Exclusif : Les effets « BUF » de THE DARKEST HOUR
Article Cinéma du Mardi 03 Avril 2012
Les aliens détruisent Moscou avec la complicité du studio français.
Entretien avec Thomas Schober, producteur des VFX
Au début de sa carrière, Thomas Schober travaille en Australie, en tant que directeur de production et producteur de films d’animation et de jeux vidéo, notamment au sein d’Atari. Il rejoint Paris et le studio Sparx Animation (hélas défunt aujourd’hui) pour collaborer au sympathique long-métrage IGOR. Thomas Schober intègre ensuite BUF et supervise pendant deux ans le laboratoire de la société, B-Mac, sur des projets comme ENTER THE VOID, ARTHUR ET LA REVANCHE DE MALTAZARD, et SPRING FEVER, puis devient le producteur VFX des effets que BUF réalise pour THE DARKEST HOUR. Thomas Schober est également directeur et administrateur de production freelance, et vient d’intervenir sur le bouclage du dernier film de Julie Delpy 2 DAYS IN NEW YORK, en sélection au festival de Sundance.
Propos recueillis par Pascal Pinteau
Comment la société BUF a t’elle “auditionné” pour se charger des effets visuels de THE DARKEST HOUR ? Etiez-vous en compétition avec plusieurs studios ? Avez-vous produit des effets-tests ?
BUF était bien évidemment en compétition avec un grand nombre de studios de part le monde. Aucun test n’a du être produit pendant la phase de négociation et d’audition des collaborateurs vfx du film. Je crois pouvoir dire que Stefen Fangmeier (Superviseur VFX) et Ivy Agregan (Producteur VFX) ont choisi BUF pour être le studio vfx principal du film en raison de sa réputation d’être un studio vfx français spécialisé dans les effets visuels dit « créatifs » . On parle de « créative vfx », en opposition aux trucages de post-prod plus triviaux, tels que de simples décors 2D en compo, rotoscopie, et autres « nettoyage » de rushes, qui sont de plus en plus sous-traités dans les pays de l’Est, l’Inde, ou à une multitude de petits studios ‘start-up’ indépendants. BUF a été également choisi pour sa capacité à gérer un grand nombre de plans vfx, répondant aux normes de sécurité et de qualité d’une major américaine. En effet, rares sont les studios vfx en Europe continentale qui peuvent s’attaquer à une production vfx d’Hollywood. La prestation nécessitait aussi une grande recherche graphique préalable (« concept design ») afin de concevoir le monstre ‘Alien’ du film. New Regency voulait puiser dans le vivier des dessinateurs français, reconnus à Hollywood, et particulièrement dans la SF. Je pense que la valeur ajoutée créative fut le critère déterminant dans le choix de BUF (et de la France). Et la personnalité et la réputation de Pierre Buffin n’y est bien sûr pas pour rien !
Pouvez-vous nous parler de la conception et de la réalisation des effets de désintégration des personnages ?
L'effet de "Shredding" (désintégration des personnages) n'a pas été réalisé par BUF, mais par Bazelevs à Moscou, le studio vfx de Timur Bekmambetov, co-producteur du film.
Comment les effets de distorsion et d’éclairs ont-ils été réalisés pour représenter la présence des sphères d’énergie extraterrestres ?
Les ‘Aliens’ génèrent un champ de force d’énergie électromagnétique sphérique autour d’eux, qui fonctionne à la fois comme une cape d’invisibilité et un bouclier protecteur désintégrant objets, balles, humains… Ces sphères d’énergie – pour moi, très similaires aux effets d’évanescences divines vus dans THE TREE OF LIFE de Terrence Malick, - ont été réalisées grâce à un outil interne développé sur mesure pour le film. A l’aide d’un système d’attracteurs et de répulseurs, l’outil calcule des millions de courbes mathématiques lumineuses appelées « splines » et les génère en 3D. Elles apparaissent subrepticement, quand l’Alien & son bouclier sont touchés par exemple. Ces courbes mathématiques génèrent également une légère diffraction du décor, donnant un volume perceptible surtout en stéréoscopie 3D, lorsque l’Alien est invisible. La science des ‘splines’ est parfaitement connue et maîtrisée en image de synthèse mais le résultat est très aléatoire. L’enjeu technologique - et créatif ! - pour BUF était donc de développer un outil qui offrait le plus de paramètres de contrôle pour les animateurs, tout en optimisant au maximum les temps de calcul de ces millions de courbes mathématiques en volume.
