Entretien exclusif avec les réalisateurs de L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN, le meilleur film d’animation de 2012 - Quatrième partie
Article Animation du Mardi 04 Septembre 2012

[Retrouvez la précédente partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Nous avons été sidérés par l’animation des personnages, et tout particulièrement par leurs expressions faciales, qui sont étonnantes. Vous venez de faire pour l’animation image par image ce que Pixar avait fait pour l’animation 3D : vous avez établi un nouveau standard de qualité. Pouvez-vous nous parler de votre travail sur cela, sur les expressions des personnages ?

Sam Fell : Je crois que nous arrivons à l’aube d’une nouvelle ère de l’animation image par image de marionnettes. Nous arrivons à combiner de nouvelles technologies à une forme d’art très ancienne afin de raconter mieux encore notre histoire.

Chris Butler : Oui, c’est un nouvel âge technologique. Grâce à la stéréolithographie, nous pouvons modéliser en 3D puis fabriquer en résine des milliers et des milliers de visages. Toutes les phases d’animation des bouches , et toutes les expressions possibles sont modélisées en amont, et l’animateur remplace un visage par un autre pendant qu’il anime la marionnette. Mais il n’y a pas que cet aspect technique qui compte : nous avons également utilisé une approche complètement différente du style de jeu des marionnettes. Le patron du studio, Travis Knight, nous a encouragé à aller au-delà de ce que l’on présente dans les films d’animation, et à faire jouer nos personnages d’une manière plus naturelle, moins stylisée et stéréotypée que ce que l’on voit habituellement.

Sam Fell : Tout comme nous avions accordé une grande attention aux détails des décors, nous avons voulu donner le plus véracité possible à la gestuelle de nos personnages.

Chris Butler : Je peux vous dire qu’en annonçant cela, nous avons terrifié les animateurs de classe internationale qui étaient venus travailler sur le film ! (rires) Mais en fin de compte, ils ont tous relevé le défi et nous avons obtenu des performances absolument fantastiques.

Le procédé de stéréolithographie ou « d’imprimante 3D » est désormais connu, mais pouvez-vous nous expliquer comment le processus de colorisation de la résine fonctionne ? Le résultat sur les visages des personnages est incroyablement subtil…

Sam Fell : En fait, les couleurs sont directement injectées dans la résine, un peu comme dans une imprimante papier, d’après les designs et les modélisations 3D qui ont été réalisées par des artistes infographistes et des peintres, sur Photoshop. Le système nous permet de voir des simulations de ce que donnera le tirage en résine, et de faire ainsi des petites modifications avant de lancer la machine. Le design coloré que nous souhaitons est appliqué dans la résine liquide au moment de la fabrication, et après que la résine ait catalysé, couche après couche, on obtient un visage en résine mate, légèrement translucide, comme de la vraie peau.

Est-ce que cela signifie qu’il y a différentes teintes de résine liquide qui sont mélangées pour obtenir les couleurs souhaitées, comme les encres d’une imprimante ?

Sam Fell : Oui, vous avez du rouge, du bleu, du jaune, du noir et du vert qui sont appliqués précisément là où il le faut pendant la catalyse de la résine. Ce qui rend ces progrès particulièrement excitants pour nous, c’est que nous commençons toujours les recherches de designs en passant par des dessins et des statuettes. Cette partie-là est toujours réalisée de manière traditionnelle. Ensuite, nous obtenons une statuette peinte que nous observons sous toutes les coutures pour voir ce que nous souhaitons modifier, puis on en arrive au modèle 3D de ce design, qui est peint sur ordinateur. Puis les visages sont fabriqués et colorés en stéréolithographie. Le rendu de ces visages en résine translucide est vraiment unique. Il est difficile de dire exactement pourquoi il a cet aspect si particulier à l’image, mais cela tient à sa texture mate, à sa transparence et à la manière dont la lumière joue dessus et en profondeur.

Oui, c’est la transparence que l’on remarque en premier, car on est habitué à voir des visages de marionnettes opaques, dans des films comme L’ETRANGE NOËL DE MR JACK ou LES NOCES FUNEBRES…

Chris Butler : Oui, on sent tout de suite que l’on a encore jamais vu cela dans un film d’animation.

Sam Fell : C’était un risque pour nous, car nous n’avions encore jamais réalisé un film en poussant cette technologie de résine colorée aussi loin. Nous avons dû faire des tests au départ, et comme à chaque fois que l’on utilise une technique qui débute, on travaille avec des machines prototypes qui ont des problèmes. D’ailleurs, nous n’avons pas eu le temps d’éliminer à 100% les défauts du système : il a fallu que nous nous lancions dans la production du film comme cela, en trouvant des solutions tout en avançant.

