Entretien avec Rob Cohen, réalisateur de La Momie 3, la tombe de l’empereur dragon
Article Cinéma du Jeudi 26 Juin 2008

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

C’est à Montréal, pendant le tournage du film, que nous avons pu nous entretenir longuement avec Rob Cohen, qui nous parle de ses sources d’inspiration, parmi lesquelles figurent les films de Ray Harryhausen… Surtout connu pour ses films d’action comme Daylight (1996) avec Sylvester Stallone, Fast and furious (2001) et XXX (2002), Cohen a également signé le joli conte fantastique Cœur de Dragon (1996) dans lequel Sean Connery prêtait sa voix à l’étonnant cracheur de feu nommé Draco !

Les décors que nous venons de voir sont très impressionnants. Il s’agit sans doute de la plus grosse production à laquelle vous ayez participé…

Oh oui, l’échelle de cette production dépasse nettement celles de XXX et de Fast and Furious. Mais cela faisait partie du plaisir de participer à cette nouvelle aventure de La Momie. Je voulais lui donner une ampleur mythique, qui évoque les récits de Joseph Campbell. Ce film sera très différent des deux premiers. Comme vous le savez, d’habitude, je ne réalise pas les suites de mes propres films, et encore moins les séquelles des films d’autres réalisateurs. Mais quand Stephen Sommers et Bob Ducsay sont venus me voir et m’ont donné le script à lire, je venais de travailler sur le projet Le huitième voyage de Sinbad, avec Jet Li, que nous avions projeté de tourner en Chine ! Malheureusement, ce projet a été abandonné par le studio Sony. Cela faisait déjà quelque temps que j’étais passionné par la culture chinoise et les récits liés à l’orient. J’avais eu l’occasion de réaliser le film dédié à la vie de Bruce Lee, Dragon : the Bruce Lee Story. Quand j’ai lu le script de la Momie 3 et appris que l’action se déroulait en Chine, que le fils des héros avait grandi, et surtout que je pouvais avoir l’occasion de mettre en scène l’armée de guerriers en terre cuite de Xian, j’ai vraiment été enthousiasmé.

Est-ce parce qu’ils savaient que vous aviez travaillé sur Le huitième voyage de Sinbad que Stephen Sommers et Bob Ducsay sont venus vous proposer de réaliser La tombe de l’empereur dragon ?

En fait, Stephen Sommers et Bob Ducsay traversaient à ce moment-là une période difficile pendant laquelle le studio n’était pas convaincu par les noms des réalisateurs qui étaient évoqués pour réaliser ce nouvel épisode. Quand mon nom a été évoqué, les choses ont changé. Le patron actuel des studios Universal, Mark Shmuger, dirigeait le département du marketing à l’époque où j’avais réalisé Fast and Furious. Il savait que je pourrais apporter quelque chose de nouveau à cette franchise, pour l’orienter davantage vers l’action et l’aventure et s’éloigner du divertissement familial destiné principalement aux plus jeunes. Vous verrez que ce film sera très différent des deux premiers, aussi bien visuellement que dans son ton général. La manière dont l’histoire est racontée est plus proche de l’esprit des Aventuriers de l’arche perdue, et ne repose pas sur la parodie des films d’aventure rétro, comme les deux films précédents.

L’influence de Ray Harryhausen

Est-ce que le fait d’avoir développé le Huitième voyage de Sinbad vous a incité à intégrer plus de créatures dans ce film ?

Oui. Je voulais que Jet Li puisse changer de forme à volonté. Une fois qu’il a accès à l’eau de la vie éternelle, à laquelle on accède par la caverne dont vous avez vu le décor, je voulais qu’il puisse se transformer en plusieurs autres créatures. Il devient un dragon à trois têtes, se change en nyon qui est une sorte de chien/dragon légendaire qui garde les temples, et en d’autres choses. Il a également le pouvoir de se transformer à nouveau en terre quand cela l’arrange. Dans la première partie du film, Jet est humain. Par la suite, il est maudit par Michelle Yeoh et figé dans une gangue de terre cuite. Pendant le second tiers du film, l’empereur est représenté en images de synthèse, sous cette forme de statue de terre cuite. Et finalement, dans la dernière partie, quand il a accès à l’eau de la vie éternelle, il retrouve sa forme humaine, et acquiert le pouvoir de se métamorphoser.

