Dans les coulisses de JOHN CARTER : Entretien exclusif avec Bill Corso, chef maquilleur
Article Cinéma du Vendredi 03 Aout 2012
A l’occasion de la sortie de JOHN CARTER en DVD & Blu-Ray, ESI vous propose la suite de notre dossier sur cette épatante adaptation d’un des classiques de la littérature de Science-Fiction.
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Pouvez-vous évoquer la conception graphique et l’application des tatouages très élaborés que vous avez créés pour les acteurs de JOHN CARTER ?
Dans les livres de la saga John Carter, Edgar Rice Burroughs insiste bien sur la couleur rouge de la peau des humains de Barsoom. Il les appelle même « les hommes rouges de Mars ». Nous avons cependant décidé de leur donner un aspect différent dans le film, car si l’on applique un maquillage rougeâtre sur le visage et le corps d’un acteur, on donne l’impression qu’il a été victime d’un méchant coup de soleil ! (rires) On a presque mal en regardant cette peau rougie comme si elle était gravement brûlée ! Plusieurs illustrateurs s’étaient déjà penchés sur l’aspect de ces personnages avant mon arrivée. Quand j’ai rencontré Andrew, nous avons imaginé des tatouages rouges qui seraient les signes distinctifs des différentes lignées humaines de Barsoom, représentant chaque famille, et identifiant clairement chacun de ses membres. Pendant un moment, nous nous sommes demandés si nous n’allions pas traiter cela comme de la peinture sur corps, mais nous avons décidé qu’il serait plus logique que les enfants soient tatoués très jeune, afin marquer de manière permanente leur appartenance au clan.
Comment avez-vous établi le graphisme des tatouages ?
Nous nous sommes inspirés des textures du véritable sol martien ! Sur certains clichés de Mars pris par des sondes de la NASA ou par le téléscope Hubble, on a l’impression de voir des dessins tracés dans le sol par des créatures intelligentes. Ces formes, bien que naturelles, sont vraiment étranges. En les étudiant attentivement, on remarque des formes géométriques répétitives qui évoquent les lettres d’un étrange alphabet ! C’est assez fascinant… Les illustrateurs engagés par la production s’en sont inspirés pour dessiné des lettres, et de mon côté, j’ai créé des motifs de tatouages qui s’inspiraient des formes naturelles du paysage martien. J’ai obtenu ainsi des graphismes très intéressants, que je n’aurais pas pu imaginer tout seul dans mon coin. La seconde étape de ce travail a consisté à trouver la manière la plus esthétique de disposer ces graphismes sur le corps d’un acteur. Dans les livres, tous les « hommes rouges » sont quasiment nus, mais je me doutais bien que ce ne serait pas le cas dans une production Disney ! (rires) Sans attendre qu’un chef costumier soit choisi, je me suis lancé dans une série de tests en imaginant que les tatouages allaient fonctionner comme une couche de vêtements à part, à la manière d’un chemisier en dentelles qu’une femme porte sous une robe, par exemple. En approfondissant cette démarche avec Andrew, nous avons imaginé que les tatouages pourraient aussi souligner les lignes des corps des personnages.
Quel est le premier personnage sur lequel vous avez travaillé ?
Dejah Thoris, notre princesse martienne. J’ai engagé une jeune femme pour servir de modèle, et j’ai peint ces graphismes en rouge sur son corps. La première difficulté à résoudre, c’était de trouver des couleurs qui ressortent bien sur une peau très bronzée. Si vous y songez, vous vous rendrez compte que les tatouages sont réalisés la plupart du temps sur des gens qui ont la peau très claire. Pour les rendre lisibles sur une peau fortement cuivrée par le bronzage, j’ai employé plusieurs valeurs de rouge, en y ajoutant des nuances de jaune ou de bleu. Andrew suivait ces sessions de maquillage corporel à distance, via la webcam de son ordinateur, et pouvait réagir ainsi à ce que nous faisions et nous dire « On devrait ajouter une ligne ici, et effacer celle-là, etc. » C’est ainsi que nous avons défini ensemble les formes des tatouages, jusqu’à aller assez loin dans les détails, afin d’obtenir de très belles formes. Au début , nous avons essayé toutes sortes de couleurs : des noirs, des rouges, des blancs, des dorés… En fin de compte, ce qui marchait le mieux, c’étaient les graphismes rouges conçus comme des dentelles : de loin, on distingue des lignes et des formes basiques, et plus on se rapproche de la personne, plus l’on se rend compte que les dessins sont très joliment détaillés. C’est en gros plan que l’on découvre les symboles et l’alphabet martien dont je vous parlais. Quand j’ai réuni mon équipe de maquilleurs pour la première fois, ils ont été stupéfaits par ce rendu. Ils m’ont tous dit que c’étaient les plus beaux graphismes de tatouages qu’ils aient jamais vus.
Quelles techniques avez-vous utilisées pour recréer les mêmes motifs sur les mêmes acteurs jour après jour ? Avez-vous créé des moulages en plastique transparent thermoformé des différentes parties du corps de chaque acteur, puis foré des trous dans ces moulages pour vous en servir de caches, afin de vaporiser de la peinture rouge sur la peau ?
