Quand le président Lincoln montre les dents: Entretien avec Craig Lyn, superviseur des effets visuels d’ABRAHAM LINCOLN, CHASSEUR DE VAMPIRES
Article Cinéma du Jeudi 06 Septembre 2012

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quelles indications Timur Bekmambetov vous a t’il données à propos de l’aspect des effets visuels ?

Timur a un style de mise en scène très particulier, et il conçoit toujours ses films en pensant d’abord aux images qui lui viennent en tête. L’une de ses caractéristiques, comme j’ai pu le remarquer au cours des premières discussions que nous avons eues, c’est qu’il aime s’appuyer le plus possible sur les prises de vues réelles. Il m’a dit d’emblée qu’il souhaitait ajouter un minimum d’effets 2D et de 3D. Nous avons donc mis en place énormément d’effets en direct pendant le tournage. Ensuite, pendant la postproduction, les effets numériques ont tout de même servi à amplifier les éléments surnaturels. Les choses ont donc évolué pendant la production du film. Mais ce qui n’a pas changé en cours de route, ce sont les effets favoris de Timur, notamment les ralentis pendant les scènes de combat. Sachant cela, nous avons déployé beaucoup d’efforts pour nous assurer que nous pourrions filmer un maximum de choses en direct, afin de disposer des meilleurs éléments possibles avant d’entamer nos manipulations de ces images. Il a été décidé que les scènes de ralenti seraient tournées simultanément par trois caméras à grande vitesse, ce qui est toujours une situation difficile, car il faut éviter que les caméras se filment l’une l’autre quand elles se déplacent en suivant l’action. Pour avoir les meilleurs ralentis possibles, nous avons filmé avec une caméra numérique Phantom, qui peut prendre jusqu’à 1000 images haute définition par seconde, avec une Arriflex 4, qui est une caméra 35mm, qui tournait à 96 images par seconde, et avec une Arri Alexa, une seconde caméra numérique qui pouvait filmer jusqu’à 47 images par seconde. Mais nous allions rarement jusqu’à cette vitesse avec l’Arri Alexa, parce que nous avions remarqué que nous pouvions avoir alors des problèmes qui nuisaient à la qualité de l’image. Voilà l’équipement qui était dédié au tournage des scènes d’action qui allaient être amplifiées ensuite par les effets visuels. En dehors de cela, Timur avait une idée très précise de la palette de couleurs qu’il souhaiti employer. Il voulait donner au film un aspect évoquant les photographies anciennes. Ses références étaient les daguerréotypes, ces vues réalisées avec le procédé mis au point par votre compatriote Louis Daguerre, en 1835. Cette invention consistait à disposer une plaque de cuivre recouvert d’une couche d’argent dans une chambre noire, en face d’un objectif, tout en l’exposant à des vapeurs d’iode, qui en se combinant à l’argent, produisaient de l’iodure d’argent sensible à la lumière. Après une exposition d’environ 20 à 30 minutes – qui obligeait les modèles à se tenir parfaitement immobiles pendant tout ce temps - on obtenait une image encore invisible, mais qui se révélait après avoir été mise en contact avec de la vapeur de mercure. On obtenait ainsi un positif unique sur plaque, qui ne pouvait pas être dupliqué, mais qui ne s’altérait pas avec le temps s’il était conservé dans de bonnes conditions. C’est la raison pour laquelle les clichés de Lincoln qui ont été réalisés ainsi sont encore intacts aujourd’hui. Ces daguerréotypes ont des caractéristiques de luminosité et de contraste très particulières, et c’est cet aspect que Timur voulait évoquer. Voilà la thématique globale qu’il m’avait indiquée au début de notre travail, en insistant bien pour que les effets visuels ne soient jamais des éléments qui ressortent trop des parties réelles de l’image. Il voulait « ancrer » les trucages numériques dans la réalité.

