LES IMMORTELS : Entretien exclusif avec le réalisateur Tarsem Singh – Dernière partie
Article Cinéma du Jeudi 05 Janvier 2012

[Retrouvez la première partie de cet entretien]




Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

A en juger par les bandes-annonces, puisque nous n’avons pas pu voir le film avant cet entretien, il semblerait que ce soit la première fois que vous n’ayez utilisé aucun décor extérieur réel…

Effectivement, je n’ai pas tourné un seul plan en extérieurs. Dans LES IMMORTELS, il y a des oiseaux qui volent dans le ciel, des chevaux au galop, et tout a été tourné en studio ou réalisé en 3D. Après THE FALL, et tout le temps que j’ai passé à filmer des séquences complexes en extérieurs dans les coins les plus isolés de la planète, j’ai eu la même réaction que Coppola après le tournage cauchemardesque d’APOCALYPSE NOW : je ne voulais plus tourner qu’en studio ! (rires) Evidemment, LES IMMORTELS est un film plus commercial que ONE FROM THE HEART, que Coppola a réalisé avec des techniques vidéo expérimentales après APOCALYPSE NOW… Mais c’était quand même un changement radical de méthode de travail pour moi. Quand j’ai travaillé sur THE FALL, j’ai employé les mêmes méthodes de prises de prises de vues que celles qui existaient déjà en 1915, en dehors du son et de la couleur. A l’inverse, LES IMMORTELS a été conçu pour bénéficier des techniques les plus modernes, aussi bien dans la construction des décors en studio – car je voulais avoir un contrôle total de l’éclairage – que dans le domaine des effets 2D et 3D. Nous avons créé des paysages entiers en studio. Cependant, même si les méthodes de tournage ont été différentes, c’est bien mon ADN que l’on retrouve dans chaque image du film !

Vous avez donc fait fabriquer beaucoup de décors, et utilisé aussi des fonds bleus…

Oui, beaucoup de décors de très grande taille, très complets, dans lesquels il n’y avait que quelques petits morceaux de fonds bleus, car je ne voulais pas aller vers l’esthétique de comic book de 300, qui reproduisait fidèlement les cases de la BD originale de Frank Miller. Zack Snyder pouvait se reposer sur cette base graphique, tandis que moi, je ne disposais pas de cela. Comme je ne souhaitais pas non plus donner un aspect réaliste au film, je ne pouvais pas me permettre d’utiliser un seul plan tourné dans un véritable décor extérieur, car cela aurait brisé l’harmonie visuelle de l’ensemble. Je ne voulais pas non plus me reposer trop sur les fonds bleus, car il me semble qu’ils ne conviennent qu’aux films bruyants et aux montages rapides dans lesquels il y a des gens hurlent des répliques du genre « Je vais vous exterminer !! » en combattant de manière extrêmement violente. Comme mon intention était de baser ma narration visuelle sur des gros plans et des plans moyens, et sur un tempo de montage lent, je voulais éviter à tout prix de laisser mes acteurs devant des fonds bleus. Je trouve que dans la plupart des cas, quand des comédiens tournent dans ces conditions, ils ont l’air complètement perdus, et les spectateurs le ressentent instinctivement, même après que les fonds bleus aient été remplacés par des décors 3D. Je voulais que les acteurs puissent se projeter dans cet univers en évoluant dans de vrais décors et en touchant de vrais accessoires autour d’eux. C’était très important. C’était une solution très onéreuse, bien sûr, mais si nous n’avions pas procédé ainsi, les interprétations que nous aurions obtenues auraient été totalement différentes.

Quelles sont les différences entre le récit original des aventures de Thésée dans la mythologie grecque et l’histoire que vous racontez dans LES IMMORTELS ?

Oh, je crois que vous ne reconnaîtrez pratiquement rien ! (rires) Comme je vous le disais, pour moi, le point fondamental de l’histoire, c’est que Thésée est un athée confronté à des évènements surnaturels et à la présence des dieux. Dans une première version du script, il était sensé être le fils d’un roi, l’héritier du trône…et j’ai horreur de ce genre d’histoires. C’est tellement facile d’utiliser une fois encore le bon vieux cliché de « l’élu » ! Je comprends bien que c’est une formule qui a fait ses preuves et qui rassure les studios, mais quand même…Je préfère nettement l’idée que les gens normaux confrontés à un défi trouvent souvent la force de surmonter de terribles obstacles pour réussir. J’ai dû me battre pour imposer que Thésée ne soit ni un fils de roi, ni un demi-dieu, mais un homme du peuple. Sa mère a été victime d’un viol collectif, et il est né à la suite de ce drame horrible. Par la suite, il a été considéré comme un bâtard et sa mère comme une pestiférée, mais pourtant, il a fait le choix de ne pas sombrer dans l’amertume. Il se comporte avec dignité et courage, et l’ironie du sort, c’est qu’il sera celui qui sauvera son peuple. En face de lui, il y a un méchant qui a souffert lui aussi dans sa jeunesse, mais qui a choisi quant à lui le chemin des ténèbres… Votre question sur la mythologie grecque me rappelle une réaction de ma jeune nièce de 8 ans, quand nous parlions du film, environ deux mois avant le tournage. Quand je lui ai dit que j’allais réaliser un long métrage sur l’histoire de Thésée, elle m’a tout de suite demandé « Comment vas-tu faire le Minotaure ? ». Je lui ai expliqué, un peu penaud, que nous n’avions pas prévu d’inclure le Minotaure dans le film. Elle s’est écriée « Quoi ?! Et le labyrinthe, alors ? Comment vas-tu le montrer ? » Quand j’ai trouvé la force de lui avouer qu’il n’y avait pas non plus de labyrinthe dans notre script, elle a tourné les talons en disant « C’est n’importe quoi, ton histoire ! » (rires) Je savais donc ce qu’il me restait à faire, et j’ai donc ajouté un Minotaure et un labyrinthe dans notre scénario !

