Dans les coulisses de Fracture – Un court-métrage international pour une tragédie spatiale
Article 100% SFX du Vendredi 17 Fevrier 2012
Réalisé par le britannique Ashley Wing, Fracture nous invite à découvrir les relations pour le moins tumultueuses entre trois explorateurs isolés sur une planète lointaine. Près de trois années furent nécessaires pour concevoir ce court-métrage de science-fiction d'une douzaine de minutes. Si le projet vit le jour malgré l'absence d'un véritable budget, le jeune réalisateur put compter sur l'aide - à temps partiel - de nombreux cinéastes amateurs à travers le monde. Parmi eux, le français Sébastien Regert, chargé de la supervision des effets visuels, a accepté de répondre à nos questions... Bienvenue dans l'ère du cinéma 2.0 !
Par Pierre-Eric Salard
Lorsque ce projet international – mais amateur - vit le jour, chaque poste fut attribué selon les compétences de chaque bénévole. Ashley Wing se vit ainsi confier la réalisation. « Les trois années de travail nécessaires pour arriver à bout de ce projet - pour ainsi dire inédit – se sont avérées très sympathiques », explique le jeune cinéaste. « Afin d'offrir au court-métrage une identité plus originale que ce que l'on retrouve généralement dans le circuit des festivals, j'ai décidé très tôt d'adhérer à un style que l'on pourrait qualifier de 'rétro'. J'ai grandi avec les films des années 1980, et des classiques comme The Thing de John Carpenter, qui est l'un de mes films favoris de cette période. Cette approche fonctionne parfaitement sur le plan visuel de notre histoire ». L'intrigue se déroule au sein d'un avant-poste minier isolé sur une planète lointaine, « nommée » 2234-DC2. Sur la surface désolée et sans cesse battue par des tempêtes aussi brutales que soudaines, le petit module d'habitation abrite une équipe de trois personnes. Au cours de leur séjour, ces deux hommes et cette femme ont vécu la solitude, l'amour et la trahison. Mais dans cet environnement confiné, propice à la claustrophobie, les secrets ne peuvent pas perdurer bien longtemps ! Alors que la tempête redouble et que l'intégrité de l'avant-poste vacille, le trio s'apprête à vivre une véritable tragédie shakespearienne... Alors qu'aucun budget n'était originellement prévu, ce projet obtint finalement l'aide de la société Fxhome, qui proposa de produire Fracture tout en distribuant des exemplaires de leur logiciel d'édition vidéo et de postproduction 2D et 3D, HitFilm. Après tout, il s'agit d'un moyen comme un autre de faire de la promotion ! Le tournage, en Angleterre, s'étala sur cinq jours. La post-production, quant à elle, dura deux ans ! Et c'est donc le français Sébastien Regert qui supervisa la création des effets visuels, utilisés avec parcimonie...
Entretien avec le superviseur des effets visuels de Fracture, Sebastien Regert
Propos recueillis par Pierre-Eric Salard
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Si j'ai toujours été passionné par le milieu des effets spéciaux, j'y travaille « professionnellement » depuis peu de temps. En réalité, j'ai débuté ma vie active en vendant des guitares dans un magasin du célèbre quartier de Pigalle (rires) ! Étant également un passionné de guitares, je m'étais dit que ce serait le métier idéal pour moi. Or j'ai rapidement compris les limites, en ce qui concerne l'évolution professionnelle, liées à cet emploi. Enfin, à la vérité, il m'a quand même fallu sept ans pour admettre qu'il ne m'apportait plus rien ! J'ai donc décidé de prendre un risque et d'essayer de réaliser mon autre rêve : faire carrière dans le milieu des effets spéciaux. Je suis complètement autodidacte ; j'ai travaillé dur pendant deux ans, jours et nuits, pour apprendre les bases. Heureusement qu'Internet existe ! C'est une véritable mine d'or, qui m'a permis de d'appréhender de nombreuses techniques. J'ai finalement obtenu un premier emploi au sein de Normaal Animation, une société de production spécialisée dans la réalisation de dessin-animés. Mandarine & Cow et Gaston Lagaffe en sont les plus connus. J'étais alors en charge du compositing, et j'y travaille d'ailleurs toujours, de temps en temps. Puis j'ai participé à Fracture. Et j'ai récemment commencé à travailler sur la série télévisée Metal Hurlant Chronicles...
