Avant-première : Entretien exclusif avec les réalisateurs de L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN - Seconde partie
Article Animation du Mardi 14 Aout 2012

[Retrouvez la première partie de cet entretien]




Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Avez-vous du utiliser de nombreux « trucs » en construisant les décors miniatures, afin que vous puissiez filmer dedans les scènes telles que vous les aviez visualisées dans vos esprits ?

Chris Butler : On pourrait dire que tout ce que nous faisons repose sur des « trucs ». Notre département artistique les a tous utilisés pour construire ce dont nous avions besoin. Personne ne sait construire un monde miniature pour l’animation image par image aussi bien que Nelson Lowry.

Sam Fell : Nelson préfère installer les décors dans le monde réel du studio et ne pas se reposer trop sur le virtuel et les effets numériques. Il a commencé par fabriquer des maquettes provisoires en carton plume afin que nous puissions installer nos caméras et visualiser les cadres que nous pouvions obtenir. Nous avons également eu recours à des prévisualisations en 3D schématique pour préparer les séquences avec les mouvements de caméra les plus dynamiques, comme celle de la poursuite.

Est-ce compliqué de cadrer une scène miniature en 3-D ? Quels sont les choix que vous deviez faire ? Qu’est-ce qui fonctionne dans un cadrage 3-D et qu’est-ce qui ne marche pas bien ?

Chris Butler : Je me rappelle que quand je travaillais sur CORALINE en tant que responsable de l’histoire, j’avais discuté avec des experts en relief de la manière dont la 3D est sensée changer les règles de tournage. Je me souviens avoir discrètement paniqué, tout en restant tranquillement assis sur mon siège, en pensant que tout ce que j’avais appris en termes de composition de plan et de montage allait devenir obsolète. Mais je me suis aussi souvenu que Henry Selick nous avait dit que ce qui comptait vraiment, c’était de faire le meilleur film possible, en 2D ou en 3-D, puis d’utiliser le relief pour le rendre encore plus spectaculaire. Bref, il ne fallait pas l’utiliser comme un gimmick, mais comme un outil de narration et d’immersion du public dans notre récit. Nous avons appliqué la même démarche en faisant ce film.

Sam Fell : Oui, le relief devait être au service de notre histoire, et surtout pas l’inverse. Nous avons écrit un script conçu pour le relief, avec des indications précises pour la 3-D, en collaboration avec notre directeur de la photo Tristan Oliver. Le monde ordinaire est décrit avec une 3D « raisonnable », et dès que les éléments surnaturels surgissent, nous poussons les effets relief beaucoup plus loin. Et pour être encore plus précis au niveau technique, nous voulions réaliser un film efficace, avec de belles compositions d’images, sans subir les contraintes que l’on rabâche à propos d’un tournage 3D, c’est à dire avec un montage plus lent pour permettre au regard de se focaliser sur un élément mis en valeur. Même en 2D, nous avions composé nos images sur une grande profondeur, avec des éléments à l’avant-plan, et l’action qui se déroulait à l’arrière plan. Etant donné que nous tournions en format large, nous voulions réaliser des compositions adaptées à toute la largeur de l’écran. Pour éviter de fatiguer les yeux des spectateurs, nous avons eu l’idée de fabriquer des accessoires surdimensionnés et de les placer au premier plan. Ainsi, ils pouvaient être physiquement assez près des marionnettes des personnages, sans que l’effet de relief ne soit trop fort. Pour préserver le dynamisme de nos mouvements de caméra et de notre montage – que nous avons conçu comme celui d’un film en prises de vues réelles - nous avons atténué le relief dans les moments les plus rapides, afin d’assurer le confort de vision du public. Et pour les effets de jaillissements extrêmes, nous avons recouru aux bons vieux trucs des films de zombie kitschs comme une main décharnée défonçant une porte. Rien de très subtil !

Est-ce que l’animation en elle-même est plus difficile à réaliser en 3-D ? Y a t’il des problèmes spécifiques à résoudre ?

Chris Butler : La 3-D présente plus de problèmes techniques, comme les risques d’aspect saccadé dans les mouvements rapides et un risque d’inconfort pendant les scènes au montage rapide, mais si vous faites bien votre travail, le relief obtenu est fantastiquement bon. Je crois que si l’on aime autant l’animation image par image, c’est parce que l’on peut voir le fruit du travail artisanal des sculpteurs, des maquettistes, des peintres et des animateurs sur l’écran. Vous pouvez distinguer chaque couture d’un costume cousu à la main, ou le moindre brin d’herbe qui aura été fabriqué et peint. Le relief vous permet d’apprécier encore plus tout cela.

