Entretien exclusif avec Rupert Sanders, réalisateur de BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR - Seconde partie
Article Cinéma du Lundi 16 Juillet 2012

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

L’un des éléments-clés de l’univers de Blanche Neige est le mélange de conte de fées merveilleux et d’horreur. Comment avez-vous entrepris de réinventer visuellement tous les morceaux de bravoure bien connus du conte original ?

Les éléments horrifiques viennent en grande partie de la capacité de Charlize à donner vie au personnage de la reine Ravenna, qui préserve sa jeunesse en aspirant l’énergie vitale des malheureuses filles capturées dans le village. Grâce au talent de Charlize, je trouve que Ravenna a un côté « Dark Vador » dans certaines scènes. On sent une aura maléfique autour d’elle ! Elle réussit à faire cela tout en évoquant aussi le glamour et le charisme fascinant des grands vampires du cinéma. La forêt obscure est probablement un flashback des films d’horreur des années 70, avec des gens qui se perdent dans les bois et commencent à halluciner…Je crois que tout cela est profondément ancré dans la nature gothique de ce conte. Nous n’avons pas essayé d’amplifier les aspects horrifiques de l’histoire pour en faire un film d’épouvante, nous avons simplement respecté les règles des contes de fées, qui comme vous le disiez auparavant, comportent toujours des passages effrayants. Plus un film est riche en émotions diverses, meilleur il est. Les spectateurs aiment avoir peur, puis rire, être émerveillés, puis épatés par de grandes scènes d’action, tout en éprouvant de l’empathie pour les personnages principaux. Je considère que BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR est une sorte de « road movie » médiéval ! (rires)

Est-ce difficile de créer un film d’Heroic Fantasy après LE SEIGNEUR DES ANNEAUX de Peter Jackson ? Quelles similitudes avez-vous tenté d’éviter et comment avez-vous procédé ?

Peter Jackson a fait un travail si mémorable que nous voulions effectivement nous différencier de l’aspect visuel de sa trilogie. Nos costumes et nos décors sont assez originaux pour ne pas ressembler à ceux du SEIGNEUR DES ANNEAUX. Mais nous avons en commun une époque médiévale imaginaire, traitée de manière crédible. Je pense que les spectateurs verront que les maquillages et les costumes de nos nains, par exemple, n’ont rien à voir avec l’aspect des hobbits ou des guerriers nains du SEIGNEUR DES ANNEAUX.

En revanche, la séquence de la forêt enchantée et du cerf, qui est très belle, semble être un hommage direct au film de Miyasaki PRINCESSE MONONOKE, dans lequel on voit aussi un dieu-cerf avec des bois immenses, règnant majestueusement sur la nature…

On voit aussi des animaux surnaturels similaires dans HARRY POTTER et dans LEGEND… L’histoire du cerf blanc magique provient d’un autre conte, pour tout dire.

Admettez que dans LEGEND, il s’agit d’une licorne, et non d’un cerf…

Oui, vous avez raison, mais c’est une créature blanche relativement proche. Ce que je veux dire, c’est que ce cerf magique existe dans beaucoup de contes différents. Nous n’avons pas voulu plagier Miyasaki. Pour ne rien vous cacher, nous sommes partis de mythe écossais du « cœur blanc de la forêt » où des chasseurs à cheval accompagnés de leurs meutes de chiens traquent un cerf blanc aux pouvoirs magiques. Cet animal surnaturel fait partie du patrimoine mythologique britannique.

Comment avez-vous travaillé avec vos acteurs principaux sur leurs rôles ? Commençons par Kristen Stewart…Quelles idées vous a t’elle suggérées à propos de son interprétation de Blanche Neige ?

