Dans les coulisses de JOHN CARTER : Entretien exclusif avec Sue Rowe, superviseuse des effets visuels au sein de Cinesite
Article Cinéma du Mercredi 25 Juillet 2012

A l’occasion de la sortie de JOHN CARTER en DVD & Blu-Ray, ESI vous propose la suite de notre dossier sur cette épatante adaptation d’un des classiques de la littérature de Science-Fiction.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment le studio Cinesite a t’il « auditionné » pour obtenir ce contrat de création des effets visuels de JOHN CARTER ? Qu’avez-vous fait pour « décrocher ce marché » ?

Cinesite bénéficie d’une bonne réputation à Londres, notamment dans le domaine de la création d’environnements hyperréalistes en 3D. C’est l’une de nos spécialités, et cela se sait dans le milieu du cinéma. Peter Chiang, qui est mon compagnon dans la vie, travaille pour Double Negative, et ce studio s’est distingué pour ses animations de personnages. Nous semblions donc pouvoir former tous les deux un bon tandem pour nous occuper des effets de JOHN CARTER. Cela étant dit, j’ai été extrêmement contente et fière que Cinesite soit choisi parmi d’autres studios londoniens pour travailler sur ce projet, car ils espéraient tous travailler sur le film. Nous avons donc rendu jaloux beaucoup de monde !

Pouvez-vous parler des difficultés liées à la création des environnements de la cité d’Helium, du palais des lumières et de la ville de Zodanga ?

Volontiers. En ce qui concerne Helium, le principal défi dans la création et la modélisation 3D de cette ville était sa taille gigantesque et sa complexité. Le palais des lumières, qui est en quelque sorte la cathédrale de cette cité, est sensé mesurer 150 mètres de haut, et être largement constitué de verre bleuté. La couleur bleue symbolise l’eau, qui est extrêmement convoitée car il y en a très peu sur Mars. Le palais des lumières est « le joyau de la couronne » au sein de cette ville, et nous savions qu’il fallait que nous le rendions extrêmement spectaculaire. Bien plus qu’une cathédrale moderne comme celles que l’on connaît. Nous avons suivi le design qui avait été imaginé par l’illustrateur Ryan Church, dont le talent est très réputé dans l’industrie du cinéma. Nous avons récupéré les fichiers Photoshop de ses dessins, et c’est à partir de là que notre long travail a commencé, car il a fallu modéliser un par un tous les panneaux de verre et trouver aussi la manière de concevoir les structures qui les soutenaient, car elles n’étaient qu’esquissées dans les dessins de Ryan. Passer d’une illustration à un environnement 3D, c’est un peu comme transformer une esquisse d’un bâtiment représenté frontalement en véritable plan d’architecte, avec les volumes représentés de tous les côtés. Cela implique de créer des formes qui se combinent de manière logique dans l’espace tridimensionnel. Une fois que l’on a réussi à construire tout cela, il faut encore concevoir la manière d’éclairer cette architecture afin de retrouver l’esprit de l’illustration originale, la transparence du verre, et l’atmosphère souhaitée. Nous avions estimé qu’il faudrait à peu près une année d’heures de travail d’un infographiste pour modéliser toute la cité d’Helium. A cela s’ajoutait les conditions du tournage. Les scènes qui se déroulent à Helium ont été filmées dans un immense hangar qui se trouve au nord de Londres. Nathan Crawley, le chef décorateur, avait fait construire 8 sections de cet environnement, dont le grand balcon. Mais quand on réalise à quel point ce palais est immense, tout ce que l’on peut construire en dehors du balcon dans un hangar de 9 mètres de hauteur sous plafond, ce sont des fonds verts disposés à 360° ! Comme vous pouvez l’imaginer, créer cette installation dans ce hangar a été extrêmement compliqué, car il fallait disposer du vert partout, ce qui limitait le nombre d’endroits dans lesquels on pouvait placer l’éclairage. Il était également difficile de faire d’amples mouvements de grue avec la caméra, dans le périmètre limité par les fonds verts. Et une fois tous ces problèmes résolus, il fallait remplir les décors avec des milliers de soldats en train de se battre, et créer les images d’un énorme vaisseau volant venant s’écraser en traversant les vitraux du palais des lumières !

Et venant pulvériser les précieux morceaux de verre que vos équipes avaient modélisés !

(rires) Oui ! Et dont il allait falloir animer la destruction et la chute des éclats ! Vous comprendrez sans peine qu’en lisant la description de cette scène dans le script du film, il y a deux ans et demi, je me sois exclamée « Oh mon dieu ! Comment vais-je pouvoir faire cela ?!» (rires) A force de travail, nous avons réussi à créer les images de cette séquence, et je suis très heureuse du résultat obtenu. Andrew en est ravi lui aussi.

