Dans les coulisses de JOHN CARTER : Entretien exclusif avec Peter Chiang, superviseur des effets visuels au sein de Double Negative
Article Cinéma du Mardi 21 Aout 2012

A l’occasion de la sortie de JOHN CARTER en DVD & Blu-Ray, ESI vous propose la suite de notre dossier sur cette épatante adaptation d’un des classiques de la littérature de Science-Fiction.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment Andrew Stanton vous a t’il décrit le style qu’il souhaitait donner aux effets visuels de John Carter ?

Andrew a commencé à travailler sur le film six mois avant que je ne commence à y collaborer en mai 2009. Il a fait réaliser beaucoup d’illustrations préparatoires par différents artistes, le principal étant Ryan Church. Il a également fait appel à Legacy Effects pour mettre au point le design des créatures. Les illustrations conceptuelles ont bien sûr été adaptées par la suite, afin que nous puissions les recréer au moyen de notre processus de fabrication des images de synthèse. Nous avons réalisé de nombreux tests que nous avons soumis à Andrew pour arriver à déterminer étape par étape l’aspect final des effets visuels. Il y a donc eu une phase de développement des effets visuels chez nous, mais plus courte que les six mois de préparation déjà accomplis par Andrew et son équipe.

Comment décririez-vous son approche des trucages ?

Andrew voulait atteindre un réalisme parfait, comme si on avait pris en photo de vrais évènements se déroulant sur Mars. Il avait vu le travail que nous avions accompli sur d’autres films, et aimait beaucoup l’idée de mettre en scène et de tourner l’essentiel de la scène en prises de vues réelles, puis de nous confier ces images afin que nous ajoutions les éléments en 3D. Nos interventions se calquent toujours sur les scènes telles qu’Andrew les a filmées. Et comme il y a souvent une majorité d’éléments réels dans l’image, il fallait que les personnages, les accessoires, les décors et les véhicules réalisés en synthèse aient un aspect hyperréaliste impossible à distinguer du reste. Andrew n’aurait pas accepté des éléments 3D qui n’auraient pas été totalement convaincants. L’éclairage, les couleurs, les ombres et les rendus des textures de nos effets 3D étaient tous réalisés à partir de références prélevées dans les images réelles.

Quelles sont les principales séquences d’effets visuels dont vous aviez la charge au sein de Double Negative ?

Double Negative s’est chargé de la création de tous les Tharks. Il y a une petite séquence avec des créatures dont s’est occupé Moving Picture Company, sous la supervision d’Adam Valdez, et les différents environnements du film ont été réalisés par Cinesite, sous la supervision de Sue Rowe.

Pouvez-vous expliquer comment vous avez créé ces séquences avec les Tharks, étape par étape ?

Volontiers. Nous avons préparé l’animation en créant des séquences de prévisualisation basées sur le travail de « Previz » déjà accompli par Andrew. Nous avons pu nous procurer les fichiers de ses prévisualisations, qui avaient été créés avec Maya. A partir de cela, nous avons commencé à organiser notre manière de travailler sur le projet. La première étape à consisté à créer un modèle simplifié de Thark, avec tous les contrôles permettant de l’animer, afin que les animateurs puissent s’en servir. En procédant ainsi, nous avons pu caler d’emblée nos animations sur les prévisualisations d’Andrew. Les prises de vues réelles ont bien sûr été filmées en fonction des previz, et pendant le tournage, nous avons enregistré toutes les données relatives aux mouvements et aux expressions des acteurs qui jouaient les Tharks. Ces données brutes de mouvements ont été transposées sur les modèles 3D des personnages, et remis au animateurs, qui ont entamé leur travail. Parallèlement à tout cela, nous développions notre « pipeline » (processus d’organisation des étapes successives de création 3D, NDLR.) de rendu de ces personnages, en vue de les représenter en très haute résolution. Une fois que l’animation globale était approuvée par Andrew, nous avons préparé toutes nos « animations secondaires » autour des créatures, c’est à dire les effets organiques des Tharks – la brillance des yeux, la salive dans la bouche, le rendu des dents, les textures de peau, etc. – mais aussi l’animation de leurs expressions faciales, et les mouvements de leurs vêtements et accessoires. Le compositing a été réalisé avec Nuke tandis que le rendu a été obtenu avec Renderman. Nous avons tenu à construire une « pipeline » simplissime. Pendant le tournage, nous avons fait des captures faciales très poussées de chacun des acteurs qui jouaient les 4 principaux Tharks : Willem Dafoe, Samatha Morton, Thomas Hayden Church, et Polly Walker. A partir de cela, nous avons développé un système de transposition automatique de leurs expressions sur les visages 3D des personnages. Ces animations brutes étaient générées automatiquement, avec un rendu, mais elles étaient systématiquement revues par des animateurs et corrigées en animation avec des poses-clé, parce que les demandes d’Andrew en matière d’expression des visages des Tharks dépassaient ce que les acteurs étaient en mesure d’accomplir sur le plateau, avec leurs équipements.

