HANCOCK : Entretien avec Charlize Theron
Article Cinéma du Vendredi 04 Juillet 2008

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Mary, votre personnage, semble en savoir plus sur John Hancock qu’elle ne veut bien le dire…A-t’elle un secret ? Possède-t’elle aussi des superpouvoirs ?

Eh bien…disons que nous nous sommes débrouillés pour que les spectateurs puissent croire différentes choses. Je crois qu’il est assez clair que tout n’est pas dit au début du film, qu’un secret est bien là. J’espère simplement que les gens ne vont pas s’attendre à une révélation délirante. Je crois que nous avons tous voulu préserver ce qui faisait l’attrait du concept original, cette relation particulière entre deux personnages, que je n’avais jamais vue avant dans un autre film. Mary et Hancock ont une relation conflictuelle, de toute évidence, parce qu’elle est mariée à Ray, dont elle élève le petit garçon, et avec lequel elle a réussi à construire une famille heureuse. Je crois qu’on peut dire que Mary est une femme qui se trouve à la frontière de deux mondes, et qu’elle devra en choisir un.

Quel superpouvoir aimeriez-vous posséder ?

Mmm…Je ne sais pas. Quelqu’un m’a dit que Will Smith aimerait avoir le pouvoir de lire les pensées. Ce n’est pas mon cas. Je crois que ça m’effrayerait. Si quelqu’un me disait quelque chose de gentil et que je découvrais que ses pensées sont toutes autres, je serais vraiment déçue.

Dans ce cas, quel pouvoir choisiriez-vous plutôt que la télépathie ?

Peut-être celui de voir les gens tous nus ! (rires)

Dans certains cas, ça pourrait aussi être effrayant !

Oui, mais je crois que ce serait aussi une manière de ne pas prendre au sérieux certaines personnes qui pontifient, ou sont extrêmement prétentieuses. Ce serait amusant de voir tous les gens nus dans la rue, justement parce qu’ils seraient tous égaux ainsi, débarrassés de tous repères sociaux. Quand on sait qu’on est nu et que quelqu’un vous regarde, on doit faire attention, on rentre le ventre. Alors que chez soi, tout seul, on se relâche, et on fait machinalement des choses qui peuvent être amusantes. Personnellement, ça m’amuserait de voir mon voisin sortir sa poubelle dans la rue, en tenue d’Adam !

Accepteriez-vous de jouer le rôle de Wonder Woman dans le film qui va bientôt lui être consacré, si on vous proposait ce rôle ?

Vous savez, c’est très difficile de répondre comme ça, sans avoir lu le moindre script. Je pense que je prendrais une décision comme je l’ai fait dans le cas de Hancock, seulement si je suis en mesure de comprendre la vision du réalisateur et du producteur. Depuis que je suis actrice, je n’ai jamais donné mon accord sur un projet avant d’avoir lu le script définitif, même si le concept de départ me semblait très intéressant. Une très bonne idée initiale peut devenir un scénario décevant…

Gérez-vous votre carrière en essayant d’alterner les films dramatiques et les divertissements plus légers, comme Hancock ?