Diriez-vous que le travail de Ray Harryhausen a eu une influence directe sur ce film ?

Oh oui ! J’ai rencontré Ray pendant la préparation du huitième voyage de Sinbad. Bien sûr, nos techniques d’animation sont différentes de l’animation image par image qu’il utilisait dans ses films. La plupart des films à effets spéciaux que l’on produit aujourd’hui se réfèrent plus ou moins au travail des pionniers comme Ray Harryhausen, ou à King Kong. Au-delà de leur technique spécifique, ces films ont libéré l’imagination des cinéastes, et les ont incité à rêver à des projets qui semblaient impossibles à réaliser auparavant.

Un hommage à la culture chinoise

Vous allez bientôt tourner en Chine. Pourriez-vous nous parler de ce que vous allez filmer là-bas ?

Volontiers. Nous allons tourner à Xian, où se trouve la véritable armée de guerriers de terre cuite, puis dans le désert au nord de Beijing, et dans d’autres endroits moins connus. Nous tournerons aussi dans le studio Heng Bienh de Beijing et dans le studio de Shanghaï. Il y a une scène dans le film où l’on assiste à la fabrication de la grande muraille de Chine. C’est un plan très large, réalisé en partie avec un vrai décor, et complété par des effets numériques. Nous essayons de représenter le plus exactement possible la culture chinoise. Un des reproches que je faisais aux précédents films de la série, en tant qu’anthropologue amateur, c’est qu’ils nous montraient une Egypte à la sauce Disneyland. Nous n’allons pas faire cela avec les éléments de la culture chinoise qui sont inclus dans le film. Nous allons coller à la réalité historique, mythologique et artistique.

Jusqu’à quel point ?

Nous avons reproduit des éléments architecturaux historiques dans les décors, ainsi que certains appareils qui ont réellement été inventés là-bas, comme les premiers sismographes. Les premières mitrailleuses ont été inventées en Chine, les arbalètes aussi. On dit quelquefois que la vie imite l’art, et il est arrivé une chose assez amusante dernièrement. Quand nous avons commencé à travailler sur les décors de notre film, je me suis dit qu’il serait sans doute assez logique que le tombeau de l’empereur soit placé en dessous de son armée de guerriers de terre cuite, puisqu’elle est sensée le protéger. C’était un pari que je faisais, et vous verrez que dans notre film, on découvre sa tombe dans une salle secrète, dissimulée juste en dessous de l’armée de statues. Il y a très peu de temps, les archéologues chinois ont examiné la partie inférieure du véritable site grâce à des radiographies, et ils ont découvert une chambre sous les soldats, qui pourrait bien être le tombeau du véritable empereur ! Ce qui était fou, c’est que nous tournions justement la scène de la découverte de la tombe quand nous avons appris la nouvelle, ce qui était incroyable ! (rires)

L’obsession de l’immortalité

Avez-vous aussi intégré certains éléments d’authentiques légendes chinoises dans le script ?

Le premier empereur de Chine s’appelait Shi Huangdi. Tout ce que nous connaissons de lui, grâce aux scribes qui ont retranscrit les évènements qui se déroulaient à la cour, nous l’avons utilisé pour concevoir le personnage de Jet Li. Shi Huangdi était réellement obsédé par le désir de vivre éternellement et c’est d’ailleurs ce qui a fini par le tuer, car il ingurgitait des potions expérimentales qui contenaient du mercure, qui est un terrible poison. Cette obsession de l’immortalité est vraiment la motivation principale de Jet Li dans notre film. Bien sûr, dans la réalité, l’armée de terre cuite n’est pas le fruit d’une malédiction. Elle a été construite par 720 000 personnes qui ont travaillé dessus pendant trente ans. En fait, quand l’empereur était encore un enfant, le prince consort, qui avait vingt ans, a ordonné la fabrication de l’armée. Il est mort à l’âge de 44 ans, ce qui veut dire que l’armée de terre cuite a été en construction pendant la majeure partie de sa vie. Ce site est vraiment une nécropole, une cité des morts, et je pense que c’est ce que l’on va établir dans les prochaines années d’exploration archéologique de ce lieu fascinant. Je suis convaincu que Shi Huangdi a enterré avec lui la représentation de toute sa vie. Non seulement ses guerriers, mais aussi ses eunuques, ses concubines, les jongleurs, les animaux, les chevaux, etc. Tout ce qui constituait sa vie. Cet empereur dirigeait une armée d’un million d’hommes. Rendez-vous compte : une armée d’un million d’hommes... C’est cette ampleur incroyable qui m’incite à croire que nous n’avons pas encore tout découvert de ses préparatifs pour affronter l’au-delà !

