Sherlock Holmes : Les séries télévisées - Première partie
Article TV du Dimanche 05 Fevrier 2012

Les aventures de Sherlock Holmes écrites par Conan Doyle à partir de 1887 ont suscité nombres d’adaptations cinématographiques et télévisuelles. 56 nouvelles et 4 romans qui n’ont pas fini d’enflammer l’imagination des scénaristes du monde entier. A l’exception des deux premiers romans, directement édités en livre, les autres récits furent publiés de 1891 à 1927 sous forme de feuilletons dans le Strand Magazine, ou dans le Collier’s Weekly aux États-Unis à partir de 1903 puis dans le Liberty Magazine à partir de 1926. Les lecteurs devaient patienter un mois avant de pouvoir lire un nouveau chapitre ou une nouvelle inédite. Ils découvraient ainsi les aventures de leur héros au fur et à mesure, tout comme les spectateurs de Docteur House doivent attendre avant de voir un épisode inédit de leur série. Et justement, les adaptations des aventures du héros de Conan Doyle réalisées pour le petit écran ne manquent pas. ESI vous en présente une petite sélection…

par Nicolas Jonquères



BBC : un engagement historique

Les premières adaptations de Sherlock Holmes par la BBC débutent dans les années 1950. Dès 1951, la chaîne diffuse une série de 6 épisodes, dont il ne reste rien aujourd’hui, car ils étaient filmés en direct… sans enregistrement vidéo ! Ce fut le comédien Alan Weathley qui incarna le détective à l’écran et la série lui servit de tremplin pour sa carrière. Les titres des épisodes correspondent à des titres de nouvelles, ce qui n’est pas forcément un gage de fidélité à Conan Doyle : d’autres adaptations, qui reprennent les titres des romans ou des nouvelles, n’ont en fait que très peu de liens avec les écrits originaux.



En 1965, une autre série est commandée par la chaîne. 12 épisodes seront tournés et diffusés par la chaine, avec Douglas Wilmer dans le rôle-titre. Ce dernier, grand amateur de Conan Doyle, était ravi d’être impliqué dans le projet. « Le rôle m’attirait beaucoup car il me semblait qu’aucune interprétation ne rendait pleinement justice [au personnage de Sherlock Holmes]. Il y a un aspect très sombre chez Holmes et même très déplaisant. Et ceci était souvent éludé, le donnant à voir comme une sorte d’oncle jovial (…) avec une touche de héros Victorien. Holmes n’est pas du tout comme cela. Il est sardonique, arrogant et peut manquer totalement d’égards envers Watson. J’ai tenté de montrer ces différents aspects de sa personnalité. ». Même s’il était heureux d’incarner l’un de ses héros favoris, le travail que Wilmer effectua sur la série ne fut pas de tout repos : l’acteur parle même d’incompétence de la part de la production. « Les scénarii arrivaient en retard, j’en ai refusé plusieurs et les ai récrit moi-même. Je mettais les scripts ratés directement dans la corbeille, car je ne voulais pas les tourner. Le scénario de LA LIGUE DES ROUQUINS comportait 14 personnages qui n’existent pas dans la nouvelle de Conan Doyle et j’ai dit « Pas question ! » » « La plupart des scénarii que j’ai lus avant de les jeter me semblaient avoir été empruntés à Damon Runyon[écrivain et journaliste américain dont les écrits mettent en scène des histoires extravagantes racontées dans un style mêlant tournures argotiques et précieuses]. L’un d’entre eux s’intitulait HARRY LE CHEVAL ! ».



