé commander plusieurs armées. Il porte d’ailleurs une tenue rouge d’allure militaire avec des galons. En vérité, il y a beaucoup d’esbroufe dans son attitude, car le père Noël n’est plus que le symbole de cette fête. Il a délégué ses pouvoirs à son fils aîné Steve, et ne sait même plus comment cette gigantesque opération se déroule ! Il se contente de parader dans son uniforme et de faire mine de tout vérifier, mais il est complètement dépassé.

Qu’en dit son épouse ?

Oh, la mère Noël se comporte avec toute la dignité et la retenue d’une altesse royale. Elle déteste les querelles et n’admet pas que des conflits éclatent au sein de la famille. Imelda Staunton (Dolorès Umbridge dans la saga HARRY POTTER) la joue comme s’il s’agissait de la reine d’Angleterre. Nous établissons d’ailleurs souvent ce parallèle entre le clan des Noël et la famille royale d’Angleterre : ils sont un peu guindés, coincés, et ne savent pas se témoigner des marques d’affection, parce que cela ne fait pas partie du protocole. La mère Noël est également très occupée, car elle prépare des millions de tartes à la menthe pour les elfes, qui en raffolent. C’est un personnage haut en couleurs, car mine de rien, elle sait faire énormément de choses. C’est une femme qui peut tuer un ours polaire, conduire une luge magique, préparer des millions de tartes, puis cuisiner le repas du soir pour toute la famille, sans mentionner ses exploits ! (rires)

Revenons au personnage de Steve. Est-ce le « méchant » du film ?

Pas vraiment. Il est simplement obsédé par l’efficacité militaire, les chiffres, les rouages bien huilés de l’énorme dispositif qu’il a mis en place. Il se comporte comme le PDG agressif d’une grande compagnie, comme une sorte de Bill Gates. C’est Hugh Laurie (Le DOCTEUR HOUSE de la célèbre série) qui l’incarne.

Au-delà de son comportement gaffeur, Arthur semble être surtout quelqu’un qui n’a pas pu s’épanouir pendant son enfance…

Exactement. Ces privations l’ont conduit à être toujours en décalage par rapport aux autres. Il se trompe sur les sentiments des gens, manque de tact, mais il déborde de gentillesse et de désir d’aider autrui. A force d’être isolé dans son coin, il n’a jamais eu l’occasion de vivre la moindre aventure. Par conséquent, il a peur de tout. Il n’en a que plus de mérite à quitter le département du courrier, où il pourrait se contenter de mener son petit train-train,  pour se lancer dans cette quête, cette mission quasi-impossible. On verra plusieurs fois la petite Gwen se réveiller pendant cette longue nuit de Noël, et voir avec tristesse qu’il n’y a toujours rien sous le sapin… Mais Arthur ne l’oubliera pas !

Le style graphique semble être à mi-chemin entre ceux des précédentes productions de Sony Imageworks et des studios Aardman : des formes simples mais agréables, et beaucoup de petits détails amusants, comme cette oreille de Papy Noël qui porte la marque d’un coup de feu malencontreux. Visiblement, il a dû faire peur à un papa en entrant dans sa maison un soir de Noël…

C’est l’idée ! (rires) Nous avons effectivement voulu épurer les designs des personnages, tout en les rendant extrêmement expressifs. Cependant, les environnements sont très détaillés, comme on peut le voir sur les images du décor du bureau d’Arthur, dans le service du courrier, ou celles de l’énorme centre de commande avec des centaines de pupitres informatiques, ou du poste de pilotage du vaisseau S1. Les textures des vêtements et des objets ont également été traitées de manière réaliste. Si vous observez le pull de laine que porte Arthur, vous pourrez voir les mailles du tricot, et même les « bouloches » qui témoignent de l’usure des manches, surtout au niveau des coudes et des avant-bras.