Redémarrage

Quand le second épisode de La Momie est sorti, il a remporté un grand succès public, mais les critiques et les fans l’ont trouvé moins satisfaisant que le premier épisode. Pensez-vous que ce soit une bonne chose pour vous, et que cela vous aide à faire accepter les changements que vous avez apporté au ton de ce nouveau volet ?

Je considère que ce n’est pas une réinvention du concept, mais que cela ressemble plutôt au redémarrage d’un ordinateur, à un « reboot ». Quand vous avez un bug, et que vous redémarrez votre ordinateur, vous n’en effacez pas tout le contenu, vous pouvez simplement reprendre votre travail et l’aborder d’une autre manière, avec plus de fraîcheur. Cela vous donne d’autres opportunités, d’autres possibilités. Dès le début, je tenais absolument à ce que Brandon soit de retour. Rachel a fait des choses de son côté, et d’après ce que j’ai pu comprendre, elle n’avait pas l’intention de revenir après le second épisode, quoi qu’il arrive. Cela m’a permis d’utiliser une nouvelle palette et de trouver une Evelyne qui corresponde à mes goûts et à ce que j’avais l’intention de faire. J’ai pensé à Maria parce que j’avais adoré History of violence. J’ai trouvé qu’elle était extraordinaire dans ce film, et très courageuse. J’avais beaucoup aimé The Cooler aussi. Mais ce qu’elle faisait dans History of violence, arriver avec ce costume de Pom Pom girl avant cette scène d’amour, et le moment où Viggo Mortensen et elle font l’amour dans l’escalier, c’était incroyablement courageux. Nous nous sommes rencontrés pour boire un verre et quand j’ai fait sa connaissance, je me suis dit « Pas la peine de chercher plus loin. Voilà notre Evelyne ! ». Bien sûr, Maria est vraiment une femme typiquement américaine, mais nous allons la présenter dans un écrin anglais, dans notre film, pour préserver la continuité de l’histoire. Je crois que Maria apporte un esprit d’aventure et une énergie formidable au film.

Pensez-vous que les sept années qui se sont écoulées depuis la sortie du dernier épisode constituent un handicap pour la carrière commerciale du film ?

Voilà ce que je pense : quand nous allons vous dévoiler le trailer du film, au printemps 2008, il va vous laisser bouche bée. Et je me fiche pas mal que le film s’appelle La momie 3 ou ait un nouveau titre. Vous allez découvrir un film dont l’ampleur, la complexité et les scènes d’action vont vous donner envie de vous ruer dans les salles de cinéma ! Qu’il s’agisse d’un épisode qui succède à un film sorti il y a sept, douze ou vingt cinq ans n’a aucune espèce d’importance ! Je crois que les choses se résument toujours à ça : le film lui-même, et pas son nom, ni son appartenance à une franchise qui a eu du succès. Quand les gens découvrent des choses sur l’écran qui leur rappellent ce qu’ils ont déjà vu, ils sont blasés et peu convaincus. Il y a encore quelques années, quand on ne faisait pas énormément de suites, les gens disaient volontiers « Oh, j’ai bien aimé le n°1 de la Momie, je vais aller voir le numéro 2. ». Mais ça ne fonctionne plus comme cela à présent. Le public est plus méfiant. Il faut le convaincre que cet épisode mérite vraiment qu’on se déplace pour le voir. Je suis prêt à faire tout ce qu’il faut et plus encore pour convaincre les gens de venir voir notre film !

Une nouvelle approche de l’histoire

Est-ce que le film que vous tournez en ce moment est très proche du script que vous avez lu au début du projet, et qui avait été écrit en 2004/2005 ?