Quel fut votre rôle sur Fracture ?
J'ai porté plusieurs casquettes sur ce projet. J'étais principalement superviseur des effets spéciaux en post-production - et non sur le plateau, lors du tournage. J'ai également été opérateur en compositing, lighter 3D, textureur, animateur et mattepainter. J'ai ainsi réalisé des décors numériques pour les plans en extérieur. Le budget infime du film nécessitait cet investissement personnel. Mais cela m'a permis de découvrir sur le tas plusieurs techniques que je ne connaissais pas, en particulier en matière de 3D ! En outre, j'étais chargé de valider certains effets spéciaux en compagnie de Ashley Wing, en fonction de ses choix artistiques... mais aussi des miens ! Mais notre collaboration s'est, dans l'ensemble, très bien passée. Ce n'était pas forcément évident au départ : Ashley habite en Angleterre, et moi en France. Heureusement que je parle anglais ! Ou, plutôt, que je me débrouille (rires). Il s'est avéré que nous avions la même vision au niveau du look de Fracture. Cela a beaucoup facilité les choses. Il a certes fallu effectuer quelques modifications afin de respecter la vision du réalisateur, mais ce projet fut au final une riche expérience pour tous ceux qui ont participé...
Quels ont été les plans les plus difficiles à truquer ?
En fait, la majorité d'entre-eux l'ont été, mais à des degrés différents (rires) ! Certaines scènes avaient notamment été tournées devant des fonds verts ; et il y avait des mouvements de caméra qui étaient quasiment impossibles à tracker ! D'où, souvent, la solution d'un tracking manuel, ce qui nécessitait beaucoup de temps... Mais les plans réalisés intégralement en images de synthèse ont évidemment été les plus compliqués à mettre en place. Je pense notamment à la séquence d'introduction, où l'on découvre l'avant-poste isolé sur une planète peu accueillante. Elle a nécessité plusieurs mois de travail. Nous avons créé plusieurs mattepainting, qui ont par la suite été plaqués sur des formes 3D afin d'effectuer du caméra mapping, et ainsi obtenir des rendus fidèles à la réalité. Cette technique permet d'évoluer en 3D dans une image 2D à la base. Il a fallu ensuite faire le compositing, avec des centaines de calques à gérer ! Mais d'autres scènes ont nécessité beaucoup de travail, dont la destruction partielle de la base. De nombreuses tentatives et prototypes ont échoué avant de trouver le rythme désiré. Il fallait garder ce dernier intact dans la mesure où cinq plans se succédaient, avec des élément divers qui interagissaient avec l'environnement, dont les cordes qui se détachent, etc... Tout cela a été entièrement généré en 3D grâce à des techniques de simulation avancées. Il fallait impérativement que le résultat soit photo-réaliste !
Pouvez-vous revenir sur le processus de création d'un plan en particulier ? Par exemple le plan serré sur un des modules de la base, durant lequel on découvre qu'un radar se désagrège peu à peu ? Lors de cette scène, l’héroïne se trouve à l'extérieur et une tempête fait rage...