Avez-vous « auditionné » les différents studios avant de leur attribuer les effets d’ABRAHAM LINCOLN, CHASSEUR DE VAMPIRES ? Si tel est le cas que fallait-il qu’ils fassent pour « remporter le marché » ?

Chaque studio a ses points forts, qui découlent de ses expériences précédentes. Je vais vous en donner un exemple : Weta a réalisé pour nous l’une des séquences les plus complexes du film, celle de la « stampede » avec une immense horde de chevaux affolés lancés au galop. (Aux Etats-Unis, on appelle ces déferlements d’animaux affolés – qu’il s’agisse de chevaux, de bisons ou de tout autre quadrupède - des « stampede », terme qui n’a pas de véritable équivalent en français. NDLR) Quand on examine la description de cette séquence, on se rend vite compte qu’il n’y a que deux studios dans le monde qui sont en mesure de la réaliser : I.L.M. et Weta. Il s’agissait de créer un décor numérique de toutes pièces, en l’occurrence une plaine immense, la horde de chevaux hyperréalistes au galop, et des doublures numériques des acteurs sautant de cheval en cheval. Rien que ça ! (rires) Comme vous vous en doutez, c’était extraordinairement difficile à réaliser. Nous voulions trouver un studio qui avait envie de s’impliquer dans ce défi à relever. Heureusement, nous avons bénéficié du fait que cette scène ait été préparée longtemps à l’avance en prévisualisation 3D, ce qui nous a permis de tourner les éléments en prises de vues réelles en nous calant sur cette préviz. En disposant de cela, nous pouvions négocier plus facilement avec le studio, en lui disant « Voici ce que nous avons prévu, et nous n’avons pas l’intention de réduire l’ampleur de cette séquence. » Cela nous a permis de poser nos exigences, ce qui était un avantage non négligeable. Pour reprendre les termes de votre question, nous avons procédé non pas en organisant des auditions, mais en cherchant des partenaires.

Cela signifie t’il que Weta n’a réalisé qu’une seule séquence ?

Effectivement, mais il s’agissait d’une séquence extrêmement compliquée.

Qui a réalisé l’autre morceau de bravoure du film, la séquence du train ?

Il s’agit du studio Method situé à Vancouver. Là aussi, nous avons cherché un partenaire prêt à s’investir totalement dans le projet. La réalité de notre métier, c’est que l’on attend non seulement que nous livrions une séquence de train extrêmement spectaculaire, mais en plus, il faut que nous parvenions à la créer dans les limites d’un budget raisonnable. Il a fallu pas mal d’allers et de retours entre nous et les studios qui étaient consultés pour cette séquence du train avant que nous ne choisissions Method. Ce qui a déterminé notre choix, c’est l’attitude de ses dirigeants et de ses équipes de création, qui avaient prévu le bon calendrier de développement des effets de simulation de flammes, de modélisation et d’animation.

En quoi ces effets de flammes 3D demandaient-ils des recherches particulières ?

Eh bien il se trouve que même si ces effets ont progressé ces dernières années, il y a très peu de studios qui arrivent à produire des flammes numériques parfaitement réalistes. Method ne disposait pas encore d’un « pipeline » de création d’effets de flammes, mais nous avons entamé nos discussions assez tôt pour qu’ils aient le temps d’en préparer un. Grâce à cette démarche, nous avons pu obtenir une séquence formidable pour notre film, et ils disposent maintenant d’un nouveau pipeline de simulation des flammes et de nouveau plans formidables à inclure dans leur bande démo. C’est ainsi que nous avons procédé pour créer cette séquence du train. Pour le reste des plans plus simples, nous avons attendu d’être en postproduction et d’avoir avancé dans le montage du film pour contacter d’autres studios avec lesquels nous avions bien travaillé dans le passé. Après discussion, nous avons réparti le reste des plans entre eux.

Avez-vous créé des doublures numériques de tous les personnages principaux ? Comment avez-vous procédé ?