Nous avons écrit 20 versions successives du script depuis ce moment-là. J’en ai écrit trois moi-même, et le reste a été écrit par Alfred Gough et Miles Millar, les créateurs de la série Smallville. Au départ, c’était un film de Stephen Sommers, et c’est à présent un film de Rob Cohen. C’est devenu une aventure traitée de manière plus réaliste, tout en y incorporant beaucoup de fantastique et de combats de toutes sortes. Il y a de vraies scènes d’émotion. Quand nous retrouvons les O’Connell, ils ont renoncé à leurs carrières d’aventuriers. Ils s’ennuient l’un avec l’autre, n’ont plus de relations sexuelles. Le père et le fils ne s’entendent plus. Le fils mène ses propres travaux. Ses parents ne savent même pas qu’il s’est rendu en Chine pour rechercher le tombeau de l’empereur. Ce n’est pas une histoire de famille convenue. Il s’agit vraiment d’un couple qui a un peu de mal à gérer sa relation avec son fils de 20 ans, qui essaie de trouver son indépendance. Nous traitons ces sujets sérieusement, et non pas avec dérision, en accumulant les gags. Nous avons la même approche en ce qui concerne les relations amoureuses : Maria et Brandon retombent amoureux. Leur nouvelle aventure injecte une bonne dose d’adrénaline à leur relation, et tout d’un coup, c’est comme s’ils étaient tout neufs l’un pour l’autre. Ils se redécouvrent pendant les péripéties de leur voyage. Il y a aussi une histoire d’amour entre Isabella Leong et Luke Ford, qui est une histoire d’amour transculturelle, entre deux êtres très différents, qui se découvrent en affrontant ensemble des épreuves dangereuses. Et bien sûr, la dernière romance est celle entre John Hannah et le yack qui accompagne le groupe ! (rires) Car John s’attache à cette bête qui porte les fardeaux, et cela donne lieu à des scènes très amusantes.

Jet Li a récemment déclaré qu’il avait l’intention d’abandonner le cinéma d’action. Avez-vous dû le convaincre de renoncer à cette décision ?

En fait, non. Je l’ai convaincu de se joindre à nous en un seul coup de fil ! Nous sommes tous les deux bouddhistes, et un certain lien s’est créé entre nous pendant le projet de Sinbad. Quand je lui ai téléphoné en Chine, et cela faisait plus d’un an et demi que nous ne nous étions pas vus. La première chose qu’il m’a dite a été « Tu portes toujours le chapelet de perles ? » (rires) Je lui ai répondu « Tous les jours ! ».(NDLR : Rob Cohen porte un bracelet de perles traditionnel au poignet). Je lui ai dit que le personnage que je lui proposais était celui d’un méchant doté de pouvoirs magiques, un empereur redoutable, et il m’a tout de suite dit « OK, je le fais ! ». Il ne m’a même pas demandé de lire le script. Ensuite, quand je lui ai envoyé le scénario, j’étais quand même assez angoissé en attendant sa réaction. J’ai eu peur qu’il regrette soudain d’avoir répondu si vite, qu’il ait des doutes, des objections…Mais en fait, il a adoré le script et m’a dit. « Ce script, c’est exactement ce que vous les américains réussissez mieux que tout le monde. Je ferai tout ce que tu veux que je fasse. Débrouille-toi simplement pour que j’aie l’air cool à l’image ! ». (rires)

Pourriez-vous nous dire le montant du budget alloué aux effets spéciaux du film ?

36 millions de dollars. Par contre, le montant du budget total du film est confidentiel.

Vous portez un collier avec des plaques de métal qui ressemblent à celles des soldats américains. Nous avons remarqué que Brendan et Luke en portaient aussi…

Ah, vous vous en êtes rendu compte. Il s’agit d’un petit gag réservé aux membres de l’équipe. Nous avons fait fabriquer une série de colliers, qui représentent chacune des deux armées qui s’affrontent à la fin du film. L’armée des soldats de terre cuite et celle des constructeurs de la grande muraille de Chine. Leur combat se déroule d’ailleurs juste devant la grande muraille. Chaque membre de l’équipe a pu choisir à quelle armée il voulait appartenir en portant l’un ou l’autre de ces colliers.

Et de quel côté êtes-vous ?

Je porte le collier n°1 de l’armée des fondateurs, car il s’agit des bons !

La concurrence d’un certain Dr Jones…

Pensez-vous que la sortie de Indiana Jones 4 deux mois avant votre film est une bonne chose ou un handicap ?