Vous semblez vous être bien amusés à concevoir les gadgets des elfes…

Outre ses ciseaux à guidage laser, Bryony dispose aussi de pistolets à ruban adhésif et de deux tubes contenant des centaines de mètres de papier cadeau. Sa particularité, c’est qu’elle est capable d’emballer n’importe quel cadeau avec seulement trois bouts de ruban adhésif ! (rires) Les artistes chargés du design se sont également défoulés en dessinant les vieux rennes un peu blasés de l’attelage de papy Noël. Ils ont des mines irrésistibles. Dans l’histoire, on explique que c’est l’énergie des aurores boréales du pôle Nord qui permet à la luge et aux rennes de voler. Papy Noël en a fait des provisions, et quand son attelage montre des signes de fatigue, il ouvre le réservoir, et lui permet de repartir de plus belle.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile à mettre au point pendant la phase de design des personnages ?

Nous voulions exprimer de manière subtile le fait que chacun des personnages, pour une raison ou pour une autre, est un peu marginal, décalé, différent de ce que l’on croit. L’une des manières d’arriver à ce résultat a consisté à rendre les visages très légèrement asymétriques, comme nos visages à tous, dans la vraie vie. Dans la 3D, c’est tellement facile de créer des formes symétriques que l’on a tendance à oublier de s’en dégager.

Est-ce que les elfes jouent le rôle classique de « compagnons comiques », tout au long du film ?

Oui, dans beaucoup de scènes. C’est dû à leur comportement, car pendant qu’ils sont en mission, ils sont extrêmement disciplinés et sérieux, mais dès que leur devoir est accompli, ils agissent un peu n’importe comment, et sont capables des pires initiatives. Pour éviter les catastrophes, il faut que quelqu’un reste à leurs côtés et leur donne constamment des instructions. Leurs gadgets, qui sont des parodies de ceux des films d’espionnage, sont aussi des sources de gags. Comme Steve tient à ce que les livraisons de jouets ne laissent aucune trace, les elfes sont notamment équipés de pistolets qui effacent les empreintes de pas sur la moquette, de lance-croquettes pour détourner l’attention des animaux domestiques, et de détecteurs spéciaux qui permettent de savoir si un enfant a été gentil ou un peu vilain pendant l’année, afin de le récompenser en fonction de ses mérites. D’ailleurs sur les batteries de ces gadgets, vous pourrez apercevoir un clin d’œil maison : le logo de Sony !

Quelles sont les caractéristiques des décors du pôle Nord ?

Tout l’environnement de la famille Noël, de leurs lits à la table du salon jusqu’aux infrastructures de l’immense salle de contrôle, tout est construit à partir de blocs de glace. C’est la raison pour laquelle Arthur a tendance à patiner un peu sur le sol, lorsqu’il marche avec ses chaussons de fourrure, qui ressemblent à des têtes de rennes.

Combien de temps aura-t’il fallu depuis le premier jour, pour réaliser ce film ?

Au moment de sa sortie en novembre, il se sera écoulé 5 ans depuis la toute première réunion. C’est une durée normale pour un film d’animation, mais j’avoue que nous sommes heureux d’arriver enfin à l’étape  de la présentation au public.

D’après tout ce que vous nous avez raconté, il semblerait que l’esprit du film, qui s’inscrit dans la tradition du « comique de l’embarras », est typiquement anglais, en dépit du fait qu’il s’agisse d’une coproduction américano-anglaise…

Tout à fait. MISSION : NOËL est vraiment un film anglais, et d’ailleurs, son script, qui était déjà excellent au départ, n’a quasiment pas été modifié pendant la production, ce qui est extrêmement rare dans l’univers de l’animation de longs métrages. Le film est imprégné d’un humour « pince sans rire ». Quant une situation est drôle, les personnages ne se comportent pas de manière caricaturale, car ils ne se rendent pas compte qu’elle est amusante. Ce côté minimaliste et parfois un peu sombre sert à créer un contraste et à mettre les gags en valeur. Les animateurs se sont inspirés du jeu des grands acteurs comiques anglais, qui repose sur l’immobilisme et décuple ainsi l’impact du gag.



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