Le temps alloué aux répétitions avant le tournage étant trop court, les acteurs étaient contraints de se « jeter à l’eau » en jouant peu après. En 1968, la chaîne commande une autre série, en couleur cette fois, mais Wilmer décline l’offre. La production choisit alors Peter Cushing, qui a déjà interprété le détective au cinéma, dans LE CHIEN DES BASKERVILLES réalisé par Terence Fisher, maître du cinéma d’épouvante anglais, en 1959. Hélas, des 16 épisodes de 50 minutes qui furent diffusés, il n’en reste aujourd’hui que 6, les autres étant considérés comme perdus. Tout comme de la série avec Wilmer dont 2 épisodes ne subsistent pour moitié que par leur bande sonore. (On pourrait consacrer plusieurs livres au manque de considération aberrant de la BBC envers ses archives, et à la manière dont des milliers d’heures de programmes filmés en vidéo ont été effacées… pour recycler les bandes magnétiques !! Le show des Monty Python avait d’ailleurs failli subir ce triste sort…) Peter Cushing avait également à cœur de donner une image de Holmes conforme aux écrits de Conan Doyle. Mais le tournage ne fut pas une promenade de santé : « La diffusion de la série avait commencé avant que nous ayons fini le tournage de tous les épisodes. Nous étions constamment sous pression afin de livrer les épisodes en temps et en heure. Je ne pouvais pas donner le meilleur de moi-même dans de telles conditions, et je pense que cela se voit à l’écran. » L’acteur reprendra le rôle une ultime fois, dans un téléfilm THE MASKS OF DEATH en 1984. « Holmes n’est pas le plus aimable des personnages… Il est très difficile à interpréter… Son exaltation culmine puis retombe comme un yoyo. Vous devez toujours faire attention de ne pas ennuyer le public quand vous jouez un tel individu. »





C’est de 1984 à 1994 que la chaine ITV diffusa la série la plus célèbre mettant en scène Sherlock Holmes, avec pour acteur principal Jeremy Brett. Nous reviendrons longuement sur cette oeuvre culte en fin de dossier.

Enfin, Avant de nous transporter de l’autre côté de l’Atlantique, comment ne pas évoquer la dernière adaptation en date Sherlock qui a fait sensation sur la chaîne britannique fin 2010 et à nouveau début 2012. Cette fois-ci, les intrigues adaptées librement et intelligemment se situent dans l’Angleterre d’aujourd’hui ! Benedict Cumberbach campe un Holmes fin et froid secondé par Martin Freeman en docteur Watson. Steven Moffat et Mark Gatiss, également producteurs de Docteur Who ont concocté des intrigues qui raviront les passionnés du détective tout comme les spectateurs lambda. Ils se jouent habilement des clichés tel la deerstalker (casquette à double visière) dont est souvent affublé le personnage et surprennent les attentes du spectateur en les faisant virevolter de rebondissement en rebondissement.





Les États-Unis : toujours en première ligne

Les États-Unis s’intéressent depuis longtemps à Sherlock Holmes. En 1954, quand le producteur Sheldon Reynolds décide de créer une série télévisée, Hollywood a porté le personnage sur grand écran depuis longtemps et l’interprétation de Basil Rathbone est encore dans toutes les mémoires (il a joué le personnage 14 fois au cinéma et 1 fois à la télévision). « Alors que je lisais UNE ETUDE EN ROUGE, » déclara Sheldon Reynolds «  j’avais été frappé par les différences entre le personnage dans le livre et le personnage sur scène et à l’écran. Dans le livre, Holmes est un jeune homme d’une trentaine d’années, humain, talentueux, avec des dispositions pour la philosophie et la scholastique, mais sujet à des erreurs fatales qui sont dues à un trop grand empressement et à un manque d’expérience. Dans les premières histoires comme celle-ci, Conan Doyle n’a pas encore pris en grippe son personnage, qui deviendra pour lui un monstre littéraire. Et du point de vue de la littérature, les premières histoires sont bien meilleures. Mais quasiment toutes les adaptations théâtrales et cinématographiques sont basées sur les dernières histoires. »