Vous avez probablement recréé beaucoup de vues des grandes artères de Moscou complètement vides, afin de les réinjecter aux côtés des acteurs, pendant des scènes tournées dans des rues très occupées par les passants et les voitures. Pouvez-vous nous expliquer le processus que vous avez employé, étape par étape ?
BUF n’a pas travaillé sur les plans de rues de Moscou, comme par exemple la Place Rouge. En revanche, BUF a réalisé tous les plans des tours Alien, pour lesquels ses équipes ont dû « nettoyer » les voitures, la circulation, les passants, afin d’y intégrer les tours géantes Alien.
Comment avez-vous « greffé » les images des bâtiments détruits dans les panoramiques et les travellings qui décrivent le paysage de Moscou ?
Pour le plan de fin du film par exemple - plan aérien d’hélicoptère avec le sous-marin qui part - nous avons « tracké » la caméra du plan en 3D, dimensionnalisé la caméra pour la stéréoscopie (le plan ayant été tourné en 2D), intégré les tours Alien dans l’espace 3D, puis « détruit » les bâtiments existants de Moscou avec un mélange de modèles 3D et de matte-painting 2D.
L’image de l’avion écrasé dans la galerie marchande est très frappante. Comment a t’elle été réalisée ?
Voila un exemple de trucage où il n’y a pas de design et de création à proprement parler (comme pour la création de l’Alien et des Tours), mais qui nécessite une grande maîtrise pour obtenir un résultat crédible et parfaitement photo-réaliste. Pour ces plans - dont un très long plan travelling « découverte » au dessus des personnages principaux du film - il a fallu reconstruire intégralement la galerie commerciale du grand magasin GOUM en modèle 3D, puis cam-mapper, texturer, et éclairer le décor pour qu’il soit parfaitement raccord avec le décor réel filmé. Nous avons aussi rajouté une légère poussière pour rendre l’environnement réaliste et « vivant ». L’avion est bien sûr également généré en images de synthèse. Il n’y a plus aucun élément de prises de vues réelles dans cette séquence, à part les acteurs. Nous étions très content du résultat, très crédible et marquant un temps fort et frappant de la narration du film.
Avez-vous eu à recréer des environnements entiers de Moscou en 3D pour certaines scènes, par exemple les rues proches et les perspectives plus lointaines ? Comment avez-vous procédé ?
Oui, pour la séquence du Tramway, la grosse scène de bataille finale. Le tournage avait été rendu difficile en raison des conditions météorologiques et des incendies qui ont touché la Russie à cette époque. Le tournage de la séquence finale entre les deux derniers héros survivants et l'Alien sur un tramway s'est retrouvé compromis à cause de la fumée, de sorte qu’elle a été tournée dans un studio avec un fond vert. Pour cette longue séquence, nous avons reconstruit une zone industrielle entière de Moscou en 3D, à l’aide de centaines de photos prises par notre superviseur sur le tournage. Au total, il y a près d’une centaine de plans d’intérieur dans le Tramway. Le nerf de la guerre de ce type de trucage (fond vert et incrustation/intégration) est la lumière, l’éclairage, la réflexion sur les différentes surfaces (objets, acteurs …etc.) et je dois dire que le résultat est plutôt bluffant. Impossible de distinguer les décors filmés des décors « truqués » dans le montage final. Chris Gorak lui-même (le réalisateur) – en projection de travail - s’y est trompé !
Très franchement, nous n’avons pas compris pourquoi le design des créatures dans les sphères endommagées est si simpliste…Au milieu de tentacules crénelées, on voit une tête noire avec de grands yeux qui évoquent plus un adversaire de Sonic dans un jeu vidéo qu’un alien susceptible d’effrayer…Pourquoi un tel design ? Vous a t’il été imposé par le production ?
