Entretien avec Ken Ralston et Jay Redd, co-superviseurs des effets visuels de MEN IN BLACK 3 - Première partie
Article Cinéma du Mardi 05 Juin 2012



Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Ken Ralston a entamé sa prestigieuse carrière dans le domaine des effets visuels en travaillant sur près de 200 spots publicitaires dans les années 70 au sein de Cascade Pictures : il construit des décors, sculpte et fabrique des maquettes, anime des marionnettes, créé des effets optiques, et réalise de l’animation en image par image. Après cet apprentissage, Ralston est engagé par Industrial Light & Magic comme assistant opérateur. Après le succès de STAR WARS : EPISODE IV : UN NOUVEL ESPOIR, il devient cadreur des plans tournés avec des maquettes sur STAR WARS : EPISODE V – L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE, puis devient superviseur et est nominé à l’Oscar des meilleurs effets visuels en 1981 pour LE DRAGON DU LAC DE FEU. Il imprime sa marque esthétique et technique à de nombreux films mémorables, comme sur STAR TREK II – LA COLERE DE KHAN, premier film à utiliser des images de synthèse fractales, dans la séquence du « projet Genesis ». Il occupe encore les fonctions de superviseur des effets visuels sur STAR TREK III – A LA RECHERCHE DE SPOCK et reçoit son premier Oscar la même année, en 1984 pour avoir contribué à la création des effets visuels de STAR WARS : EPISODE VI – LE RETOUR DU JEDI. Ralston réalise aussi les effets visuels de succès comme STAR TREK IV – RETOUR SUR TERRE, la trilogie RETOUR VERS LE FUTUR, ROCKETEER et JUMANJI, et est à nouveau nominé à l’Oscar des meilleurs effets visuel pour RETOUR VERS LE FUTUR II. Ralston remporte ensuite quatre autres Oscars des meilleurs effets visuels, pour FORREST GUMP, LA MORT VOUS VA SI BIEN, QUI VEUT LA PEAU DE ROGER RABBIT et COCOON. Depuis 1996, il a rejoint le studio Sony Pictures Imageworks. Il a été tour à tour superviseur des effets spéciaux visuels sur PHENOMENE, CONTACT, MEN IN BLACK II et SEUL AU MONDE. Il a collaboré avec le superviseur senior des effets visuels Jerome Chen et avec le réalisateur Robert Zemeckis sur LE POLE EXPRESS et LA LEGENDE DE BEOWULF, puis avec Tim Burton sur les trucages réalisés en relief d’ALICE AU PAYS DES MERVEILLES.

Avant son arrivée au sein d’Imageworks, Jay Redd a travaillé pendant 4 ans au sein du studio Rhythm & Hues, où il a exercé les fonctions de superviseur de l’animation 3D sur de nombreux spots publicitaires, attractions de parc à thème et films comme WATERWORLD et BABE, qui fut couronné d’un Oscar. Il a rejoint Sony Pictures Imageworks en 1996 pour travailler sur CONTACT, de Robert Zemeckis. En tant qu’astronome amateur, Redd était tout désigné pour créer le fameux premier plan du film, un extraordinaire voyage de 3 minutes et 19 secondes, qui part de la terre pour arriver jusqu’aux confins de l’univers connu. Redd participe ensuite à la création de STUART LITTLE, dont le héros, charmant souriceau, fut le premier personnage principal 3D d’un film. Après STUART LITTLE 2, qui reçut un Visual Effects Award pour la meilleure animation de personnage, Redd supervisa les effets visuels de MONSTER HOUSE et de la production Disney LE MANOIR HANTE ET SES 999 FANTOMES. Il a supervisé tout récemment les effets de trois étonnants courts-métrages des Looney Tunes réalisés en images de synthèse : RABID RIDER, FUR OF FLYING et COYOTE FALLS.

Avant que Josh Brolin ne soit choisi pour incarner le jeune agent K, a t’il été envisagé de recourir à des effets numériques pour rajeunir Tommy Lee Jones ?

