Attakus : la passion de la sculpture
Article Produits Dérivés du Vendredi 04 Juillet 2008

Entretien avec Etienne Aillaud

Propos recueillis par Pascal Pinteau

Vous connaissez certainement les créations d’Attakus pour les avoir vues trôner dans les vitrines des magasins. Ces superbes statuettes de personnages de BD et de Cinéma sont créées dans les ateliers Bombyx, situés en banlieue parisienne. En une dizaine d’années, ce groupe de passionnés de sculpture a su s’imposer en France et à l’étranger, et instaurer de belles collaborations avec Marvel et Lucasfilm. Nous avons rencontré Etienne Aillaud, sculpteur, co-fondateur et directeur artistique d’Attakus, et visité l’antre où naissent tant de merveilles miniatures.

Pourriez-vous présenter votre société en quelques mots ?

Au début, la société était un atelier regroupant des artistes indépendants – sculpteurs, graphistes – dans un même lieu. Ensuite, nous nous sommes organisés en société civile de moyens pour pouvoir partager des locaux. En obtenant des commandes pour la publicité, ou pour des sites du type Eurodisney, pour lequel nous avons créé 600 statues originales, nous avons décidé d’évoluer et de monter une SARL que nous avons appelée Bombyx. Nous avons changé de locaux et nous avons essayé de faire de la sculpture dans le plus grand nombre de domaines possibles : pub, décorations pour des salons, parcs à thème, pièces pour des artistes contemporains d’après maquettes, flaconnages de bain, prototypes de jouets, etc…Le problème de ce genre de structure, c’est que nous nous retrouvions souvent à 45 personnes dans l’atelier, bossant comme des fous pour faire face aux commandes, en plein été. Et comme la sculpture n’est pas une science exacte, la moindre erreur pouvait avoir des conséquences financières importantes, surtout s’il fallait racheter de grosses quantités de matières premières pour fabriquer des pièces de grande taille. A force de travailler pour des licenciés, et d’obtenir régulièrement l’approbation de Disney ou de Warner, ces sociétés nous envoyaient chez leurs clients qui avaient des problèmes de réalisation de produits, afin de les aider à finaliser leurs sculptures. Nous avions acquis une réputation de travail de qualité, et de réalisations toujours fidèles aux personnages originaux. A force d’intervenir pour les autres, nous avons eu l’idée de créer nous-même notre gamme de produits, et c’est la raison pour laquelle nous avons créé la société Attakus. Au départ, nous avions peur que nous clients nous prennent pour des concurrents, mais c’est le phénomène inverse qui s’est produit : ils étaient très fiers de pouvoir travailler avec le même atelier de sculpture que celui qui fournissait Attakus !

Comment avez-vous « décroché » votre première licence Américaine ?

Il y a sept ans, nous avons appris qu’un représentant de Marvel allait venir en France. Nous l’avons rencontré une fois et il nous a dit : « Je repasse dans un mois. Proposez-moi quelque chose. » Un mois après, nous avions réalisé un prototype en résine de Wolverine, qui lui a beaucoup plu. Il est parti avec à New York et un peu plus tard, nous allions à New York, signer avec Marvel.

Vos créations sont très détaillées et vos personnages souvent représentés dans des postures dynamiques et complexes, que l’on imagine très difficiles à mouler…

Nous ne voulons pas brider notre créativité à cause des problèmes de fabrication. Nous avons acquis une grande expérience de réalisation de produits, et nous poussons toujours les limites techniques aussi loin que nous le pouvons, tout en maîtrisant la faisabilité de ces pièces.

Quel est le processus de création d’une pièce, de A à Z ?

Tout commence par un accord de licence. C’est assez compliqué de travailler avec les USA depuis la France, même si nous avons établi de bons rapports avec Marvel et Lucasfilm, notamment. Le travail est beaucoup plus libre et plus spontané lorsque nous travaillons directement avec un artiste qui s’investit dans le projet, comme Loisel.

Quels sont les problèmes que l’on rencontre en travaillant avec des grosses sociétés US ?

Le protectionnisme ! Ils ont tendance à privilégier les fabricants Américains. Mais Lucasfilm, par exemple, a toujours été très réglo avec nous et très fidèle. Les Américains se souviennent que nous avons été à l’origine d’une idée : celle de faire de belles statuettes de collection avec leurs personnages. Quand nous sommes allés trouver Marvel, il n’existait rien dans ce domaine aux USA. Idem pour Lucasfilm. Notre démarche a permis d’initier un marché. Depuis, pour être plus présent sur le territoire US, nous avons fondé une structure au Canada, ce qui facilite les rapports commerciaux.

Quel est le processus de création d’un personnage comme Yoda ou Jabba ? Une fois les accords signés, est-ce que Lucasfilm vous donne les fichiers image qui permettent de connaître les proportions du personnage, ses couleurs ?

Ils nous les vendent . Il faut aussi payer l’accès à la banque officielle de photos. Quand on crée un personnage en trois dimensions, on tombe souvent sur des incohérences de représentations. Je me souviens que nous nous sommes demandés comment étaient les oreilles de Jabba. Nous avons interrogé Lucasfilm, mais ils ne savaient pas. Puis nous avons trouvé une vieille photo du film qu’ils n’avaient pas en stock, sur laquelle on pouvait clairement voir des ouïes ! Là, on a déclenché un branle-bas de combat. Lucasfilm a réagi immédiatement en corrigeant la description officielle du personnage, et en envoyant des mails à tous les fabricants pour leur signaler qu’il fallait représenter les oreilles de Jabba ! Pour revenir au processus de collaboration, on soumet d’abord un concept graphique qui décrit la pose de la statue, sa taille, le nombre d’exemplaires, etc…C’est soit un dessin, soit un montage sur photoshop qui permet de visualiser ce que sera la statue. Ensuite, selon les cas, soit on envoie le dossier, soit on se déplace – comme dans le cas de Lucasfilm - pour soumettre le projet. Ensuite, on se lance dans la fabrication du prototype, dont on valide les étapes de réalisation, en apportant des corrections si nécessaire, jusqu’au moment où l’on arrive au prototype approuvé. D’ailleurs, quand nous avons créé notre première série Star Wars, nous sommes partis en Californie, avec une dizaine de personnages achevés à 80%, pour les soumettre à approbation et les finir sur place. Lucasfilm nous avait prêté un bureau pour monter un mini atelier sur place, avec tous nos outils ! Ensuite, pour finir les produits, on passe à la mise en couleur, à l’approbation du packaging, de l’emplacement des logos, etc…