Créer des doublures numériques est toujours un travail plein d’embûches. Cela requiert beaucoup de travail préliminaire pour déterminer précisément quand et comment vous allez les utiliser. Pour la séquence de « stampede », nous savions dès le départ que nous allions en avoir besoin. Ces actions étaient prévues d’une telle manière que si nous avions tenté de les réaliser même partiellement en vrai, dans des décors naturels, avec de vrais chevaux, cela aurait demandé un déploiement colossal de moyens techniques, sans que nous ayons la moindre assurance d’obtenir les plans dont nous avions besoin à la fin de chaque journée de travail. Nous avons donc décidé dès le départ de recourir à des doublures numériques à plusieurs moments dans le film, mais Timur avait tellement de mal à abandonner l’idée de tourner les choses avec les acteurs que ces clones 3D n’ont finalement été utilisés que dans la scène de « stampede ».

Vous n’en utilisez aucun dans la scène de combat sur le train ?

Je retire ce que j’ai dit : effectivement, dans quelques plans très larges du train, nous avons bien utilisé des clones courant sur les toits des wagons, et sautant de l’un à autre. Mais tous les autres plans ont été réalisés en filmant les acteurs sur un fond vert.

Pouvez-vous évoquer plus en détail les difficultés relatives à la création de ces deux scènes d’action principales ? Commençons par la cavalcade… Comment avez-vous travaillé avec Weta sur l’animation de centaines de chevaux numériques ?

L’un des grands avantage dont on dispose quant on travaille avec Weta, c’est que l’on sait qu’ils ont animé des chevaux 3D auparavant !

Oui, dans la trilogie du SEIGNEUR DES ANNEAUX, et tout particulièrement dans LE RETOUR DU ROI…

Exact. Weta ne rechigne jamais à utiliser les techniques de capture de mouvements. Ils disposent d’une énorme « bibliothèque » d’enregistrements de mouvements de toutes sortes, captés aussi bien sur des humains que sur des animaux. Ils ont aussi plusieurs plateaux de Mocap à disposition pour réaliser de nouveaux enregistrements. Tout cela est parfait pour disposer d’animations pour les personnages qui apparaissent au second ou à l’arrière-plan, en l’occurrence les chevaux de la horde qui galopent autour des deux combattants. En revanche, il fallait procéder différemment avec les personnages principaux, parce que la séquence est présentée de manière viscérale, presque en point de vue subjectif. Timur voulait que l’on ait l’impression de se retrouver au cœur de l’action, juste à côté de Lincoln et de Barks, son ennemi. On est projeté au milieu de ces chevaux qui courent au grand galop, en soulevant des nuages de poussière, pendant que la caméra bouge en suivant les évolutions des personnages. Ce qui est très pratique pour nous, c’est que la poussière nous aide à rendre plus discrets les animations cycliques des chevaux « figurants » qui se trouvent au fond de l’image. On ne les voit pas tout le temps, et par conséquent, le regard du spectateur se focalise sur l’action qui se déroule au premier plan. Du coup, Weta pouvait se concentrer presque uniquement sur la création de cette première partie de l’image, tandis que la seconde partie pouvait être générée automatiquement par le logiciel « Massive », qui distribue des cycles d’animation à des centaines de personnages, en gérant des interactions logiques. Chaque cheval de la horde disposait ainsi d’une intelligence artificielle qui lui permettait de réagir aux mouvements des autres chevaux en train de courir. Cela nous a permis de nous focaliser sur l’animation des chevaux principaux et des doublures numériques. Il y a donc d’un côté des cycles d’animation et de l’autre des animations réalisées spécifiquement pour le combat entre Lincoln et le vampire qui tente de le tuer.

Est-ce que Weta a fait appel à des chevaux « comédiens », bien dressés, pour enregistrer des mouvements spécifiques pour ces actions vues au premier plan ?