Vous savez, Will et moi nous avons justement parlé de cela un peu avant le tournage de Hancock. Dans l’industrie du cinéma, on a compartimenté les films, peut-être d’une manière un peu hâtive, entre les productions indépendantes qui essaient de sortir des sentiers battus, mais qui sont produites avec des petits budgets, et les superproductions des grands studios hollywoodiens, qui sont destinées à un large public. Les petits films permettent souvent aux acteurs d’interpréter des rôles plus intéressants, et d’être récompensés pour cela, tandis que les blockbusters sont perçus comme le moyen de payer ses impôts et de maintenir un train de vie luxueux. Mais si vous ne tournez que des films de grands studios, on considère que vous vendez votre âme au diable, que vous n’exercez votre métier que pour gagner beaucoup d’argent. On part du principe que tourner dans un blockbuster, cela signifie que vous êtes prêt à vous compromettre dans un projet qui est financièrement intéressant, mais artistiquement sans grand intérêt. Ce qui est formidable avec Will, c’est qu’il a à la fois le pouvoir de faire naître des films qui vont bénéficier d’un gros budget à cause de sa présence, mais qu’il est aussi très exigeant sur la qualité du script. Il est garant de la vision globale du projet. Je crois que Will peut être l’une des personnes qui va réussir à faire évoluer la conception des « blockbusters ». Il a le pouvoir de rendre ces films plus intéressants et plus surprenants que par le passé. Personnellement, je peux vous dire sincèrement, les yeux dans les yeux, que je n’ai jamais eu à faire de compromis dans le choix de mes films. A chaque fois que j’ai accepté de m’impliquer dans un projet, c’est parce que je l’ai voulu, et parce que je pensais sincèrement que le résultat final serait bon. J’y croyais à chaque fois. Ce qui ne signifie pas que j’aie eu raison, bien sûr ! Certains films se sont avérés très mauvais, voire même catastrophiques ! (rires)

Vous avez gagné un Oscar pour Monster, vous faites la couverture des plus grands magazines, et vous êtes toujours citée dans les listes des plus belles femmes du monde ? Comment réagissez-vous par rapport à tout cela ?

Très simplement : je suis persuadée d’être la femme la plus sexy au monde ! (rires) Vous savez, dans cette industrie du cinéma, il faut prendre les choses avec un peu de recul et beaucoup d’humour. Je ne peux pas dire que je suis blasée quand on me fait un joli compliment comme celui dont vous venez de parler, mais je sais très bien que la notion de « la femme la plus sexy au monde » est complètement absurde. Je ne me lève pas le matin avec cette idée-là en tête, et je ne vis pas au quotidien pour projeter constamment cette image.

Selon vous, à quel public Hancock est-il plus particulièrement destiné ?

Eh bien cela rejoint ce dont nous parlions précédemment, c’est à dire le formatage des films. J’aimerais bien ne plus être contrainte à penser que l’on fait des films seulement pour une certaine cible de spectateurs. Je crois que Hancock remet en cause certaines traditions cinématographiques. Ce n’est pas vraiment un film de genre, car il réunit des éléments que l’on trouve habituellement dans des registres différents. J’aimerais bien tourner plus de films conçus de cette manière au cours des prochaines années. Des films construits autour d’une très bonne histoire, dans lesquels on pousse les idées et les situations jusqu’au bout de leur logique, sans craindre de passer d’un genre à un autre. Je crois que cette approche permettra aussi d’échapper à cette contrainte qui consiste à brider les films pour qu’ils puissent être vus au moins par les adolescents, même s’ils sont conçus dès le départ pour un public adulte. De même, je trouve absurde que d’autres productions ne visent que les ménagères de province, ou le public des jeunes salariés urbains…Ce n’est pas la manière dont je conçois mon travail, ni ce qui motive le choix des projets dans lesquels je m’implique.

Lisiez-vous des bandes dessinées de superhéros quand vous étiez enfant ?

Non. Ce n’était pas parce que cela ne m’intéressait pas, mais tout simplement parce que je vivais dans une petite communauté isolée d’Afrique du Sud, dans laquelle on ne recevait pas beaucoup de magazines, et encore moins de bandes dessinées. Je n’ai pas grandi entourée de littérature fantastique, ni même d’articles sur le cinéma. Je n’avais pas de frère, et étant fille unique, j’avais encore moins accès aux publications destinées aux garçons. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert le fantastique, et les bandes dessinées de superhéros, et que j’ai pu m’y intéresser.

Vous avez aussi suivi des cours de danse pendant de longues années. Est-ce que cette discipline, qui exige beaucoup de rigueur, d’application, et d’entraînement physique a été une bonne façon de se préparer au métier d’actrice ?

