JOHN CARTER : Entretien exclusif avec Jim Morris, producteur
Article Cinéma du Jeudi 21 Juin 2012

A l'occasion de la sortie de John Carter en DVD, Blu-ray et Blu-ray 3D, le 11 juillet, nous vous proposons un entretien avec le producteur Jim Morris...

C’est en 1988 que Jim Morris entame sa carrière, en tant que producteur des effets visuels de la comédie CADDYSHACK 2 au sein d’Industrial Light & Magic. Il occupe les mêmes fonctions sur ABYSS, devient le directeur de production des effets visuels du studio de trucages de George Lucas à partir de 1990 - en pleine période de transition des effets sur pellicule aux effets numériques - puis directeur général d’ILM, de 1992 à 2004. Il rejoint ensuite les studios Pixar, et produit le second film d’Andrew Stanton, WALL-E. Sous l’impulsion de Stanton, encore plongé dans la postproduction de WALL-E, Disney rachète les droits d’adaptation cinématographiques de JOHN CARTER. Tout en achevant WALL-E, Morris et Stanton entament alors la préparation de leur projet le plus complexe, qui marque le passage du réalisateur au long métrage de prises de vues réelles…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quand vous étiez directeur général d’ILM, vous avez été consulté à plusieurs reprises par des cinéastes qui ont essayé de transposer les aventures de John Carter au cinéma. Pourriez-vous nous parler de ces projets précédents, et des approches techniques qui avaient été envisagées alors pour les effets visuels et la réalisation des créatures martiennes ?

Volontiers. J’ai travaillé pendant 17 ans au sein d’ILM, d’abord en tant que producteur des effets visuels, durant 2 ans, puis en tant que directeur général. C’est en 1989 que les studios Disney, qui avaient acquis momentanément les droits d’adaptation cinématographique de JOHN CARTER, nous ont contacté pour parler des trucages du projet. Le studio avait engagé John McTiernan pour réaliser le film, et Tom Cruise devait incarner Carter. Nous avons entamé alors un long processus afin de déterminer quelles pourraient être les méthodes les plus judicieuses pour réaliser les effets du film, afin d’établir ensuite un devis détaillé. Je crois que la raison pour laquelle cette version de JOHN CARTER n’a pas pu voir le jour est essentiellement financière, car à cette époque, transposer le script que Disney avait développé aurait nécessité un budget faramineux. Même si 1989 ne semble pas si éloigné que cela, à l’époque, les techniques des effets visuels n’étaient pas encore suffisamment développées pour donner vie aux personnages et aux décors de JOHN CARTER comme nous sommes en mesure de le faire aujourd’hui. A la fin des années 80, ILM avait atteint le summum de ce que l’on pouvait faire en matière de trucages optiques, réalisés sur support 35mm. Nous étions en mesure de produire de très bons plans composites, en y intégrant des maquettes et d’autres éléments. Cela nous a permis de réaliser des séquences formidables pour de nombreux films, comme ABYSS, A LA POURSUITE D’OCTOBRE ROUGE, 58 MINUTES POUR VIVRE, GHOST, BACKDRAFT, etc. Mais pour représenter l’univers de JOHN CARTER et ses créatures, nous étions encore limités à l’utilisation de marionnettes animées image par image, et à des effets spéciaux de maquillage qui nous auraient contraints à créer des prothèses et des costumes en mousse de latex afin que des comédiens jouent les rôles des Tharks. Mais le problème que cela posait, c’est qu’au cœur de JOHN CARTER, il n’y a pas qu’une histoire d’amour entre Carter et Dejah Thoris, il y a aussi un grand récit d’amitié entre Carter et Tars Tarkas, et tout le développement de la relation entre un homme et son « chien », avec la présence constante de Woola aux côtés de notre héros. Je considère que le film ne peut fonctionner que si ces deux personnages sont parfaitement réalisés, totalement crédibles. Pour cette raison, ce projet d’adaptation de JOHN CARTER au cinéma était probablement condamné dès le départ à cette époque. Je crois que nous n’aurions pas été en mesure de rendre ces personnages pleinement réalistes, même en utilisant le meilleur des techniques disponibles alors. L’abandon du projet n’est imputable ni à John McTiernan, ni à Tom Cruise, mais simplement au fait que les bons outils n’étaient pas encore au point à ce moment-là.

Vous venez de mentionner les maquillages et les costumes envisagés pour représenter les Tharks. Pourriez-vous nous parler un peu plus de la manière dont ils auraient été conçus ?