Pouvez-vous nous expliquer plus en détail comment la cité d’Helium a été créée, ainsi que la cité de Zodanga ?

La grande différence qui existe entre ces deux villes, c’est qu’Helium est un environnement raffiné, conçu et dessiné par des architectes qui appartiennent à l’élite intellectuelle de Mars, avec des designs qu’aurait pu imaginer l’équipe des créatifs d’Apple, tandis que Zodanga est une citadelle mobile rouillée, vétuste, sale, dans laquelle règne une ambiance d’agressivité presque palpable. Cette cité rampe sur la surface de la planète comme un gros insecte, tout en extrayant le minerai qui lui permet de s’alimenter en énergie. En faisant cela, Zodanga tue peu à peu l’écosystème de Mars. Elle ressemble à un monstrueux insecte mécanique, très dangereux, qui détruit tout ce qui se trouve sur son passage pendant qu’il se déplace. Nous avons filmé les scènes qui se déroulent à Zodanga dans les studios de Longcross, situés près de Londres. Le tournage a eu lieu pendant l’hiver, sous la pluie, alors qu’il n’est pas sensé pleuvoir sur Mars ! Nous avons eu à souffrir du vent, et même de chutes de neige qui nous ont contraint à interrompre le tournage pendant 3 jours. En dépit de ces conditions météo désastreuses, il fallait que je me débrouille pour que l’on ait l’impression que tout cela était tourné dans la chaleur infernale du désert, sous un soleil de plomb ! (rires) Quand vous découvrirez ces séquences dans le film, vous verrez un superbe paysage martien autour de Zodanga, alors qu’en réalité, c’étaient des pylônes électriques, des arbres sans feuilles et un ciel encombré de nuages sombres que l’on voyait autour du studio !

L’animation de la ville elle-même a du être complexe…

Oui, parce qu’il fallait faire bouger ses énormes jambes mécaniques de manière convaincante, afin de faire ressentir le poids colossal qu’elles supportent. Il fallait aussi que l’on puisse se rendre compte de la taille de Zodanga. Les panneaux qui constituent la structure de la ville sont faits de métal et de murs de béton dont la surface est en partie craquelée. Quand les jambes mécaniques s’abattent lourdement sur le sol, elles forment un cratère, puis une tranchée tout au long de leur chemin. Chaque animation des jambes générait des animations secondaires pour simuler les impacts dans la terre, les cailloux et les rochers déplacés, les nuages de poussière soulevés, etc. Il fallait aussi que les articulations placées au-dessus des jambes bougent un peu à chaque pas, pour montrer comment l’onde de choc se propage dans la structure mécanique. Peaufiner tous ces petits détails allait permettre de rendre l’ensemble de l’animation réaliste. Dans une autre séquence, John Carter utilise une sorte de « moto volante » pourvue d’ailes, afin de voler sous la ville. Nous avons dû animer les jambes mécaniques de manière à ce qu’elles frôlent Carter pendant qu’il file entre elles, et créer des simulations de nuages de poussière de sable. Nous avons également créé une tempête de sable rouge en utilisant le logiciel Houdini.

Comment avez-vous peuplé ces villes ?

Nous avons utilisé le logiciel Massive, qui donne une intelligence artificielle à chaque personnage 3D, et le fait réagir automatiquement à ce qui se passe autour de lui, en puisant dans une banque d’animations préparées à l’avance. C’est une technologie issue du jeu vidéo.

Elle avait été utilisée la première fois dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, pour simuler les batailles avec des dizaines de milliers de guerriers…

Exactement. Avant d’employer Massive, nous utilisions notre propre logiciel maison pour créer ce type d’animations. Nous avons la chance de travailler avec Jane Rotolo, qui a été l’une des créatrices de Massive, et qui est l’un des atouts de Cinesite. Jane a créé le « cerveau » qui gérait les comportements de chacun des personnages que nous disposions dans les décors. Nous avons utilisé de la Mocap pour créer les nombreuses séquences d’animation des soldats de Zodanga et d’Helium. Elles sont gérées par Massive pour créer des continuité logiques d’actions et de réactions. Notre tournage en Mocap a duré 3 jours et a eu lieu en Angleterre.

Pouvez-vous nous dire approximativement quel est le nombre maximal de personnages 3D animés qui apparaissent dans certains plans ?

Il y a un plan de Zodanga en particulier, pour lequel nous pensions avoir prévu assez de personnages en comptant en répartir environ 200 dans les décors. Mais quand nous sommes passés à la création du plan, nous avons dû en ajouter plus de 1000, qui marchent, parlent les uns avec les autres, s’arrêtent, puis repartent, etc. Il y a aussi un autre plan qui se déroule dans le palais des lumières, pendant la bataille entre les soldats d’hélium et de Zodanga, où nous avons animé largement plus de 2000 combattants.

La suite de notre dossier bientôt sur ESI !

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