BATTLESHIP : Bataille navale contre les extraterrestres ! - Entretien exclusif avec le réalisateur Peter Berg
Article Cinéma du Dimanche 13 Mai 2012

Après avoir réalisé le très sympathique HANCOCK, Peter Berg transpose en superproduction de SF l’un des jeux de société les plus célèbres au monde.

En signant en 2008 un accord avec Hasbro pour adapter au cinéma plusieurs de ses jeux de société, Universal s’était clairement fixé le but d’imiter l’énorme succès que Paramount avait remporté avec ses adaptations des jouets cultes du même fabricant, comme TRANSFORMERS (2007) et G.I. JOE, LE REVEIL DU COBRA (2009). Parmi les projets d’Universal figurent les versions grand écran de CANDYLAND (jeu peu connu en France), du célèbre MONOPOLY, confié à Ridley Scott, du fameux jeu d’énigme policière CLUEDO, pendant un temps placé sous la houlette de Gore Verbinski, et du OUIJA, l’inquiétante planchette décorée de lettres et de chiffres sur laquelle on déplace un pointeur lors de séances qui ont pour but de communiquer avec les esprits ! Ajoutons que ces achats de licences représentent un pari financier important, car pour avoir manqué de développer le film OUIJA dans les délais impartis, Universal a du payer récemment une pénalité de 5 millions de dollars ! Le premier des projets communs Universal/Hasbro que nous nous apprêtons à découvrir est BATTLESHIP, la version « board game » de la fameuse BATAILLE NAVALE. Le concept du jeu étant simplissime, la tâche confiée à Peter Berg - créer une véritable intrigue et un grand spectacle autour de cela – était loin d’être facile. Au vu des 15 minutes d’extraits du film qu’il nous a présenté, Berg semble bien avoir réussi son pari, celui de réussir un « Popcorn movie » visuellement bluffant, aux rebondissements astucieux, et qui n’a qu’une prétention, celle de divertir.



Entretien avec Peter Berg

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous avez débuté en tant qu’acteur, et on a pu vous voir dans des films fantastiques comme l’excellent mais peu connu VISITEURS EXTRATERRESTRES et le sympathique SHOCKER de Wes Craven. En tant que réalisateur, vous aimez explorer tous les genres cinématographiques : après les comédies d’humour noir, les films d’action, les intrigues sportives et les drames de guerre, vous avez tourné deux films de Science-Fiction à la suite : HANCOCK et BATTLESHIP. Pouvez-vous nous parler de cette démarche ? Est-ce pour vous un apprentissage de la mise en scène de tout l’éventail des registres du cinéma ?

HANCOCK a été ma première expérience de réalisation d’un film reposant beaucoup sur les effets visuels. Je dois dire que cela m’a tellement plu que j’ai eu envie de tourner d’autres films de ce type. J’aime apprendre à utiliser des trucages numériques, parce que ce n’étaient pas des techniques auxquelles je pouvais avoir accès quand j’ai commencé à réaliser. J’ai également beaucoup apprécié que HANCOCK touche un public extrêmement large. C’est très satisfaisant pour un réalisateur de penser que l’histoire qu’il a racontée pourra plaire à un grand nombre de gens très différents les uns des autres, partout dans le monde. Je suis conscient que j’ai pu bénéficier de cela parce que j’ai eu la chance de travailler avec Will Smith, dont la popularité est phénoménale. Ensuite, en voyageant dans le monde entier, j’ai pu constater l’impact qu’un tel film pouvait avoir. Ce sentiment très agréable m’a poussé à m’investir dans le projet BATTLESHIP, et à ajouter des extraterrestres dans le concept du film. Le fait de remonter mes manches et de me lancer dans le processus de création de ces êtres a été un exercice nouveau pour moi, mais j’ai pensé que ce serait un challenge particulièrement intéressant.

Avant de parler de BATTLESHIP, revenons à ce que vous développiez juste avant…Pendant combien de temps avez-vous travaillé sur ce fameux projet de nouvelle adaptation de DUNE, et pourquoi y avez-vous finalement renoncé ?