Vous savez, Weta dispose déjà de tellement de références de mouvements de chevaux que l’on peut largement puiser dedans toutes les phases d’animation dont on a besoin. Il suffit de bien leur expliquer ce qui se passe dans chaque plan, puis on choisit ce qui conviendrait le mieux dans leur bibliothèque d’enregistrement en Mocap. Pour cette séquence, nous sommes allés chercher des mouvements de chevaux faisant une course de Steeple chase, c’est à dire sautant par-dessus des obstacles. Quand on s’est bien mis d’accord sur toutes les phases de l’action, il ne leur restait plus qu’à combiner les éléments de Mocap qu’ils avaient déjà en stock avec de la rotoscopie d’images d’archives nouvelles.

Mais à votre connaissance, est-ce que Weta a réalisé de nouvelles sessions de Mocap pour cette scène de stampede ?

Oui, mais je crois que cela a été relativement limité.

Diriez-vous que c’est cette scène qui est la plus complexe du film ?

Sans aucune doute ! Elle l’était tellement qu’il a fallu la tourner en deux fois. Tout ce qui se passe sur le sol, quand Barks et Lincoln sont en train de se bagarrer par terre, ou quand Lincoln se tient debout, et voit les chevaux passer autour de lui, tout cela a été tourné en décors extérieurs. C’était d’ailleurs assez drôle de voir notre acteur assis au milieu de cette plaine déserte, faisant semblant d’éviter de justesse des centaines de chevaux qui n’étaient pas là ! Nous lui donnions des indications en visionnant la previz de la scène, afin de lui permettre de réagir exactement quand il était sensé être frôlé par des chevaux. Nous lui crions «  A droite ! A gauche ! Devant ! » et Ben Walker faisait mine d’esquiver ces chevaux qui allaient être ajoutés plus tard dans l’image. Comme la previz était très détaillée, nous pouvions tourner exactement ce dont nous avions besoin, plan par plan, car le montage était prédéterminé. Dans l’autre partie de cette scène, on voit Lincoln et Barks se battre, assis sur les chevaux, et passer d’un cheval à l’autre. Tous les plans où l’on voit les acteurs sauter d’un animal à l’autre, essayer de se pourfendre, ou échanger des coups ont été tournés avec des gimbals, c’est à dire des supports animés, dont les mouvements sont contrôlés par ordinateur. Ces deux gimbals verts en forme de chevaux, disposés devant un fond vert, étaient également fixés sur des dollies (des supports de caméras à roulettes, NDLR), ce qui nous permettait de les déplacer d’arrière en avant, puis de revenir au point de départ. Ces gimbals étaient préprogrammés pour bouger en suivant les cycles d’animation d’un cheval au galop. Ces mouvements correspondaient donc exactement à ceux des chevaux 3D réalisés par Weta, ce qui nous a permis de caler les montures virtuelles avec une grande précision sous les acteurs. Pendant tout ce tournage avec les gimbals, nous avons été en mesure de tourner 95% des plans de combat avec les vrais acteurs, qui étaient suspendus à des câbles pour assurer leur sécurité en cas de chute. Les actions restantes étaient celles que nous savions que nous nous pourrions pas filmer ainsi, comme les plans où l’on voit les personnages sauter à toute allure sur les dos des chevaux au galop, pour passer d’un cheval à l’autre. C’est là que nous avons eu recours aux doublures numériques.