Assurément une bonne chose. D’abord, je dois dire que j’ai hâte de voir ce film, pas seulement pour y voir Harrison, mais surtout pour découvrir la performance de Shia Labeouf. Je l’adore et je crois qu’il va nous étonner dans ce rôle. J’ai hâte de voir le travail de Steven. Nous sommes amis depuis de longues années et en faisant ce film, il revient à ses racines de réalisateur. A une époque, Richard Dreyfuss était l’interprète fétiche de Steven, et j’ai l’impression que c’est ce qui va se produire à nouveau avec Shia Labeouf, qui est un jeune homme juif un peu atypique, une sorte de double de Steven. Ce n’était pas le cas de Tom Hanks, ni de Tom Cruise, mais Richard Dreyfuss était véritablement un double de Steven. Je suis très curieux de voir ce qu’il va faire de tout ça. Pour revenir à votre question, je crois que le genre des films d’action et d’aventure est extrêmement populaire. Il faut simplement trouver les studios qui soient capables de financer des projets d’une telle ampleur. Ce genre de film ne peut pas être fait avec des petits budgets. Il faut être capable d’étonner les gens en leur montrant des scènes très spectaculaires, des paysages à couper le souffle, des effets spéciaux très sophistiqués. Je ne pense pas que les sorties successives d’Indiana Jones 4 et de notre film posent un problème. Le film de Steven se passe principalement en Amérique du sud, tandis que le nôtre se déroule en Chine, donc visuellement, cela n’aura rien à voir. Je crois que les films d’aventure produits de cette manière, avec ampleur, et avec des histoires intéressantes, sont bien accueillis par les spectateurs pendant l’été. Ce sont vraiment des divertissements parfaits pour cette période de l’année. Et comme nos sorties sont espacées de deux mois, nous ne sommes pas en concurrence frontale.

Comment utilisez-vous le budget que l’on a mis à votre disposition pour réaliser ce film ? Même s’il est important, vous avez certainement été amené à faire des choix…

Vous savez, si vous connaissiez le budget exact de notre film, je crois que vous seriez assez étonné de découvrir ce nous sommes parvenus à montrer sur l’écran en l’utilisant au mieux. Les moyens dont nous disposons n’ont rien à voir avec les chiffres dont on entend parler à propos de Pirates des Caraïbes 3, par ex. Nous en sommes très très loin. Disons que nous disposons d’un budget confortable mais réaliste qui me satisfait complètement. D’ailleurs quand je dis que je ferai un film pour tel budget, ce n’est pas une promesse lancée à la légère. Je tiens parole, et je serais prêt à me tuer à la tâche plutôt que de ne pas livrer le film que je me suis engagé à faire. Quand un studio vous fait confiance, il vous donne une somme énorme pour que vous puissiez vous amuser avec. Il vous laisse généralement une assez grande liberté à condition que vous restiez dans les paramètres artistiques et financiers qui ont été convenus dès le départ.

De combien de jours de tournage disposez-vous, au total ?

86 jours de tournage. Aujourd’hui, c’est le 40ème jour, donc nous ne sommes pas encore arrivés à la moitié.

Le choix du Canada

Pour quelle raison avez-vous choisi de tourner une grande partie du film à Montréal ?

Un film pour les besoins duquel on doit construire autant de décors doit être tourné dans un endroit central, car cela vous évite de perdre du temps à voyager entre plusieurs sites. Il y a relativement peu d’endroits dans le monde où l’on peut venir s’installer et occuper tous les plateaux en même temps. C’est ce que j’avais fait déjà à Cinecitta, où nous avions construit le tunnel de Daylight. Montréal a l’avantage d’être une ville dans laquelle habitent beaucoup d’excellents constructeurs de décors. Je ne saurai pas vous dire pourquoi, ni si cela est dû à la formation artistique des gens d’ici, mais les plâtriers, les peintres, les fabricants d’accessoires, sont tous excellents. Et c’est la même chose en ce qui concerne les équipes de tournage, tant que vous faites appel aux meilleures. En venant tourner ici, on bénéficie aussi de ristournes financières diverses : des réductions de taxes, des tarifs plus avantageux, mais lorsque l’on ajoute à tout ça les frais de billets d’avion et d’hôtel pour toute l’équipe, ces réductions ne sont plus aussi spectaculaires qu’on le croit. Aujourd’hui, certains studios n’hésitent pas à abandonner un projet s’il y a une différence de 2 millions de dollars entre le budget que vous annoncez et l’argent qu’ils sont prêts à investir dedans. Venir tourner ici a vraiment été une bonne chose, car pendant un moment, pendant que je travaillais à la refonte du projet, son sort n’a tenu qu’à un fil…