J’ai travaillé sur DUNE pendant…(Peter Berg ferme les yeux pour se concentrer)…très longtemps ! Au début, je n’étais pas vraiment intéressé par ce projet, mais le producteur Kevin Misher m’a dit « Tu ne comprends pas la situation : David Lynch a complètement raté son coup en adaptant DUNE comme il l’a fait. Idem quand la chaîne Sci-Fi en a tiré des téléfilms a petit budget, bien trop bavards. Il y a un récit beaucoup plus dynamique et plus intéressant à présenter au public en s’appuyant sur les romans originaux de Frank Herbert : la trajectoire incroyable du jeune prince Leto, qui survit dans ce monde extrêmement dangereux et qui finit par devenir le souverain de l’univers. C’est une fantastique aventure ! » Je lui ai dit que je n’étais toujours pas convaincu, ce à quoi il a répondu « Mais quand as-tu lu le livre pour la dernière fois ?! » Je l’avais lu quand j’avais 15 ans, et il m’avait beaucoup plu, mais en fait, ce souvenir avait été brouillé ensuite par la vision du film de David Lynch. Ce qui me restait dans l’esprit, ce sont les souvenirs du baron Harkonnen flottant dans les airs, le visage couvert de pustules, et de Sting se baladant à moitié nu, le corps huilé, avec un slip ressemblant à des couches ! (rires) Bref, rien de tout cela ne m’attirait… J’ai dit à Kevin que je ne souhaitais pas m’impliquer dans ce projet, mais il a tellement insisté pour que je relise le livre que j’ai fini par le faire. Et je me suis rappelé ainsi pourquoi ce roman était considéré à juste titre comme un classique. C’est un livre vraiment formidable et je me suis rendu compte que je l’aimais toujours autant. Certes, il s’agit d’une fresque colossale, foisonnante, et très difficile à formater en long métrage, mais cette aventure incroyable, les scènes d’action et de violence, les Fremen et leurs incroyables capacités de survie dans le désert, la mythologie du Bene Gesserit, tous ces éléments du récit étaient passionnants et me plaisaient énormément. Nous avons donc engagé Josh Zetumer, qui est un très bon scénariste, et nous avons eu de longues conversations avec lui. Nous avons demandé à Josh s’il se sentait capable d’adapter le premier roman sous la forme d’un film de 2 heures et demie ou 3 heures. Il nous a dit qu’il pensait pouvoir le faire. Malheureusement, quand il est revenu, son script faisait 200 pages, soit l’équivalent d’un film de 3h20. A ce moment-là, il nous a semblé évident que le roman ne se prêtait pas à une transposition en un seul film. La meilleure solution semblait être l’approche d’un Peter Jackson adaptant LE SEIGNEUR DES ANNEAUX en trilogie. Mais il restait à trouver un cinéaste qui accepte un énorme investissement de temps et de travail…car cela supposait de consacrer au moins six ou sept années de sa vie à DUNE ! On m’a proposé le projet BATTLESHIP peu après, et comme j’ai jugé que j’étais plus en mesure de m’en occuper que de faire aboutir DUNE, j’ai choisi BATTLESHIP. Je sais que le projet DUNE flotte encore dans l’espace, à la recherche d’un studio et d’un réalisateur pour le mener à bien…

Quelles sont les opportunités et les défis qui vous ont donné envie de vous attaquer au projet d’adaptation de BATTLESHIP, qui est à l’origine un simple jeu de société de bataille navale, commercialisé par la marque de jouets Hasbro ?

L’opportunité de réaliser ce que j’appelle un « superfilm », c’est à dire une de ces productions à très gros budget, avec beaucoup d’effets visuels, et avec des équipes de milliers de personnes. Pour mettre en scène un tel projet, il faut être à la fois un cinéaste, un manager, un père de substitution pour les comédiens et l’équipe, et intervenir toute la journée dans de multiples registres ! C’était un défi très excitant à relever pour moi, et je me suis beaucoup amusé en réalisant ce film. Comme je vous le disais, la perspective de m’adresser au très grand public, dans tous les pays, m’attire beaucoup. Tout comme le fait de diriger une équipe de tournage de 600 personnes, de m’occuper de jeunes acteurs qui ont besoin du soutien d’un metteur en scène, et de superviser le travail d’un millier de personnes travaillant sur les effets visuels à San Francisco, tout en rassurant les dirigeants des Studios Paramount, qui étaient très nerveux de me voir dépenser des dizaines et des dizaines de millions de dollars ! Il n’y a jamais eu une seule journée « facile » sur le plateau de tournage de BATTLESHIP. Il y a toujours de nouveaux problèmes qui se présentent, et qu’il faut résoudre de la meilleure manière possible.