Ken Ralston : C’est intéressant que vous posiez cette question, parce que quand Barry Sonnenfeld est venu me voir ici dans mon bureau au sein d’Imageworks, il y a 2 ans, il était très intéressé par les effets visuels en relief que nous réalisions pour ALICE AU PAYS DES MERVEILLES, et notamment par les manipulations et les transformations des personnages de la reine de cœur et du chevalier. Il m’a demandé de superviser les trucages numériques de MIB 3 et après avoir lu le script, la toute première question que je lui ai posée, avec une certaine angoisse, a été « Est-ce que vous envisagez de rajeunir Tommy Lee Jones en modifiant numériquement son visage ? ». Je dois dire que s’il m’avait répondu oui, j’aurais tout de suite décliné son offre, car réaliser ce rajeunissement 3D tout en réalisant des milliers d’autres effets aurait été une tâche ingérable. Heureusement, Barry m’a rassuré en me disant qu’il avait déjà prévu d’engager Josh Brolin pour jouer le jeune agent K, dieu merci ! (rires)

Avez-vous créé des extensions de décors pour les scènes qui se déroulent dans les quartiers généraux des Men in Black en 2012 et en 1969 ?

Jay Redd : Bo Welch, le chef décorateur, a fait un travail remarquable de conception des décors, qui occupaient l’un des plus grands plateaux des studios Sony. Ces décors du QG étaient très grands et très détaillés, mais nous y avons cependant ajouté des détails en 3D, comme des murs en contrechamp, ou de grands panneaux de verre virtuels qui nous ont évité de subir le problème des reflets intempestifs des projecteurs installés sur le plateau. Nous avons complété des pièces ici et là, placé des plafonds là où il n’y en avait pas, mais ce que vous verrez dans le film est à 95% le fruit du superbe travail de Bo Welch et de ses équipes de construction.

Avez-vous ajouté aussi des ascenseurs et d’autres gadgets ?

Jay Redd : Oui, et nous avons aussi ajouté des cylindres de verre autour du véritable ascenseur qui était intégré au décor. Le fait de tourner le film en relief, avec deux images que l’on combine, dédouble les problèmes que l’on peut avoir avec les reflets des membres de l’équipe technique sur les surfaces lisses. Les ascenseurs que nous avons ajoutés sont sensés fonctionner grâce à la lévitation magnétique, pour refléter les technologies actuelles et leur utilisations futures. Nous avons retiré les câbles qui soulevaient et abaissaient le vrai ascenseur du plateau, pour lui donner un aspect encore plus futuriste.

Etant donné que le voyage dans le temps est l’un des thèmes principaux du film, parlons de la manière dont vous avez créé le plan très spectaculaire du « saut temporel » que Will Smith effectue depuis le sommet du gratte-ciel Chrysler… Comment avez-vous reconstitué numériquement ce célèbre bâtiment et les rues adjacentes ? Avez-vous eu recours à certains des modèles 3D de bâtiments qui avaient été créés par Imageworks pour les films de la saga SPIDER-MAN, qui se déroulent tous à New York ?

Ken Ralston : Notre version de New York et du Chrysler building est effectivement réalisée en 3D jusqu’à une certaine distance, puis au-delà, le reste du panorama est une peinture numérique. Ce n’est pas une représentation tout à fait exacte de la ville, ni du gratte-ciel, surtout si l’on parle de la hauteur réelle du bâtiment, car vous vous rendrez compte que quand Will Smith saute dans le vide, il met une éternité à parcourir la distance entre le sommet et le niveau du sol ! Pour que sa chute dure aussi longtemps, nous avons largement triché sur la taille réelle du Chrysler Building : dans nos plans subjectifs, il doit mesurer au moins 5 kilomètres de haut ! (rires) On voit Will Smith qui tombe, tombe, tombe et les étages qui défilent derrière lui. Certains des bâtiments virtuels que nous avons créés ont été modélisés à partir des bases des immeubles construits pour la série des SPIDER-MAN, mais nous avons également créé nos propres gratte-ciels. Le panorama final est un mélange de ces deux sources de bâtiments 3D.

Jay Redd : Pendant que nous participions au tournage du film à New York, nous nous sommes également rendus au sommet du Chrysler building et d’un immeuble adjacent, afin de prendre des photos panoramiques de différents ciels, plusieurs jours de suite. Nous avons obtenu ainsi des vues de ciels nuageux ou ensoleillés, à différents moments de la journée. Nous avons aussi filmé le traffic automobile en contrebas, et ce qui se passait dans les rues, pour avoir de bonnes références du vrai New York, même si la manière dont nous représentons la ville en 3D dans le film est largement stylisée. Mais on y retrouve suffisamment de bâtiments connus pour reconnaître tout de suite où l’on se trouve.