Je crois que la danse est une bonne préparation pour tout ce que vous pouvez entreprendre dans votre vie. La danse fait partie de ces disciplines artistiques dans lesquelles vous ne pouvez réussir que si vous vous construisez le mental qui convient , car vous devez supporter des exercices physiques très durs pour vous forger le corps qui vous permettra de danser dans un ballet. C’était fondamental pour moi, pendant mon adolescence, d’avoir un objectif de travail très rigoureux à atteindre. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir me construire autour de cela, et j’en perçois encore les bienfaits aujourd’hui, quand j’exerce ma profession d’actrice, et quand je mène ma vie de femme. Il m’arrive encore souvent d’aller à l’Opéra pour voir des spectacles, et j’apprécie le travail et les efforts des artistes que je vois sur scène, mais je ne fais plus du tout d’exercices d’assouplissement comme le font les danseuses.

Dans ce cas, comment faites-vous pour rester dans une telle forme physique ?

J’avale une pilule magique… (rires) Non, je fais simplement les choses essentielles que l’on doit faire pour rester en forme: manger sainement, bouger, boire beaucoup d’eau. Je n’ai pas de secret à révéler ! Je ne prétends pas avoir toujours mené une vie exemplaire dans ce domaine : j’ai fumé pendant de nombreuses années, et je suis sûre qu’un jour où l’autre ces erreurs se liront sur mon visage…Mais j’espère que je saurai accueillir ces rides avec grâce, car j’ai eu la chance de vivre une vie formidable.

Quelles sont vos activités préférées quand vous ne tournez pas ?

J’aime faire des ballades en forêt, ou aller nager à la plage. J’aime bouger. Quand je me réveille, je pars faire quelque chose. Je suis incapable de traîner chez moi toute la journée !

Dans le film, on a le sentiment que le personnage de Mary a peut-être fait une erreur dans une autre vie. Avez-vous déjà éprouvé ce sentiment vous-même ? Vous en êtes-vous inspiré pour préparer votre interprétation ?

Non, parce que je n’ai aucun regret. Venant d’une toute petite bourgade d’Afrique du Sud, je serais mal placée pour dire que l’on ne peut pas vivre plusieurs vies. J’ai certainement fait beaucoup d’erreurs dans ma vie, comme nous en faisons tous, mais je n’en regrette aucune, car les erreurs vous permettent aussi d’avancer et d’apprendre.

Vous avez obtenu un Oscar pour Monster, un film dans lequel vous avez altéré votre apparence de manière frappante pour prendre l’apparence de Aileen Wuornos, une véritable tueuse en série. Vous vous êtes enlaidie pour pouvoir jouer ce rôle dramatique et votre performance était sidérante. Pensez-vous que d’une certaine manière, la beauté est un carcan, et que les actrices aussi ravissantes que vous doivent casser leur image pour obtenir des rôles plus intéressants ?

C’est la façon dont fonctionne notre société qui conditionne cela. Les films n’en sont que les reflets. Souvent, dans les scripts, l’image de la beauté est associée à une certaine superficialité. A l’inverse, les histoires les plus intéressantes et les plus honnêtes, celles qui sont les plus chargées de sens, se déroulent dans des milieux sociaux défavorisés. Leurs protagonistes ne vivent pas forcément dans des grandes villes, et ne font pas de leur apparence physique une priorité. L’aspect physique tient un rôle trop important dans notre société. Il est devenu un prisme au travers duquel on vous observe pour vous juger. Je serais prête à jouer une reine de beauté dès demain, si le script en valait la peine. Je ne choisis pas non plus un projet en fonction de l’aspect du personnage que je vais incarner, en cherchant la prouesse de métamorphose. En tant qu’actrice, je suis entièrement au service de la narration de l’histoire.

La dernière fois que nous vous avons rencontrée, vous nous avez déclaré que vous ne vous marieriez que le jour où les couples du même sexe pourraient s’unir. Êtes-vous toujours du même avis ?