Andrew Stanton vous a systématiquement demandé d’accentuer les expressions faciales des Tharks ?

Oui, car les mouvements d’expression d’un visage humain sont très difficiles à transposer sur un visage de Thark, d’abord parce que ses narines se trouvent au sommet de sa tête. Quand vous voyez la performance originale de Willem Dafoe, vous vous rendez compte tout de suite que vous perdez énormément d’informations si vous n’utilisez pas les mouvements des plis nasogéniens. Il fallait donc transposer sur l’anatomie Thark ce que Willem faisait sur le plateau.

Pouvez-vous nous parler des interactions entre les personnages 3D et les humains, ainsi que des effets qui permettent d’intégrer les Tharks dans les décors réels ?

Le premier obstacle qu’il fallait surmonter, c’est bien sûr la taille d’un être humain, bien inférieure à celle d’un Thark, qui varie entre 2,30m et 2,60m. Il fallait que Taylor regarde à la bonne hauteur les yeux des acteurs jouant les Tharks. Vous savez sans doute que les comédiens ont porté des échasses qui leur permettaient de se déplacer librement. Mais dans d’autres cas, ils se tenaient sur des boîtes ou sur des rampes surélevées, installées sur des surfaces trop accidentées pour qu’ils parviennent à marcher dessus avec les échasses. A partir de là, il a fallu que nous déterminions à quels endroits de l’espace tridimensionnel de l’image les Tharks allaient se trouver, puis nous les avons animés en fonction de la scène qui avait été filmée sur le plateau. Bien sûr, tout cela ne permet d’obtenir que la version brute du plan, car tous les effets d’intégration dont vous parliez sont ajoutés dans un second temps, après que nous ayons bien analysé l’image composite et la base du décor réel. Mais je dois dire que les mouvements des acteurs jouant les Tharks, pour de simples raisons de morphologie, ne pouvaient pas correspondre à l’animation qu’Andrew avait prévu. Les empreintes des pas des personnages, par exemple, dépendaient des longues enjambées des Tharks animés en 3D et non pas des véritables enjambées des acteurs équipés de leurs échasses.

Comment les empreintes de pas et les petits cailloux qui sont déplacés par les pieds des personnages 3D sont-ils réalisés ?

Les cailloux 3D sont des objets assez simples animés avec des systèmes de collision, tandis que les empreintes sont obtenues par des rajouts de matière 3D sur les images réelles du sol, en fonction de l’animation des pieds des Tharks.

Revenons aux vêtements et aux accessoires des Tharks : avez-vous utilisé des logiciels dédiés pour générer automatiquement les animations de ces éléments-là d’après les mouvements des personnages ?

Absolument. Nous avons traité ces simulations grâce au logiciel Houdini. Il y avait beaucoup d’effets subtils de ce genre à gérer sur les Tharks, comme les plis des vêtements et les animations des parties pendantes des pagnes. Naturellement, tout cela a été réalisé après qu’Andrew ait approuvé les animations définitives des personnages, car dans un premier temps, nous nous sommes focalisés sur l’animation principale.

Avez-vous collaboré avec Legacy Effects sur tous les petits détails des Tharks, comme la brillance des yeux, le rendu des défenses et les textures de peau ?