Sam Fell : Je crois que l’animation image par image est un mode de création parfait pour le relief. C’est un monde tellement tactile que la 3-D le rend encore plus tangible. Cela vous donne littéralement l’impression que vous pouvez vous pencher en avant et toucher ce qui est montré.

Combien d’années en tout avez-vous travaillé sur ce film ?

Chris Butler : J’ai l’impression d’avoir toujours travaillé sur ce projet ! D’abord pour mon amusement personnel, et puis quand Travis m’a donné l’opportunité de le développer professionnellement au sein des studios Laika, mon rêve est devenu réalité.

Sam Fell : En ce qui me concerne, 3 ans, ce qui est rapide pour un film d’animation !

Vous souvenez-vous d’un jour de bonheur total et d’une journée particulièrement cauchemardesque pendant la création de ce film ?

Chris Butler : Le fait que ce petit projet personnel soit devenu un film a été la plus belle expérience de toute mon existence. Je n’aurais jamais cru que ce genre de choses pouvait arriver. C’est une de ces grandes étapes d’une vie qui me bouleversent. Et pourtant, le jour où Travis m’a annoncé que le projet avait le feu vert du studio, je suis resté assis en le regardant et j’ai simplement dit « OK » ! J’étais sous le choc… Travis était tellement surpris qu’il a répliqué « C’est ça ta réaction ?! » (rires) Il y a eu beaucoup d’autres moments heureux… Regarder les membres de notre équipe pendant la projection hebdomadaire des rushes, et les voir applaudir et rire en dépit du fait qu’ils avaient sué sang et eau, et travaillé sans compter leurs heures pour produire ces images…Voilà les instants dont je me souviendrais. Nous n’avons pas vécu de moments de cauchemar, même si certaines journées de travail sont plus dures que d’autres. Réaliser un film comme celui-ci peut être difficile et même épuisant. Mais nous aimons tellement ce travail que notre passion nous permet de traverser toutes ces épreuves.

Sam Fell : Oui, nous avons vécu beaucoup de moments très heureux. Le moment où nous avons finalisé la sculpture de Norman avec Kent Melton était mémorable : notre petit héros était prêt à affronter le monde ! Comme l’a dit Chris, nous n’avons pas vécu de vrais cauchemars. La création de la musique a été un peu mouvementée, car elle a eu lieu très tard dans le processus de réalisation du film, et ce n’était pas évident d’incorporer un élément si nouveau... Nous avons fait quelques séances de travail jusqu’au bout de la nuit avec le compositeur Jon Brion afin de déterminer les endroits où la musique devait se trouver. J’adore ce que nous avons obtenu au final : Jon est un garçon extraordinaire.

Chaque projet est une nouvelle aventure. Qu’avez-vous appris pendant la création de L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN ?

Sam Fell : Il me semble que chaque film vous apprend la même chose de différentes manières : assurez-vous que vous savez exactement quelle est l’histoire que vous voulez raconter et ce qu’elle signifie avant de faire quoi que ce soit. C’est ce que nous avons fait et tout s’est bien passé grâce à cela. Et techniquement, pour moi, j’ai adoré découvrir comment de nouvelles technologies sont en train de révolutionner l’animation image par image, une technique que j’utilisais déjà au siècle dernier ! (rires)

Avez-vous d’autres idées pour Norman en stock ? Pourrait-il y avoir une suite à ses aventures ?

Chris Butler : Oh oui, bien sûr que j’ai d’autres idées pour Norman. Mais tout dépend de la manière dont il va être accueilli par les spectateurs du monde entier…

Sam Fell : L’histoire présente un groupe de personnages très drôles, et comme nous n’avons pas encore eu l’opportunité de rencontrer tous les fantômes qui sont amis avec Norman, ni d’explorer leurs mondes, je suis sûr qu’il y a assez de matière pour imaginer un autre film…

Quels sont vos prochains projets et que pouvez-vous nous dire à leur propos ?

Chris Butler : Nous sommes à peine en train de finir la postproduction de L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN, et cela ne nous a guère laissé le temps de penser à ce que nous allons faire après. La première chose à laquelle je rêve, ce sont des vacances !

Sam Fell : Je projette de passer du temps avec ma famille et de rester le plus longtemps possible en contact avec la vraie lumière du jour ! Après, nous verrons…

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