Quelles idées avez-vous apportées au script après l’avoir lu ? Quelles sont les images les plus fortes que vous avez visualisées dans votre esprit pendant cette lecture ?

Toute l’idée de la confrontation avec des extraterrestres vient de moi…

…pardon de vous interrompre, mais est-ce que cela signifie que dans la première version du script, la bataille s’engageait entre deux nations ?

Non, car au début, il n’y avait strictement rien, aucun script ! On m’a simplement expliqué que le concept était celui d’une bataille navale, comme dans le jeu. Mais la première question qui s’est posée a été « qui combat qui ? ». Alors que je réfléchissais à cela, j’ai vu ce documentaire conçu et présenté par le grand physicien Stephen Hawkins, qui était consacré aux extraterrestres. Le point de vue d’Hawkins, c’est que nous ne devrions pas envoyer des messages en directions des planètes « boucles d’or », comme il les appelle, pour signaler notre présence à d’autres formes de vies intelligentes. Le concept de « boucles d’or » est une référence au célèbre conte dans lequel une petite fille blonde se perd dans la forêt et arrive dans une maison appartenant à des ours. Elle meurt de faim, et le bol de soupe du père ours est trop grand et trop chaud, celui de la maman ours trop tiède et trop petit, tandis que celui au milieu, destiné à leur ourson, est juste de la bonne taille et à la bonne température. La terre fait partie de ces planètes « boucles d’or » qui sont juste à la bonne distance d’un soleil pour n’être ni trop froides, ni trop chaudes, et possèdent donc les caractéristiques parfaites pour que la vie puisse apparaître et se développer. Bref, pour en revenir au message d’Hawkins, il disait que le risque que nous courrons en envoyant imprudemment ces signaux, c’est que ces peuples étrangers qui vont les recevoir n’aient pas forcément que des intentions pacifiques…Il aurait mieux valu que nous restions tranquillement cachés dans notre système solaire, mais nous ne l’avons pas fait… C’est ainsi que j’ai imaginé un groupe d’extraterrestres composé de différents individus, venant sur terre pour entrer en contact avec nous. Il a y cinq vaisseaux dans leur flotte, et à leurs bords, il n’y a pas que des soldats, mais aussi des savants. Ils nous ressemblent beaucoup physiquement, et leur technologie, même si elle est plus avancée que la nôtre, ne l’est pas au point que nous ne puissions pas la combattre. Nous pouvons les comprendre, et nous pouvons tenter de les vaincre.

Les extraterrestres que vous avez imaginés sont donc à la fois des explorateurs et des sentinelles qui vont voir ce qui se trouve au-delà du monde qu’ils connaissent ?

Oui. Ce sont des explorateurs dans la lignée de l’expédition Shackleton partie faire des recherches dans l’Antarctique en 1922. Une fois que j’ai déterminé cela, je me suis dit que ces voyageurs ne pouvaient pas être des guerriers, même s’ils étaient accompagnés par des gens armés afin d’assurer leur protection. Dans mon esprit, ce sont des gens qui se dévouent à cette cause, et qui partent faire un très long voyage, en sacrifiant leur vie de famille, comme le capitaine Kirk pouvait le faire dans STAR TREK. Pour reprendre la fameuse introduction du générique de STAR TREK, ils vont là où personne n’est jamais allé avant eux, à la recherche de nouvelles formes de vie ! Mais ils sont sur leurs gardes quant ils arrivent. Ils ne nous font pas confiance, et nous non plus. Il suffit donc d’un petit malentendu stupide pour que les choses dégénèrent, et qu’un combat commence. J’ai pensé que ce serait une manière intéressante et asez crédible de présenter un contact avec des extraterrestres.