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La série fut tournée en France, dans les studios Épinay-sur-Seine, où furent construits le salon du détective et la rue dans laquelle il habite, au fameux 221B, Baker Street. Ces décors furent conçus par Michael Weight, qui les avait déjà réalisés dans le cadre d’une exposition temporaire du Festival of Britain. A ces plans tournés en studio, furent ajoutées des prises de vues tournées à Londres, qui donnent l’impression que l’histoire se déroule effectivement en Angleterre. Les scénarii n’étant pas basés sur des histoires précises de Conan Doyle, certaines aventures se déroulent fort opportunément en France et furent tournées à Paris. Ronald Howard, fils du comédien Leslie Howard, fut choisi pour incarner le détective. « Dans mon interprétation, Holmes n’est pas un homme infaillible, au regard d’aigle, avec une personnalité sortant de l’ordinaire, mais un jeune homme exceptionnellement sincère qui s’efforce d’arriver au sommet de sa profession. Alors que le Holmes incarné par Basil Rathbone était fébrile et très nerveux, le mien a une personnalité plus ascétique, il est très posé, moins bohème, et je le joue de manière plus sobre pour le rendre plus réaliste.  ». C’est à Howard Marion Crawford qu’est confié le rôle du docteur Watson : « Je n’ai jamais pensé que Watson était un éternel raté, sans cervelle, qui amène une touche de burlesque comme dans les interprétations précédentes, déclarait Crawford. C’est un homme normal, qui a les pieds sur terre, un étudiant en médecine dont les conseils sont précieux… Autrement dit, il est le pendant raisonnable de l’entrain juvénile de Holmes. ». La série eut beaucoup de succès et fut diffusée dans de nombreux pays.

Dans les années 1980, Sheldon Reynolds produisit une nouvelle série en couleurs intitulée SHERLOCK HOLMES AND DOCTOR WATSON, où il fit réaliser des remakes des scénarii de cette première série. Elle fut cette fois-ci tournée en Pologne, avec Geoffrey Whitehead dans le rôle de Holmes, Donald Pickering dans le rôle de Watson , et Patrick Newell (bien connu pour son rôle de Mère-Grand dans CHAPEAU MELON ET BOTTES DE CUIR) dans le rôle de l’inspecteur Lestrade.





En 2004, débarque sur les écrans du monde entier un médecin cynique et arrogant : le docteur House. Nombreux sont les amateurs de la série qui ont noté les concordances entre les personnages : House est dépendant de médicaments, tout comme Holmes l'était de la cocaïne, son meilleur ami s’appelle Wilson, etc… Mais surtout il traque les maladies de ses patients comme Holmes traque les criminels. La méthode est la même : partir des symptômes (indices visibles) pour remonter aux maladies et proposer le traitement approprié qui guérira le patient.





Pour conclure sur notre partie états-unienne, nous signalerons que la chaine CBS a commandé une série sur des aventures du personnage qui se dérouleraient elles aussi dans le monde moderne, mais à New-York. Le projet est intitulé ELEMENTARY, référence à la fameuse phrase Élémentaire, mon cher Watson injustement attribuée au détective. En effet, elle ne se trouve pas dans les écrits de Conan Doyle mais proviendrait de la première apparition du personnage dans un film parlant...



Sue Vertue, productrice de la série Sherlock, dont la saison 2 fut diffusée début 2012 sur la BBC, a réagi à cette annonce : « Nous avons appris que les équipes de CBS préparent leur propre version d’un Sherlock Holmes modernisé. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils nous ont contactés il y a un certain temps pour produire un remake de notre série. A l’époque, ils nous avaient donné des garanties de leur intégrité, donc nous en concluons que leur Sherlock Holmes modernisé sera très différent du nôtre, le contraire serait extrêmement inquiétant. ». « Nous sommes très fier de notre série, comme le serait n’importe quel parent, a-t-elle ajouté et, comme n’importe quel parent nous protégerons les intérêts et le bien-être de notre progéniture. »



Rappelons que le personnage de Sherlock Holmes est tombé dans le domaine public, et que les adaptateurs sont libre de transposer le personnage comme ils le souhaitent. Le concept d’un Sherlock Holmes modernisé n’est pas suffisant pour que la BBC attaque CBS au tribunal, si les choses devaient en arriver là. Pour établir, le cas échéant, que les auteurs de SHERLOCK auraient été floués, il faudrait que la série à venir reprenne exactement les mêmes "codes" visuels, tels que les textos et les réflexions de Holmes écrites à l’écran. Affaire à suivre, car si cette nouvelle série voit le jour, elle pourrait concurrencer dangereusement celle de la BBC.



La suite de notre dossier bientôt sur ESI.

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