Avez-vous créé des doublures numériques de certaines célébrités de la fin des années 60 ? Ou modifié des images d’archives de cette époque, dans certains cas ?

Ken Ralston : Pas tant que cela. La plupart des célébrités qui apparaissent dans la séquence qui se déroule dans les locaux de la célèbre « factory » d’Andy Warhol (son atelier et lieu de représentation de « happenings », NDLR) sont des acteurs maquillés pour leur ressembler. Rick Baker a réalisé des prothèses pour transformer le comédien Bill Hader en Andy Wahrol, et le résultat est génial. Les doublures numériques que nous avons créées sont des répliques extrêmement détaillées de Will Smith, Josh Brolin, Jemaine Clement qui incarne Boris l’animal, et Michael Stulhbarg, qui joue l’agent Griffin, quatre personnages que nous devions être en mesure de représenter numériquement sous toutes les coutures, car nous avons hérité de beaucoup de travail supplémentaire qui n’était pas prévu au départ. Il a même fallu que nous produisions des effets avec des gros plans de ces clones 3D, ce qui était une perspective assez effrayante pour nous. Heureusement, tout s’est bien passé, et nous sommes contents du résultat final.

Jay Redd : Nous avons modélisé beaucoup de voitures des années 60 ainsi que quelques voitures contemporaines et les fameux monocycles que les MIB emploient au cours d’une poursuite. Tout ce travail a servi à embellir les prises de vues réelles de New York pour parfaire la reconstitution du contexte de 1969.

Vous n’avez donc pas eu à modifier des images d’archives, comme des reportages des journaux télévisés de l’époque ?

Ken Ralston : Non. Il y a simplement des plans de moniteurs sur lesquels on voit les vaisseaux spatiaux maléfiques détruire des monuments célèbres, comme – et vous voudrez bien nous en excuser – la tour Eiffel ! (rires) Mais ce sont des images qui apparaissent seulement à l’arrière plan. En dehors de cela, nous avons utilisé des images d’archives du vrai décollage d’Apollo 11, mais les seules modifications que nous leur avons apportées a consisté à les remastériser numériquement pour leur permettre d’avoir un meilleur aspect une fois agrandies et vues sur le grand écran.

Jay Redd : Il y a aussi des vues du président Nixon en train de jouer au bowling, mais rien n’a été modifié ni ajouté dans ces images. Cela n’a rien à voir avec des effets comme ceux de FORREST GUMP.

Avez-vous employé le procédé employé pour la première fois par Imageworks sur les films de la série SPIDER-MAN pour créer les doublures numériques de Will Smith, Josh Brolin, Jemaine Clement et Michael Stulhbarg ?

Jay Redd : Bien que nous mettions nos recherches en commun au sein d’Imageworks, nous n’avons pas employé la technique du « Lightstage » inventée pour les films de la saga SPIDER-MAN, mais avons quelques procédés nouveaux pour créer ces clones 3D. Nous sommes partir de scans 3D à très haute résolution, des centaines de photographies haute résolution, énormément de mapping de textures, et avons aussi employé notre propre « shader » pour créer nos textures de peaux.

Pouvez-vous décrire les progrès qui ont été accomplis dans l’application de ce procédé ?

Jay Redd : Le principal progrès est la précision de l’enregistrement de l’éclairage sur le plateau, pendant le tournage, afin de le reconstituer très fidèlement en 3D et de le projeter sur les doublures numériques, les véhicules et les environnements virtuels. Nous avons utilisé un appareil que nous appelons le « Spheron » afin d’enregistrer des prises de vues « sphériques » à 360° et à très haute résolution, avec des capacités de restitution de la lumière extrêmement amples, et très précises. Nous prenons ainsi des vues tout au long du tournage, à différents moments de la journée, et nous sommes ensuite en mesure de savoir non seulement où étaient situées les différentes sources d’éclairage – artificielles et naturelles – mais aussi quelle était leur température de couleur et leur axe d’illumination. Muni de toutes ces informations, nous pouvons reconstituer parfaitement l’éclairage du plateau, et utiliser aussi des parties de ces images pour recréer le ciel ou une partie des perspectives des décors. C’est extrêmement utile car un bon éclairage combiné à un bon « shader » permet de rendre les clones numériques encore plus réalistes. Et comme chaque image est « sphérique », nous avons aussi la possibilité de reconstituer des mouvements de caméra dans ce panorama, si le réalisateur veut revenir sur une séquence et ajouter un plan qui n’a pas été tourné sur place. Il peut être reconstitué virtuellement.