Parlons à présent de la scène du train…Pendant que la bataille fait rage, les wagons sont en feu et on voit aussi le train passer sur un énorme pont de bois en flammes, qui commence à s’effondrer…

Oui. Les scènes de bagarre sur les toits des wagons ont été tournées en plateau, devant un fond vert. Le département des effets spéciaux avait construit deux wagons grandeur nature qui étaient placés sur des plateformes afin que nous puissions les secouer et les faire bouger de manière réaliste. Tout le reste de l’image - c’est à dire les paysages naturels, les arbres, les montagnes et le pont - a été réalisé en images de synthèse, ainsi que la fumée s’échappant de la cheminée du train, les flammèches, les cendres incandescentes et la fumée issue des wagons en feu. Grâce à cette méthode, nous avons pu tourner les choses exactement comme nous le voulions. Je précise cela parce qu’au tout début, la production avait envie de tourner cette scène en utilisant un vrai train. Mais en analysant les choses, il a vite été évident pour tout le monde que la logistique d’un tel tournage aurait été délirante. Il aurait fallu sécuriser les acteurs et leurs doublures cascades en les accrochant à des câbles eux-mêmes fixés à une structure en hauteur, dont la base aurait du être boulonnée à l’arrière des wagons en mouvement, et tout cela de nuit ! Cela signifie qu’il aurait fallu placer des éclairages sur plus d’un kilomètre et demi de rails, pour avoir un peu de marge de tournage pendant que le train avançait…Au niveau de la logistique et des coûts, cette séquence pouvait devenir un cauchemar technique et un gouffre financier. Nous avons préféré être raisonnables et tourner en studio, sur fond vert. La troisième partie de l’action, qui montre le train passer sur le pont en feu qui s’affaisse et des wagons tomber et heurter sa structure, a été réalisée entièrement en 3D par le studio Method de Vancouver.

Montrer des wagons ou des structures architecturales qui s’effondrent et se disloquent est encore difficile à faire en 3D. Comment le studio Method a t’il procédé ?

Ces animations de destructions sont effectivement difficiles à réaliser en 3D, mais tout le reste aussi, notamment les effets de flammes. On s’en rend compte en voyant assez souvent des effets numériques dans lesquels le feu n’est pas tout à fait crédible. Pour la dislocation des wagons et du pont, cela reste dans le domaine des animations 3D « classiques », que les animateurs mettent en place en s’aidant de logiciels de simulation afin de ne pas avoir à animer le moindre éclat de bois d’une poutre qui se rompt. Les phases principales de la destruction de ces objets sont animées un peu comme on anime un personnage, mais la différence, c’est que l’on gère beaucoup plus de petits éléments. C’est donc plus long à faire, car il faut combiner les animations principales gérées par les animateurs et les animations secondaires prises en charge par les logiciels de simulation.

Quel est le secret d’une simulation de feu 3D totalement réaliste ?

Il faut combiner différentes choses. La première, c’est de choisir la bonne exposition, autrement dit que la luminosité et le contraste des fausses flammes corresponde exactement à la manière dont les images réelles ont été exposées. S’il y a un décalage entre les deux, les flammes paraîtront fausses. La seconde, c’est de s’assurer que le plan est bien conçu : si le réalisateur vous demande de créer des mouvements de caméra inutilement tarabiscotés, que l’on ne pourrait jamais tourner avec une véritable grue et une vraie caméra, vous indiquez immédiatement au public que cette scène a été réalisée en 3D ! C’est un peu comme si vous agitiez un grand chiffon rouge en criant « Tout ça, c’est du virtuel ! ». La troisième, c’est l’attention portée à l’animation des flammes en fonction du contexte de la scène. Cela paraît évident à dire, mais ce sont souvent les plus petits détails qui « sonnent juste » et qui permettent d’obtenir un résultat parfaitement convaincant. Dans notre cas, il fallait que les flammes des wagons bougent comme si elles étaient agitées par le vent, puisque le train roule à grande vitesse. Heureusement, il y a tellement de documents vidéo de référence où l’on voit de vrais feux que les infographistes ont pu y puiser exactement ce dont ils avaient besoin.

Quels sont les autres environnements totalement virtuels que vous avez créés pour ce film ?

Nous avons recréé les paysages urbains de Washington au 19ème siècle, parce qu’il ne reste pratiquement plus rien de tout cela. Nous avons recréé aussi le capitole en cours de construction, avec une simulation de foule au second plan, derrière des figurants réels placés à l’avant-plan. Ainsi qu’un décor de plantation entouré par des marais.