Cette séquence, très courte, a nécessité beaucoup de travail. En premier lieu, il faut savoir que l'avant-poste a été entièrement modélisé en images de synthèse, avec un maximum de détails visibles. Il suffisait, ensuite, de choisir les angles de caméra désirés pour chaque plan. Après avoir réalisé cette étape, il nous a fallu texturer les parties de la base visibles durant la scène, puis régler les lumières et effectuer le rendu final de ce module avec toutes les passes nécessaires au compositing (réfraction, reflets, ombres etc...). Mais attention, cela ne concernait que le module ! Nous avons ensuite rajouté, à l'aide du logiciel de retouches d'images numériques Photoshop, de nombreux détails, dont des fissures ou des bouts de textures qui salissent encore plus le module. A ce moment-là, le décor final était également établi en fonction des scènes préalablement créées. Mais nous n'avions pas encore abordé la phase la plus délicate de la création de la séquence : la destruction du radar ! En accord avec le réalisateur, nous avions prévu de montrer une destruction progressive de l'antenne tout en essayant de rendre le plan le plus artistique possible. Nous avons donc effectué des simulations grâce au logiciel 3DSMAX, et plus particulièrement au plugin Rayfire, qui permet de fracturer des objets et de les animer ensuite en fonction de l'environnement : formes, gravité, rebonds, vent, etc. Certaines pièces qui se détachent ont été cependant animées « à la main », car les simulations restent toujours aléatoires. Afin d'avoir un contrôle absolu en compositing en ce qui concerne le rythme, nous avons aussi pris soin de calculer toute cette destruction avec un système de calques pour chaque partie se détachant. Chacun de ces éléments pouvant contenir plusieurs pièces, évidemment ! Les rendus ont été très longs à obtenir ; d'autant plus qu'il fallait aussi les calculer pour le plan suivant, dans lequel la caméra se trouve derrière l'actrice menacée par des pièces de radar qui la frôlent à grande vitesse ! Pour ajouter davantage de réalisme, nous avons également décidé de laisser les câbles de l'antenne. Il a donc fallu les faire interagir avec les forces de l'environnement. Là encore, nous avons utilisé 3DSMA,X et son module de simulation de cordes physx, pour animer les deux câbles. Or il fallait aussi essayer de représenter la force du vent à l'écran. Nous avons donc créé des éléments de sable - toujours à l'aide de 3DSMAX et de son système de particules - en essayant d'obtenir des formes variées et agréables à voir pour le spectateur. Il a fallu en calculer de nombreuses itérations pour permettre de ressentir cette force de destruction ! Chaque système de particules contenait ainsi des millions de petits grains de sable. Enfin, il fallait regrouper tous les éléments sus-cités. On a donc terminé avec la phase du compositing. Il était nécessaire d'obtenir le plus de réalisme possible en travaillant avec tous les éléments rendus, provenant de la 3D ou pas : ajouter les lumières du module, les mouvements des nuages derrière la base, les fumées causées par le décrochement des câbles, le tremblement des caméras, l'étalonnage final, etc...
Combien de personnes ont participé à la création des trucages de Fracture ?
Une vingtaine de personnes ont été impliquées dans la création des trucages. Il s'agissait en majorité d'opérateurs en compositing et d'artistes spécialisés dans la 3D. La grande majorité d'entre-eux habitaient en Angleterre. Seuls Jonathan Nardi, un opérateur en compositing, et moi-même étions français ! Étant donné que le projet a mis trois ans et demi à voir le jour, aucune journée n'a ressemblée à la précédente. Il faut savoir que Fracture a été réalisé avec très, très peu de fonds. Les membres de notre équipe étaient généralement des passionnés... qui avaient déjà de véritables postes dans l'industrie des effets visuels ! On ne peut donc pas dire qu'il existait une forme de journée-type. Le programme variait en fonction des scènes. Les séquences nécessitant des rendus 3D importants - comme celle au cours de laquelle un module s'envole, à la fin du court-métrage - bloquaient des journées et des nuits entières. Pour cette séquence finale, par exemple, je me souviens que le calcul a duré plus de cinq jours ! Il ne fallait donc pas se tromper...
Plus d’informations sur le site officiel : www.fracturemovie.co.uk