Nous pensions employer des prothèses, du maquillage, et des costumes très élaborés, réalisés avec différents types de mousses et de silicones, portés par des acteurs. Je crois me souvenir qu’il était question de prendre certaines libertés dans les designs des Tharks, par rapport aux descriptions qu’en fait Edgar Rice Burroughs dans ses livres. Nous avions prévu d’utiliser des marionnettistes pour animer en direct les secondes paires de bras des personnages. Et aussi d’avoir recours à l’animation image par image dans certains plans.

Aviez-vous prévu de filmer les acteurs jouant les Tharks devant un fond bleu, et que les marionnettistes portent des tenues et des cagoules bleues afin de manipuler les secondes paires de bras grâce à des tiges ?

Oui, exactement. Nous aurions procédé ainsi presque dans la totalité des plans. Cela aurait été la seule manière de gérer la différence de taille entre Carter et les Tharks : notre héros filmé sur fond bleu lui aussi aurait été réduit par trucage pour apparaître plus petit que les autres acteurs jouant les Tharks. Mais cette solution nous aurait contraint à rendre les Tharks beaucoup moins fins que dans les livres, car les costumes portés par des acteurs grands et minces auraient forcément épaissi leurs silhouettes. Cela signifiait que presque tout le film allait devoir être tourné sur fond bleu, et que nous allions aussi être contraints d’animer beaucoup de personnages image par image…

Pensez-vous aux Thoats, les montures à 8 pattes des Tharks, quand vous parlez des personnages animés image par image ?

Oui, aux Thoats, mais aussi aux plans larges dans lesquels de nombreux Tharks devaient apparaître. L’animation traditionnelle image par image était encore employée fréquemment dans les trucages, à cette époque.

Jusqu’où étiez-vous allés dans les recherches liées aux études de faisabilité des trucages de JOHN CARTER ? Aviez-vous produit des designs des Tharks ou construit des maquettes des personnages ?

Ce n’est pas allé aussi loin que les autres tentatives d’adaptation qui ont suivi. Quelques dessins ont été réalisés pour montrer les méthodes que nous voulions employer, mais il s’agissait plus de schémas explicatifs que d’illustrations préparatoires détaillées. Ces études se sont prolongées pendant plusieurs mois.

Vous souvenez-vous des principaux superviseurs qui étaient pressentis pour s’occuper de l’animation image par image et des maquillages ?

Non, pas précisément. A cette époque, nous avions encore un atelier de fabrication de créatures au sein d’ILM, et nous espérions nous occuper aussi de cet aspect du film. Nous avons aussi une équipe d’animateurs image par image.

Pensiez-vous faire appel également à Phil Tippett ?

Phil avait déjà quitté ILM pour fonder son propre studio à ce moment-là. Il l’avait fondé juste après WILLOW, si je ne me trompe pas. Mais il est plus que probable que nous aurions travaillé avec lui sur les séquences d’animation image par image de JOHN CARTER si la production du film avait été lancée, parce que Phil est un des plus grands maîtres de l’animation image par image. Et il excelle tout particulièrement quant il faut insuffler de la vie à des personnages comme les Tharks. Il aurait su les faire « jouer » en injectant des détails subtils dans leurs réactions. Personne n’aurait pu faire un meilleur travail que lui dans ce domaine. Je ne sais pas si nous l’aurions engagé en tant que freelance ou si nous aurions établi un protocole de collaboration entre ILM et son studio, mais nous n’avons pas eu l’occasion d’aller aussi loin. Nous nous sommes bornés à esquisser certaines approches, et à déterminer les meilleures techniques que l’on pouvait employer à l’époque. Mais tout cela était si coûteux que Disney a renoncé au projet.

C’est donc quelque temps après ce renoncement que les droits d’adaptation cinématographique sont revenus automatiquement aux héritiers d’Edgar Rice Burroughs…

Oui. Et Paramount les a rachetés probablement vers la fin des années 90. Il y a eu alors trois tentatives successives, avec trois réalisateurs différents. Robert Rodriguez, Kerry Conran qui avait fait CAPTAIN SKY ET LE MONDE DE DEMAIN, et Jon Favreau. Je ne crois pas que Robert ait eu le temps de faire grand’chose sur le projet avant qu’il l’abandonne, suite à la polémique engendrée par sa volonté de donner à Frank Miller le titre de co-réalisateur de SIN CITY. Le syndicat des réalisateurs s’y est opposé, et Robert a décidé de le quitter, ce qui empêchait Paramount de lui confier JOHN CARTER.

Est-ce qu’ILM avait été consulté sur ces différents projets développés par la Paramount ?