D’après ce que vous nous avez dit, La tombe de l’empereur dragon va s’adresser à un public plus âgé que les deux précédents volets. Le studio a-t’il approuvé d’emblée cette vision des choses ?

Oh oui. Les dirigeants d’Universal m’ont même encouragé à aller dans ce sens. L’une des première choses que le PDG du studio m’a dite était « Je veux TON film, ton interprétation de ces personnages, car il faut aller de l’avant. ». Je crois que les deux premiers films correspondaient bien à leur époque, au début des années 2000. A présent, nous vivons dans un monde un peu plus sombre, dans lequel des menaces plus directes se manifestent hélas trop souvent. La guerre en Irak dans laquelle George Bush - que je déteste passionnément, ainsi que tout ce qu’il représente - a entraîné les Etats-Unis, et ce sentiment de honte qu’éprouve à présent l’Amérique face à ce gâchis, tout cela a modifié quelque peu la perception du public. Un film de pure aventure truffé de gags visuels marcherait peut-être encore auprès des enfants d’aujourd’hui, mais ce n’est pas le genre de film que j’ai envie de faire. Je veux m’adresser aux adultes, en leur proposant un récit plus sophistiqué. Les jeunes spectateurs, eux, y trouveront aussi leur compte, car nous avons prévu suffisamment d’action et d’effets visuels pour les impressionner. Mais nous n’allons pas essayer de leur plaire en multipliant les scènes burlesques.

Le choc des méthodes de travail

La partie du tournage qui va avoir lieu en Chine sera t’elle plus complexe pour vous ?

Oui, comme toujours quand vous vous retrouvez dans un pays dont vous ne parlez pas la langue. Mais la méthodologie de travail est également très différente là-bas. Quand les chinois tournent un film, ils emploient des équipes réduites, mais tournent pendant très longtemps. Tout est financé directement par l’état. Il y a des avantages à travailler ainsi : le réalisateur, par exemple, à la possibilité de tourner à nouveau des scènes, et de recommencer jusqu’au moment où il est pleinement satisfait du résultat. L’approche américaine, comme vous le savez, est radicalement différente. A partir du moment où le tournage commence, on met en route une machine qui ne s’arrête pas. Tout a été soigneusement préparé à l’avance. On ne s’interrompt pas pour regarder les rushes, et on commence à travailler sur le montage tout en tournant le film. Je parlais de ces différences de méthodes de travail avec Anthony Wong, car il était stupéfait de voir les décors terminés quand il est arrivé au studio le premier jour. Je lui a demandé « Mais comment ça se passe, chez vous, pendant le premier jour de tournage ? ». Il m’a répondu « On arrive, rien n’est prêt, et on n’a pas la moindre idée de ce qu’on va faire ! On ne sait même pas dans quel film on va tourner. Des fois, il y a un bout de script, et des fois, rien du tout ! ». (rires) Bien sûr, tout cela n’empêche pas les cinéastes chinois de faire des films superbes, ni de réaliser de grandes productions très spectaculaires. Mais l’approche n’est pas la même. J’adore notre équipe chinoise. Je me suis déjà rendu trois fois sur place pour faire des repérages en sa compagnie. Ils adorent tous le cinéma, et sont très heureux que l’action de ce film se déroule en grande partie dans leur pays.