Ken Ralston : Je voudrais préciser aussi qu’en dehors de ces progrès purement techniques, basés sur l’utilisation de nouveaux appareils, les artistes infographistes font eux aussi des progrès considérables en ayant de plus en plus d’expérience. Sur un film comme MEN IN BLACK 3, nous disposons d’un certain nombre de techniques pour créer des effets visuels, mais leur nombre est limité. Sans le talent et la dévotion des artistes qui travaillent sur ces trucages, nous n’arriverions pas à créer ces plans à la fois réalistes et extravagants, avec la touche d’humour et de fantaisie souhaitée par le réalisateur. L’équipe d’Imageworks a réussi a faire un travail remarquable en exploitant des prises de vues réelles qui, je dois le dire, avaient été tournées dans des conditions assez désastreuses à New York, et qui étaient presque impossibles à utiliser telles quelles pour y ajouter des effets visuels ! C’est un peu comme si elle avait réussi à fabriquer un superbe costume de soie après avoir reçu des morceaux de torchons !

Des noms ! Des noms !

Ken Ralston : (rires) Désolé, mais je ne peux pas dénoncer les coupables ! (rires)

Jay Redd : Pour revenir à votre question, je voudrais juste rappeler que le premier MEN IN BLACK est sorti en 1997, il y a 15 ans. Depuis ce temps, les technologies des effets visuels ont considérablement évolué tandis que d’autres techniques cinématographiques ont relativement peu changé. Et pourtant, il fallait que l’aspect de MIB 3, en dehors du fait qu’il est réalisé en relief, soit a peu près le même. Barry Sonnenfeld a une manière très particulière de tourner, le directeur de la photo Bill Pope a son propre style d’éclairage, et c’est cela qui confère au film l’allure d’une aventure décalée de la réalité. Il fallait donc que nous parvenions à rendre crédible des choses qui se passent dans un univers qui n’est pas vraiment réaliste, ce qui est plutôt délicat à faire. Il nous est arrivé de regarder un plan en nous demandant « Est-ce que cela est suffisamment réaliste ? » et à chaque fois que nous en avons débattu ensemble et avec Barry, il se trouvait que oui, c’était assez crédible pour s’harmoniser avec le reste de cette réalité alternative.

Ken Ralston : C’est un bon exemple de ce qu’il faut faire à chaque fois avant de commencer à travailler sur les effets d’un nouveau film. Il faut se familiariser avec les films du réalisateur, comprendre quel est son style, et ensuite parvenir à reproduire dans les trucages tout ce qu’il fait lorsqu’il tourne des prises de vues réelles. L’une des parties les plus amusantes de notre travail sur MIB 3 a porté sur l’extraterrestres surnommé « la fouine », qui vit à l’intérieur du personnage de Boris, dans ses bras. A la base, le concept de cette créature parasite est plutôt sinistre et révulsant, mais notre tâche à consisté à lui donner un aspect légèrement humoristique, afin de faire ressortir le côté burlesque de la situation. C’est plus difficile à réussir qu’on ne pourrait le croire, car Barry tient à ce que l’on n’ajoute pas de gags visuels « évidents » à l’action. Il l’interdit strictement, car la formule de MIB, c’est que tout ce qui se passe doit être montré très sérieusement, et que l’humour doit naître uniquement du contraste entre des situations réelles et le contexte fantastique ou insolite de l’histoire. Il fallait que nous préservions cette légèreté de ton, cette ambiance subtilement parodique dans tous les effets visuels que nous produisions, qu’il s’agisse de scènes d’action très spectaculaires ou de séquences de pure comédie. C’était très amusant et agréable à faire.

La suite de cet entretien paraîtra prochainement sur ESI.

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