Je n’en suis pas sûr, mais il est possible que nous ayons soumis un devis portant sur le projet de Kerry Conran. En revanche, je me souviens que Jon Favreau avait prévu de fonder son propre studio d’effets spéciaux pour réaliser les effets et les créatures de JOHN CARTER. Je sais qu’un test de duel à l’épée entre un acteur jouant Carter et un Thark réalisé en 3D avait été produit à l’époque.

Oui, ce test est visible sur le site de Kerry Conran, car c’est lui qui l’avait réalisé.

Vous en savez plus que moi sur le sujet ! (rires) Cependant, je crois que Paramount continuait à montrer ce test une fois que Jon Favreau avait été choisi pour réaliser le film, certainement parce que le studio, qui l’avait financé, avait envie d’en amortir le coût ! Mais Favreau avait la ferme intention d’assembler une équipe pour réaliser les effets 3D. Son projet est celui qui a été le plus près d’aboutir, mais une fois encore, il s’est avéré trop coûteux pour que la Paramount prenne le risque de lui donner le feu vert. Ce qui est amusant, c’est que nous avons proposé à Favreau de faire une petite apparition en forme de clin d’œil dans notre film…

Vraiment ? C’est amusant.

Oui, il joue un bookmaker qui prend des paris sur l’issue de la bataille aérienne entre les vaisseaux de Zodanga et d’Helium ! (rires) Comme il savait que nous travaillions sur le film, Favreau nous a appelé pour voir ce que nous faisions, parce que comme beaucoup de fans, cela fait des années qu’il a envie de voir les aventures de John Carter transposées sur le grand écran.

Revenons à votre carrière. Quels sont les défis et les nouvelles opportunités qui vous ont attirés chez Pixar, quand vous avez décidé de quitter ILM ?

Cela faisait très longtemps que je travaillais avec George Lucas, et même si j’avais été heureux de collaborer à la production des effets de nombreux films de grande qualité, mon job original, qui était celui de producteur, est devenu de plus en plus administratif et managérial au fil des ans. L’opportunité de m’impliquer au jour le jour dans la production me manquait et j’avais envie de « me salir les mains » à nouveau, pour ainsi dire ! J’ai eu une conversation très amicale avec George pour lui expliquer tout cela, et à la suite de cet échange de points de vue, il a accepté que je quitte ILM. Depuis longtemps déjà, je déjeunais régulièrement avec Ed Catmull (Pionnier historique de la 3D et co-fondateur de PIxar, NDLR) afin que nous échangions nos points de vues et nos expériences sur ce métier. Ed développait Pixar pendant les deux décennies que j’ai passées à développer ILM. Nous nous heurtions souvent aux mêmes difficultés, et devions relever les mêmes défis. Il nous fallait construire une organisation complexe tout en apprenant à manager des artistes créatifs de la manière la plus efficace possible. Nous pouvions parler librement des objectifs que nous avions chacun de notre côté, partager nos réflexions et nous donner mutuellement des conseils parce que ILM et Pixar n’étaient absolument pas des concurrents l’un pour l’autre. Nous produisions des effets visuels tandis que Pixar créait des films d’animation. Quand j’ai mentionné à Ed que je quittais ILM, il m’a dit « C’est parfait, car il y a justement un film dont je voulais te parler ! » Et c’est ainsi que Ed m’a proposé de rencontrer Andrew Stanton pour évoquer WALL-E. D’emblée, nous nous sommes très bien entendus, Andrew et moi.

Votre première collaboration avec Andrew Stanton a donc été la production de WALL-E. Est-ce que le processus de travail au sein de Pixar est très différent de celui d’ILM ?

Oui, car Pixar produit un film en entier, en se focalisant sur l’histoire et les personnages de chaque projet, alors qu’ILM travaille sur des plans d’effets visuels séparés, en leur apportant le plus haut degré d’excellence dans les rendus. La tâche d’ILM consiste à transposer en trucages les idées d’autres personnes, et à faire en sorte que ces effets s’intègrent parfaitement aux prises de vues et à l’ensemble du film. Les équipes d’ILM interviennent comme l’un des groupes créatifs qui participent à un film, tandis que Pixar se charge de l’ensemble du projet, de A à Z. Dans le domaine de la production concrète des images de synthèse, je dirais qu’il y a beaucoup de similitudes entre les deux sociétés, mais aussi certaines différences. Dans un studio d’animation, on travaille souvent par séquences entières, afin de constituer la structure du film. On passe ensuite à l’éclairage et au rendering de la séquence, une fois qu’elle a été validée. En revanche, dans le domaine des effets visuels, on travaille plan par plan, afin qu’ils soient intégrés progressivement dans le montage du film. Mais je dirai que le travail des animateurs devant leurs ordinateurs est probablement très similaire dans les deux sociétés.

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