Chris Butler : Et contre toute attente, ça a marché ! Je me souviens que sur CORALINE, les visages des personnages étaient peints à la main, ce qui rendait très difficile l’ajout de détails minuscules comme des tâches de rousseur. Du coup, pour limiter les difficultés, ces visages en résine étaient modélisés avec de toutes petites bosses aux endroits où devaient se trouver les tâches de rousseur, afin d’aider les artistes à déposer la peinture juste là, exactement aux mêmes endroits, de visage en visage. Comme c’était très délicat, Coraline n’avait que 5 tâches de rousseur sur chaque joue, et encore parce que le réalisateur Henry Selick avait énormément insisté ! Dans L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN, le personnage de Neil, le copain de notre héros, a des milliers de tâches de rousseur sur le visage ! Et en plus, elles ont chacune des couleurs et des tailles différentes !

Sam Fell : Nous avons aussi « imprimé » des visages avec des veines apparentes…

Chris Butler : …et nous avons même la possibilité d’animer la couleur en la modifiant progressivement de visage en visage. Il y a des moments dans le film où les personnages rougissent, et cela a été réalisé en direct, pendant le tournage, en changeant les tirages des faces en résine.

On est touché par le fait que Norman, contrairement à bien d’autres personnages de films d’animation, ne vit ni dans une famille parfaite, ni au sein d’un quartier favorisé. Vous avez choisi délibérément de dépeindre des héros humbles, qui mènent des vies modestes. Est-ce ce type de personnages que vous préférez, au cinéma comme dans la vraie vie ?

Chris Butler : Oui.

Sam Fell : Oui, absolument. Ce sont des personnages plus vrais, plus sincères.

Chris Butler : Il y a une vérité dans le quotidien des gens des classes moyennes ou défavorisées qui touche les gens, parce qu’ils se rendent compte que l’on n’a pas essayé de peindre la réalité en rose bombon. Dès le départ, j’ai tenu à ce que l’on sente bien qu’il ne s’agissait pas d’un monde parfait. C’est une partie importante de l’histoire. Norman est considéré comme « différent » par beaucoup de gens de son entourage, et la morale de cette aventure, c’est qu’il se rend compte qu’il y a beaucoup de gens bien dans le monde. Mais il y a aussi des gens méchants, qui ne changeront jamais. Je ne voulais surtout pas que Norman soit porté en triomphe par les habitants de sa ville et acclamé par la foule à la fin du film, car on serait tombé dans un cliché qui n’arrive jamais dans la vraie vie. Notre histoire est amusante, divertissante, elle fait aussi un peu peur, parfois, mais je crois que les spectateurs se rendront compte qu’elle se passe dans un univers tangible, proche de notre réalité.

Sam Fell :
Et à la fin, il y a des personnages qui malgré leur bravoure, n’arrivent toujours pas à convaincre des filles de sortir avec eux ! (rires) C’est un gag que j’aime beaucoup.

Quelles ont été les séquences les plus difficiles à réaliser et pourquoi ? Et quelles solutions avez-vous trouvées pour les filmer ?

Sam Fell : Plusieurs ont été difficiles à filmer en raison de la complexité des actions que nous voulions montrer : des poursuites avec de nombreux personnages, des explosions, etc. Il y avait tellement de choses qui se passaient en même temps que nous avons dû tourner ces scènes-là « couche par couche », en séparant différents groupes de personnages, et différents effets. C’est cela qui rendait ces plans difficiles à tourner : ils se transformaient en plans d’effets visuels extrêmement complexes, composés de dizaines et de dizaines d’éléments.

Chris Butler : Ce qui peut être déroutant, c’est qu’un plan qui paraît relativement simple quand vous le dessinez sur une feuille de storyboard peut s’avérer bien plus difficile à filmer que prévu. Je peux vous donner l’exemple des très gros plans des personnages : ils ont nécessité la fabrication de répliques à plus grande échelle des personnages, car les marionnettes de base étaient trop petites pour permettre ce degré d’agrandissement à l’image.

Sam Fell : Et dans ces gros plans, le plus difficile au niveau de l’animation est de s’assurer qu’un personnage est juste assez expressif, mais pas trop. Nous ne voulions pas voir des gens constamment en train de grimacer, bourrés de tics faciaux ou d’expressions standardisées. Il y avait des moments où nous avions simplement envie de voir les sourcils d’un personnage se relever de quelques fractions de millimètre. Et cela était justement l’une des choses les plus dures que nous pouvions demander aux animateurs.

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.