Legacy nous a donné d’excellentes représentations des personnages réalisées sur Photoshop, ainsi que des modélisations 3D créées avec ZBrush, et peintes afin que l’on puisse voir les personnages sous toutes les coutures. Mais l’aspect des personnages a évolué par la suite. Ainsi, les yeux des Tharks conçus par Legacy avaient des sclères (communément appelées « Blanc de l’œil », NDLR.) sombres qu’Andrew aimait beaucoup, et des pupilles beaucoup plus noires. Mais une fois que le tournage a commencé, Andrew s’est rendu compte qu’il fallait revenir à des yeux plus humains pour rendre justice à la performance de Willem Dafoe. C’était le seul moyen de faire passer toutes les émotions du jeu de ce grand acteur. Nous avons donc modifié le design de yeux, et inclus des sclères blanches, des iris et des pupilles. A la suite de cela, nous avons écrit de nouveaux logiciels et conçu une nouvelle « pipeline » dédiée uniquement au rendu des yeux, afin de leur donner l’aspect humide, les textures, les reflets et les transparences de vrais yeux.

Comment avez-vous fait bondir Taylor Kitsch si haut ?

Nous avons du employer une doublure numérique de Taylor, car il y a des limites physiques à ce que l’on peut faire en matière de cascades. Taylor était suspendu par des câbles et tiré en l’air pendant qu’il faisait mine de bondir, mais on ne pouvait pas le soulever au-delà d’un certain point. C’est à ce moment-là de sa trajectoire pendant le bond que nous remplaçons Taylor par un clone 3D, jusqu’au moment où nous raccordons avec son arrivée et sa réception au sol. Taylor a fait lui-même la majorité des cascades. Il a été absolument fantastique pendant le tournage. Il a dépensé une énergie folle, et a fait preuve de beaucoup de force et de résistance physique. Il a consacré beaucoup de temps à s’entraîner afin d’être dans une forme physique éblouissante, et il a réussi à faire ce que certains cascadeurs professionnels n’auraient pas pu accomplir. J’ajoute qu’il a été aussi extrêmement brillant dans sa manière de jouer les scènes dans des décors vides, après que la première prise ait été tournée avec Willem et les acteurs jouant les Tharks. Taylor réussissait presque à chaque fois à se souvenir exactement où chaque acteur se tenait, et à quelle hauteur se trouvait son regard. Willem Dafoe l’aidait en disant son texte hors champ, mais Taylor accomplissait un véritable exploit en rejouant de la même manière, en faisant exactement les mêmes gestes, et en simulant les moments où on le poussait ou le tirait. C’était fantastique de le voir faire, alors qu’il n’y avait strictement personne autour de lui.

Comment avez-vous procédé pour créer des « prothèses architecturales » sur les pics et les formations rocheuses du désert de l’Utah ?

Andrew souhaitait que ce soient les véritables formations rocheuses qui nous dictent où les ajouts architecturaux allaient être placés. Les endroits où nous avons tourné ont été choisis avec grand soin par Andrew et par le chef décorateur Nathan Crawley, plutôt que de choisir un espace bien dégagé qui nous aurait permis d’ajouter aisément tout ce que nous voulions dans le paysage. Andrew voulait qu’il y ait un minimum d’ajouts 3D dans de nombreuses scènes, afin préserver l’aspect réel de cet environnement.

Quels sont les « trucs » que vous utilisez pour intégrer les architectures 3D dans les paysages lointains ? Employez-vous de la diffusion atmosphérique, des nuages de poussière, des distorsions optiques pour évoquer la chaleur ?

Ce qui est le plus important, dans ce cas-là, c’est de bien équilibrer tous les effets volumétriques, comme la simulation de l’atmosphère, les contrastes et le rendu des couleurs, afin de correspondre exactement à la réalité. Nous avons pris des centaines de photos haute définition à 360° afin de pouvoir reconstituer une sphère complète du point de vue de la caméra. Cette technique appelée « High Dynamic Range Imagery » nous permet ensuite de savoir exactement quelles étaient les positions, les couleurs et les intensités des différentes sources d’éclairage. Cela nous permet ensuite de les reconstituer exactement en 3D et de les appliquer aux éléments que nous greffons dans l’image réelle. Du coup, ils ont le même contraste, les mêmes éclairages, les mêmes ombres que le vrai paysage. Par précaution, nous faisions toujours plusieurs séries de prises de vues avec des conditions d’éclairage naturel différentes : plein soleil, ciel nuageux, fin d’après-midi, début de soirée, etc. De cette manière, quel que soit le moment de la journée où nous tournions un plan, nous disposions des bonnes informations pour pouvoir en reconstituer l’ambiance lumineuse.

La suite de notre dossier bientôt sur ESI !

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