J’avais pensé à utiliser cette méthode au départ. J’ai fait des tests pour voir ce que cela pourrait donner, car à ce moment-là, nous jouions avec l’idée d’appliquer des tatouages comportant jusqu’à trois couleurs différentes. Nous avons fabriqué des moules thermoformés à partir de moulages du corps de notre modèle, avec des parties qui se recouvraient à leur jonction afin de pouvoir peindre en continu les lignes graphiques, d’un moule à l’autre. Le principal problème de cette technique, c’est qu’elle était beaucoup trop longue à utiliser. De plus, il suffisait que le modèle se place dans une position légèrement différente pour que les moulages en plastique ne se calent plus exactement comme le jour précédent. Du coup, on ne pouvait pas assurer une parfaite continuité des tatouages des bras et des jambes d’un jour à l’autre… Le dernier point qui m’a convaincu qu’il fallait renoncer à cette approche, c’était qu’un cache de ce genre ne permet pas d’obtenir un grand niveau de finesse des tatouages. Les traits n’étaient pas assez délicats pour correspondre au degré de qualité que j’avais en tête. Après avoir étudié toutes les méthodes possibles, j’ai décidé de faire imprimer les tatouages sur des supports que l’on transfère sur la peau, comme ces tatouages éphémères vendus dans certaines boutiques.
Comment avez-vous procédé ensuite ? Avez-vous fait fabriquer des centaines d’exemplaires de transferts pour chaque personnage tatoué, afin de pouvoir les renouveler régulièrement ?
Oui. Au total, nous avons fait fabriquer des centaines de milliers de transferts pour pouvoir maquiller tous les acteurs, des rôles principaux aux figurants.
Combien de personnes avez-vous réunies dans votre équipe pour appliquer les tatouages ?
C’était l’un des aspects les plus fascinants de ce projet. J’ai eu l’occasion de travailler sur la version de LA PLANETE DES SINGES réalisée par Tim Burton et sur LE GRINCH, de Ron Howard, deux productions pendant lesquelles il y avait tellement de prothèses en mousse de latex à appliquer que Rick Baker avait assemblé une véritable armée de maquilleurs. Paradoxalement, alors qu’on n’y songe pas en voyant les images des acteurs de JOHN CARTER, c’est pourtant au cours de ce film que nous avons formé la plus grosse équipe de maquillage que j’aie jamais vu au cours de ma carrière. Je sais que nous avons battu tous les records en ce qui concerne les tournages qui ont eu lieu à Londres, en tous cas ! Il y avait 180 maquilleurs mobilisés pendant le tournage de JOHN CARTER. Dans ce film, il n’y a qu’une seule personne qui ait un aspect normal : Taylor Kitsch, qui incarne John Carter. Tous les autres personnages sont soit créés en images de synthèse, soit maquillés de manière très spécifique. Il faut que je précise aussi que les acteurs et les figurants anglais ont tous une peau extrêmement blanche en raison du climat local très pluvieux. Certains d’entre eux étaient presque translucides ! (rires) Il fallait donc les bronzer au pistolet à peinture. Mais on ne peut utiliser cette méthode qu’une fois par jour, car le produit chimique qui provoque un bronzage artificiel de la peau a une action déterminée dans le temps. Cela ne servait à rien d’en rajouter quelques heures plus tard, car le bronzage ne se produisait pas plus vite. Le lendemain, le produit avait un peu perdu de son effet, et nous appliquions une nouvelle couche pour que les acteurs très pâles aient une peau cuivrée. Le 3ème jour, leur peau avait la couleur souhaitée, et nous pouvions appliquer les transferts des tatouages sur leurs corps. Le 4ème jour, nous appliquions les transferts faciaux, et le maquillage corporel et facial. Les tatouages pouvaient durer jusqu’à 5 jours par la suite, mais il fallait quand même 4 jours de préparation avant que les acteurs soient prêts à passer devant les caméras ! Mais ces effets de tatouages concernait des centaines et des centaines de personnes…Heureusement, nous nous sommes rendu compte bien avant le tournage qu’il serait impossible de maquiller des centaines d’acteurs ainsi, car il aurait fallu réunir au moins deux à trois fois plus de maquilleurs pour s’occuper d’eux. L’idée qui m’a permis de résoudre ce problème m’est venue un soir, alors que j’assistais à une représentation d’un des spectacles du Cirque du Soleil avec mon épouse. J’ai remarqué deux artistes qui portaient des tatouages exactement similaires sur tout le corps. J’ai trouvé cela remarquable et j’ai voulu en savoir plus. En examinant attentivement leurs photos dans la brochure du spectacle, j’ai remarqué qu’ils portaient des costumes taillés dans des étoffes translucides, et que les tatouages étaient simplement peints sur le tissu. Le résultat était remarquable, vraiment très convaincant. Il se trouve qu’un de mes amis qui s’appelle Christian Hensley possède une société qui fabrique des tatouages temporaires pour le cinéma. Il fabrique aussi des sortes de pulls en tissu transparent sur lesquels sont imprimés des motifs de tatouages. Les gens les portent pendant Halloween. J’ai donc proposé à Christian que nous collaborions sur JOHN CARTER, et nous avons mis au point une série de 12 modèles de costumes interchangeables, avec des motifs de tatouages imprimés sur de la soie très fine, qui a déjà la couleur d’une peau très bronzée. Les costumes sont conçus de telle manière que l’on ne peut pas en voir les coutures lorsqu’ils sont portés par les acteurs. C’était indispensable, car les tenues et les uniformes des « hommes rouges » ne couvrent jamais toutes les parties de leurs corps : leurs jambes et leurs bras, notamment, sont toujours visibles.
La suite de notre dossier bientôt sur ESI !