(rires) Je dois dire que je ne suis pas très satisfait du résultat non plus. Je parle en mon nom propre bien sûr... Je crois tout de même pouvoir dire que BUF aurait voulu pousser le concept et le design beaucoup plus loin, et exploiter d’autres pistes, disons plus originales et radicales. Au début nous avions carte blanche sur le design, et nous avions obtenu des résultats pendant la phase de dessin/design absolument étonnants, avec une vraie originalité, qui auraient pu – s’ils avaient été davantage développés en 3D - susciter un véritable intérêt chez les fans de SF et de monstres. Je suis persuadé qu’ils auraient même pu laisser modestement leur marque dans le cinéma de SF. Ces pistes, plus aventureuses, n’ont pas été retenues par le studio. Il faut savoir que le « creative process » sur un film de studio américain est très lourd, avec plusieurs niveaux décisionnels qui remontent tout en haut jusqu’aux cadres dirigeants, les fameux « Executives ». Ils ont sans doute eu peur « d’aliéner » une partie de leur public cible, les ados « grand public », en leur offrant un Alien qui sortait trop des stéréotypes hollywoodiens, comme l’Alien de Ridley Scott & H.R. Giger, le Predator et les autres extraterrestres dérivés vus dans les jeux vidéo.
Quelles ont été les plus grandes difficultés à gérer pour réaliser les effets visuels en relief du film ? Le fait de travailler en 3-D a t’il nécessité 30% de travail en plus ? Davantage ? Pouvez-vous nous expliquer le processus de travail pour un film 3-D ?
Le film a été pour l’essentiel filmé en stéréo, c’est à dire avec un système bicaméra. Nous avons donc travaillé pour la quasi totalité des plans sur les « deux yeux » en récréant une caméra 3D, c ‘est à dire un « espace 3D », pour chaque œil. Certaines taches sont « dupliquées » relativement facilement à l’aide d’outils BUF conçus en internes, mais il y a un surplus de travail certain, qui varie entre 10% et 40% en fonction des plans et de leur complexité. A préciser que le laboratoire B-Mac (filiale de BUF) a apporté son aide pour la correction colorimétrique et géométrique des images 3D, afin de réduire les effets spéculaires et les reflets afin de mieux « raccorder » la vision des deux yeux. Certains plans étaient néanmoins filmés en mono/2D, et nous avons dû « dimensionnaliser » ces plans, c’est à dire créer entièrement un deuxième œil/point de vue décalé pour l’effet 3-D stéréoscopique. Ce fut le cas du plan sous l’eau, après l’effondrement du bâtiment, ou du plan d’hélicoptère final.
Pourriez-vous nous dire combien d’employés de BUF ont travaillé sur le film, et pendant combien de temps ?
En moyenne sur 9 mois, une vingtaine d’infographistes, animateurs, directeurs technique et superviseurs, plus une dizaine de dessinateurs, mais l’équipe a compté jusqu’à 50 personnes au moment de la réception de la majorité des rushes, lors du bouclage du montage.
Quels ont été les plans les plus difficiles à réaliser et pourquoi ? Y a t’il un plan en particulier qui s’est avéré bien plus complexe à créer que prévu ?
Oui : le plan où un grand bâtiment sur les bords de la Volga s’écroule entièrement, face à la caméra. Un plan réalisé entièrement en images de synthèses et en 3D relief, techniquement très difficile. Après avoir construit le bâtiment en synthèse dans les moindres détails - jusqu'à la tapisserie des chambres - il fallait ensuite pouvoir le « casser » en centaines de milliers de morceaux avec une « simulation physique ». La complexité additionnelle fut la réalisation de la fumée et de la poussière, qui dévalent comme une avalanche vers la caméra – en plan subjectif du héros. Pour être parfaitement photo-réalistes, la fumée et la poussière doivent être de différentes densités, plus ou moins translucides et opaques, et adopter des comportements variés. Au final, tout cela est rendu par des millions de particules éclairés par la lumière.