A propos de la reconstitution en 3D de Washington, avez-vous été contraint de modéliser vous-mêmes tous les principaux bâtiments et monuments historiques, ou avez-vous pu avoir recours à des modèles 3D déjà prêts, que vous avez pu « recycler » ?

C’est drôle que vous posiez cette question. Pour le plan d’ouverture du film, nos utilisons une vue aérienne du mémorial de Lincoln, et la caméra tourne pour montrer ensuite la Maison Blanche. Les monuments de cette partie de Washington sont disposés d’une manière si particulière, montrée des milliers de fois à la télévision et au cinéma, que si le moindre détail n’est pas exact dans une reconstitution 3D, tout le monde s’en rend compte immédiatement. L’avantage pour nous, c’est que des modèles 3D de tous ces bâtiments existaient déjà. Nous avons pu les acquérir et les utiliser dans nos previz, en étant sûrs que tout correspondrait à la réalité, parce que ces modèles avaient été réalisés d’après les plans réels du site. Pour d’autres scènes, comme celle qui montre le capitole en cours de construction, il y a tant de références photographiques de cette époque que nous avons pu partir d’un modèle 3D préexistant et modifier son apparence en créant des parties manquantes et des grues en train de les assembler. Idem pour la Maison Blanche : nous sommes partis du modèle 3D du bâtiment actuel, et nous lui avons redonné l’aspect assez différent qu’il avait au 19ème siècle.

Pardonnez-nous cette question sans doute très naïve, mais comment faites-vous votre « shopping » de modèles de bâtiments 3D ? Existe t’il beaucoup de sociétés qui vendent des modélisations sur catalogue ?

Pour ne rien vous cacher, il y a beaucoup de sociétés qui font cela, mais il y en a peu qui le font bien ! Il faut être très prudent quand on choisit ses fournisseurs.

Est-ce que ces prestataires proposent des bâtiments de tous les genres et de toutes les époques ?

Oui. Nous avons eu de la chance dans certains cas, et avons été capables de trouver et de recycler ce dont nous avions besoin. Il se trouve que le studio Method avait déjà travaillé sur plusieurs films dans lesquels apparaissait la Maison Blanche. Ils ont donc pu réutiliser cette modélisation plusieurs fois. Mais je dois dire qu’il est beaucoup plus dur de trouver des bâtiments du 19ème siècle, tout simplement parce qu’il n’y a pas beaucoup de films qui se déroulent à cette époque et de plus, à Washington.

Pouvez-vous évoquer les effets numériques réalisés autour des vampires ?

C’est un processus qui a évolué au cours de la production du film. Au départ, Timur voulait montrer les vampires de manière « réaliste » et organique, en n’allant pas trop vers le surnaturel. Mais pendant la préparation, il a changé d’avis et a voulu rendre les vampires très effrayants. Les effets numériques que nous avons ajoutés autour des vampires interviennent surtout pendant leur transformation, au moment où ils passent de l’état « presque normal » à celui de vampires féroces. Nous intervenons sur la transformation des yeux, car même si les acteurs portaient des lentilles sclérales, il n’était pas toujours facile de bien voir leurs yeux. Nous avons ajouté une lueur rouge dans leurs regards. Nous avons souligné aussi les veines sur leurs visages. Il y avait déjà des veines saillantes sur les prothèses posées sur les acteurs, mais à cause de l’éclairage, elles n’étaient pas toujours visibles. Au début de la transformation, nous les avons donc accentuées. Le dernier point, ce sont les amplification des mouvements d’ouverture des mâchoires et d’apparition des canines, car il fallait aussi qu’on puisse les voir pousser. En ce qui concerne les mâchoires, nous nous sommes inspirés des serpents qui ont la capacité de disloquer les leurs pour avaler des proies beaucoup plus larges qu’eux. Nous sommes intervenus à la fois en 2D et en 3D pour disloquer les mâchoires des acteurs à certains moments, de manière furtive, pour les rendre encore plus effrayants.