En plus de l’équipe technique, vous employez aussi des artistes chinois…

Oui. Le travail réalisé par le département artistique est très spectaculaire. C’est incroyable de voir à quel point ils se dévouent pour réaliser le meilleur travail possible. Je vais vous en donner un exemple. Quand je suis allé visiter les locaux du département artistique, j’ai fait la connaissance de Mr Yi, qui le dirige. La salle dans laquelle il travaille en compagnie de toute son équipe doit être un espace de 40 mètres carrés. Mais ce n’est pas seulement un lieu de travail : les trente personnes de l’équipe vivent tous sur place. Ils ne quittent pratiquement jamais ce lieu. Ils travaillent douze heures par jour, puis ils se rendent dans des petites chambres annexes, s’installent dans des lits superposés et dorment. Ils ne prennent pas les transports en commun pour rentrer dans leurs foyers, ne téléphonent pas chez eux pour prendre des nouvelles. Ils se dédient entièrement à leur travail, comme les moines qui dessinaient les enluminures des manuscrits, pendant le Moyen-âge. C’est fascinant de les voir travailler.

Les méthodes de construction de décors sont-elles également très différentes ?

Oui. Quand ils doivent construire les structures d’un grand décor, les techniciens chinois assemblent des bambous en les liant les uns aux autres avec des cordes. C’est fascinant à voir. Ils ont un sens de l’efficacité étonnant. S’ils peuvent résoudre un problème de la manière la plus simple possible, avec les matériaux les moins coûteux, c’est cette option qu’ils vont choisir. Ils ne font pas de gâchis. Et malgré ce souci constant de l’économie, ils sont aussi capables de déployer des trésors de raffinement artistique. L’assistant du directeur artistique a pour tâche de modifier les décors de rues qui existaient déjà dans les studios de Shanghaï, et de leur donner l’aspect de rues des années 40. Il se trouve que son nom de famille, aussi étrange que cela puisse paraître, est Olympic. Vous savez peut-être qu’il existe un « Olympic boulevard » à Los Angeles. Quand j’ai découvert les dessins qu’il avait fait de ces rues de Shanghaï des années 40, j’ai trouvé que son travail était si réussi et si imaginatif que j’ai fait fabriquer une plaque de rue sur laquelle j’ai fait inscrire « Olympic boulevard ». Il n’était pas au courant, et quand il est venu dans le décor, et que je lui ai montré la plaque que j’avais fait fixer sur une façade, en lui disant qu’on allait donner son nom à toute cette rue, il a fondu en larmes. Voilà à quel point les gens de l’équipe se passionnent pour le projet. Mais ils ne sont pas non plus trop sentimentaux. S’ils doivent être durs, ils peuvent être très durs. Ils sont vraiment très impliqués dans leur travail, ce qui n’est plus toujours le cas aux USA, hélas, dans l’environnement très syndiqué dans lequel nous évoluons. Quelquefois, en tant que réalisateur, on est déçu de voir que certaines personnes autour de vous considèrent leur travail comme un simple boulot, et regardent souvent leurs montres pour voir combien d’heures il leur reste à attendre avant de rentrer chez eux. Cela peut être décourageant quand on aurait envie de n’être entouré que de gens qui partagent la même passion que vous…J’aime autant vous dire que si la Chine continue à se développer au même rythme et avec la même culture du travail, les Etats-Unis auront bientôt du soucis à se faire. La Chine va tout emporter sur son passage, et l’Amérique n’aura plus qu’a aller se coucher !

Avez-vous déjà une autre aventure en tête pour les O’Connell ?

Oui. D’ailleurs, si vous êtes bien attentif, vous verrez que l’on y fait allusion au cours du récit. Mais j’ai déjà ce film à terminer, et il faudra attendre de voir comment la presse et le public va l’accueillir, avant de songer à l’épisode suivant !

Rob Cohen est appelé alors sur le plateau de tournage et nous le suivons. Nous découvrons le superbe décor d’un mausolée menant à un astrolabe, une machine qui reproduit la course des planètes dans le cosmos grâce à un mécanisme d’horlogerie très sophistiqué. A côté de ce grand décor fermé en forme de demi cylindre, se trouve une autre structure impressionnante : un ensemble d’engrenages géants en bois, qui représentent les mécanismes cachés de l’astrolabe. Un décor idéal pour un combat périlleux entre ces redoutables roues crénelées ! Une actrice rejoint Rob Cohen dans le décor du mausolée : il s’agit de Michelle Yeoh, qui porte un épais manuscrit. Une caméra montée sur une grue téléscopique se met en place et suit Michelle Yeoh alors qu’elle gravit le plus rapidement possible les marches de l’escalier du mausolée. Nous laissons Rob Cohen travailler avec son actrice, que nous rencontrerons dans la suite de ce grand dossier…

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