Trouvez-vous aussi beaucoup d’incohérences de couleur ?

Oui. Pendant le tournage de la première trilogie de Star Wars, les costumes ont souvent été photographiés dans l’ombre. Il était difficile d’identifier les couleurs exactes. Le costume de Dark Vador a aussi beaucoup évolué d’un film à l’autre. Boba Fett, lui, avait été photographié sous toutes les coutures devant un fond blanc : c’était une source de références parfaite pour nous. Mais trouver une image du dos de Yoda, par exemple, a été impossible ! Pour la nouvelle trilogie, ce travail de référence image a été fait à la perfection : les acteurs ont même été scannés en 3D !

Utilisez-vous ces scans pour faire ces sculptures ?

On pourrait le faire, mais nous n’en avons pas besoin. C’est un concurrent Américain, Gentle Giant, qui commercialise ces scans. Je crois qu’on peut acheter le scan 3D d’une tête de Star Wars pour 5000 dollars. De toutes manière, un scan, tout comme un moulage de visage, a souvent l’apparence d’un masque mortuaire : il faut le retoucher pour obtenir une expression naturelle et une vraie ressemblance, et pour restituer les détails des cheveux.

Comment fabriquez-vous une statuette ?

Lorsqu’il s’agit d’un personnage de petite taille, nous le sculptons en mastic polyester. Sinon, nous faisons les premiers jets de sculpture plus grandes en matériaux périssables : plastiline, cire, etc…Ensuite on moule en silicone et on tire une épreuve intermédiaire en résine, qui va être retouchée et modifiée. Lorsque l’on a obtenu la sculpture définitive, on fait un nouveau moule, puis une dizaine de tirages pour l’étalonnage couleurs, l’approbation des ayants-droits, etc…Il faut transposer aussi des objets compliqués, comme la pipe-narguilée de Salacious Crumb, la petite créature qui accompagne Jabba. Il y avait des effets de matières, de transparences que nous avons recréés à notre manière.Nous nous sommes fait une bonne réputation en partie à cause du soin apporté au traitement des textures, des drapés, des chevelures, à tous ces détails qui sont très importants.

Pourriez-vous nous dire, par exemple, combien de moules différents vous avez dû concevoir pour fabriquer la superbe statue de Dark Vador qui se trouve à côté de nous ?

Une quinzaine. J’hésite quelquefois à la dire, parce que c’est aussi un peu ce qui fait notre particularité : le refus de la simplification.

Avez-vous des « moules de sauvegarde » de vos modèles ?

Oui, par sécurité. Mais on garde surtout des positifs des « grand-pères » dont on pourrait, le cas échéant, faire de nouveaux moules. On appelle les « grand-pères » les personnages définitifs qui sont à l’origine d’une série.

Quels sont les quantités de personnages en séries limitées que vous produisez ?

Ça varie énormément. Nous avons fabriqué 60 bustes de Brabant, d’après le personnage de Loisel. Les personnages Star Wars sont tirés en moyenne à 1500 exemplaires. En principe, dès que nous atteignons un seuil de rentabilité raisonnable, nous nous arrêtons là. Pour nous, l’argent est un moyen, pas un but.

Quels sont les collaborations avec des artistes qui vous ont laissé les meilleurs souvenirs ?

En découvrant la statue de Gai-Luron que nous avions faite, Marcel Gotlib nous a dit que c’était sa deuxième plus grande émotion professionnelle. C’était très touchant. Nous avons aussi d’excellents rapports avec Regis Loisel.

Auriez-vous envie de vous intéresser à d’autres domaines de la sculpture ?

Oui, nous avons des tas d’idées. On aurait bien aimé faire des « action figures », des personnages articulés sophistiqués comme ceux que l’on trouve aux USA. Et on aimerait aussi beaucoup faire renaître des objets de l’artisanat Français, ressusciter de beaux objets de toutes les époques, dans toutes les matières. Tout ce qui nous plaît et qui est beau, quoi !

Quelles sont les gammes de prix de vos produits ?

De 18 euros pour les petits Gai-lurons jusqu’à 1250 Euros pour les bustes de Loisel tirés à 60 exemplaires. Les petits prix sont aussi des séries limitées, mais plutôt destinées aux fans les plus jeunes, que nous voulions toucher eux aussi.

Quels sont les cinéastes célèbres qui aiment vos réalisations ?

Il y en a un dont nous sommes sûrs, c’est George Lucas. Lorsque nous avons postulé à une licence Star Wars, nous lui avons envoyé notre statuette de la Joconde. Quand il l’a vue, il a dit « S’ils sont capables de faire ça avec la Joconde, ils peuvent faire du Star Wars ! ». Il y a peu de temps, quand Lucasfilm a déménagé, l’un des responsable du merchandising a vu George Lucas ranger lui-même sur ses étagères ses personnages préférés d’Attakus. C’est évidemment le genre d’anecdote qui fait plaisir !

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