Vous avez donc construit le script à votre arrivée sur le projet…

Oui. J’ai travaillé avec un premier groupe d’auteurs en leur expliquant mes idées, puis avec d’autres, puis j’ai écrit une partie du script moi-même. J’ai été énormément impliqué dans la création de l’histoire.

Votre point de départ était donc uniquement le jeu de société Hasbro…

Oui. Mais je voudrais quand même préciser une chose à propos du jeu. Quand les gens entendent parler du film, ils réagissent souvent en disant « Le jeu est si simple que je ne comprends pas comment on peut en tirer une histoire, et à fortiori un film. » Avez-vous déjà joué à ce jeu ?

Oui, mais il y a longtemps…

Si vous y jouez à nouveau, vous vous souviendrez du climat qui s’en dégage. Vous ne voyez pas comment j’ai placé mes vaisseaux sur la surface quadrillée qui représente la mer, et moi, je ne vois pas les vôtres. Si je dis « B4 » et que vous me répondez « manqué ! », et si vous dites « C7 » et que je vous dis « manqué », nous découvrons peu à peu les endroits où nous ne sommes pas. Mais si vous dites « A8 » et que je réponds « Touché ! » , vous savez désormais où l’un de mes vaisseaux est placé. Et juste après, à partir de ce point que vous avez localisé, vous allez essayer de me tuer aussi violemment et aussi rapidement que possible. Je vais paniquer et tenter de riposter en trouvant vite l’un de vos bateaux pour le détruire. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’un de nous ait anéanti toute la flotte de l’autre. Il y a donc au cœur de ce jeu tout simple la simulation d’une confrontation extrêmement violente. On parle de guerre, de mort, de « je vais te tuer avant que tu puisses me tuer ! » Et cela est en soi une situation extrêmement dramatique. J’ai pensé que je pouvais utiliser ce concept et l’énergie qui s’en dégage pour l’adapter en film dans lequel je pourrais construire un suspense efficace, dont la tension augmente constamment. Les enjeux de ce combat sont très élevés. Il s’agit de deux forces en présence, qui s’opposent mutuellement à un ennemi qui se dissimule, et qui tentent de le localiser. Et quant le contact a enfin lieu, les conséquences sont brutales !

Il y a fort à parier que les émissions satiriques américaines comme le show SATURDAY NIGHT LIVE vont présenter des sketches dans lesquels des clones de vos soldats et de vos extraterrestres vont s’affronter autour d’un jeu Hasbro, en disant « B6 »…  « D3 »… et ainsi de suite !

(rires) Oui, je crois que je vais y avoir droit. Stephen Colbert s’est déjà moqué de moi dans son émission satirique THE COLBERT REPORT. Il a dit, face à la caméra « Peter Berg, je veux passer une audition pour le rôle du petit picot rouge en plastique que l’on place sur le plateau quadrillé ! » (rires) Ce genre de plaisanteries ne me dérange pas, tant que les gens se déplacent et viennent voir le film en salles !

Quelle est l’implication réelle de la société Hasbro dans la production de ce film ?

Très peu, en fait. Franchement, c’est un deal formidable pour eux : ils reçoivent beaucoup d’argent en échange de l’utilisation du nom et du concept de leur jouet, et ils font confiance aux cinéastes que le studio choisit. Brian Goldner, le PDG de Hasbro, est un homme très intelligent. Il a cédé les droits d’un jeu de société, mais comme il est maintenant adapté en film, Hasbro va sortir une gamme de bateaux humains et extraterrestres, ce qui va contribuer aussi à la promotion du film. Ils vont fabriquer aussi d’autres produits dérives, qui vont de la housse d’oreiller avec les images du film à la bouteille thermos en passant par la « lunchbox » que les écoliers utilisent pour transporter leur repas.

Quels sont les buts que vous vous êtes fixés quand vous avez entamé votre travail sur BATTLESHIP ?

J’ai essayé de trouver le bon équilibre entre les séquences à grand spectacle et les moments d’émotion qui sonnent juste. Il était très important pour moi que la trajectoire de notre héros soit intéressante, émouvante, quelquefois tragique, et quelquefois amusante. Je voulais qu’il y ait du ressenti dans cette superproduction.

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