Oui. J’ai toujours pensé que je vivrai en couple un jour, et que j’aurais des enfants. Mais contrairement à la plupart de mes amies qui découpaient des robes de mariages dans des magazines, je ne m’imaginais pas épouser un homme un jour. Je ne veux pas faire de déclaration politique à ce sujet, mais il se trouve que j’ai récemment adopté la nationalité américaine, et que cela m’a amené à penser que j’avais envie de vivre dans un pays où on ne retire pas certains privilèges aux gens sous le prétexte qu’ils n’ont pas la « bonne » sexualité. Personnellement, je ne pense pas que je me marierai un jour, mais je pense qu’il serait naturel que tout le monde puisse avoir ce droit, et puisse s’unir dans une église, en invitant ses amis et sa famille, et ce dans n’importe quel état d’Amérique.

En participant au film de Paul Haggis Dans la vallée d’Eliah, faisiez-vous une déclaration politique ?

Vous savez, je n’ai jamais caché mes sentiments au sujet de la guerre en Irak, ni ce que je pense de l’administration Bush en général. Quand j’ai rencontré Paul, je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse m’envoyer ce genre de script et me proposer un rôle dans un tel projet. Ce film a été conçu au moment où on commençait seulement à parler du syndrôme de stress post-traumatique qui touche les soldats qui reviennent d’Irak. Ce que j’aime dans ce film, c’est qu’il ne se contente pas de traiter simplement de la guerre et de ses conséquences, mais qu’il nous parle de la condition humaine dans son ensemble. La guerre n’était qu’une des circonstances de l’histoire, elle permettait de montrer comment les gens réagissent quand ils sont plongés dans des situations horribles, quand ils se retrouvent au mauvais endroit et au mauvais moment.

Vous êtes impliquée dans plusieurs organisations caritatives qui interviennent en Afrique du Sud. Pourriez-vous nous en parler ?

C’est une expérience qui m’a beaucoup apporté à un niveau humain, mais qui est aussi assez impressionnante, car elle vous force à voir tout ce qui reste à accomplir pour améliorer le sort de dizaines de millions de gens. Il y a tant de choses à faire…La tâche est immense. Quelquefois, vous êtes assailli par le doute. Vous vous dites que quoi que vous fassiez, ce ne sera jamais suffisant. Mais vous reprenez courage quand vous constatez les conséquences concrètes de vos actions. Il suffit que vous voyez un visage souriant, une personne dont la vie a changé pour de bon, pour que vous sachiez que tout ce que vous avez entrepris en valait la peine. Je m’implique à fond dans ces actions et je peux vous dire que j’ai vu de mes yeux les preuves de leur efficacité. Je le fais avec d’autant plus d’enthousiasme que nous obtenons des résultats , et que nous faisons vraiment changer les choses. L’Afrique du Sud va bientôt entrer dans une période d’élection, et nous allons en profiter pour demander aux candidats que nos actions dans le milieu médical et hospitalier soient désormais intégrées aux débouchés professionnels des professions médicales. Il y a tellement de gens pauvres dans ce pays, et tellement de gens touchés par le Sida que c’est devenu une priorité.

Vous participez à l’adaptation du roman La Route, de Cormac McCarthy, qui a obtenu le prix Pulitzer l’année dernière. Il s’agit de l’histoire d’un homme et de son fils qui traversent à pied une Amérique post-apocalyptique.(Ndlr : ce roman est publié en France par les éditions de l’Olivier) Pourriez-vous nous parler de ce projet ?

Ce roman a changé ma vie. Je ne tournerai que trois jours sur ce film, car je n’apparais que dans des séquences de flashback. Mais cette histoire est tellement profonde, et tellement en prise avec le monde actuel qu’il faut absolument la présenter au plus grand nombre de gens. Elle est aussi imprégnée d’espoir. C’est un formidable message d’espoir. C’est Viggo Mortensen joue le rôle principal.

Quels sont vos créateurs de mode favoris ? Je pense que vous allez nous parler de Dior, dont vous représentez aussi le parfum « «J’adore »…

Je travaille avec beaucoup de créateurs, mais comme vous le disiez, j’ai effectivement une relation privilégiée avec John Galliano, chez Dior. Je travaille avec cette grande maison française depuis plusieurs années déjà, et je pense que John est vraiment un génie et l’un des esprits les plus créatifs de cette profession.

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