Kristen m’a énormément aidé pendant le processus d’écriture du scénario. Elle m’a permis de me mettre à sa place et de bien comprendre ce qui était important pour lui permettre d’incarner ce personnage. C’est un luxe dont on ne dispose pas toujours quand on est en train d’écrire un script, car il arrive fréquemment que le casting soit bouleversé, ou que vous arriviez sur le plateau le premier jour du tournage en découvrant seulement à ce moment-là qui sont vos acteurs principaux ! Nous avons travaillé dur sur le développement et l’évolution du personnage de Blanche Neige au cours de l’histoire. Il fallait montrer que la princesse fait les choses instinctivement, et apprend tout par elle-même, car il n’était pas envisageable une seule seconde qu’elle devienne soudainement une guerrière dans la seconde partie du film. Il fallait que Blanche Neige réagisse spontanément pour se défendre, avec toute l’énergie et l’endurance qui lui ont permis de survivre pendant sa captivité, et non pas que l’on ait l’impression qu’elle était devenue une combattante aguerrie comme par magie. Kristen voulait que l’on sente que la princesse avait toujours été proche de son peuple, et qu’elle souffrait beaucoup de le voir asservi par Ravenna. Son cœur saigne en voyant cela, et elle se préoccupe plus de ce que subit la population sans défense que de son propre sort. Son père était un bon roi, qui aimait lui aussi ses sujets et les protégeait. Ce n’était pas un tyran. Kristen voulait que l’on sente bien que Blanche Neige reprenait le flambeau à la suite de son père. Elle voulait aussi montrer l’endurance du personnage, et la manière dont elle avait surmonté son emprisonnement pendant de longues années. Une scène du film de Jacques Audiard LE PROPHETE nous a d’ailleurs inspiré : celle où le héros doit passer des rayons X dans l’infirmerie de la prison et cache une arme – un bout de lame de rasoir – sous sa langue. Blanche Neige se trouve elle aussi dans un cachot, et grâce à son intelligence et à sa débrouillardise, elle va réussir à s’évader en utilisant un simple clou. C’est parce qu’elle pense constamment à son devoir, à son obligation de reprendre le royaume volé à son père par Ravenna que Blanche Neige ne perd jamais espoir. Kristen a d’excellentes capacités physiques. Je l’ai incitée à apprendre à monter parfaitement à cheval, à sauter d’une falaise comme le ferait une cascadeuse professionnelle, et à nager dans cette mer galloise glaciale comme si elle avait fait cela toute sa vie. Et elle l’a fait ! Je crois que l’on s’en rend bien compte dans le film. On comprend bien qu’elle fait vraiment toutes ces choses et qu’elle est très physique. Kristen n’a pas peur de patauger dans la boue ni de se salir les mains. Quand nous tournions ces scènes, ce n’était pas devant un fond vert, dans l’environnement relativement confortable d’un plateau de studio. Elle le faisait réellement, comme une vraie baroudeuse.

Comment avez-vous abordé le rôle de la reine Ravenna avec Charlize Theron ?

Charlize s’est également impliquée dans le processus d’écriture de son rôle. Quand les choses se précisent, que la date de début du tournage se rapproche et que les rôles sont attribués, c’est vraiment formidable qu’une grande actrice comme Charlize participe activement au développement du script. Cela nous a énormément aidé. Elle nous a même incité à aller jusqu’au bout des caractéristiques du personnage, sans les atténuer ni les édulcorer pour lui faciliter la tâche. Je me souviens qu’elle nous a dit « Puisque nous adaptons cette histoire, faisons-le à fond, comme elle doit être contée. » Elle tenait à ce que l’on voit bien l’étendue de la folie de la reine, et que l’on ressente ce sentiment de claustrophobie, d’isolation qui s’empare de Ravenna et ne fait qu’empirer sa psychose. Il se trouve que Charlize venait de revoir THE SHINING à la télévision, et elle y a vu un parallèle très intéressant entre le personnage que joue Jack Nicholson, et celui de Ravenna, qui elle aussi, devient lentement folle, enfermée dans son château, en ayant pour unique objectif de devenir immortelle. Nicholson, lui, espère devenir immortel en écrivant un grand roman, mais au fond, c’est la même idée. Comme le personnage de Nicholson, Ravenna entend des voix, croit que les gens chuchotent dans son dos, devient paranoïaque. Elle ressemble en cela à Lady Macbeth et à Elizabeth Bathory. Je trouve que Charlize Theron a parfaitement réussi à nous faire éprouver de l’empathie pour ce personnage maléfique, car grâce à son interprétation, on se rend compte qu’au fond, Ravenna et Blanche Neige sont marquées par les mêmes drames. Elles sont comme le yin et le yang, ou le blanc et le noir, les deux faces d’une même pièce. Blanche Neige a perdu ses parents et son royaume, tandis que Ravenna a perdu son royaume puis ses parents. Et l’une comme l’autre ont vu leur jeunesse leur être volée. La seule différence, c’est la manière dont elles choisissent de réagir face à ces terribles épreuves. Charlize a su créer un personnage qui agit comme un animal dangereux parce qu’il est blessé. On la sent perpétuellement sur la défensive, afin de venger sa mère. On lui a dit « Utilise ce sortilège pour nous venger, et sers-toi de ta beauté, car la beauté, c’est le pouvoir. » Elle a suivi ces instructions pour honorer la mémoire de sa mère. Je trouve que c’est une dynamique intéressante. Je veux dire aussi que Charlize avait eu beaucoup de cran de sacrifier son incroyable beauté, et d’accepter de s’enlaidir pour se montrer toute décrépite, ravagée, vieillie…Elle n’a jamais hésité à apparaître ainsi, et nous poussait même à aller encore plus loin que nous ne l’avions envisagé!