Sont-ils très différents de ceux de l’histoire originale ?

Oui, car j’ai voulu leur donner une signification différente. Dans notre film, le Minotaure n’est pas le gardien du labyrinthe. Le labyrinthe est un moyen d’accès à un cimetière sacré où Thésée doit se rendre pour faire une prière. Quant il entre dans le labyrinthe, il s’entaille la jambe avec son épée, et dessine des petites marques sur les murs avec son sang afin de trouver le chemin du retour.

Thésée n’utilise donc plus le fil d’Ariane…

Non. Et dans le labyrinthe, Thésée croise le chemin d’un tueur sadique, un boucher qui aime infliger de la souffrance à ses victimes. Pour commettre ses méfaits, il cache son visage sous un masque de taureau. Les éléments du mythe sont bien là, mais les intentions derrière leur présence sont tout à fait différentes.

Vous n’avez donc utilisé aucune créature mythologique dans le film ?

Non. Je ne suis pas très fan de ce genre de créatures au cinéma, car je crois que si vous voulez les montrer correctement, il faut que vous disposiez du budget d’un épisode de la saga de Harry Potter, ou de celle du SEIGNEUR DES ANNEAUX. Il faut que ces créatures soient parfaites, sinon, cela produit des résultats consternants. Comprenez-moi bien, je n’ai rien contre les créatures imaginaires lorsqu’elles sont stylisées, et s’inscrivent bien dans une démarche artistique, mais si elles doivent avoir un aspect réaliste, je pense qu’il faut qu’elles soient absolument parfaites.

Vous jouez avec différentes vitesses de prises de vues dans certains plans de combats : on voit des personnages bouger extrêmement vite, tandis que d’autres, dans la même image, se déplacent au ralenti…

J’ai malheureusement commencé à utiliser des effets de ralenti puis d’accéléré de l’action dans le même plan il y a plus de 18 ans, dans un spot publicitaire pour Polaroïd. Ensuite, j’ai repris cet effet dans un autre spot, puis d’autres l’ont utilisé aussi dans la publicité et au cinéma. Il y a même des plans de ce genre dans 300, et pourtant, il se trouve que c’est moi qui ai lancé ces effets, à l’origine ! En abordant LES IMMORTELS, j’ai considéré que je ne pouvais plus reprendre ce vieux truc, car il avait été trop vu. Quand on retrouve un effet de ce genre dans un spot pour McDonalds, on se dit qu’il est vraiment devenu ringard… Mais en y songeant, j’ai pensé à une variation que j’ai trouvé vraiment intéressante. Voilà l’idée : si un dieu bouge, il se déplace si vite que si vous tentez de lancer un poignard vers lui, il aura le temps de se lever de sa chaise, de saisir votre arme en vol, de vous frapper avec, puis de se rasseoir avant même que vous n’ayez pu avancer d’un centimètre. Cela signifie que si l’on vous montre au ralenti, le dieu, lui bougera toujours extrêmement vite. J’ai testé différents moyens de créer cet effet, et quand nous avons mis cette technique au point, nous avons constaté qu’elle était très onéreuse, car nécessitant de lui consacrer de nombreuses heures de travail. J’ai dû renoncer à l’utiliser dans tous les combats, mais je l’emploie dans les scènes où l’on voit les dieux affronter les titans, qui disposent eux aussi de pouvoirs surnaturels. L’idée supplémentaire, c’est que dès que les dieux tuent un titan, il se met à bouger aussi lentement qu’un simple mortel. Je crois que l’effet produit est très intéressant, et complètement différent de ces effets de ralentis / accélérés qui sont devenus des clichés que l’on retrouve dans tous les films d’action. Cependant, même si je suis très satisfait de ce que nous avons obtenu, je me doute bien que cet effet va être copié et repris après LES IMMORTELS, et que d’ici 6 ou 7 ans il deviendra un cliché aussi risible que les effets de zoom rapides que l’on utilisait dans les années 70 pour créer un choc visuel ! Cependant, j’aime toujours les effets de simple ralenti, surtout quand ils sont utilisés judicieusement et correspondent à l’émotion qui se dégage de la scène que l’on filme.

Découvrez la bande-annonce du prochain film de Tarsem Singh, Mirror Mirror:


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