Avez-vous créé des effets particuliers pour montrer que les reflets des vampires n’apparaissent pas dans les miroirs ?

Nous sommes passés par une phase où nous pensions faire cela avec des effets en direct, et nous avions développé une méthode pour y parvenir. Ce qui était dit dans le script était que les vampires « ne se reflètent pas vraiment dans les miroirs », sans que cette notion de « pas vraiment » soit clairement définie. Nous avons testé différentes représentations de ces reflets partiels, notamment des silhouettes semi-transparentes, et d’autres qui avaient un aspect fantomatique, avec des effets lumineux particuliers. Mais en fin de compte, il a été décidé que les vampires ne se refléteraient pas du tout dans les miroirs, et ces effets ont été abandonnés. Du coup, quand un acteur se trouvait devant un miroir, nous effacions simplement son reflet en réinjectant le reflet du décor vide.

Quels genres d’effets avez-vous employés pour montrer la mort des vampires ? Tombent-ils en poussière ?

Non, car nous en sommes restés à cette approche plus réaliste : quand ils meurent, ils s’effondrent et leur cadavre reste là. Et c’est tout ! (rires)

Quels ont été les défis les plus importants que vous avez eu à relever sur cette grosse production, en tant que superviseur des effets visuels ?

Je crois que le plus gros défi a été non pas seulement d’obtenir les effets dont nous avions besoin, mais de trouver les moyens de les créer dans le cadre des limites de notre budget. Cela devient de plus en dur, car chaque année, les effets prévus pour les nouveaux films sont de plus en plus ambitieux. Il faut aussi s’organiser pour travailler dans des délais de plus en plus serrés.

Combien y a t’il eu de personnes en tout au sein des équipes chargées des effets visuels, et pendant combien de mois ont-elles travaillé ?

Le processus de création des effets s’est étalé sur six mois, et il y avait environ 400 personnes qui travaillaient dessus dans les différents studios avec lesquels nous collaborions.

Quels lieux réels vous ont-ils servi de référence pour reconstituer ces environnements historiques, comme celui du fameux discours de Gettysburg ?

Heureusement pour nous, toute la période de la guerre civile américaine est abondamment référencée au sein de la bibliothèque du congrès, dans laquelle on trouve des documents de toutes sortes : manuscrits, lettres, photos, plans, etc. C’était une véritable mine d’or dans laquelle nous pouvions puiser les images de tout ce dont nous avions besoin, des costumes et uniformes d’époque jusqu’aux champs de bataille et aux environnements urbains. Nous avons utilisé des daguerréotypes, des photographies, et l’une des choses amusantes dont nous nous sommes rendu compte, c’est que beaucoup d’images avaient été photographiées en relief ! C’était d’autant plus frappant que notre film était tourné lui aussi en 3-D Relief, 180 ans plus tard !

Vous avez certainement dû utiliser beaucoup d’effets « invisibles » pour effacer les antennes de télévision ou les éléments modernes des lieux historiques qui ont servi pendant le tournage…

Oui, car cela fait partie des difficultés qui attendent les équipes des effets visuels. Il y avait non seulement ce que vous évoquez, c’est à dire l’effacement des bâtiments et objets modernes dans les paysages réels où nous tournions, mais nous avons du effacer aussi les câbles qui soutenaient les acteurs pendant les cascades, les fils électriques qui traînaient sur le sol, les projecteurs ou les micros qui dépassaient du cadre et même des membres de l’équipe qui ne se rendaient pas compte qu’on les voyait à l’image ! Nous sommes intervenus ainsi sur une bonne centaine de plans qui étaient sensés être réalisés entièrement en prises de vues réelles, sans recours aux trucages numériques.

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