Parlons maintenant de Chris Hemsworth…

Chris fait partie de ces acteurs qui n’ont pas besoin d’entrer peu à peu dans la peau du personnage. Il est appartient à ce type de comédiens qui se préparent énormément en amont, et qui laissent le personnage exister en eux quand ils arrivent sur le plateau. Chris joue avec sa présence, son charisme naturel, son physique, et avec ce qu’il a préparé dans sa tête en pensant au vécu du personnage. Ce qui est fantastique avec lui, c’est qu’il a non seulement une stature incroyable, mais aussi une capacité remarquable à puiser dans ses émotions pour donner une vérité frappante à une scène dramatique. Il possède à la fois cette virilité brute qui fait son charme, des capacités physiques, une force et une agilité peu communes, et en même temps, il peut paraître totalement vulnérable dès que c’est nécessaire, grâce à la qualité de son jeu. Chris est très juste dans les scènes d’émotions du film, et c’est d’autant plus surprenant que cela ne ressemble pas à ce qu’un personnage comme celui du chasseur fait habituellement. Il dévoile un côté sensible qui est très intéressant.

Avez-vous envisagé au début de faire appel à de véritables acteurs de petite taille pour incarner les nains ? Ou aviez-vous décidé d’emblée de faire appel à des acteurs connus et de les rapetisser numériquement ?

Oui, je voulais procéder ainsi dès le départ, car j’avais envie de réunir la crème des acteurs anglais qui ont excellé dans des rôles de gangsters pour jouer les nains ! (rires) Je tenais à réunir cette incroyable brochette de grands comédiens qui ont le don de paraître à la fois très durs et très drôles. Je ne voulais pas être contraint de ne choisir mes acteurs qu’en fonction de leur physique : il me fallait trouver les meilleurs, quelle que soit leur taille. Les rapetisser a été complexe, mais cela en valait largement la peine.

Les scènes avec le miroir magique et la reine Ravenna sont très belles. Comment les avez-vous conçues et tournées ?

J’ai eu l’idée de représenter ainsi le miroir en voyant une sculpture sur le site web d’un artiste irlandais. Je l’ai contacté et lui ai proposé de venir travailler sur le film. Il a accepté et il a peaufiné le design de l’homme du miroir pour nous. Ensuite, il a fallu mettre au point la procédure de tournage pour les scènes où l’on voit le visage de Charlize se refléter sur la face de cet être. Nous avons placé une caméra RED epic de résolution 5K à l’intérieur d’un mannequin entièrement chromé. Ainsi, quand nous filmions Charlize de profil avec la caméra principale, nous filmions son reflet déformé sur le mannequin afin d’avoir cette référence visuelle, tout en la filmant aussi de face, en très haute résolution, avec la caméra dissimulée dans le mannequin. Les prises de vues de la caméra RED epic étaient ensuite traitées numériquement et réinjectées dans les images 3D de l’homme du miroir, et le vrai mannequin effacé de l’image.

Quelles ont été les séquences les plus difficiles à « visualiser » dans votre esprit au moment de la préparation du film ?

Probablement la chronologie des scènes de bataille, comme l’assaut final du château, car il fallait faire agir un grand nombre de personnages simultanément tout en montrant clairement le déroulement de ces différentes actions.

Avez-vous utilisé de la prévisualisation 3D pour préparer toutes les scènes d’effets spéciaux principales ?

Oui, c’était indispensable, vu la complexité des effets numériques. Mais nous avons aussi eu recours à de bons vieux trucages classiques faits en direct, y compris pour rapetisser les acteurs jouant les nains. Dans certains plans, nous nous sommes contentés de surélever les acteurs jouant les « grands » en les faisant marcher sur des tréteaux placés près de la caméra, en filmant les comédiens jouant les nains à l’arrière-plan. C’est un effet de fausse perspective tout simple, mais il fonctionne à merveille.

Ce film semble être le premier épisode d’une trilogie. Est-ce bien l’idée que vous avez derrière la tête ? Blanche Neige reviendra t’elle pour combattre d’autres personnages maléfiques dans le futur ?

Dans la vie, il faut toujours se battre contre le mal ! Nous avons effectivement quelques surprises en réserve…mais nous ne produirons une suite que si le public la réclame, et uniquement si nous réussissons à imaginer une histoire que nous avons tous envie de présenter au public.

Etant donné que Blanche Neige semble avoir une connexion avec le monde surnaturel, comme vous le montrez dans la superbe scène où elle est confrontée à un troll, pourrait-elle se retrouver dotée de pouvoirs magiques au cours de sa prochaine aventure ?

C’est possible…Mais la véritable magie de Blanche Neige est sa vitalité, qui est symbolisée par cette rose rouge que l’on découvre au début du film, et qui réussit à fleurir en plein hiver, malgré le froid. Blanche Neige, c’est la vie qui subsiste dans un paysage ravagé par la mort. C’est en cela que réside son pouvoir surnaturel.

Joueriez-vous encore plus sur le triangle amoureux entre Blanche Neige, le chasseur et le jeune duc William dans le prochain épisode ?

Absolument. Comme vous avez pu le voir, tout reste possible à la fin de cette aventure.

Quels sont vos prochains projets ?

Terminer la promotion du film et la supervision de son édition vidéo, puis me reposer…mais pas dans un cercueil de verre ! (rires)

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